
4.B.1) L’enfance de Richard Rodgers: aux origines d’un prodige de Broadway
Richard Charles Rodgers voit le jour le 28 juin 1902 à New York, au sein d’une famille juive aisée et cultivée. Son père, William Rodgers, est un médecin respecté, tandis que sa mère, Mamie Levy Rodgers, nourrit une véritable passion pour la musique et le théâtre. Dans leur foyer de Manhattan, l’art est omniprésent : on y écoute des opérettes viennoises, des comédies musicales américaines naissantes, et l’on chante souvent autour du piano familial.
Très tôt, Richard montre une sensibilité musicale exceptionnelle. À l’âge de six ans, il s’assoit pour la première fois devant un piano et semble immédiatement à l’aise avec l’instrument. Rapidement, il commence à jouer à l’oreille des airs entendus à la maison et, dès l’âge de neuf ans, il compose ses premières mélodies. Mais c’est une expérience marquante, en 1911, qui va véritablement éveiller en lui une vocation : cette année-là, il assiste à son premier spectacle à Broadway, The Pink Lady. La magie du théâtre musical le saisit instantanément.
Au fil des années, son enthousiasme pour la musique grandit. En 1916, à seulement quatorze ans, il passe un été dans un camp de vacances où il s’amuse à écrire de petites chansons pour ses camarades. La même année, il découvre le travail de Jerome Kern, dont la partition de Very Good Eddie le bouleverse. Kern ne le sait pas encore, mais il vient d’inspirer un futur géant du musical. C’est aussi à cette époque que Richard entend parler d’un jeune parolier talentueux, Lorenz Hart, qu’il rencontrera deux ans plus tard et avec qui il formera l’un des duos les plus brillants de Broadway.
L’enfance de Richard Rodgers est donc celle d’un prodige musical, immergé dès ses premières années dans un environnement propice à l’épanouissement artistique. Passionné, déterminé et déjà visionnaire, il ne rêve que d’une chose : inscrire son nom dans l’histoire du théâtre musical. Il ne sait pas encore que, quelques décennies plus tard, il sera l’un de ceux qui redéfiniront les règles du genre.
4.B.2) Tout commence pour Rodgers à 14 ans...

Richard Rodgers & Lorenz Hart
Le 28 mars 1917, Richard Rodgers (1902-1979), âgé de quatorze ans, est emmené par son frère aîné Mortimer William - dit Morty - à la salle de bal de l'hôtel Astor pour le spectacle universitaire annuel de l'Université Columbia. La soirée a été presque volée par l'étudiant en journalisme Lorenz Hart (1895-1943), qui s’est accaparé la scène pour se faire passer pour Mary Pickford. Après le spectacle, William a permis à son frère de rencontrer le jeune homme qui avait écrit les paroles du spectacle, étudiant en droit, Oscar Hammerstein II. Rodgers est tellement impressionné qu’il n’ose presque rien dire à Hammerstein. Mais Richard Rodgers a décidé ce jour-là qu'il irait à Columbia afin qu'il puisse composer de futurs spectacles universitaires. Ce jour-là , il n’a pas discuté avec Hart. Pour souligner le côté à la fois exceptionnel et paradoxal de cette rencontre, rappelons que Rodgers s’associera à Hart pendant 24 ans (1919-1943) avant de lui préférer Oscar Hammerstein II comme parolier pour produire certains des plus grands chefs-d’œuvre du XXème siècle (1943-1960).
4.B.3.) Premier musical de Rodgers, en amateur: «One Minute Please»
Six mois plus tard, Richard Rodgers a écrit sa première partition complète pour un musical à 15 ans, à l’automne 1917. Son grand frère Mortimer William Rodgers (19 ans) – dit «Morty» – était membre d’un groupe socio-athlétique appelé l’Akron Club. À cette époque, les Américains venaient d’entrer dans la Première Guerre Mondiale et combattaient aux côtés des Alliés contre les Allemands en Europe. Les garçons de l’Akron Club étaient impatients de faire leur part pour aider à l’effort de guerre. Ils décidèrent de participer à l’effort de guerre en créant un musical dont les recettes iraient à un «fond de tabac» mis sur pied par le New York Sun pour acheter des cigarettes aux soldats en Europe!
Mais qui allait écrire ce musical? Il fut décidé que Ralph G. Engelsman, un ami de Morty, écrirait le livret mais ils n’avaient pas de compositeur à l’Akron Club. Comme Ralph était venu chez Morty, il avait entendu son petit frère Richard jouer au piano. A l’Akron Club, cela a posé un problème car Richard était trop jeune mais l’enthousiasme de Ralph l’a emporté et le club a voté pour accepter. Attention, ils ont accepté que Richard compose la musique du musical, mais à 15 ans, Richard était encore trop jeune pour devenir membre du club.
Pour les paroles, le problème fut identique, alors tout le monde a aidé: le père Rodgers, Morty, Ralph. Et Richard Rodgers a contribué au moins autant qu’eux.
Les répétitions ont duré des mois dans de petites salles louées ou dans les salons des parents des acteurs. Richard Rodgers rappelle le bonheur qu’il a eu d’entendre ses mélodies chantées par des jeunes gens talentueux, même s’ils étaient amateurs. Comme l’embauche d’un pianiste aurait coûté beaucoup trop cher, il a lui-même joué à toutes les répétitions.
La grande nuit de l’ouverture a eu lieu le 29 décembre 1917, au milieu d’une tempête de neige. L’unique représentation de One Minute, Please () a eu lieu dans la grande salle de bal de l’hôtel Plaza devant une salle comble d’amis, de parents et d’autres «victimes». Richard Rodgers a dirigé un orchestre de cinq musiciens professionnels et a lui-même joué sur un piano à queue blanc et or.
4.B.4) Second musical de Rodgers, en amateur: «Up Stage and Down»
Up Stage and Down (), sera le deuxième spectacle de Richard Rodgers (17 ans). Et toujours en amateur. Ce musical, parrainé par une organisation appelée Infants Relief Society, se joua un seule soir, le 8 mars 1919, dans la grande salle de bal de l’ancien hôtel Waldorf-Astoria, à l’angle de la 34ème rue et de la 50ème avenue. Il était à nouveau compositeur mais comme il n’avait pas de partenaire, il a dû écrire la plupart des paroles, aidé par son frère et Benjamin Kaye, un avocat de théâtre qui était le patient de son père. S’est rajouté à cette équipe un ami de la famille: Oscar Hammerstein. Il l’avait déjà rencontré trois ans auparavant, à l'hôtel Astor pour le spectacle universitaire annuel de l'Université Columbia, dont Hammerstein avait écrit les paroles. Rodgers avait à l’époque 14 ans et n’avait presque rien osé dire au vieil Hammerstein (21 ans). Hammerstein, qui travaillait maintenant dans le théâtre professionnel en tant que stage manager pour son oncle, le producteur Arthur Hammerstein, a contribué aux paroles de trois chansons. Pour la petite histoire, elles s’intitulaient Can It, Weaknesses et There’s Always Room for One More. Aucun des deux n'était à mille lieues de penser que 24 ans plus tard, ils allaient former l’un des plus grands duos de l’histoire des musicals et révolutionne le genre en créant Oklahoma! ().
Ce spectacle fut le premier pour lequel des partitions de Richard Rodgers ont été publiées. Enfin, c’est son père a payé les frais d’impression… Ils ont tout de même réussi à en vendre quelques exemplaires.
Comme lors de son premier musical, One Minute Please (), le jeune Richard a été pianiste de répétition et chef d’orchestre. Un matin, lors d’une répétition, son grand frère Morty a fait irruption et m’a murmuré: «Les responsables ne pensent pas que tu es assez bon pour diriger. S’ils retirent quelque chose, prends ta musique et sors. Si quelqu’un essaie de t’arrêter, je l’assassinerai.» Grâce à ce soutien de son frère, Rodgers refusera de démissionner lorsque les dirigeants sont venus lui demander de démissionner.
Environ deux mois après cette représentation unique, Up Stage and Down () a été révisé et rouvert pour une soirée au 44th Street Theatre. Cette fois le titre était Twinkling Eyes, for God’s sake, et le bénéficiaire était cette fois le Soldiers and Sailors Welfare Fund.