A) The New Yorkers (1930)
The New Yorkers () a été le premier de plusieurs grands succès de musicals des années '30 pour Cole Porter.
Bizarrement, l’époque a proposé deux musicals intitulés The New Yorkers (). Le premier était plutôt une revue qui a ouvert le 10 mars 1927 au Edyth Totten Theatre pour 52 représentations (et comprenait des chansons d’Arthur Schwartz), et la deuxième est le spectacle de Cole Porter.
La version de Cole Porter a eu des try-out à Philadelphie et à Newark avant d’ouvrir le 8 décembre 1930 au Broadway Theater. A ce moment, on jouait à Broadway Girl Crazy () de George et Ira Gershwin (272 représentations à l'Alvin Theatre), Three's a Crowd () d'Arthur Schwartz (271 représentations au Selwyn Theatre) et Fine and Dandy () de Kay Swift (255 représentations au Erlanger's Theatre). Bien qu’il ait fermé ses portes après seulement 168 représentations, ce fut un grand succès. Le théâtre, le Broadway Theater, dans lequel il jouait était le plus grand de Broadway et était plein presque tous les soirs.
The New Yorkers () est parfois considéré comme une revue, alors que comme l’indique l’auteur, il s’agit de «A Sociological Musical Satire». Le livret – qui reste léger – se concentre sur Alice Wentworth (Hope Williams), une riche mondaine new-yorkaise qui s'accorde une parenthèse amoureuse avec Al Spanish, propriétaire d’une boîte de nuit et contrebandier d’alcool. Pendant leur temps ensemble, ils échappent à la police et vivent de nombreuses aventures: visite d'une usine de contrebande, organisation d'un raid dans un bar clandestin et préparation d'une évasion de prison. Jimmy Deegan et ses copains Ronald et Oscar les aident dans leurs escapades, inventent une nouvelle boisson alcoolisée, assassinent leur grand rival Feet McGeehan à quatre reprises (!) et assistent au mariage d’Al et Alice au sein d’un gang où les demoiselles d’honneur portent des bouquets de bombes et la demoiselle d’honneur brandit un pistolet. Ils rendent des hommages musicaux à l’argent et à The Hot Patata. Des blagues et des chansons sur l’alcool et jusqu’où les gens sont prêts à aller pour l’obtenir, telles que Drinking Song et Say It with Gin, reflètent l’origine du musical à l’époque de la prohibition.
Dans un effort pour rendre cette pièce - qui décrivait avec sympathie le monde de la pègre - plus acceptable aux spectateurs (pour ne pas dire aux censeurs), elle a été «emballée»: elle se déroulait dans les rêves d’une mondaine dépressive. Son médecin lui prescrit des pilules pour l’aider à dormir et, comme Best Plays l’a noté, «elle rêve durant deux actes à des folies». Cela permettait de se protéger directement de la censure puisqu'il suffisait d'invoquer que cette femme n'agissait pas dans la réalité mais dans des rêves-cauchemars.
Malgré cet ajustement, plusieurs critiques ont anticipé les problèmes de censure. Dans une scène qu’un critique a qualifiée de «sale», une prostituée blanche chante Love for Sale.
Pour se protéger de ces critiques de presse et de réactions de censure, la scène a été déplacée du Reuben’s au Cotton Club à Harlem, et l'actrice blanche Kathryn Crawford a été remplacée par par Elizabeth Welch, une afro-américaine. Pendant de nombreuses années, les paroles de Love for Sale n’ont pas pu être diffusées sur la radio américaine. Probablement parce qu’elle a été à ce point maltraitée, Porter l’a qualifiée de «sa préférée» parmi toutes les chansons qu’il a écrit: «Je l’aime le plus parce que c’est un peu comme une belle-fille... Je ne peut pas la comprendre. Vous pouvez écrire un roman sur une prostituée, peindre un tableau d’une prostituée, mais vous ne pouvez pas écrire une chanson sur une prostituée».
When the only sound in the empty street
Is the heavy tread of the heavy feet
That belong to a lonesome cop,
I open shop.
When the moon so long has been gazing down
On the wayward ways of this wayward town
That her smile becomes a smirk,
I go to work.
Love for sale,
Appetizing young love for sale.
Love that's fresh and still unspoiled,
Love that's only slightly soiled,
Love for sale.
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If you want the thrill of love,
I've been through the mill of love,
Old love, new love,
Ev'ry love but true love.
Quand le seul bruit dans la rue vide
Est celle de la marche lourde des pieds lourds
Qui appartiennent à un flic solitaire,
J’ouvre boutique.
Quand la lune nous a si longtemps observé de là-haut
Dans les rues rebelles de cette ville rebelle
Que son sourire devienne un sourire en coin,
Je vais travailler.
Amour à vendre,
Jeune amour appétissant à vendre.
Un amour frais et intact,
Un amour qui n’est que légèrement sale,
L’amour à vendre.
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Si vous voulez le frisson de l’amour,
Je suis passée par les tourments de l'amour,
L’amour ancien, l’amour nouveau,
N’importe quel amour mais le véritable amour.
«Love for Sale» - «The New Yorkers» - Cole Porter
Cette chanson est devenue un standard, repris plus tard par Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Miles Davis, Tony Bennett, Elvis Costello, Boney M., …
Le spectacle était rempli de scènes impromptues – des incidents qui arrivaient au personnage principal – et de performers (artistes qui viennent faire un numéro). Quelques critiques ont d’ailleurs estimé que cela a court-circuité certains personnages principaux, réduisant leur présence à une ou deux brèves apparitions au cours de la soirée. Mais tout le monde était content que Jimmy Durante – célèbre humoriste – soit présent tout au long de la soirée avec ses bouffonneries. Cinq de ses chansons ont été intégrées dans la partition: The Hot Patata, Money!, Wood!, Data et Sheiken Fool.
Le cadre de la pègre a fourni de nombreuses occasions étranges pour des chansons d’actualité. Sing Sing for Sing Sing a été un grand succès auprès des prisonniers, qui ont écrit pour demander des copies de la partition. I Happen to Like New York décrit la saleté et la puanteur de la ville et ses nombreux sons et bruits caractéristiques, tandis que Let’s Fly Away est un duo dans lequel un couple décrit tout ce qu’ils détestent à New York alors qu’ils rêvent de s’en aller. Say It With Gin est une vision comique de la prohibition. Les New-Yorkais étaient si enthousiastes à propos du spectacle qu’une production spéciale a été donnée pour les actrices et les acteurs des autres productions jouant à Broadway, juste pour qu’ils ne manquent pas ce succès.
B) Star Dust (1931)
Après l’excitation de The New Yorkers (), dans la seconde moitié de 1931, Porter est à nouveau engagé par le producteur E. Ray Goetz pour composer la musique d'un musical (avec un livret de Herbert Fields, qui avait écrit The New Yorkers ()) pour mettre en vedette Peggy Wood.
Le projet a échoué lorsque le principal bailleur de fonds, une grande entreprise de cigarettes, s’est retiré à la dernière minute en raison de la hausse des taxes sur les produits du tabac - rappelons que nous sommes dans les terribles années qui suivent la crise de '29'. Le travail de Porter a été jugé charmant, et de nombreuses chansons seront «recyclées» dans des spectacles ultérieurs, dont I’ve Got You On My Mind, qui s’est retrouvé dans Gay Divorce () (1932) l’année suivante, But He Never Says He Loves Me qui a été rebaptisée The Physician et créée par Gertrude Lawrence dans Nymph Errant () (1933), et le plus célèbre de tous, I Get A Kick Out Of You qui est devenue un standard américain lorsqu’elle a été créée par Ethel Merman dans Anything Goes () (1934) – avec un léger changement de paroles: l’omission d’une allusion à Charles Lindbergh.
La partition complète, telle qu’elle a été écrite pour Star Dust () (1931), n’a été jouée qu’une seule fois lors d’un concert de bienfaisance en 1987.
C) Gay Divorce (1932)
C.1) La création à Broadway
Le Gay Divorce () de Cole Porter a été présenté comme une «comédie musicale intime», mais c’était essentiellement une farce se déroulant dans un hôtel du bord de mer en Angleterre. Il n’y avait pas de grands numéros spectaculaires, la distribution ne comptait que 25 artistes (ce qui est peu à l’époque), la «courte» partition de Porter se limitait à dix chansons…
Le spectacle mettait en vedette Fred Astaire dans son premier musical sans sa sœur Adele Astaire, qui s’était retirée de la scène après son mariage avec le fortuné Lord Charles Cavendish. En outre, Gay Divorce () sera le dernier musical de Broadway de Fred Astaire, parce qu’une fois que sa carrière hollywoodienne aura pris son envol, il ne reviendra jamais sur la scène de New York, devenant exclusivement la star de cinéma que nous connaissons tous.
Il faut aussi mentionner la présence de Claire Luce, Luella Gear, Eric Blore et Erik Rhodes.
Le musical raconte l'histoire de Guy Holden (Fred Astaire), un écrivain américain en voyage en Angleterre, qui tombe follement amoureux d’une femme nommée Mimi (Claire Luce), qui disparaît après leur première rencontre. Pour lui permettre d’oublier cet amour manqué, son ami Teddy Egbert, un avocat britannique, l’emmène à Brighton, où Egbert s’est arrangé pour aider une de ses clientes à obtenir le divorce de son ennuyeux et vieillissant mari, le géologue Robert. Comment? En faisant qu’il la surprenne avec un amant…
Egbert a donc payé un homme, Rudolfo Tonetti (Erik Rhodes), pour qu’il se fasse passer pour son amant. On va assister à un énorme quiproquo: le soir où tout doit se passer Mimi croit que Holden, qui accompagne son avocat Egbert, est la personne qui doit jouer le rôle de son amant. Holden n’ose la démentir car il a honte de sa propre activité, auteur de romans d’amour à bas prix… Lorsque le mari apparaît, il n’est pas convaincu par ce faux adultère mais le serveur (Eric Blore), involontairement, révèle que le mari n’est pas fidèle à sa femme, un vrai adultère cette fois... Mimi peut donc épouser Guy Holden!
La partition de Porter offrait l’un de ses standards les plus durables, la ballade éthérée Night and Day. En fait, Gay Divorce () comme l'a déclaré Fred Astaire, ce musical est connu comme le «spectacle Night and Day». La chanson a été écrite pour lui, mais il ne l’a pas reconnue au début comme un succès potentiel. Elle l’a été régulièrement au cours des décennies suivantes et est l’une des dix plus rentables selon l’ASCAP (American Society of Composers, Authors and Publishers) de tous les temps. Adapter une chanson à la gamme vocale et au style d’un interprète est de plus en plus devenu une habitude de Porter. A la première écoute, Fred Astaire doutait que ce soit une chanson pour lui.
En fait, il hésitait à accepter un rôle dans le spectacle car il n’était pas sûr d’être prêt à le faire seul après la retraite de sa sœur Adele, sa seule partenaire de danse jusqu’alors. Selon un récit, c'est une autre chanson qui va persuader Astaire de participer au projet: lorsqu'un jour Cole s’est assis au piano et a joué After You, Who?, Astaire a été conquis. Ici encore, il s'agit d'une des plus belles chansons de Porter.
Though with joy I should be reeling
That at last you came my way,
There's no further use concealing
That I'm feeling far from gay.
For the rare allure about you
Makes me all the plainer see
How inane, how vain, how empty
Life without you would be.
After you, who
Could supply my sky of blue?
After you, who
Could I love?
After you, why
Should I take the time to try,
For who else could qualify
After you, who?
Hold my hand and swear
You'll never cease to care,
For without you there what could I do?
I could search years
But who else could change my tears
Into laughter, after you?
Bien que je devrais être sous le choc de la joie
Qu'enfin tu aies croisé mon chemin.
Il ne sert à rien de cacher
Que je me sens loin d’être joyeux.
Car la rare attention que tu m'accordes
Me fait voir tout simplement
Combien insignifiante, combien vaine, combien vide
Serait la vie sans toi.
Après toi, qui
pourrait alimenter mon ciel de bleu?
Après toi, qui
pourrais-je aimer?
Après toi, pourquoi
devrais-je prendre le temps d’essayer,
car qui d’autre pourrait-il se qualifier
Après vous, qui?
Prends ma main et jure
que tu ne cesseras jamais de te soucier de moi,
Car sans toi là-bas que pourrais-je faire ?
Je pourrais chercher des années
Mais qui d’autre pourrait changer mes larmes
En rires, après toi?
«After You, Who?» - «Gay Divorce» - Cole Porter
La mélodie de la chanson est simple mais touchante et lyrique, transcrivant l’état émotionnel d’une personne qui est joyeusement amoureuse et simultanément attristée par la menace de perdre son bien-aimé: « Combien insignifiante, combien vaine, combien vide serait la vie sans toi. »
Porter nous permet d’expérimenter (ou peut-être de revivre) la mélancolie que même la perte potentielle d’un être aimé entraîne. Et si je ne l’avais jamais rencontrée et que je n’étais pas tombé amoureux d’elle (ou de lui, comme c’était le cas dans la vie de Porter) ? Quelle vie inepte. Mais un sentiment plus effrayant émerge des mots et de la musique, qui suggèrent que l’amour pourrait encore disparaître. Ainsi l’amant souligne une liste de pertes qu’il subirait s’il perdait la bien-aimée. Il l’implore: «Prends ma main et jure que tu ne cesseras jamais de te soucier de moi, car sans toi là-bas que pourrais-je faire ?» La fragilité de l’amour, la rareté de le trouver, sa capacité à illuminer le paysage, mais aussi les ténèbres profondes que causent sa disparition. La variation des courts avec les longs vers transmet les humeurs alternées de l’amant, comme le font les rimes et les répétitions.
Revenons-en à Night and Day. Selon Astaire: «Night and Day a un grand intervalle, des notes très basses et très hautes mais en plus elle était longue... et j’essayais de comprendre quelle danse on pouvait faire avec.» Commentant sa chanson, Cole Porter confirme: «J’ai écrit Night and Day en 48 mesures plutôt que les 32 mesures traditionnelles dans les chansons populaires jusqu’en 1932, et j’ai élargi la gamme de voix à quatre notes au-delà d'une octave. Au début, ces deux innovations ont nui de la chanson.» Porter vivait au Ritz-Carlton quand il a écrit Night and Day: «J’ai composé la mélodie, je me souviens, un samedi et j’ai écrit les paroles le lendemain sur une plage de Newport.» En composant la mélodie avant les paroles, Porter a pratiqué à l'envers de son habitude de d’abord écrire les paroles avant la musique.
Il localise la création de la chanson à Newport, ce qui donne une certaine crédibilité à l’histoire de son déjeuner chez Mrs. Vincent Astor à Newport ce week-end où il n'a pas arrêté de pleuvoir. Mrs Astor aurait dit: «Je dois faire réparer cette commode immédiatement. Ce 'goutte, goutte, goutte' me rend fou.» Porter s’est levé avec un cri d’allégresse car il avait trouvé les mots du début de sa chanson: «Like the drip, drip, drip of the raindrops.» Cela aurait permis à Porter de sortir du découragement dans lequel l'avait plongé la veille Monty Wooley, le metteur en scène de Fifty Million Frenchmen (). Il était passé par Newport et avait entendu Cole jouer la musique de Night and Day. Il a commenté: «Je ne sais pas ce que tu essaies de faire, mais quoi que tu veuilles faire, jette-le. C’est terrible!» Cole Porter a déclaré qu'il l'avait ensuite essayée sur certains des invités de Mrs Astor et qu'ils ont aimé.
Cette histoire est-elle vraie? On ne le saura jamais car Porter, comme nous l'avons souvent mentionné, a toujours été un «menteur pathologique».
Gay Divorce () a ouvert en try-out au Wilbur Theatre de Boston à partir du 7 novembre 1932, puis s’est déplacé au Shubert Theatre de New Haven à partir du 21 novembre 1932. Il a ouvert à Broadway au Ethel Barrymore Theatre le 29 novembre 1932 et a été transféré au Shubert Theatre le 16 janvier 1933 où il a fermé le 1er juillet 1933 après un total de 248 représentations. Mis en scène par Howard Lindsay avec des chorégraphies de Barbara Newberry et Carl Randall, une scénographie de Jo Mielziner.
Avec 248 représentations, le spectacle est devenu le deuxième musical de la saison, avant d’être adapté au cinéma en un film à succès qui a mis en vedette Fred Astaire et Ginger Rogers dans leur deuxième film, avec Eric Blore et Erik Rhodes re-créant les rôles qu’ils avaient joués à Broadway.
La presse a apporté une attention considérable à la première apparition de Fred Astaire sur scène sans sa sœur. Et, les journalistes ne savaient pas c’était la dernière apparition de Fred Astaire sur scène car il allait quitter peu après New York pour Hollywood.
Un critique a qualifié la soirée d’ouverture à New York de: «La plus brillante soirée de la saison». Selon lui, Cole Porter est «l’un des favoris mondains et musicaux de notre plateau international.» Cependant, tant les acteurs que les critiques se sont plaints des «hurlements alcoolisés des amis branchés de Fred Astaire». Ce dernier a un souvenir plutôt caustique des ses amis: «Nous avons vécu une première plutôt cahotique. ... Plutôt élégante... Le gratin était vraiment de sortie cette nuit-là! Cravates blanches, belles fourrures - chinchillas et visons - et bijoux. Ils étaient plutôt désagréables. Ils couraient dans les allées et se parlaient entre eux, ce qui nous a contrarié, nous, sur scène. Mais quand on en est arrivé aux chansons, il y a eu des standing ovations et bien sûr des sitting ovations. Mais aussi des ovations ... couchées.»
Presque tous les critiques ont désapprouvé le livret le qualifiant d'imitation ratée de P.G. Wodehouse. Peu de critiques ont été formulées au sujet de la partition de Porter. Burns Mantle a écrit: «Cole Porter a fait un bon travail avec Gay Divorce (), avec la musique qui fait de lui un petit Gershwin et surtout avec les paroles, qui ont de l’esprit et de la forme et une intonation provocatrice. Il peut être audacieux sans être offensif, novateur sans être bon marché, amusant sans être faible.» Ring Lardner était encore plus enthousiaste:
« Mr. Cole Porter ... partage la succession de W.S. Gilbert avec Ira Gershwin, Lorenz Hart... Dans Night and Day, M. Porter ne singe pas seulement ses contemporains, mais fait de Gilbert une Gertrude Stein de 7ème classe, et il le fait avec un couplet entier, retenu jusqu’à la fin du refrain, puis livré comme une cadeau convaincant à l’oreille, une oreille qui se délecte déjà de la splendeur des lignes qui l’ont précédé. Je réimprime le couplet: Night and day under the hide of me / There's an Oh, such a hungry yearning burning inside of me. »
Mais seulement quelques temps plus tard, on dit que le même Lardner s’est plaint de la suggestivité et de la saleté présentes dans les chansons de Porter diffusées à la radio.»
Deux des nombreuses lettres de félicitations reçues par Cole Porter lui ont particulièrement plu. L’une d’elles venait d’Irving Berlin, le «collègue» que Porter appréciait le plus.
« Cher Cole,
Je suis fou de 'Night and Day' et je pense que c’est votre meilleure réalisation. Vous savez probablement qu’on la joue partout, et tous les chefs d’orchestre pensent que c’est la meilleure mélodie de l’année - et je suis d’accord avec eux. Vraiment, Cole, c’est génial et je n’ai pas pu résister à la tentation de vous écrire à ce sujet. Un amour de notre part pour vous et Linda. Comme toujours. Irving. »
Irving Berlin
L’autre lettre était de Dr. Albert Sirmay, datée du 2 février 1933. Il occupait auprès de Cole de nombreux rôles: ami et éditeur musical. Sirmay est né à Budapest et a lui-même écrit de nombreuses chansons et des musicals joués dans plusieurs capitales européennes.
« Je suis très satisfait que le succès que j’ai prédit pour votre musique est survenu. Cela vaut particulièrement pour 'Night and Day' qui peut être entendu partout à New York, à la radio et ailleurs. Je pense que c’est la plus belle et la plus artistique des chansons qui a été écrite depuis de nombreuses années. Pendant ce temps, j’ai vu Gay Divorce (). Ce fut une soirée merveilleuse. C’est à peu près tout ce que je voulais vous dire. »
Dr. Sirmay
En février 1933, plus de trente artistes avaient enregistré Night and Day, dont Astaire, Hutch et Morton Downey. Et ce n’est pas seulement à New York que l'on pouvait entendre cette chanson. En 1935, Porter a vécu ce qu’il appelait «la plus grande surprise que j’aie jamais eue» quand, arrivé à Zanzibar, il est allé dans un petit hôtel avec une terrasse et «tous ces marchands d’ivoire d’Afrique de l’Est étaient assis dans leurs burnouses et écoutaient 'Night and Day' joué sur un phonographe antique». La surprise doit avoir été agréable pour Cole, bien qu’il ait ajouté: «Les gens aiment à penser que les compositeurs tirent un grand plaisir de l’écoute de leurs chansons. Je suppose que certains le font. Moi, pas particulièrement.»
C.2) La création à Londres
Vu le succès à Broadway qui s’est prolongé jusqu’au 1er juillet 1933, le spectacle a ouvert dans le West End londonien au Palace Theatre le 2 novembre 1933 et a été présenté pour 180 représentations. Il a été mis en scène par Felix Edwardes mais toujours avec Fred Astaire, Claire Luce, Erik Rhodes et Eric Blore reprenant leurs rôles. Ils ont été rejoints par Olive Blakeney (Gertrude Howard), Claud Allister (Teddy Egbert), Joan Gardner (Barbara Wray) et Fred Hearne (Octavius Mann).
Notons que, de façon assez compréhensible, What Will Become of Our Engalnd? (qui spéculait sur le Prince de Galles et sa vie amoureuse) a été retirée de la partition; et Porter a écrit trois nouvelles chansons pour la production, Never Say No, Waiters vs. Waitresses et I Love Only You.
Un critique anglais a qualifié cette farce de «très sophistiquée. Elle est magnifiquement habillée et audacieusement déshabillée. Le principal ressort de l’humour est l’infidélité, et le spectacle est rempli d'insinuations et... d’épices». W.A. Darlington, un très important critique, mentionne que Fred Astaire et Claire Luce ont 'arrêté le spectacle' de manière plus importante qu'il ne l'avait jamais vécu. Que faut-il apprendre par cela. Certaine chanson très appréciée par le public sont appelées des 'showstoppers' car elle provoquent tellement d'applaudissements que le spectacle s'interrompt jusqu'à le public s'arrête d'acclamer les artistes.
C.3) L'adaptation cinématographique
En 1934, le musical a bénéficié d'une adaptation cinématographique. A l'affiche, on allait retrouver Fred Astaire (Guy Holden), Ginger Rogers (Mimi Glossop), Eric Blore (serveur) et Erik Rhodes (Rodolfo Tonetti). Mais aussi Alice Brady (Tante Hortense), Edward Everett Horton (Egbert 'Pinky' Fitzgerald) et Betty Grable (une cliente de l'hôtel).
Les règles de censure du cinéma de l’époque ne permettaient pas de traiter le sujet du divorce à la légère, ce qui a entraîné une légère modification du titre du film. La logique était qu’un divorce lui-même ne pouvait pas être «gai», mais qu’une personne divorçant pouvait l’être, et ainsi la «morale des cinéphiles du monde entier a pu être sauvée» lorsque le titre a été changé de Gay Divorce à The Gay Divorcee.
Bien sûr, à l’époque le mot «gay» avait pour le grand public un sens très clair: «plein de joie». Dans les années 1890, le terme «gey cat» (une variante écossaise de gay) était utilisé pour décrire un vagabond qui offrait des services sexuels à des femmes ou un jeune voyageur qui venait de prendre la route et en compagnie d’un homme plus agé. Cette derniére utilisation suggére que le jeune homme était dans un réle sexuellement soumis et pourrait étre l’une des premieres fois où l’expression «gay» a été utilisée impliquant une relation homosexuelle. Ce n'est qu'en 1951, que le mot «gay» est apparu pour la premiére fois dans l’Oxford English Dictionary en tant qu’argot pour homosexuel, mais a probablement été utilisé de cette maniére «underground» au moins 30 ans plus tôt. Et ce n'est pas éonnant que Cole Porter, l'homosexuel «camouflé par un mariage», utilise cette terminologie encore «camouflée» à l'époque.
Le film ne reprend qu’une seule chanson de la partition originale du musical signée par Cole Porter: Night and Day. Les chansons The Continental - qui est devenue la première chanson à remporter l’Oscar de la meilleure chanson - et A Needle in a Haystack ont été écrites par le parolier Herb Magidson et le compositeur Con Conrad, et Let’s K-nock K-nees et Don 't Let It Bother You avaient des paroles de Mack Gordon et la musique de Harry Revel.
Après le film Flying Down to Rio, Fred Astaire était réticent à faire un deuxième film avec Ginger Rogers. Il avait commencé sa carrièrer en duo de danse avec sa sœur, Adèle Astaire, mais voulait s’établir en tant que danseur solo. Astaire envoya une note à son agent au sujet de Rogers: «Ça ne me dérange pas de faire une autre photo avec elle, mais en ce qui concerne cette idée d’équipe, c’est non! Je viens de réussir à quitter un partenariat et je ne veux plus être enfermé dans un autre.» Mais lorsque les critiques ont fait l’éloge du couple Astaire-Rogers dans Flying Down to Rio, Astaire a été convaincu, et lui et Rogers ont réalisé The Gay Divorcee, le deuxième film de leur partenariat sur dix au total. L’énorme succès du film a contribué à ce qu’Astaire & Rogers se classe #4 parmi les plus grandes stars du box-office de 1935 (il est sorti à la fin de 1934). Ils atteindront leur apogée en 1936 au #3, et à la fin de la décennie, ils se sépareront.
Plus tard, Cole Porter a rejeté Gay Divorce (), même s'il continuait d'apprécier ses chansons. Un ami qui avait vu le revival de 1960 a dit à Cole que «ce n’était pas bon». Cole répondit: «Ça ne l’a jamais été.» Fred Astaire ressentait la même chose. Sa femme, Phyllis, est venue dans les coulisses après l’ouverture et a dit: «Quel public merveilleux!» Il a répondu: «C’est le spectacle!»