Deux grands types de spectacles musicaux dominent le Paris des années 1920 : l’opérette (ou comédie musicale) à la française d’une part, et la revue de music-hall d’autre part. Chacun de ces genres connaît un véritable apogée durant la décennie, tout en évoluant sous de nouvelles influences.

1.B.1) L’opérette et la « comédie musicale » à la française

L’opérette, héritée du Second Empire et de la Belle Époque, reste très prisée du public et opère même un renouveau dans les années 20. Elle se métamorphose progressivement en comédie musicale à la française, mêlant dialogues parlés, chansons et numéros dansés au sein d’une même intrigue. La musique y occupe désormais une place égale au texte, avec des orchestrations et des rythmes largement influencés par le jazz récemment découvert à Paris. On assiste ainsi à la transition entre l’opérette traditionnelle (de style Offenbach ou Messager) et un spectacle musical plus moderne, imprégné des sonorités syncopées et du swing venus d’Amérique.

Le tournant décisif est souvent attribué à la création de Phi-Phi en 1918, « considérée comme la première opérette/comédie musicale moderne ». Écrite par le compositeur Henri Christiné et le librettiste Albert Willemetz, cette fantaisie grecque, créée le lendemain de l’Armistice de 1918, remporte un succès colossal (près de 1000 représentations en deux ans). Elle inaugure le renouveau du genre en imposant un style vif, des chansons enlevées et un ton irrévérencieux qui tranchent avec les œuvres d’avant-guerre. Christiné et Willemetz frappent à nouveau très fort avec Dédé (1921), autre opérette à succès dont la chanson « Dans la vie faut pas s’en faire » devient un air emblématique des Années folles. Maurice Chevalier, qui y tient le premier rôle, fait à cette occasion ses débuts triomphaux dans l’opérette à 33 ans, et la pièce sera jouée plus de mille fois elle aussi.

Sur la lancée de ces triomphes, de nombreux auteurs-compositeurs se tournent vers la comédie musicale. Le succès de Christiné/Willemetz inspire ainsi des compositeurs comme Maurice Yvain, Joseph Szulc ou le chansonnier Rip (Georges Gabriel Thenon) à créer leurs propres œuvres dans le même esprit. Tout au long des années 20, les théâtres de boulevard affichent des opérettes nouvelles aux rythmes modernes. On peut citer notamment Ta bouche (1922) et Là-haut (1923), deux comédies musicales composées par Maurice Yvain (sur des livrets de Bousquet et Falk), qui rencontrent un accueil enthousiaste du public. D’autres pièces marient avec brio la tradition française et la fantaisie contemporaine, comme Ciboulette (1923, musique de Reynaldo Hahn) ou L’Amour masqué (1923, musique d’André Messager sur un livret de Sacha Guitry). Ces œuvres témoignent de l’évolution rapide du genre : intrigues légères mais ancrées dans le Paris moderne, jazz-bands dans la fosse d’orchestre, argot parisien côtoyant fox-trot, et souvent une bonne dose d’humour et d’espièglerie.

À partir du milieu de la décennie, l’influence étrangère se fait sentir directement sur les scènes parisiennes, avec l’importation de comédies musicales anglo-saxonnes. En 1925, les frères Isola (directeurs de théâtre avisés) reprennent la direction du Théâtre Mogador et y implantent des opérettes venues de Broadway. C’est ainsi que No, No, Nanette – grand succès new-yorkais de Vincent Youmans – est adapté et présenté à Mogador en 1926, où il triomphe également, lançant la vogue des musicals américains à Paris. Sur la même scène, le public parisien découvre peu après Rose-Marie (opérette romantique de Friml et Stothart, créée à Broadway en 1924). En 1929 enfin, le Théâtre du Châtelet programme la version française de Show Boat (comédie musicale de Kern et Hammerstein), sous le titre Mississipi-Show Boat, qui remporte un vif succès avec 115 représentations. L’introduction de ces œuvres d’outre-Manche et d’outre-Atlantique enrichit encore l’offre de théâtre musical, en habituant le public parisien à de nouveaux styles (gospels, charlestons, décors à grand spectacle) et en stimulant la création locale par effet d’émulation.

1.B.2) Le règne des revues de music-hall

En parallèle des opérettes à livrets, les revues de music-hall connaissent dans les années 1920 un véritable âge d’or. Il s’agit de spectacles à grand déploiement scénique, composés de tableaux successifs mêlant chants, danses, sketches humoristiques et attractions visuelles, le tout relié par un mince fil conducteur. La revue parisienne des Années folles allie l’esprit de fête à une certaine irrévérence, jouant sur le spectaculaire, le comique et le suggestif. Comme le résume un historien, «la revue connaît un âge d’or dans le Paris des années vingt, alliant en musique et en chansons grand spectacle, humour et érotisme». En effet, la formule repose souvent sur la profusion de décors et surtout de costumes extravagants, ainsi que sur la présence indispensable de troupes de “girls” – ces cohortes de danseuses légèrement vêtues, plumes et paillettes, dont les chorégraphies synchronisées font le délice du public.

Plus encore qu’avant-guerre, les revues des Années folles rivalisent d’audace visuelle et de provocation bon-enfant. Les metteurs en scène n’hésitent pas à flirter avec le nu artistique : certaines scènes présentent des danseuses dénudées, ce qui est encore osé pour l’époque, mais contribue à la réputation libertine de ces spectacles. L’humour facile, les satires de l’actualité ou des mœurs, et la célébration de Paris et de la fête servent de prétexte à ces extravagances scéniques.

Les grandes salles parisiennes se consacrent presque toutes à la revue durant cette décennie. Les établissements historiques comme les Folies Bergère, le Casino de Paris, l’Olympia ou le Moulin Rouge continuent d’attirer le Tout-Paris avec des revues fastueuses renouvelées chaque année. En plus de ces scènes célèbres, de nouveaux lieux ou d’anciennes salles diversifient l’offre pour satisfaire la demande énorme du public: le Concert Mayol ou le Palace (salle de cinéma reconvertie en temple du music-hall) proposent des revues audacieuses, tout comme le Bataclan sous la direction de Berthe Rasimi qui se spécialise dans les costumes somptueux. Même en dehors des grands boulevards, des scènes émergent, à l’instar des Folies Wagram, inaugurées dans un quartier plus excentré pour profiter de la vogue du genre. Cette prolifération de salles atteste de la popularité sans précédent du spectacle de revue dans les années 20.

Parmi les revues marquantes de la période figurent d’abord celles menées par la grande Mistinguett au Casino de Paris. De 1918 à 1925, sous la houlette du directeur Léon Volterra, Mistinguett règne en vedette incontestée sur la scène du Casino. Elle y enchaîne des revues à thème qui font courir le Tout-Paris: Paris qui danse, Paris qui jazz, En douce, Paris qui brille! ou encore Ça, c’est Paris figurent parmi ses succès des années 1920. Ces spectacles combinent chansons, ballets et tableaux luxueux célébrant la capitale et la joie de vivre retrouvée. Mistinguett, surnommée “La Miss”, s’y illustre par ses costumes à plumes extravagants (dessinés par son protégé le jeune couturier Charles Gesmar) et par des chansons devenues cultes comme Mon homme (créée en 1920) ou Ça c’est Paris. Chaque année, le retour de Mistinguett à l’affiche est un événement attendu par le public, qui plébiscite son charme gouailleur et son énergie de feu.

Au-delà du Casino de Paris, d’autres revues iconiques jalonnent la décennie. En 1925, La Revue Nègre débarque à Paris au Théâtre des Champs-Élysées, apportant un souffle inédit: cette revue importée des États-Unis met en scène des artistes noirs américains et introduit le jazz hot et le charleston sur scène. La jeune danseuse Joséphine Baker, à peine 19 ans, y fait des débuts remarqués en dansant un charleston endiablé presque nue sur la musique du saxophoniste Sidney Bechet – un numéro qui choque autant qu’il fascine le public parisien. Ce spectacle révèle Baker et lance la mode des revues nègres, tout en contribuant à populariser le jazz et les danses afro-américaines en France. L’année suivante, en 1926, Joséphine Baker est engagée par le directeur Paul Derval aux Folies Bergère, où elle crée la sensation avec un numéro devenu légendaire : dans la revue La Folie du Jour, elle danse vêtue d’un simple pagne de bananes, incarnant une sauvageonne exotique dans une mise en scène affriolante. Ce numéro de la ceinture de bananes fera le tour du monde et symbolisera l’audace des Années folles.

D’autres revues méritent mention, tant l’offre est foisonnante : citons par exemple Paris qui remue (Folies-Bergère, 1928), ou encore La Joie de Paris (Concert Mayol, vers 1922) qui mise sur la carte du nu intégral, ou les revues du Palace montées par Oscar Dufrenne, réputées pour leur humour osé et leurs somptueux ensembles de danseuses. Vers la fin de la décennie, la revue parisienne commence à être concurrencée par le cinéma naissant et le music-hall de province, mais elle reste jusqu’à la crise de 1929 le divertissement de prédilection des foules parisiennes.