Dans les années '20, comme nous l'avons vu, d'énormes compositeurs ont émergé. On les a appelé les Big Five: Jerome Kern, Irving Berlin, Cole Porter, Richard Rodgers et George Gershwin. Ils ont supplanté les Victor Herbert et George M. Cohan, qui avaient eux brillé dans les années 1910 en créant l'opérette américaine. Les Big Five ont détrôné l’opérette en transformant le musical de divertissement charmant en forme artistique sérieuse, dramatique, intégrée et profondément américaine.

Le tableau ci-dessous liste les 46 créations des années 1920 à Broadway qui se sont jouées plus de 300 fois. Remarquons quand-même qu'il y en a trois de Jerome Kern qui se sont joués plus de 500 fois: Sally (1920 - 570 représentations), Sunny (1925 - 517 représentations) et bien sûr le révolutionnaire Show Boat (1927 - 527 représentations). Mais ce tableau montre qu'en dehors des Big Five, d'autres compositeurs ont particulièrement brillé dans les années '20:

  • Sigmund Romberg: avec The Student Prince, il a composé le plus gros succès des années '20. Mais il a quand même 7 de ses oeuvres au sein de la liste des 46 musicals ayant eu plus de 300 représentations, soit 15%!!!
  • Vincent Youmans, Rudolf Friml et Harry Tierney: ils ont également composé de très nombreus succès populaires dans les années '20

Pourquoi les avoir qualifié d'«étoiles filantes»? Simplement parce qu'ils ont vraiment brillé dans les années '20 et que leur carrière s'est presque totalement arrêtée après... Soulignons quand-même que les Big Five et nos 4 étoiles filantes ont composé 27 des plus gros succès des années '20 (60%)...

Pour être complets, nous allons dans ce chapitre analyser les 15 book-musicals de plus de 300 représentations qui ont été composées par d'autres auteurs, souvent des One-Shot. Nous ne reviendrons pas ici sur les 4 revues qui ont été composéees par cette troisième catégorie de compositeurs.

Enfin, n'oublions pas que de nombreuses oeuvres - ou aventures artistiques comme le "Princess Theatre" - n'ont pas atteint ces 300 représentations mais ont participé à faire naître le musical moderne que nous connaissons aujourd'hui.


Classemnt/
Nbre de représent.

Ouverture/
Fermeture

Titre de l'oeuvre
Compositeur
Type de compositeur

Les Big Five

Etoiles filantes

Les One-Shot


1. 608 représ.

02 12 1924

Student Prince (The)

22 05 1926

Sigmund Romberg

Romberg


2. 570 représ.

21 12 1920

Sally

22 04 1922

Jerome Kern

Kern


3. 557 représ.

02 09 1924

Rose-Marie

16 01 1926

Herbert Stothart • Rudolf Friml

Friml


4. 557 représ.

06 09 1927

Good News

05 01 1929

Ray Henderson

One-Shot


5. 527 représ.

27 12 1927

Show Boat

04 02 1929

Jerome Kern

Kern


6. 518 représ.

09 05 1928

Lew Leslie’s Blackbirds of 1928

15 06 1929

Jimmy McHugh

Revue


7. 517 représ.

22 09 1925

Sunny

11 12 1926

Jerome Kern

Kern


8. 516 représ.

29 09 1921

Blossom Time

27 01 1923

Franz Schubert • Sigmund Romberg

Romberg


9. 511 représ.

21 09 1925

Vagabond King (The)

04 12 1926

Rudolf Friml

Friml


10. 509 représ.

19 09 1928

New Moon (The)

14 12 1929

Sigmund Romberg

Romberg


11. 504 représ.

23 05 1921

Shuffle Along

15 07 1922

Eubie Blake

One-Shot


12. 494 représ.

02 02 1927

Rio Rita

07 04 1928

Harry Tierney

Tierney


13. 479 représ.

31 12 1923

Kid Boots

21 02 1925

Harry Tierney

Tierney


14. 477 représ.

07 02 1923

Wildflower

29 03 1924

Herbert Stothart • Vincent Youmans

Youmans


15. 471 représ.

30 11 1926

Desert Song (The)

07 01 1928

Sigmund Romberg

Romberg


16. 456 représ.

09 08 1920

Good Times

30 04 1921

Raymond Hubbell

Revue


17. 440 représ.

22 09 1921

Music Box Revue (The)

30 09 1922

Irving Berlin

Berlin


18. 432 représ.

14 06 1926

George White's Scandals

18 06 1927

*** Divers

Revue


19. 424 représ.

05 06 1922

Ziegfeld Follies of 1922

23 06 1923

Dave Stamper • Louis A. Hirsch • Victor Herbert

Herbert


20. 418 représ.

03 11 1927

Connecticut Yankee (A)

27 10 1928

Richard Rodgers

Rodgers


21. 412 représ.

04 12 1928

Whoopee!

23 11 1929

Walter Donaldson

One-Shot


22. 409 représ.

10 10 1928

Hold Everything!

05 10 1929

Ray Henderson

One-Shot


23. 401 représ.

09 01 1929

Follow Thru

21 12 1929

Ray Henderson

One-Shot


24. 385 représ.

15 08 1923

Little Jessie James

19 07 1924

Harry Archer

One-Shot


25. 367 représ.

08 09 1926

Queen High

23 07 1927

Lewis E. Gensler

One-Shot


26. 361 représ.

09 08 1921

Tangerine

26 08 1922

Alma M. Sanders • Monte Carlo

One-Shot


27. 356 représ.

09 02 1928

Rain or Shine

15 12 1928

Milton Ager • Owen Murphy

One-Shot


28. 353 représ.

20 09 1926

Honeymoon Lane

23 07 1927

James Hanley

One-Shot


29. 352 représ.

25 04 1927

Hit the Deck

25 02 1928

Vincent Youmans

Youmans


30. 347 représ.

01 11 1921

Good Morning Dearie

26 08 1922

Jerome Kern

Kern


31. 346 représ.

03 09 1923

Poppy (Donelly)

28 06 1924

Arthur Jones • Arthur Samuels

One-Shot


32. 335 représ.

10 01 1928

Rosalie

27 10 1928

George Gershwin • Sigmund Romberg

Gershwin

Romberg


33. 333 représ.

27 12 1926

Peggy-Ann

29 10 1927

Richard Rodgers

Rodgers


34. 330 représ.

23 10 1922

Music Box Revue (The)

04 08 1923

Irving Berlin

Berlin


35. 330 représ.

01 12 1924

Lady be good

12 09 1925

George Gershwin

Gershwin


36. 322 représ.

28 08 1922

Gingham Girl (The)

02 06 1923

Albert Von Tilzer

One-Shot


37. 321 représ.

16 09 1925

No, No, Nanette

19 06 1926

Vincent Youmans

Youmans


38. 321 représ.

18 09 1926

Countess Maritza

25 06 1927

Emmerich Kalman

Revue


39. 319 représ.

03 03 1925

Louie The 14th

05 12 1925

Sigmund Romberg

Romberg


40. 318 représ.

13 03 1928

Three Musketeers (The) (Friml)

15 12 1928

Rudolf Friml

Friml


41. 313 représ.

02 02 1920

Night Boat (The)

30 10 1920

Jerome Kern

Kern


42. 313 représ.

04 09 1922

Sally, Irene and Mary

02 06 1923

J. Fred Coots

One-Shot


43. 313 représ.

08 10 1923

Battling Buttler

05 07 1925

Philip Braham

One-Shot


44. 313 représ.

19 05 1924

I'll Say She Is!

07 02 1925

Tom Johnstone

One-Shot


45. 312 représ.

12 09 1927

My Maryland

09 06 1928

Sigmund Romberg

Romberg


46. 301 représ.

17 03 1926

Girl Friend (The)

04 12 1926

Richard Rodgers

Rodgers


 

Nous allons analyser ces "one-shot" auteur par auteur suivant un classement du nombre de représentations de leur œuvre.

8.B.1) Ray Henderson: Good News (#4), Hold Everything (#22), Follow Thru (#23)

Commençons par un compositeur qui n'est pas l'auteur d'un "one-shot" mais de trois...

Ray Henderson, né Raymond Brost en 1896 à Buffalo, est un compositeur américain important, actif à Broadway sans les années '20, puis à Hollywood dans les années '30. Il commence sa carrière à Tin Pan Alley avant de former un trio avec les paroliers Buddy DeSylva et Lew Brown. Ensemble, ils signent plusieurs musicals à succès dont 3 tubes: Good News (1927 - 557 représentation - 4ème plus gros succès des années '20'), Hold Everything! (1928 - 409 représentation - 22ème plus gros succès des années '20) et Follow Thru (1929 - 401 représentation - 23ème plus gros succès des années '20). Henderson compose aussi de nombreux standards, parmi lesquels Bye Bye Blackbird, The Birth of the Blues, Button Up Your Overcoat et The Best Things in Life Are Free.

Le trio part à Hollywood en 1929 et travaille notamment sur des films avec Al Jolson. Après la séparation du groupe, Henderson continue à collaborer avec d'autres auteurs et compose pour les Ziegfeld Follies et les George White's Scandals. Il meurt en 1970, mais ses chansons, souvent reprises, font toujours partie du grand répertoire de la musique populaire américaine. On peut vraiment dire que son style, à la fois entraînant et mélodique, a laissé une empreinte durable sur l’histoire du musical.

Intéressons-nous de plus près à ses trois œuvres...

  1927: «Good News» - 557 représentations (#04)  Créé en pleine rentrée universitaire et saison de football, Good News s’impose comme un immense succès et devient le musical universitaire par excellence. Il s’agit du deuxième spectacle le plus longtemps à l’affiche de la saison (après Show Boat) et le quatrième de la décennie.

La presse célèbre son rythme effréné et son énergie juvénile: un « festival rapide, libre et flamboyant », selon Walter Winchell. L’immersion commence dès l’entrée au théâtre, transformé en campus: ouvreurs en pulls d’université, orchestre en chandails criant « Rah! Rah! Rah! »

Le spectacle explore la vie sur un campus fictif, entre football, danse et amour, en s’appuyant sur des personnages types : vampes, farceurs, intellos… L’histoire suit Tom Marlowe, star du football, en difficulté à son cours d’astronomie. Sauvé par Connie, étudiante brillante, il remporte finalement le grand match… grâce à un fumble accidentel transformé en passe décisive par le maladroit Bobby.

Ce même Bobby séduit la piquante Babe, qui prétend ne vouloir que lui — et sûrement pas un homme parfait. Une scène mémorable met en vedette la vieille voiture de Bobby, qui perd une pièce à chaque contact, et finit par quitter la scène « toute seule », effet comique salué par la critique.

Quant aux résultats académiques de Tom, il faut faire preuve d’une honnêteté scrupuleuse: il a bel et bien raté son examen d’astronomie. Mais une révélation frappe le sévère professeur Kenyon, qui comprend que certaines choses dans la vie — comme le football — sont plus importantes que de simples examens ou que l’intégrité académique. Résultat: Brooklyn Life rapporte que ce brave professeur accomplit une «noble action» en contournant le règlement pour accorder à Tom une note de passage. Et, bonne nouvelle: cet élan de bienveillance fut accueilli par de chaleureux applaudissements du public.

En 1928, la version londonienne au Carlton Theatre ne trouve pas autant d’écho, ne tenant que 132 représentations, probablement à cause de son caractère trop « américain ».

Un revival Broadway en 1974 produit par Harry Rigby vire au flop monumental. Malgré une année de try-out et un gros casting, la production réécrite et déplacée dans les années 30 ferme après 16 représentations seulement.

En 1993, une nouvelle version retravaillée par Mark Madama et Wayne Bryan replace l’histoire dans les années 20, avec un recentrage sur les étudiants, tout en conservant certains éléments du revival de 1974. Cette version a été bien accueillie dans les théâtres régionaux.

Enfin, deux adaptations cinématographiques ont vu le jour: une en 1930 et une autre en 1947, cette dernière avec June Allyson et Peter Lawford.

  1928: «Hold Everything!» - 409 représentations (#22)  Hold Everything! a marqué les débuts éclatants de Bert Lahr à Broadway, grâce à son rôle de Gink Shiner, un personnage comique et souvent ivre, dans lequel il mettait à profit son expérience du vaudeville et du burlesque avec un style unique fait de grimaces et de sons bizarres. Le musical a aussi lancé la chanson à succès You’re the Cream in My Coffee, chantée par le boxeur « Sonny Jim » (Jack Whiting) et sa petite amie Sue (Ona Munson).

Autour d’eux gravitaient des personnages excentriques: le maladroit Nosey Bartlett (Victor Moore), la pétillante Toots (Nina Olivette) et la vamp Norine Lloyd (Betty Compton). L’histoire tourne autour d’un match de boxe que Sonny Jim refuse d’abord de disputer, provoquant une dispute avec Sue. Finalement, il est galvanisé par l’amour et remporte le combat, malgré les tentatives de gangsters pour l’en empêcher.

Le livret, léger, sert surtout de toile de fond aux numéros comiques des interprètes, notamment Lahr. Alice Boulden se distingue aussi avec la chanson Don’t Hold Everything. Un spectacle typique de son époque, joyeux et rythmé, misant sur le charme des interprètes plus que sur la profondeur dramatique.

Le musical sera créé à Londres en 1929 au Palace Theatre, recueillant un moindre succès: 174 représentations. Un film, intégralement tournée en Technicolor, sera tourné en 1930. Il a aujourd'hui totalement disparu.

  1928: «Follow Thru» - 401 représentations (#23)  Avec Follow Thru, notre trio - l’équipe formée de Ray Henderson, B.G. (Buddy) DeSylva et Lew Brown - enchaîne son deuxième succès en trois mois. Hold Everything! et Follow Thru sont restés à l’affiche un an chacun à Broadway; les deux musicals traitaient d’un sport populaire — la boxe pour l’un, le golf pour l’autre — et mettaient en vedette un comique en rôle principal: Bert Lahr pour Hold Everything! et Jack Haley pour Follow Thru (ces deux-là se retrouveront un jour sur la route de Oz). Tous deux ont aussi produit une chanson à succès: You're the Cream in My Coffee pour le premier, et Button Up Your Overcoat pour le second. Cette dernière est sans doute le conseil médical le plus irrésistible jamais donné dans une comédie musicale: «Couche-toi à trois heures tous les soirs, évite les sucreries si tu veux épargner ton bidon.»

Décrit comme une «tranche musicale de vie dans un country club», le spectacle débute par un bref retour dans le passé, en 1908, avant de plonger dans le présent: la vie animée du Bound Brook Country Club, entre champions de golf (amateurs et pros), président du club, familles et amis des membres. Lora Moore (interprétée par Irene Delroy) est la fille d’un professionnel du golf. Elle est en rivalité avec Ruth Van Horn (Madeline Cameron), une joueuse amateur, à la fois pour le titre de championne du club et pour les faveurs de Jerry Downs (John Barker), champion amateur récemment devenu pro. Finalement, Lora et Jerry finissent ensemble. Deux autres couples se forment : Jack (Jack Haley) et Angie (Zelma O’Neal), amie de Lora, ainsi que deux adolescents, Babs (Margaret Lee), fille du propriétaire du club, et Dinty (Don Tomkins), fils d’un pro du golf.

La production londonienne de Follow Thru a été créée le 3 octobre 1929 au Dominion Theatre, pour un total de 148 représentations. La distribution comprenait Bernard Clifton, Leslie Henson, Elsie Randolph, Mark Lester et Ada May, avec des paroles additionnelles écrites par Desmond Carter.

Une version cinématographique en Technicolor est sortie en 1930, distribuée par Paramount. Réalisée et écrite par Laurence Schwab et Lloyd Corrigan, produite par Schwab et Frank Mandel, elle mettait en vedette quatre membres de la distribution originale de Broadway: Jack Haley, Zelma O’Neal, Margaret Lee et Don Tomkins, aux côtés de Charles “Buddy” Rogers (dans le rôle de Jerry) et Nancy Carroll (Lora). Trois chansons issues de la production scénique ont été conservées dans le film : Button Up Your Overcoat, I Want to Be Bad et Then I’ll Have Time for You. Deux nouvelles chansons ont été ajoutées, écrites par George Marion Jr. (paroles) et Richard A. Whiting (musique) : It Must Be You et le succès A Peach of a Pair.

Lors du revival de Good News à Broadway en 1974, la chanson I Want to Be Bad fut interpolée dans la partition et interprétée — avec tout le charme et le déhanchement requis — par Alice Faye.

8.B.2) Eubie Blake: Shuffle Along (504 représ - #11)

Eubie Blake (né James Hubert Blake), est né le 7 février 1887 à Baltimore, Maryland, et est décédé le 12 février 1983 à l’âge de 96 ans — bien qu’il ait longtemps prétendu être né en 1883, ce qui l’aurait fait centenaire!

Fils d’anciens esclaves, il montre très tôt un talent musical prodigieux. Il apprend le piano dès l’enfance, en jouant d’oreille, avant d’étudier la musique de façon plus formelle. Très actif dans les clubs de ragtime et de vaudeville au tournant du XXe siècle, il développe un style énergique et raffiné, oscillant entre ragtime, jazz et musique populaire.

En 1921, avec son partenaire Noble Sissle, il compose la musique de Shuffle Along, le musicals dont nous allons parler ci-dessous. C’est un succès immense et une percée historique pour les artistes noirs dans le théâtre musical. Le hit “I’m Just Wild About Harry” en devient le symbole.

Tout au long de sa carrière, Blake continue de composer pour la scène, la radio, et le cinéma, tout en menant une carrière de pianiste virtuose. Il reste actif jusqu’à un âge avancé, incarnant une mémoire vivante du ragtime et des débuts du jazz.

Dans les années 1970, il bénéficie d’un retour en grâce avec la redécouverte du ragtime (notamment grâce au succès de The Sting et de Scott Joplin), et il devient une figure patrimoniale. En 1978, Broadway lui rend hommage avec le musical biographique Eubie!, qui célèbre sa musique.

  1921: «Shuffle Along» - 504 représentations (#11)  Voilà un musical absolument fondamental dans l’histoire de Broadway — non seulement parce qu’il a été un succès, mais surtout parce qu’il a bouleversé les lignes raciales et esthétiques du théâtre musical américain. C’est un peu la comète qui annonce un ciel nouveau.

Shuffle Along ouvre le 23 mai 1921 au 63rd Street Music Hall à New York. C’est un musical entièrement créé, écrit et joué par des artistes afro-américains, ce qui était extrêmement rare à Broadway à cette époque. Le livret est signé de Flournoy Miller et Aubrey Lyles (anciens du vaudeville), la musique est composée par Eubie Blake et les paroles écrites par Noble Sissle. Une équipe de pionniers, chacun à sa façon, et un quatuor d’amis qui rêvaient de faire quelque chose de grand.

Le spectacle introduit une esthétique résolument jazz, énergique et moderne pour l’époque. La chanson la plus célèbre? “I’m Just Wild About Harry”, qui deviendra un standard et sera même reprise plus tard par… Harry Truman comme chanson de campagne présidentielle !

L’histoire se déroulait à Jimtown, petite ville imaginaire située quelque part dans le Sud profond, précisément au Mississippi. C’est la période des élections municipales, et trois candidats s’affrontent pour devenir maire : Steve Jenkins (Miller), Sam Peck (Lyles) et Harry Walton (Roger Matthews). Jenkins et Peck, copropriétaires d’une épicerie, piochent sans scrupule dans la caisse du magasin pour financer chacun leur campagne électorale, promettant secrètement que le gagnant nommera l'autre chef de la police. Évidemment, Steve et Sam engagent chacun un détective privé pour espionner l’autre… et engagent sans le savoir le même homme, Jack Penrose (interprété par Lawrence Deas). C’est finalement l’escroc Jenkins qui gagne les élections, mais Harry finit par sauver Jimtown en révélant les méthodes douteuses utilisées par Jenkins et Peck, et devient ainsi maire.

La chorégraphie, inspirée du clog dance, du jazz et du tap, était résolument moderne et exubérante. Le spectacle a lancé des carrières, notamment celle du tout jeune Josephine Baker, qui était dans la troupe de tournée (pas encore vedette, mais déjà électrique).

C’est le premier succès de Broadway écrit et joué par des Noirs qui a été vu par un large public blanc. Il a ouvert la voie à d’autres musicals afro-américains dans les années 1920 et 1930. Il a également brisé le plafond de verre en mettant des artistes noirs sur la scène de Broadway sans les caricaturer, du moins pas dans le cadre imposé par les stéréotypes blancs de l’époque.

Shuffle Along a été un énorme succès, avec 504 représentations, ce qui était exceptionnel, surtout pour une production entièrement noire. Le public venait de tout New York, y compris des personnalités blanches en vue, ce qui changeait radicalement la donne.

Le spectacle a connu plusieurs tournées, un revival en 1933, et surtout un revisiting ambitieux en 2016, intitulé Shuffle Along, or, the Making of the Musical Sensation of 1921 and All That Followed, monté par George C. Wolfe, avec Audra McDonald, Brian Stokes Mitchell et Billy Porter. Ce n’était pas un revival pur, mais une sorte de méta-comédie musicale retraçant la création et l’impact du spectacle original.