
2.C.4) Ivor Novello (1893-1951)
Bien qu’Ivor Novello n’ait pas été un auteur aussi prolifique que Noël Coward ou Vivian Ellis, il exerça néanmoins une influence tout aussi marquante sur la scène londonienne. Il tourna également plusieurs films et fut une sorte d’idole de cinéma à l’époque du muet. Ivor mit cependant brusquement fin à sa carrière cinématographique en 1934 pour se consacrer à plein temps — avec un succès immense — aux musicals.
2.C.4.a) Jeunesse
David Ivor Davies naquit à Cardiff en 1893.
Encouragé par son père et sa mère — cette dernière étant professeure de musique à plein temps et chef de chœur de renommée internationale — il se rendait fréquemment à Londres, où il s’immergeait dans tout ce qui touchait au théâtre. Il a alors rencontré des artistes de premier plan, notamment des membres de la compagnie Gaiety Theatre de George Edwardes, des musiciens classiques tels que Landon Ronald et des chanteurs tels qu’Adelina Patti.
Après une éducation précoce au pays de Galles - où il a étudié l’harmonie et le contrepoint avec Herbert Brewer, l’organiste de la cathédrale - il obtint une bourse pour la Magdalen College School à Oxford, où il reçut une éducation gratuite en échange de sa participation à la prestigieuse chorale. Soliste exceptionnel dans la chorale de l’université, il continua de chanter jusqu’à ce que sa voix mue à l’âge de 16 ans, un événement qui le mit en larmes. Il pensa alors qu’il ne pourrait plus jamais chanter professionnellement — et il avait raison!
Après avoir quitté l’école, il donne des cours de piano à Cardiff, puis s’installe à Londres en 1913 avec sa mère. Ils ont pris un appartement au-dessus du Strand Theatre - actuellement le Novello Theatre, nom qu'il reçut en hommage à Ivor Novello en 2005 - qui est devenu sa maison londonienne pour le reste de sa vie.
Abandonnant tout espoir de devenir chanteur, il se mit rapidement à composer des chansons.
2.C.4.b) La Première Guerre Mondiale
En 1914, au début de la Première Guerre mondiale, il écrivit la ballade emblématique de guerre "Keep the Home Fires Burning". Cette chanson exprimait les sentiments d’innombrables familles brisées par la guerre. Novello a composé la musique de la chanson sur des paroles de l’Américaine Lena Guilbert Ford. Cette chanson lui rapporta d’énormes royalties et lui servit d’assurance contre tout échec futur. Il était célèbre et riche à 21 ans.
COUPLET 1
They were summoned from the hillside
They were called in from the glen
And the Country found them ready
At the stirring call for men
Let no tears add to their hardship
As the Soldiers pass along
And although your heart is breaking
Make it sing this cheery song
Ils furent appelés des collines,
Rappelés loin des vallons,
Et le pays les trouva prêts
Au vibrant appel des garçons.
Que les larmes ne s’ajoutent pas
Au fardeau de leur chemin —
Et même si ton cœur se brise,
Fais qu’il chante un air serein.
REFRAIN
Keep the Home Fires burning
While your hearts are yearning
Though your lads are far away
They dream of home
There's a silver lining
Through the dark cloud shining
Turn the dark cloud inside out
Till the boys come Home
Faites brûler le feu du foyer,
Tandis que vos cœurs ont soif d'aimer.
Même si vos gars sont loin,
Ils rêvent encore de leur chemin.
Il est toujours une éclaircie
Dans la nuit la plus assombrie.
Chassez ce nuage noir —
Jusqu’à leur retour, portez l’espoir.
COUPLET 2
Over seas there came a pleading
"Help a Nation in distress!"
And we gave our glorious laddies
Honor made us do no less
For no gallant Son of Freedom
To a tyrant's yoke should bend
And a noble heart must answer
To the sacred call of "Friend!"
D’outre-mer monta la plainte:
«Aidez une nation en peine!»
Et nos vaillants jeunes soldats
Y sont allés, l’honneur en éclat.
Car nul fils de la liberté
Ne doit plier sous la tyrannie.
Et tout noble cœur répond
À l’appel sacré d’un ami.
REFRAIN
Over seas there came a pleading
"Help a Nation in distress!"
And we gave our glorious laddies
Honor made us do no less
For no gallant Son of Freedom
To a tyrant's yoke should bend
And a noble heart must answer
To the sacred call of "Friend!"
Faites brûler le feu du foyer,
Tandis que vos cœurs ont soif d'aimer.
Même si vos gars sont loin,
Ils rêvent encore de leur chemin.
Il est toujours une éclaircie
Dans la nuit la plus assombrie.
Chassez ce nuage noir —
Jusqu’à leur retour, portez l’espoir.
Keep the Home Fires Burning de Ivor Novello
Succès patriotique et nostalgique, cette chanson constitua un coup de pouce bienvenu pour un jeune musicien en devenir, qui dès lors ne regarda plus en arrière.
Par contre, on peut dire que la guerre a eu moins d’impact sur Novello que sur bien des jeunes hommes de son âge. Il évita l’enrôlement jusqu’en juin 1916, lorsqu’il se présenta à un centre de formation du Royal Naval Air Service (RNAS) en tant qu’aspirant sous-lieutenant pilote. Après avoir écrasé deux avions, Novello fut réaffecté par Marsh aux bureaux de l’Amirauté, dans le centre de Londres, où il passa le reste de la guerre.
Novello continua à composer des chansons pendant son service au sein du RNAS. Il connut son premier succès scénique en 1916 avec Theodore & Co, du théâtre musical produit par George Grossmith Jr. et Edward Laurillard. La partition était signée par Novello et le jeune Jerome Kern. Le spectacle a tenu l'affiche 503 représentations à partir du 19 septembre 1916 au Gaiety Theatre de Londres... Trois mois plus tard, le 14 décembre 1916, ouvrit la revue See-Saw! d’André Charlo (158 représentations au Comedy Theatre) à la musique de laquelle il a contribué.
En 1917, il écrivit pour une autre production de Grossmith et Laurillard, l’opérette Arlette (257 représentations au Shaftesbury Theatre), à laquelle il ajouta de nouveaux morceaux à une partition française préexistante, composée par Jane Vieu et Guy Le Feuvre. Cette même année, Marsh le présenta à l’acteur Bobbie Andrews, qui devint le compagnon de sa vie. Andrews introduisit à son tour Novello au jeune Noël Coward. Ce dernier, de six ans son cadet, éprouva une vive jalousie face à l’élégance naturelle de Novello. Il écrivit: «Je pris soudainement conscience du long chemin qu’il me restait à parcourir avant de pouvoir pénétrer l’atmosphère magique dans laquelle il évoluait et respirait avec une telle désinvolture.»
En 1918, il participa à la musique de la revue Tabs qui remporta aussi un beau succès avec 267 représentations au Vaudeville Theatre.
À la fin des hostilités, il avait déjà contribué à plusieurs revues différentes à Londres, un exploit extraordinaire pour quelqu’un d’aussi jeune et inexpérimenté. Sa réputation théâtrale fut en partie due à son échec à devenir pilote, car au lieu de pourchasser les as allemands dans le ciel, il fut affecté à un poste administratif, ce qui lui laissa davantage de temps pour composer.
Il produisit de plus en plus de musique, notamment la majorité de celle du musical Who's Hooper? (1919 - 257 représentions au Shaftesbury Theatre) avec Howard Talbot, et A Southern Maid (1920 - 306 représentations au Daly's Theatre) avec Harold Fraser-Simson, deux figures respectées de l’establishment.
2.C.4.c) Une carrière d'acteur dans le cinéma muet
Mais, à ce stade, il faut souligner un autre aspect de la vie artistique de Ivor Novello car avant de devenir le roi du musical britannique, Ivor Novello a d’abord été… une icône du cinéma muet. Mais pas n’importe laquelle: un leading man au charme ténébreux, à la beauté quasi-androgyne, qui incarnait à merveille le jeune héros romantique, mystérieux, un peu exotique, bref: la star de rêve pour un public d’après-guerre avide de figures idéalisées.
Qu'est-ce qu'un «Matinée Idol»
Littéralement, «Matinée Idol» veut dire idole des séances de l'après-midi. C’est une expression née dans les années 1910-1920, à l’époque où les cinémas, les théâtres ou les salles de spectacle proposaient des séances spéciales en journée — souvent en après-midi, donc matinée au sens anglais.
Or, qui allait aux séances de l'après-midi?
Principalement des femmes — souvent des bourgeoises, des jeunes filles, des mères de famille — en quête d’évasion sentimentale ou de divertissement romantique pendant que monsieur était au bureau.
Le matinée idol typique c’est donc l’acteur qui cristallise les fantasmes du public féminin de ces séances-là:
- beau (forcément)
- raffiné
- romantique
- souvent un peu mystérieux ou tourmenté
- élégant mais pas trop viril non plus
- safe crush avant l’heure: séduisant mais inoffensif
Ivor Novello en était un archétype parfait :
- Grand, mince, visage sculptural, regard mélancolique…
- Sensible, vulnérable, parfois même un peu androgyne.
- Sur écran : toujours en proie à des passions impossibles ou des amours contrariées.
C’est exactement ce qui a fait de lui un «Matinée Idol» dès The Call of the Blood (1920) et dans tout son cinéma muet.
Son premier grand film est The Call of the Blood (1920). C’est un mélodrame passionnel situé en Sicile (ambiance volcanique garantie), où Novello incarne Maurice Delarey, un jeune Anglais un peu coincé qui épouse une aristocrate sicilienne mais succombe à une tentatrice locale (oui, ça sent déjà le drame…). On y joue beaucoup des contrastes: l’Anglais froid et civilisé confronté à la sensualité méditerranéenne… et Novello, avec son visage fin, ses grands yeux sombres et son port aristocratique, s’y glisse parfaitement. Ce film le projette immédiatement au rang de «matinée idol» — en particulier auprès d’un public féminin qui fond littéralement devant son image d’homme sensible et vulnérable. «The handsomest man in British films» annonça Picturegoer Magazine en 1922 («L’homme le plus beau du cinéma britannique»). Ou bien encore «Women sigh for him. Men admire his style. No British star has ever looked more like a dream.» dans Bioscope Magazine, 1924 («Les femmes soupirent pour lui. Les hommes admirent son allure. Jamais une star britannique n’a ressemblé d’aussi près à un rêve.»)
Après The Call of the Blood, Novello va enchaîner les rôles dans le cinéma muet britannique et même international. Il devient un visage familier dans les mélodrames, souvent des histoires de passion contrariée ou de destin tragique.
Quelques titres marquants :
- 1921: Carnival - Un jeune aristocrate amoureux d’une danseuse — triangle amoureux classique.
- 1922: The Bohemian Girl - D’après l’opéra de Balfe — il joue Thaddeus, héros romantique et musicien (tiens donc!).
- 1923: The White Rose - Drame sentimental — encore un homme beau et tourmenté.
- 1924: The Man Without Desire - Film un peu étrange et poétique, tourné à Venise — il joue un homme figé dans l'absence de passion. Nous y reviendrons...
Mais son film muet le plus célèbre reste évidemment The Lodger (1927) d’Alfred Hitchcock — souvent considéré comme le premier vrai film hitchcockien. Novello y incarne un homme suspecté d’être un tueur en série — une sorte de "Jack l’Éventreur chic", poursuivi par le doute et le regard du public. Hitchcock joue à fond de son image de beauté ambiguë et troublante. D’ailleurs, petite ironie de l’histoire: à force de vouloir préserver son image de héros romantique, Novello impose à Hitchcock de le montrer innocent à la fin — alors que Hitchcock aurait préféré le laisser plus ambigu… Premier bras de fer star-réalisateur.
2.C.4.d) Travail d'Ivor Novello pour la scène musicale
Tout va pour le mieux pour Ivor Novello en cette année 1921. Il a deux spectacles musicaux à l’affiche simultanément à Londres pour lesquels il a composé ou co-composé la musique:
- The Golden Moth, un musical de Fred Thompson et P.G. Wodehouse qui a eu 281 représentations du 8 octobre au 24 décembre 1921, avec le comique résident W.H. Berry.
- A to Z, une revue à succès d'André Charlot (428 représentation au Prince of Wale's Theatre du 11 octobre 1921 au 7 octobre 1922) avec Jack Buchanan et Gertrude Lawrence en vedettes.
Mais même s'il restait, comme nous venons le voir, fortement impliqué dans le cinéma, il allait aussi débuter une carrière d'acteur à la scène. Cette carrière sur scène, depuis la perte de sa belle voix de soprano enfant-garçon, sera réduite à du théâtre sans chant — un fait qu’il n’accepta jamais vraiment.
Novello fait ses débuts sur scène à 28 ans, toujours dans cette bien remplie année 1921, dans Deburau de Sacha Guitry (28 représentations du 3 au 26 novembre 1921 à l'Ambassadors Theatre) où il tient un petit rôle. Il enchaînera avec The Yellow Jacket, une pièce de George C. Hazelton et J.H. Benrimo. Cette pièce se joue 70 représentations au Kingsway Theatre à partir du 7 mars 1922. On le voit ensuite dans un rôle plus important (Charles Bingley), dans la pièce Pride and Prejudice (Orgueil et Préjugés) mais... il s'agit d'une unique représentation caritative donnée en matinée au Palace Theatre le 24 mars 1922! Toujours en 1922, il jouera dans Spanish Lovers, une pièce de Christopher St. John, qui s'est jouée 29 représentations au Kingsway Theatre à partir du 21 juin 1922.
C'est à ce moment que Novello va tourner dans le film muet américain The White Rose de D. W. Griffith dont nous avons déjà parlé. Ce premier film américain - même avec Novello en vedette - a été un flop car il racontait une fois de plus l'histoire typique de la jeune fille innocente privée de sa pureté, qui plus et, racontée à un rythme très lent.

Nina Vanna et Ivor Novello
dans «The Man Without Desire» (1923)
The Man Without Desire est un film britannique muet de 1923, mêlant drame et fantastique, réalisé par Adrian Brunel et interprété par Ivor Novello, qui en est également coproducteur aux côtés de Miles Mander. Il s’agit du premier long métrage réalisé par Brunel, et le film a été qualifié de «l’un des films les plus étranges produits en Grande-Bretagne dans les années 1920». Son thème — la perte du désir sexuel, et par extension l’impuissance — était d’une franchise tout à fait exceptionnelle pour l’époque. Curieusement cependant, le film semble avoir obtenu son visa de sortie sans rencontrer la moindre opposition de la part de la censure britannique, pourtant réputée à cette période pour son zèle extrême dès qu’il était question de sexualité à l’écran.
L'histoire est très claire... Au XVIIIème siècle, le comte vénitien Vittorio Dandolo (interprété par Novello) est anéanti par la mort de son amante, Leonora (Nina Vanna), et perd tout intérêt pour la vie. Désireux d’échapper à son chagrin, il met au point un procédé lui permettant de se plonger dans un état d’animation suspendue. Il se réveille deux siècles plus tard, dans la Venise des années 1920, où il rencontre Genevia, le sosie de Leonora — qui s’avère être une descendante de son amour perdu. Tombant immédiatement amoureux de Genevia, il lui propose le mariage, que celle-ci accepte. Mais Dandolo découvre alors que son sommeil de deux cents ans l’a laissé capable d’aimer… mais incapable d’éprouver du désir charnel. Le mariage reste ainsi non consommé.
Après ces deux expériences cinématographiques il reviendra sur scène à Londres avec Enter Kiki!, une pièce de Sydney Blow et Douglas Hoare au Playhouse Theatre (155 représentations du 2 août au 15 décembre 1923). Cette fois, Ivor Novello est en tête d'affiche.
En 1924, Ivor Novello reviendra momentanément à la composition. Il participera à la revue Puppets! de Dion Titheradge produite par André Charlot et jouée au Vaudeville Theatre pour 255 représentations (2 janvier au 26 juillet 1924). En fait, les films et les pièces de théâtre vont l’occuper pleinement pendant les dix années suivantes, et ce n’est qu’en 1935 qu’il produira à nouveau de la musique pour un musical de longue durée.

Ivor Novello dans le film «The Rat»(1926)
Le prochain grand succès de Novello est la pièce de théâtre The Rat: The Story of an Apache coécrite par Ivor Novello (c'est une grande première) et Constance Collier. La pièce est créée en 1924 au Prince of Wales Theatre à Londres. La pièce a connu un grand succès, totalisant 282 représentations. Novello y interprétait le rôle principal de Pierre Boucheron.
Voici le scénario... Quand Zélie de Chaumet, courtisane blasée, supplie son amant — le corrompu et tout-puissant Stetz — de l’emmener faire un tour dans les bas-fonds, le couple croise la route de Pierre Boucheron, surnommé Le Rat, roi des mauvais garçons de Paris, et celle de la candide Odile. Amour, vies et bijoux sont mis en jeu — et perdus — dans ce mélodrame romantique haletant, où la rencontre fortuite de ces quatre personnages bouleversera à jamais le cours de leurs existences.
La distribution comprenait également James Lindsay et Isabel Jeans. La popularité de la pièce a conduit à une adaptation cinématographique muette en 1925, réalisée par Graham Cutts, avec Novello reprenant son rôle. Ce film a engendré deux suites: The Triumph of the Rat (1926) et The Return of the Rat (1929).
En 1925, Ivor Novello jouera dans un revival de Old Heidelberg de Rudolf Bleichmann au Garrick Theatre (58 représentations du 5 février au 21 mars 1925). La pièce fut un échec ou un succès très mitigé. Il est important de se rappeler du critique du Time qui a dit que «même la présence de Novello dans le casting ne justifiait pas la reprise de cette pièce et son "sentiment maudit".» Cela prouve l'importance qu'a acquise Ivor Novello à l'époque.
Il va enchaîner les pièces dans lesquelles il joue:
- Iris: 150 représentations à l'Adelphi Theatre du 21 mars au 1er juillet 1925
- The Fireband: 79 représentations au Wyndham's Theatre du 8 février au 2 août 1926
- Downhill: 94 représentations au Queen's Theatre du 16 juin au 24 juillet 1926 avant un tranfert au Princes Theatre du 26 juillet au 4 septembre 1926. Il a joué dans cette pièce mais l'a aussi co-écrite avec Constance Collier.
- Liliom: Ivor Novello a interprété le rôle principal dans la première production londonienne de Liliom, une pièce de l'auteur hongrois Ferenc Molnár de 1909, qui a débuté au Duke of York's Theatre le 23 décembre 1926 pour 27 maigres représentations. Cette pièce est connue car elle sera à la base du magnifique musical Carousel créé par Rodgers et Hammerstein en 1945. Dans cette mise en scène, Novello incarnait le personnage éponyme, un bonimenteur de foire au caractère complexe. Même si la pièce fut un flop, la presse fit un compliment sur Ivor Novello: «Ivor Novello, incité par le producteur à se débarrasser d’un bon nombre de ses effets faciles pour séduire les midinettes du poulailler, offrit une interprétation bien plus sincère qu’on aurait pu l’imaginer» selon The Nation — un avis partagé par la Saturday Review.
- The Rat: The Story of an Apache: reprise pour 49 représentations au Prince of Wale's Theatre du 12 février au 26 mars 1927.
- The Rat: The Story of an Apache: nouvelle reprise du 22 octobre au 3 novembre 1927 au Regent Theatre. Cette fois Novello ne joue plus dans sa pièce.
Faisons une pause dans cette énumération pour nous attarder sur le spectacle suivant, Sirocco, une pièce de Noël Coward. Coward avait maintenant rattrapé Novello sur le plan professionnel et ce spectacle se devait être un événement rassemblant les deux jeunes stars du théâtre britannique, Noël Coward (à l'écriture) et Ivor Novello (à l'interprétation). La pièce fut créée le 24 novembre 1927 Daly's Theatre. Ce fut une vraie débâcle s'achevant après 28 représentations.
En fait, Noël Coward et Ivor Novello n’ont presque jamais collaboré directement… mais ils ont gravité l’un autour de l’autre toute leur vie artistique, entre admiration, rivalité, complicité mondaine et un brin de jalousie so british. Ils s'étaient rencontré en 1917: Coward a 18 ans, Novello en a 24. C’est Bobbie Andrews (compagnon de Novello et ami de Coward) qui les présente. Coward est immédiatement fasciné — et un peu mortifié — par l’élégance et le charme naturel de Novello, qui incarne exactement le genre de star qu’il rêve de devenir. Coward écrit plus tard: «Il baignait dans une sorte d’atmosphère magique où il évoluait avec une nonchalance exaspérante.» Pas d’animosité, mais un complexe tenace chez Coward. Dix ans plus tard, ils étaient tous deux des piliers du théâtre britannique. Et ils firent ensemble Sirocco.
Laissons la parole à Noël Coward - c'est un peu long mais tellement savoureux - au sujet de la Première de Sirocco ():
«Probablement personne non directement connecté avec ce théâtre ne pouvait apprécier pleinement la tension de cette terrible soirée. La Première de n’importe quelle pièce est assez inconfortable pour ceux qui sont intimement liés à elle.
Dans le cas de Sirocco, dès le mot «Go!» tout le monde a su que c’était une bataille perdue d’avance.
Le premier acte fut reçu avec une grande tristesse. Seul Ivor Novello reçut une belle ovation de la gallery [3ème balcon], lorsqu’il entra en scène. À part cela, il n’y eut qu’un silence oppressant. (…) L’auteure Gladys Bronwyn Stern débarqua dans ma loge et dit qu’elle était assise à l’arrière des stalls [places chics au parterre] et qu’il allait y avoir des ennuis.
Le visage de Jack [secrétaire et amant de Noël Coward] prit une teinte légèrement verdâtre, le menton de Gladys s’éleva si haut que j’eus peur qu’elle se torde le cou. Mère, inconsciente de la catastrophe imminente, fit signe à Mme Novello Davies à l’autre bout du théâtre, et le deuxième acte commença.
La tempête a éclaté pendant la scène d’amour d’Ivor Novelle avec Bunny Doble. La galerie criait de joie et faisait des bruits de succion quand il l’embrassait, et à partir de ce moment-là, elle ponctuait chaque ligne de sifflets et d’autres bruits d’animaux.
Le dernier acte a été un chaos du début jusqu’à la fin. La gallery, l’upper-circle [2ème balcon], et le pit [premiers rangs en bord de scène] hurlaient, tandis que les plus chics stalls, loges et dress-circle [1er balcon] chuchotaient et se taisaient. La plupart des répliques n’ont pas été entendues par le public. Ivor et Bunny et le reste des acteurs ont lutté avec acharnement, essayant de verrouiller leurs oreilles au bruit et de faire finir cette torture le plus rapidement possible.
Le rideau finit par tomber au milieu d’un tumulte sonore, et même Mère, légèrement sourde, fut forcée de réaliser que tout n’était pas tout à fait comme il se devait. Je me souviens qu’elle se tourna vers moi dans l’obscurité et me dit avec dépit: «C’est un échec?» Je répondis, sans ergoter, que c’était probablement l’échec le plus sanglant de l’histoire du théâtre anglais, et je me précipitai sur la scène pour saluer. Sans regarder une seule fois le public, j’ai suivi la ligne des acteurs jusqu’au centre, j’ai serré la main d’Ivor Novello, j’ai embrassé la main de Bunny Doble, j’ai tourné le dos au public et je suis reparti. Ceci, comme je m’y attendais, a fait exploser les huées. J’ai chuchoté à Basil que j’allais recommencer et qu’il devait lever le rideau et le garder levé jusqu’à ce que je lui donne le signal. Si nous avions un flop, j’étais déterminé à ce que ce soit un flop sanguinaire.
Je revins et me mis au centre, un peu devant Bunny et Ivor, m’inclinant et souriant en guise de remerciement à la plus vive colère que j’aie jamais entendue dans un théâtre. Ils m’ont crié dessus, ils m’ont hué. Ils ont crié, et crié, et crié… Les gens se levèrent dans les stalls et crièrent des protestations, et tout ceci a fait un vacarme indescriptible.
Ce fut certainement l’une des expériences les plus intéressantes de ma vie et, ma colère et mon mépris m’ayant réduit à un froid engourdissement, j’ai presque pu en profiter.
Je suis resté là pendant environ sept minutes jusqu’à ce que leurs larynx deviennent irrités et qu’ils soient à court de respiration. Et tout s’est un peu calmé. Puis quelqu’un a commencé à crier « Frances Doble »; cela a été repris et l’actrice s’est avancée, les larmes de sa récente scène émotionnelle séchant encore sur son visage. Dans un silence soudain, après ce qui avait été les premiers applaudissements amicaux tout au long de la soirée, Frances Doble dit d’une voix tremblante: «Mesdames et Messieurs, c’est le moment le plus heureux de ma vie.»
J’ai entendu un énorme gargouillement de désapprobation provenant d’Igor Novello derrière moi et j’ai éclaté de rire, ce qui a provoqué une nouvelle explosion de huées et de cris d’animaux. Bunny recula, le visage écarlate, et je signalai à Basil de baisser le rideau.
Le comportement d’Ivor tout au long de la soirée fut remarquable. (…) Il ne se plaignait de rien, n’attachait aucune responsabilité à personne et acceptait l’échec avec la même grâce avec laquelle il a toujours accepté le succès.
La soirée pour moi, cependant, n’était pas tout à fait terminée. Le pompier m’envoya un message dans la loge d’Ivor NOvello où nous étions tous en train de boire du champagne dans un état d’hystérie étourdie, pour me dire qu’il y avait une foule hostile à la sortie arrière [la sortie des artistes] et qu’il serait plus sage pour moi de partir par l’avant de la maison. Cette information a ravivé ma rage et je suis immédiatement monté à la porte de la scène. L’allée était bondée de gens qui criaient quand je suis apparu. Je les ai regardés un moment du haut des marches, affichant ce que j’espérais être une expression de mépris total, puis j’ai tracé mon chemin jusqu’à la voiture. Plusieurs d’entre eux m’ont craché dessus en passant, et le lendemain j’ai dû envoyer ma veste de soirée au nettoyeur.»
Noël Coward - Present Indicative (Biography and Autobiography) (1937)
Il faut dire qu'au moment où il jouaient cette pièce, ils venaient de tourner l'adaptation cinématogaphique du grand succès de Noël Coward de 1924, The Vortex () qui allait sortir au cinéma en mars 1928. Coward avait écrit la pièce et, à la création, jouait le rôle principal, Nicky Lancaster, jeune mondain ravagé par les excès. Dans le film, Coward confie à Novello ce même rôle principal à Novello, rare incursion de Novello dans l'univers caustique de Coward. Le film fut plutôt bien accueilli, malgré le sujet.
Ces deux artistes habitent deux royaumes distincts: Coward règne sur la comédie d'esprit, Novello sur le musical romantique. Ils ne collaboreront plus jamais directement. Chacun brille dans sa spécialité et observe l'autre d'un œil mi-tendre mi-taquin. Régulièrement réunis chez des amis communs, dans les salons de Londres, ils partagent les mêmes cercles. Coward moque gentiment la coquetterie et les grasses matinées légendaires de Novello: «Ivor aurait pu gouverner le monde... s'il avait su se lever avant midi.» À la mort de Novello en 1951, Coward est sincèrement ému. Ils n'étaient pas rivaux: ils étaient deux modèles antagonistes du star-system britannique. Deux astres différents — mais parfaitement complémentaires.
Après ce double épisode cowardien, Ivor Novello tourna ce qui fut son dernier film muet, A South Sea Bubble, qui sortit en juillet 1928. À la fin des années 1920, Ivor Novello règne sans partage sur le cinéma britannique: idole des écrans, il est couramment présenté comme “l’homme le plus beau du cinéma anglais”.
Il revient ensuite à la scène avec une pièce de théâtre, une comédie, The Truth Game, dont il est l'auteur mais dans laquelle il a aussi joué le rôle principal, Max Clement. La pièce est un succès et se joue du 5 acotobre 1928 au 23 février 1929 au Globe Theatre. Elle sera reprise du 25 juin au 13 juillet 1929 pour 22 représentations, toujours avec Ivor Novello dans le rôle principal. On peut déjà signaler ici - même si on sort un peu de la lecture chronologique - que cette pièce sera jouée à Broadway du 27 décembre 1930 à mars 1931 pour 107 représentations, toujours avec Novello dans le rôle principal, ce qui attirera sur lui les attentions des studios d'Hollywood...
Novello enchaîne en écrivant une nouvelle pièce - de plus de toirs heures - Symphony in Two Flats, dans laquelle il joue bien sûr le rôle principal. Une fois encore, un succès: 153 représentations à l'Apollo Theatre à partir du 14 octobre 1929.
Et c'est à ce moment-là que Novello se remet à la composition musicale. Il le fait pour une revue: The House That Jack Built qui va se jouer à l'Adelphi Theatre à partir du 8 novembre 1929 avant un transfert au Winter Garden Theatre pour un total de 270 représentations. Notons qu'il s'agit que c'est le dernier spectacle de l'ancien théâtre Adelphi avant qu'il ne soit reconstruit dans la forme Art Deco que nous lui connaissons aujourd'hui.
Dans le Londres des années 1920, Ivor Novello était devenu l’incarnation rare d’un double fantasme: à l’écran, une idole romantique du cinéma muet; à la scène, un dandy brillant, auteur-compositeur star, symbole d’élégance, de raffinement… et d’un certain glamour très britannique. Avec Ivor Novello, Londres avait trouvé son dieu du chic et du charme. (à suivre)