Nous avions déjà abordé précédemment Irving Berlin dans ce chapitre: ()
A) Avril 1917, les États-Unis entrent en guerre. Irving Berlin presque…
En avril 1917, lorsque le gouvernement impérial allemand exhorta le Mexique à attaquer les États-Unis, l'Amérique entra dans la Première Guerre mondiale. Les vastes ressources de cette jeune nation et le nombre énorme de soldats potentiels garantissaient pratiquement la victoire aux Alliés, mais il faudrait encore 19 mois de combats sanglants pour que les armes se taisent.
Quelques mois seulement après avoir été naturalisé citoyen américain, Irving Berlin (rappelons qu’il est d’origine russe) s'est retrouvé enrôlé dans l'armée américaine. Même s’il avait moins de 30 ans, il était déjà célèbre pour avoir écrit des centaines de chansons et quelques comédies musicales. La nouvelle de son incorporation a fait la une des journaux: «Army Takes Berlin!» C’est évidemment un jeu de mots, mais pas que…
En fait, l'armée voulait que Berlin fasse ce qu'il faisait le mieux: écrire des chansons. Alors qu'il était en garnison au Camp Upton, le commandant du camp a demandé si le soldat Berlin pourrait mettre sur pied un spectacle pour amasser 35.000 $ pour construire un centre d'accueil du public au camp militaire. Relevé de ses fonctions régulières, le sergent Berlin s'est vu confier une équipe de plus de 300 professionnels du show-business qui venaient aussi d’être réquisitionnés. Il a composé une revue musicale entièrement jouée par des militaires intitulée Yip Yip Yaphank () (1918 - 32 représentations), écrite comme un hommage patriotique à l'armée américaine. L'été suivant, le spectacle a été joué à Broadway au Century Theatre (2.300 places). Comme il n'y avait pas de femmes dans l'armée, des soldats travestis ont joué les rôles féminins. Les tubes du spectacle ont été un numéro de Minstrel intitulé Mandy et Oh! How I Hate to Get Up in the Morning où Berlin lui-même chantonnait un sentiment partagé par toute personne qui a jamais dû faire face à un clairon au réveil:
Oh, how I hate to get up in the morning!
Oh, how I’d love to remain in bed!
For the hardest blow of all
Is to hear the bugler call:
“You’ve got to get up, you’ve got to get up,
You’ve got to get up this morning!”
Someday I’m going to murder the bugler;
Someday they’re going to find him dead—
I’ll amputate his reveille,
And step upon it heavily,
And spend the rest of my life in bed.
Extrait de «Oh! How I Hate to Get Up in the Morning»
Berlin l’interprétait avec son accent du Lower East Side («Someday I'm goin' ta moidah da bewg-lah»). La demande de billets a prolongé la semaine de représentations programmées à un mois joué à guichets fermés. Le soir de la dernière de Yip Yip Yaphank (), comme le rappelle son biographe Ian Whitcomb, «le sergent Berlin a conduit la distribution de 300 personnes hors de la scène, marchant dans les allées du théâtre, en chantant We're on Our Way to France, le tout sous des applaudissements tumultueux.» Le cast a terminé en marchant jusqu’aux camions, comme s'il se dirigeait vers l'Europe. Au lieu de cela, ils ont été ramenés au Camp Upton. C'était en septembre 1918, et les combats étaient presque terminés: l'armistice est intervenu deux mois plus tard, et Berlin est revenu à la vie civile. L'armée n'a jamais construit le centre d’accueil, et Berlin n'a jamais réussi à savoir ce qui est arrivé à l'argent que son spectacle avait fait gagner.
Une chanson qu'il a écrite pour le spectacle, mais a décidé de ne pas utiliser, a eu une seconde vie... En 1938, avec la montée d'Adolf Hitler, Irving Berlin, qui était juif et était arrivé en Amérique depuis la Russie à l'âge de cinq ans, a estimé qu'il était temps de la faire revivre comme une «chanson de paix». Cette chanson deviendra: God Bless America.
Un siècle après sa composition, elle est toujours omniprésente: chanson officielle de la campagne électorale du Président Roosevelt en 1940, lors de très nombreuses manifestations sportives ou par Céline Dion dans le Téléthon qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001.