
Il est instructif de comparer, sur la même période, le théâtre musical en Grande-Bretagne et celui des États-Unis (principalement Broadway à New York). En effet, si les deux traditions partagent des racines communes et entretiennent un dialogue permanent, elles présentent dans les années '20 des caractéristiques distinctes. Le tableau ci-dessous résume quelques différences et convergences clés entre le musical britannique des années '20 et le musical américain de Broadway à la même époque:
Le terme "édouardien" fait référence à l’époque du règne du roi Édouard VII, soit de 1901 à 1910. Mais dans le contexte culturel (et notamment théâtral), on élargit souvent cette période jusqu’au début de la Première Guerre mondiale (vers 1914), car l’esthétique et les mentalités de l’époque perdurent un peu au-delà du règne proprement dit.
(West End, années 1920)
(Broadway, années 1920)
musical
vedettes
Moins de «grands noms» exportés internationalement à cette époque, la plupart restent connus surtout du public britannique.
Toute une pléiade de jeunes compositeurs new-yorkais de talent apparaît, constituant la plus brillante génération de l'histoire de la musique populaire américaine. Leurs chansons connaissent souvent un succès national immédiat.
&
auteurs
Peu d'innovation narrative, intrigues restant légères et fantaisistes.
Quelques expérimentations vers 1927-1929 avec des livrets plus ambitieux (Show Boat traite de sujets sérieux comme le racisme).
et
spectacle
Numéros de danse présents mais moins de grandes chorégraphies de masse (exception faite des revues Cochran qui introduisent parfois des troupes type Tiller Girls).
L'accent est mis sur la conduite d'ensemble soignée et l'interaction avec le public.
Approche très visuelle et glamour, parfois au détriment de la cohérence. L'objectif est d'éblouir par la démesure et la variété (on parle de glitz et de showmanship).
et
réception
Succès souvent confinés au Royaume-Uni (certaines œuvres jugées «trop britanniques» pour l'export.
Les chansons à succès deviennent des standards nationaux (au Royaume-Uni) plus que internationaux.
Broadway s'impose comme la référence, exportant ses succès vers Londres et au-delà. Beaucoup de chansons de musicals Broadway des années 1920 deviennent des hits radiophoniques et internationaux (ex: «Swanee» de Gershwin, «Ol’ Man River» de Kern). Le musical américain commence à définir des canons internationaux du genre.
Comme le montre ce tableau, dans les années '20, le West End londonien et Broadway suivent des trajectoires parallèles avec leurs spécificités. Le Royaume-Uni conserve un style empreint de son héritage d’opérette et de son humour national, tandis que les États-Unis vivent leur Jazz Age en l’insufflant dans la comédie musicale naissante.
Néanmoins, les échanges sont constants – artistes, œuvres et influences traversent l’Atlantique dans les deux sens – de sorte qu’on ne peut pas totalement opposer ces deux mondes. En réalité, ils se fécondent mutuellement: Broadway s’inspire du flegme et de la classe britanniques, Londres s’incline devant la modernité rythmée américaine.
La comparaison permet surtout de constater qu’à la fin des années 1920, Broadway a pris une longueur d’avance en tant que nouveau centre névralgique du musical mondial, alors que Londres, qui “n’est plus le centre du théâtre commercial” international, maintient cependant une production locale dynamique et de qualité.