5.A.1) Enfance et adolescence

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Morris et Rose Gershovitz (env 1895)
Library of Congress

George Gershwin, de son vrai nom Jacob Gershowitz, naît le 26 septembre 1898 à Brooklyn (New York) au sein d’une famille juive originaire de Saint-Pétersbourg. Ses parents, Morris (Moishe) Gershowitz et Rose Bruskin, ont émigré de Russie au début des années 1890 pour fuir les pogroms et chercher une vie meilleure aux États-Unis.

George est le deuxième d’une fratrie de quatre enfants, avec son frère aîné Ira (Israel, né en 1896) et ses cadets Arthur (1900) et Frances (1906).

C’est à l’adolescence qu’il adoptera le nom «Gershwin», américanisation de Gershowitz imitée par le reste de la famille.

Enfant énergique et peu attiré par l’école, le jeune George se passionne surtout pour les rues de New York. Jusqu’à l’âge de 10 ans, il ne montre guère d’intérêt pour la musique – son «véritable clavier, c’était les trottoirs et les rues de New York », dira-t-il plus tard. Le déclic musical survient lorsque George entend un camarade violoniste, Max Rosen, jouer lors d’un récital scolaire: fasciné par la mélodie, il s’éveille soudainement à la musique.

En 1910, Morris et Rose Gershovitz achetèrent un piano, s'attendant à ce que leur fils aîné, Ira (Israël), apprenne à en jouer. Au lieu de cela, George (Jacob), leur «pénible» deuxième fils, a monopolisé le clavier. Morris et Rose découvrent avec surprise le talent naturel de George: dès qu’il s’assied devant l’instrument, il joue spontanément avec aisance​. Impressionnés, ses parents lui paient des leçons de piano.

Durant deux ans, il étudie avec des professeurs de quartier, avant de rencontrer en 1912 Charles Hambitzer, un musicien expérimenté qui devient son mentor jusqu’à sa mort en 1918​. Hambitzer initie l’adolescent aux techniques pianistiques classiques et lui fait découvrir les grands compositeurs européens, de Chopin à Debussy, tout en l’encourageant à assister à de nombreux concerts. Enthousiaste, George progresse vite – au point que Hambitzer confie avoir affaire à «un élève qui laissera sa marque en musique... Ce garçon est un génie»

Parallèlement, Gershwin suit des cours d’harmonie et de théorie musicale avec Edward Kilenyi, un disciple du compositeur italien Pietro Mascagni. Ces années de formation lui donnent une solide base classique, tandis que son environnement new-yorkais l’expose à une riche palette de sons: il grandit en effet au carrefour de multiples cultures, entre les musiques klezmer des communautés juives, les airs de Yiddish Theater qu’il fréquente avec Ira, le ragtime et le jazz naissant des quartiers afro-américains. Toutes ces influences façonneront le style éclectique de Gershwin, mêlant mélodies traditionnelles juives et rythmes populaires américains.

À 15 ans, George abandonne l’école (avec la bénédiction de sa mère) pour se lancer dans le monde de la musique.

5.A.2) Premiers pas dans le monde musical

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En 1914, à seulement 16 ans, il obtient son premier emploi: song plugger chez l’éditeur Jerome H. Remick & Co. à Tin Pan Alley, le quartier des éditeurs de partitions à Manhattan. Au début du XXe siècle, les stars du Vaudeville à la recherche de nouveaux morceaux fréquentaient les éditeurs de musique sur la West 28th Street de Manhattan. Les éditeurs de Tin Pan Alley engageaient des pianistes sur place pour jouer ces chansons.

Installé dans un petit bureau exigu, il est payé 15 dollars par semaine pour jouer au piano les nouveautés musicales et en faire la promotion auprès des clients. Le travail est répétitif et les conditions peu confortables, mais ce poste lui permet de développer sa virtuosité: il apprend à improviser et à transposer à vue les morceaux du catalogue, ce qui aguerrit son jeu et son charisme d’interprète​.

En parallèle, le soir, il enregistre des rouleaux pour piano mécanique et compose ses premières pièces. Sa toute première chanson, au titre malicieux “When You Want ’Em, You Can’t Get ’Em, When You’ve Got ’Em, You Don’t Want ’Em”, est publiée en 1916, et l’année suivante il signe son premier rag pour piano, Rialto Ripples, qui connaît un petit succès d’estime.

En 1915, George Gershwin, toujours chez Jerome H. Remick & Co., a joué pour Fred Astaire (1899-1987), âgé alors de 17 ans, qui dansait en Vaudeville depuis son enfance avec sa sœur Adèle (1898-1981). Les deux jeunes hommes ont discuté et selon Fred Astaire, George Gershwin lui a déclaré: «Ne serait-ce pas génial si je pouvais écrire un spectacle musical dans lequel vous joueriez?»

Gershwin ambitionne déjà de devenir compositeur, mais chez Remick on le rappelle à l’ordre: «Ici, tu es pianiste, pas compositeur» lui lance-t-on lorsqu’il propose l’une de ses œuvres​. Frustré mais déterminé, il quitte finalement Tin Pan Alley après trois ans pour élargir ses horizons.

5.A.3) Accompagnateur de spectacles

Dès 1917-1918, George Gershwin trouve de nouvelles opportunités sur la scène musicale new-yorkaise. Il devient pianiste accompagnateur de spectacles de vaudeville au Fox’s Theater, où son talent lui ouvre des portes. Le premier avantage de ce nouveau poste est que George a pu jeter un coup d'œil sur la façon dont les spectacles étaient créées. Mais il faut signaler aussi que, sans aucun scrupule, à la moindre occasion, il faisait la promotion de sa propre musique: lorsqu’un spectacle avait besoin d’une nouvelle chanson à la dernière minute, Gershwin propose volontiers une de ses compositions – anonymement, pour ne pas compromettre sa jeune réputation. Enfin, cet engagement lui permet de rencontrer des figures établies du milieu, comme les compositeurs Jerome Kern et Victor Herbert.

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Bientôt, grâce à ces contacts, il est engagé comme compositeur attitré par l’éditeur T.B. Harms Company, dirigé par Max Dreyfus, qui lui offre 50 dollars de prime par chanson acceptée plus des droits par exemplaire vendu. Gershwin enchaîne alors l’écriture de chansons pour le théâtre. Après quelques essais infructueux, il décroche son premier vrai succès: en 1919, la revue Sinbad triomphe avec sa ballade “I Am So Young, You Are So Beautiful”, et surtout la chanson Swanee – un air entraînant inspiré de la musique folklorique du Sud. Irving Caesar et George Gershwin ont affirmé avoir écrite cette dernière en vitesse, en 10 minutes, dans le bus qui les menait chez Al Jolson, où ils allaient jouer lors d’une réception. Elle fut remarquée par Al Jolson et il l’incéra dans le show Sinbad () (1918, 404 représentations) qui était déjà un succès au Winter Garden Theatre. Comme le dira pour plaisanter son ami de longue date Oscar Levant: «Une soirée passée avec George Gershwin est une soirée Gershwin.»

La chanson devint un tube national qui propulse le nom de Gershwin sur le devant de la scène. En quelques mois, Swanee se vend à des millions d’exemplaires et apporte une notoriété internationale au jeune compositeur de 20 ans.