1.A.9) «Eileen» (19 mars 1917)

Bien que certainement moins populaire que ses opérettes Babes in Toyland (1903), Mlle. Modiste (1905), The Red Mill (1906), Naughty Marietta ou Sweethearts, Eileen de Victor Herbert est peut-être son œuvre la plus sincère et personnelle, et qui contient bon nombre de ses meilleures chansons. Cette opérette écrite au nom de la cause irlandaise n’était pourtant ni un manifeste, ni un discours politique. Elle se veut une ode à l'Irlande, un hommage sincère. Un critique a dit : "Eileen est plus qu’une opérette, c’est un peu de la "propagande". Quand on écoute la musique de M. Herbert, comment pourrait-on refuser quoi que ce soit aux Irlandais?" Herbert a reconnu ses sentiments dans son discours de clôture lors de la Première à New York le 19 mars 1917 :

« J’ai passé la majeure partie de ma vie aux États-Unis. J’y suis citoyen depuis de nombreuses années. Je pense aujourd’hui être un bon Américain. Mais je suis né à Dublin et tous mes ancêtres étaient irlandais. Le rêve de ma vie a été d’écrire un opéra irlandais, qui ajouterait à la gloire de ses traditions. Maintenant ce rêve est devenu réalité. Vous devez savoir ce que je ressens. C’est le plus beau jour de ma vie. »

Victor Herbert

 

Rébellion irlandaise de 1798

La rébellion irlandaise de 1798 fut un soulèvement contre la volonté de domination britannique dans le Royaume d'Irlande, mené par la Société des Irlandais Unis, inspirée par les révolutions américaine et française. Les causes de la rébellion irlandaise de 1798, outre cette volonté de domination du royaume de Grande-Bretagne sur l'Irlande, il ne faut pas sous-estimer la discrimination religieuse envers la majorité catholique par une classe dirigeante protestante, et l'influence des révolutions américaine et française.

En raison de la pression du gouvernement britannique et des arrestations de ses dirigeants, le soulèvement fut déclenché le 23 mai 1798. Bien que l'insurrection ait connu quelques succès initiaux, elle fut mal organisée et rapidement écrasée par les troupes gouvernementales. Une tentative d'expédition française pour soutenir les rebelles échoua également. La répression qui suivit fut sévère, avec des milliers de morts et des exécutions des insurgés. Malgré cela, la Société des Irlandais Unis survécut en tant qu'organisation clandestine. Le bilan humain de la rébellion est estimé à environ 10.000 morts du côté des insurgés et 530 du côté gouvernemental.

La rébellion irlandaise de 1798 a eu des conséquences profondes sur la politique irlandaise ultérieure, en marquant un tournant dans les relations entre la siganture de l'«Acte d'Union de 1800» qui a unifié le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et le Royaume d'Irlande, pour former le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande en 1801. Cette union a été perçue comme une manière de contrôler l'Irlande et de prévenir d'éventuelles rébellions futures.

L'intrigue de Eileen se déroule en 1798 pendant la rébellion irlandises (voir ci-contre). Le spectacle s'intéresse à Lady Maude, une dame anglaise, la séduisante veuve de Lord Estabrook, et qui est la maîtresse du château de Sligo, autrefois détenu par la famille irlandaise O’Day. Cela crée un profond ressentiment parmi les habitants irlandais. On suit aussi l'histoire de sa niéce, Eileen, à son retour en Irlande aprés avoir fait ses études en France dans un couvent. On rencontre également Barry O'Day, un rebelle fils d’un légendaire rebelle irlandais, et sa bande de contrebandiers.

Lady Maude et Eileen s’arrêtent dans une auberge lorsque leur calèche tombe en panne. Barry les protège de certains ivrognes du village et flirte avec Maude, bien que ce soit vraiment Eileen qui ait attiré son attention; Maude est sympathique à la cause des rebelles, même si son château est celui occupé autrefois par les ancêtres de Barry. Lorsque le colonel Lester, l’autorité britannique locale, vient arrêter Barry pour trahison, Lady Maude tient le colonel à distance, et Barry s’échappe déguisé en palefrenier de Lady Maude.

Plus tard, au château de Sligo, Lady Maude a développé une affection pour Barry. Eileen explique que Barry est un voyou. Néanmoins, Maude décide d’aider Barry à échapper à nouveau au colonel en mettant un uniforme de cocher sur son invité, Sir Reggie, faisant de lui un leurre. Sir Reggie est arrêté et condamné à mort avant que le colonel n’apprenne qu’il a été trompé et que Barry s’est à nouveau échappé.

Au moment de l’anniversaire de Lady Maude, Eileen et Barry sont tombés amoureux. Apprenant que Barry est là, le Colonel fait encercler le château par ses hommes. Barry se rend, et il est sur le point d’être abattu, quand arrive la nouvelle que le roi a gracié les rebelles. L’arrestation est annulée, plusieurs couples sont unis, dont Barry et Eileen, et il est déclaré que « l’Irlande se tiendra parmi toutes les autres nations du monde ».

Même s'il ne s'agit pas d'un manifeste, cette opérette n'est pas neutre puisqu'elle parle en 1917 - un an après la l'insurrection de Dublin en 1916 - de l'insurrection irlandaise de 1798.

Hearts of Erin - le titre initial de Eileen - avec un livret de Henry Blossom, a ouvert pour un premier Try-Out à Cleveland le jour de l’an 1917. Les critiques des Try-Out ont laissé penser que l'opérette connaîtrait un triomphe à New York.

  • Boston Eveining: "Mélodie, rythme, couleur, esprit, variété dans la meilleure veine de Victor Herbert"
  • Boston Herald: "La musique est le couronnement de la longue et distinguée carrière de M. Herbert."
  • Boston Journal: "Victor Herbert s’est surpassé lui-même!"
  • Boston Post: "M. Herbert n’a jamais écrit publiquement dans une telle veine, ni fait quoi que ce soit qui excelle autant en matière de mérite artistique."

Différents extraits de presse

 

Pendant les différents Try-Out, de nouvelles chansons ont été ajoutées et d’autres ont été retravaillées en profondeur. Une comparaison des partitions de Hearts of Erin et Eileen (comme fut rebaptisé le spectacle au Try-Out de Boston) montre que Herbert et Blossom étaient déterminés à fournir à Broadway un succès à l’épreuve des critiques. Lorsque le spectacle a ouvert ses portes le 19 mars 1917 au Shubert Theatre de Broadway, le public était rempli de personnalités éminentes de la communauté irlandaise. Lorsque Herbert descendit l’allée centrale pour prendre place à la tête de l’orchestre, la scène devint électrique, car il était évident que cette œuvre représentait tellement pour lui.

« On le vit se précipiter vers la fosse d’orchestre. Et à la minute où les violonistes sortirent de leur antre, il les accueillit avec des yeux brillants. On vit sa baguette s'adresser à eux comme si elle était vivante. Tous réalisèrent que Mr Herbert vivait le plus beau moment de sa vie. Une grande partie de la dévotion passionnée de cet homme pour l’Irlande et une grande partie de sa haine de l’Angleterre se retrouvent dans la partition de "Eileen". Il a dirigé l'orchestre avec l’ardeur d’un rebelle.
Ces magnifiques morceaux de musique qui accompagnaient les cris de ressentiment irlandais contre l’oppression britannique, comme ces mesures dures et brûlantes qui annonçaient l'arrivée des "Manteaux rouges" ([uniformes anglais]), étaient exactement ce que l’on aurait pu attendre de la plume d’Herbert.
De sauvages cris irlandais sauvages ont retenti à la fin de l'entracte lorsque M. Herbert, essuyant un front rose avec un mouchoir bordé de vert, a bondi dans sa fosse pour prendre Dublin grâce à une musique qui aurait sûrement fait dévier les balles des "Manteaux rouges". »

Critique de journal

 

Les critiques new-yorkais sont tombés sous le charme. Le Times a qualifié Eileen d'être dans "la meilleure veine d’Herbert, débordant de riches mélodies à la saveur irlandaise qui contribuent beaucoup au charme de la partition!" La seule critique négative était que, dans son enthousiasme, Herbert fit monter l’orchestre à un tel délire sonore qu’il noyait les excellents chanteurs.

Remarquable production, chanteurs de haut niveau, mise en scène captivante, l’une des plus belles partitions d’Herbert… Et pourtant, la production a fermé après 64 représentations seulement. Que s’est-il passé?

Peu avant l’ouverture d’Eileen à New York, le Président des États-Unis, Woodrow Wilson a rendu public un message du ministre allemand des Affaires étrangères, Arthur Zimmerman, au gouvernement mexicain dans lequel il déclarait que, si le Mexique se joignait à l’Allemagne dans une guerre contre les États-Unis, on lui promettait la restitution de ses territoires perdus pendant la guerre du Mexique: le Texas, l'Arizona et le Nouveau-Mexique. Le tollé fut énorme dans la population américaine. À partir de ce moment, pour beaucoup, la proximité des révolutionnaires irlandais de 1917 et les Allemands - rapprochés par leur ennemi commun, l'Angleterre - était devenue très criticable. Le même mois, la révolution russe a renversé le régime tsariste dans un soulèvement sanglant. Plusieurs États ont promulgué des lois interdisant tout discours faisant la promotion d'un changement politique. Ainsi, l’opérette irlandaise d’Herbert était devenue ipso facto une infraction.

Le spectacle ferma donc ses portes à Broadway après une série plus courte qu'attendu. Mais Joe Weber, le producteur, avait prévu une tournée de deux ans. Il la lança, mais, peu après, à Dayton, dans l’Ohio, un "mystérieux" incendie détruit tout: les décors, les costumes, les partitions d’orchestre... Et même les instruments des musiciens. Ce fut la fin de l'US-Tour...Il semblait que c'en était fini d’Eileen. Mais ce ne fut pas le cas. Pas encore.

1.A.10) Participation aux «Ziegfeld Follies of 1917» (juin 1917)

En 1917, Victor Herbert a fait ses premières contributions aux Follies: de la musique de ballet, et un chant patriotique de guerre intitulé « Can’t You Hear Your Country Calling ? »

1.A.11) «Miss 1917» (5 novembre 1917)

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En 1916, Charles Dillingham et Florenz Ziegfeld avaient produit The Century Girl, avec de la musique d’Irving Berlin. Malgré des critiques légèrement positives, le spectacle a fermé sans récupérer son investissement. Lors de leur prochaine production, qui devait s’appeler Miss 1917 (), ils embauchèrent Jerome Kern et Victor Herbert pour composer la partition et Guy Bolton et P.G. Wodehouse pour collaborer à la rédaction du livret. Même s'il y avait une volonté de livret, on qualifie aujourd'hui Miss 1917 () de revue musicale.

Le spectacle est surtout connu aujourd’hui pour des «premières»:

  • la première fois que Florenz Ziegfeld mettait en scène une revue qui n’était pas l’une de ses célèbres Follies
  • la première participation de George Gershwin à du théâtre musical. À cette époque, Gershwin était encore un jeune compositeur en devenir. Pendant les répétitions de Miss 1917 (), Gershwin dirigeait l'orchestre depuis la fosse et a été le pianiste de répétitions. Il fut embauché à 35$ par semaine. Au fur et à mesure que la période de répétition s'allongeait, Gershwin gagna plus d'argent. Bien que son nom ne soit pas directement associé à la composition de la musique de Miss 1917 (), cette expérience lui a permis de se familiariser avec le monde du théâtre musical et d'interagir avec des figures influentes comme Jerome Kern et Victor Herbert, qui ont influencé son propre style et sa carrière future.
  • la participation de jeunes talents qui allaient devenir des figures majeures du théâtre et du cinéma, notamment Eddie Cantor, Marilyn Miller et Frank Tinney

Certains morceaux de Kern issus de la revue ont survécu au spectacle, mais peu de partitions complètes sont restées célèbres.

1.A.12) «Her Regiment» (12 novembre 1917)

Les années 1917-1918 furent marquées par une forte tension pour le compositeur, tiraillé entre ses attaches irlandaises, allemandes et américaines, alors que le pays était en guerre contre l'Allemagne tout en étant allié à l’oppresseur de l’Irlande. Dans un climat où l'on affichait son patriotisme jusque dans les menus, remplaçant le mot "sauerkraut" par "chou de la victoire", il était peu probable que le monde du théâtre échappe à ces pressions.

Fritz Stahlberg, ami proche de Herbert et chef d’orchestre au sein de son équipe, nous a laissé un témoignage saisissant de cette époque :

« "Her Regiment" ne connut pas un succès retentissant à New York [créé le 12 novembre 1917 au Broadhurst Theatre, il ne tint l'affiche que quarante représentations], mais s’avéra très populaire en tournée. Lors de notre passage à Détroit, le spectacle reçut d’excellentes critiques, mais un journal mentionna que la direction musicale était assurée par "Fritz" Stahlberg, ajoutant entre parenthèses: ("quel nom, en ces temps troublés !"). Une direction bienveillante et patriote comprit le message: le méprisé, rejeté et familier "Fritz" disparut des programmes au profit d’un plus formel "Frederik". [Non seulement cela, mais l’orthographe de son nom de famille fut "dé-teutonisée" en "Stalberg".]
M. Herbert pensa lui aussi que, vu le contexte, ce changement était une bonne idée, mais par habitude, il continuait à m’appeler "Fritz" malgré lui. Et durant ces jours de guerre brûlante, devoir rectifier "Fritz" en "Fred" était parfois plutôt embarrassant…" »

Fritz Stahlberg

 

Les contraintes liées à la production d’un nouveau spectacle en pleine guerre - rappelons que les États-Unis sont entrés en guerre le 6 avril 1917 en déclarant la guerre à l'Allemagne - pesèrent également sur le producteur Joe Weber. Soucieux d’offrir un divertissement léger, il tenait à s’éloigner autant que possible de toute influence celtique ou germanique. Pour concevoir le livret, il fit appel à William Le Baron, un jeune dramaturge au patronyme français, connu pour son habileté à écrire des comédies de boulevard. L’intrigue se déroulerait dans la Normandie d’avant-guerre, un cadre jugé neutre et approprié aux attentes du moment.

Sur le papier, l’idée semblait prometteuse. Cependant, Le Baron, n’ayant aucune expérience en écriture de livrets de comédies musicales, livra une opérette conventionnelle et désuète, que les critiques s’accordèrent à qualifier d’« ennuyeuse ». L’intrigue usée jusqu’à la corde – des amoureux roturiers qui se révèlent être de noble naissance, un couple secondaire issu des classes populaires pour l’effet comique, et un vieil antagoniste grincheux cherchant à épouser l’ingénue – manquait cruellement d’originalité et de charme.

Le véritable miracle fut que, malgré cette faiblesse narrative, Herbert réussit à composer une partition d’une telle vivacité qu’un de ses plus sévères critiques écrivit: «L’entrain pur de la musique emporte les chanteurs et le public avec elle.» Parmi les trésors de cette œuvre figure le duo d’amour Some Day, l’un des plus délicats et émouvants qu’Herbert ait jamais écrits.

Avec Her Regiment, la tentative d’innover avec une « opérette dansée » bascule dans l’excès. Plutôt que de simplement donner plus d’importance à la danse, le spectacle en devient totalement dépendant, au point de compromettre les autres aspects du spectacle. Le casting privilégie les danseurs au détriment des chanteurs et des comédiens, si bien que, pour la première fois dans une œuvre de Herbert, le chœur se distingue davantage que les solistes.

Malgré ces faiblesses, c’est bien la danse qui retient l’attention et séduit aussi bien le public que les critiques:

« L’un des éléments marquants de cette représentation fut le ravissant travail chorégraphique... La danse remporta les applaudissements les plus nourris de la soirée. »

Philip Hale - Boston Traveler

« [Les danses offraient] une impression de légèreté dans le mouvement, une élégance dans le port des bras et de la tête, un sens des lignes fluides et du rythme, un charme naturel et une gaieté lumineuse... Dans une robe bleue parsemée de roses... avec son profil aquilin, ses cheveux bruns flottants, le léger éclat de son teint et l’exaltation de son regard, elle semblait avoir descendu d’un portrait de jeunesse de Reynolds ou de Gainsborough dans ses œuvres les plus légères. »

Horation T. Parker - Boston Evening Transcript

Ce critique serait-il tombé amoureux? Peut-être… mais pas d’Herbert, de Le Baron ou de Her Regiment!

1.A.13) «The Velvet Lady» (février 1919)

The Velvet Lady de Victor Herbert représentait une certaine rupture avec le style habituel du compositeur. Ses opérettes mettaient généralement en avant une romance à l’ancienne, empreinte de sentimentalisme, mais cette fois, l’œuvre prenait la forme d’une comédie musicale légère et contemporaine (incluant même une chanson d’actualité, Any Time New York Goes Dry, en référence à la Prohibition qui devait entrer en vigueur en janvier suivant).

À bien des égards, cette œuvre s’inscrivait davantage dans l’esprit des musicals du Princess Theatre, et par son intrigue, ses personnages, son thème et son ton, elle aurait parfaitement convenu à Guy Bolton, P. G. Wodehouse et Jerome Kern. L’histoire se déroulait dans une maison de Riverside Drive, sur quelques heures de l’après-midi et de la soirée d’Halloween, et l’intimité du cadre reléguait au second plan les grands numéros de production et les effets scéniques spectaculaires.

Le personnage principal, Vera Vernon, surnommée The Velvet Lady (interprétée par Fay Marbe), est une vamp dont la présence plane sur toute l’intrigue, bien qu’elle n’apparaisse sur scène que dans les quinze dernières minutes du spectacle.

L’intrigue tourne autour de Ned Pembroke (joué par Alfred Gerrard), qui a eu une liaison avec Vera mais est maintenant fiancé à Bubbles (Minerva Coverdale). Il craint que cette séductrice ne révèle leur relation en rendant publiques une série de lettres compromettantes qu’il lui avait autrefois écrites. Son ami avocat, George Howell (Ray Raymond), parvient à récupérer les lettres, mais à la gare, une confusion l’amène à échanger accidentellement sa valise avec celle du cambrioleur Nicholas King (Jed Prouty).

Or, la valise de Nicholas contient un lot de bijoux volés, et bientôt, il se lance à leur poursuite, tandis que la police est sur ses traces. Parmi les officiers, on retrouve Mooney, un policier irlandais originaire du comté de Kildare, incarné par Eddie Dowling (futur grand nom de la comédie musicale, ici dans son premier rôle à Broadway).

Tout le monde finit par se retrouver chez Ned, sur Riverside Drive, où presque tout le casting se retrouve assigné à résidence par la police. Parmi eux: Ned et Bubbles, George et sa femme Ottilie (Marie Flynn), Susie, la domestique yiddish et scandinave originaire de Sioux City (Georgia O'Ramey), le majordome Parks (Ernest Torrence). Et, selon le Brooklyn Daily Eagle, «un nombre suffisant de choristes invitées pour rendre l’ambiance particulièrement vivante pour le public».

Ce qui distingua réellement cette comédie musicale et enthousiasma les critiques fut un effet spécial qui, ironie du sort, ne dut coûter aux producteurs guère plus que de la petite monnaie. Le Times salua une "charmante nouveauté" qui se produisait lors de la chanson Bubbles (chantée par Coverdale). Un "chœur d'Halloween" apparut sur scène muni de petits bols et de pipes, et ils "remplirent la scène de bulles de savon flottant dans un éclat irisé". Le critique ajouta que si un effet à la fois "simple" et "gracieusement fantastique" avait dû attendre "toutes ces années pour trouver son Christophe Colomb, il reste encore de l’espoir pour voir émerger du neuf sous les projecteurs."

Le succès triompha en Try-Out et fut un vrai succès au New Amsterdam Theatre à Broadway avec 136 représentations du 3 février au 31 mai 1919.

1.A.14) Participation aux «Ziegfeld Follies of 1919» (juin 1919)

Avec des cachets de stars et une production fastueuse, cette édition coûta plus de 100.000$ à monter. C'était la première édition des Follies à bénéficier d'une partition de grande qualité, la majorité des chansons étant signées par le maître Irving Berlin. Eddie Cantor interpréta le numéro sensationnel You’d Be Surprised, tandis que le ténor John Steel introduisit ce qui allait devenir l’hymne officieux des Ziegfeld Follies, A Pretty Girl Is Like a Melody. De son côté, Bert Williams tourna la Prohibition en dérision avec You Cannot Make Your Shimmy Shake on Tea. Enfin, Marilyn Miller (qui avait entre-temps abandonné le deuxième "n" de son nom) dansa sur le succès de style minstrel Mandy, composé par Irving Berlin, et tint le rôle principal dans un ballet conçu par Victor Herbert.

1.A.15) «Angel Face» (décembre 1919)

Angel Face de Victor Herbert fut le dernier book musical de la décennie 1910. Malgré un livret inhabituel voire confus signé par l’omniprésent Harry B. Smith (dont le frère, Robert B. Smith, écrivit les paroles) ainsi qu’une des chansons les plus saluées du compositeur (I Might Be Your Once-in-a-While), le spectacle s'effondra après seulement sept semaines d’exploitation et 57 maigres représentations!

Le programme laissait pourtant entrevoir une intrigue originale, qui aurait pu emmener le théâtre musical sur des territoires encore inexplorés - rappelant aujourd'hui le Viagra - avec son discours sur le rajeunissement des hommes âgés et la restauration de leur vigueur et de leur posture "redressée".

On y citait un certain Docteur Serge Voronoff (présenté comme le "chef des laboratoires physiologiques du Collège de France"), qui affirmait avoir prélevé une glande chez un chimpanzé "jeune et vigoureux", avant de la "greffer" sur un homme de quatre-vingts ans décrépit. D’après le programme, les effets auraient été spectaculaires : les "épaules de l’homme se redressèrent", il marcha bientôt "plus droit", et sembla "retrouver les facultés physiques et mentales d’un jeune homme de 30 ans."

À chaque première, Herbert conservait son habitude de faire une entrée théâtrale spectaculaire, descendant l’allée centrale sous les projecteurs. Comme il l’admit lors d’un discours d’après-spectacle à Boston, «les artistes vivent d’applaudissements.» Il dirigeait l’orchestre avec un enthousiasme débordant et, à un moment donné, dans l’exaltation de sa direction, il alla même jusqu’à faire, sans s’en rendre compte, une imitation du "shimmy". Un geste plutôt approprié, car, une fois encore, c’est la danse qui emporta tout sur son passage:

« L’un des moments phares du spectacle fut la danse excentrique de M. Donahue — un danseur à la fois désinvolte et effréné... Ses imitations de danseurs russes, du style d’Isadora Duncan, ou encore de Ruth St. Denis étaient remarquablement exécutées, et son ‘snake dance’ était d’un comique indescriptible. »


Même si les ballets furent appréciés, Angel Face fut bien vite oublié...