7.
1927 1943 - Difficultés

 8.13.
Création
Livret et Paroles



 8.15.
Création
Chorégraphies

 9.
1943 1964 - Golden Age

image
Une page dedu livret et du recueil de chansons de
«Away We Go» d'Oscar Hammerstein II et Richard Rodgers qui sera bientôt rebaptisé «Oklahoma!»
Version annotée par Celeste Holm (Ado Annie)

Les manuscrits d’Oklahoma! () de Richard Rodgers comprennent les chansons individuelles (accompagnement voix et piano) en fascicules séparés, la plupart avec des feuilles de paroles dactylographiées (voir ci-contre). Il s’agit de copies «très propres» comme si elles étaient destinées à la publication de partitions (mais ce ne sont pas toujours celles qui ont été publiées, suite aux modifications). Ces manuscrits ont probablement été rédigés relativement tard dans les préparatifs du spectacle, mais ce ne sont pas encore les versions définitives des chansons. Rappelons que nous sommes à l'époque pré-photocopieuses et que redistribuer des textes après modifications est très complexe, surtout vu le nombre d'artistes.

Leur format est tout à fait typique du matériel que Rodgers préparait pour les répétitions de ses spectacles (y compris déjà avec Hart). Et cette pratique semble assez courante à l’époque à Broadway. Dans cette partition d’«accompa­gnement-piano», les sons sont fonctionnels. Leur seul but est de rendre possible les répétitions. Parfois ils ne sont pas encore totalement façonnés. Le but premier à ce stade est de fournir seulement la musique minimale nécessaire aux répétitions, musique à partir de laquelle la chanson complète sera finalement écrite et orchestrée.

image
Robert Russell Bennett

Pour Oklahoma! (), on suppose que Rodgers a travaillé étroitement avec l’orchestrateur Robert Russell Bennett, qui comme d’habitude mérite un crédit important à la fois pour ses élégants accompagnements et ses contre-chants (mélodie secondaire jouée en accompagnement de la mélodie principale). Sans oublier son orchestration de la musique de scène et celle du sublime Dream Ballet. Nous reviendrons longuement dans les pages qui suivent sur la composition du Dream Ballet qui est l'un des moments-clé du musical.

Russel Bennett (1894-1981) est l’un des plus importants orchestrateurs de l’époque. Il a travaillé pour Irving Berlin, George Gershwin, Jerome Kern, Cole Porter, Richard Rodgers, … Quelques exemples :

  1. Hirsch: Mary (1920)
  2. Friml, Hammerstein and Harbach: Rose-Marie (1924)
  3. Gershwin: Oh, Kay! (1926)
  4. Kern and Hammerstein: Show Boat (1927) (new orchestrations 1946 and 1966)
  5. Gershwin: Girl Crazy (1930)
  6. Gershwin: Of Thee I Sing (1931)
  7. Kern and Harbach: The Cat and the Fiddle (1931)
  8. Kern and Hammerstein: Music in the Air (1932)
  9. Porter: Anything Goes (1934) (avec Hans Spialek)
  10. Porter: Jubilee (1935)
  11. Rodgers and Hammerstein: Oklahoma! (1943)
  12. Bizet, Hammerstein: Carmen Jones (1943)
  13. Irving Berlin: Annie Get Your Gun (1946)
  14. Harburg and Lane: Finian's Rainbow (1947) (avec Don Walker)
  15. Rodgers and Hammerstein: Allegro (1947)
  16. Porter: Kiss Me, Kate (1948)
  17. Rodgers and Hammerstein: South Pacific (1949)
  18. Rodgers and Hammerstein: The King and I (1951)
  19. Rodgers and Hammerstein: Pipe Dream (1955)
  20. Lerner and Loewe: My Fair Lady (1956) (avec Philip J. Lang)
  21. Styne, Comden, and Green: Bells Are Ringing (1956)
  22. Rodgers and Hammerstein: Flower Drum Song (1958)
  23. Rodgers and Hammerstein: The Sound of Music (1959)
  24. Lerner and Loewe: Camelot (1960) (avec Philip J. Lang)
  25. Lerner and Lane: On a Clear Day You Can See Forever (1965)

Tous ces musicals – tous des chefs-d’œuvre – doivent beaucoup à Russel Bennett, et soulignons d’une manière générale l’importance des orchestrateurs et arrangeurs dont on ne souligne bien souvent pas assez le travail.

En fait ces manuscrits semblent clairement tracer les frontières de ce que Rodgers estimait être «son travail ». Ces manuscrits était ce qu’il était censé contractuellement fournir. Tout était clair et précis, ce qui permettait à n’importe quel orchestrateur compétent – à fortiori un génie comme Russel Bennett – de travailler assez facilement pour délivrer la partition finale. Vraisemblablement, ces «manuscrits finaux» ont été précédés par d’autres brouillons où le compositeur «travaillait», faisant évoluer sa partition par strates. Mais, comme Hammerstein et d’autres l’ont souligné, Rodgers était fluide et rapide, et il ne lui fallait pas de nombreux brouillons avant de déboucher sur ces manuscrits finalisés. L’impression laissée par ces manuscrits confirme le commentaire d’Agnes de Mille selon lequel:

«Dick révise ou modifie rarement. Son travail est pratiquement terminé lorsque nous allons en répétition. Oscar, d’autre part, fait beaucoup de montage.»

Agnes de Mille


Par rapport aux versions finales des chansons d’Oklahoma! (), il n’y a que des différences mineures dans le rythme (ajout ou suppression de points d’orgue), dans le phrasé (l’usage d’upbeats), et dans l’harmonie, mais très rarement des modification de mélodie.

Les principales exceptions sont les chansons qui ont posé des problèmes dans les dernières étapes de la préparation du spectacle, en partie peut-être en raison de leur caractère ambitieux. Un petit exemples… Dans Lonely Room, Rodgers a d’abord composé certaines parties en valeurs de note doublées par rapport à la version finale (donc, l’accompagnement est en croche plutôt qu’en double-croche, avec deux mesures de cette partie de la chanson devenant une mesure dans la partition vocale). L’intention apparente de Rodgers de préserver une impulsion constante dès l’ouverture, indiquée par «L’istesso tempo» dans la partition vocale, s’est du coup reflétée plutôt dans le tempo: de Moderato à Allegretto. Ces différences entre les versions manuscrites et imprimées de Lonely Room reflètent sans doute le désir de Rodgers de simplifier les notes, du moins au stade de la composition.

Cela est également évident dans les tonalités qu’il a choisies pour écrire les chansons, où il a eu tendance à préférer celles ne contenant pas plus de deux dièses ou d’un bémol. Cela ne veut pas dire que Rodgers était musicalement peu sophistiqué mais il ne faut pas trop s’attacher à l’analyse de la signification du choix d’une tonalité dans un répertoire où la transposition en fonction des circonstances était la norme.

Les chansons d’Oklahoma! () ont été composées pour des chanteurs ayant une étendue vocale d’une octave plus une ou deux notes (une dizaine de notes donc), et rarement plus de dix. L’exception se trouve dans la version finale de It’s a Scandal! It’s a Outrage! où l’on va jusqu’à 12 notes. De telles fourchettes plutôt étroites et une tessiture plutôt basse sont typiques du répertoire du milieu des années ‘30 et reflètent l’utilisation de chanteurs relativement peu formés, surtout en l’absence de microphones. Aujourd’hui, on s’étend le plus souvent sur deux octaves comme le montre la classification ci-contre. On peut considérer qu’une voix professionnelle couvre deux octaves. On parle des notes pouvant être chantées dans le cadre d’une chanson, pas de l’ensemble des sons pouvant être produits. Attention certains artistes ont une amplitude vocals s’étendant au-delà des 4 octaves comme Mariah Carey (5 octaves), Prince (4,5 octaves), Marvin Gaye (4 octaves), David Bowie (4 octaves), Freddy Mercury (presque 4 octaves), Céline Dion (3,5 octaves), … Les gammes sont sensiblement plus étendues dans Carousel (), le musical suivant de Rodgers et Hammerstein, dont la distribution était en grande partie composée d’interprètes ayant de l’expérience dans l’opéra léger et l’opérette.

Lorsqu’il compose, Rodgers place l’étendue vocale du futur interprète sur la portée musicale en termes de hauteur absolue selon deux critères:

  • d’abord, le type de voix (soprano, mezzo-soprano, baryton)
  • et deuxièmement, la commodité d’écriture sur la portée de telle sorte que la mélodie s’adapte facilement sans trop de lignes vides

Lorsque Rodgers compose un bon nombre des chansons d’Oklahoma! (), il ne connait pas encore la distribution finale. Il ne peut donc les écrire en fonction des chanteuses ou chanteurs engagés. Les exceptions sont Alfred Drake (Curly) et Joan Roberts (Laurey) qui ont signé relativement tôt (enfin, par rapport aux autres). Même s’il ne connaissait pas les interprètes, il avait une certaine vision de leurs types de voix: par exemple, Curly et Will Parker devaient être des baryton légers, et Laurey une soprano de milieu de gamme.

La décision majeure à ce stade était de considérer Ado Annie – l’autre jeune femme de la distribution – comme un rôle de mezzo-soprano dramatique, faisant une distinction claire entre elle et Laurey. I Cain 't Say No dans sa clé originale (Ré majeur) la plaçant une tierce en dessous de Laurey. Cette distance d’une tierce entre les deux premières voix féminines est conservée dans les versions finales, bien que Joan Roberts (Laurey) et Celeste Holm (Ado Annie) aient eu des voix plus élevées que dans le schéma original de Rodgers, de telle sorte que leurs chansons étaient dans la plupart des cas chacune transposé dans les orchestrations et la partition vocale (ainsi I Cain 't Say No est en Fa majeur plutôt qu’en Ré majeur).

Rodgers était connu à la fois pour la rapidité de sa composition musicale et pour avoir une attitude détachée envers ses chansons. Il n’hésitait pas à les laisser tomber sans scrupule si elles ne semblaient pas fonctionner dans un environnement théâtral donné:

«Il est souvent nécessaire de supprimer une chanson si elle est inappropriée ou ralentit l’action.»

Richard Rodgers


Rodgers gérait son travail de composition comme beaucoup d’autres travailleurs qui vont au bureau. Il était assis dans un bureau de Manhattan (dans le bâtiment RKO sur la 6ème avenue) de 11h à 17h chaque jour de la semaine … et il composait.

Ses méthodes seraient un choc pour ceux qui imaginent que l’inspiration ne peut naître que comme Beethoven en pleine frénésie. Les procédés musicaux de Rodgers sont affinés au millième de millimètres. Ce créateur de musical travaille derrière un long bureau poli à l’intérieur d’une suite de trois bureaux, meublés avec goût avec des chaises à dossier droit, un canapé, des lampes en laiton, des cendriers chinois et des peintures des décors de ses musicals A Connecticut Yankee (), On Your Toes () et Oklahoma! (). Son téléphone sonne aussi souvent que celui de n’importe quel avocat occupé. La seule concession évidente à l’art est son piano à queue Bechstein près de la fenêtre.

image
Lorenz Hart et Richard Rodgers (au piano)
© Courtesy of The Rodgers & Hammerstein Organization, A Concord Company

Rodgers disait d’Oklahoma! () que «la plupart des numéros musicaux n’ont pas posé de gros problèmes», et ses estimations du temps de composition du spectacle variaient de cinq heures à six jours, bien qu’il ait précisé que ce n’était qu’après des mois de planification. People Will Say We are in Love a peut-être été une exception: Rodgers a dit plus tard qu’il avait passé plusieurs jours au piano avant d’être satisfait de la première partie du chœur, bien que cela ait été rapporté dans le contexte d’un article de Gertrude Samuels sur la façon d’écrire une chanson à succès, où Richard Rodgers aurait voulu donner une impression particulière….