Le foisonnement de créations s’accompagne de l’émergence (ou de la consécration) de nombreuses personnalités dans le milieu du théâtre musical. Qu’il s’agisse d’auteurs-compositeurs, d’interprètes vedettes ou de metteurs en scène, ces artistes marquent de leur empreinte la décennie.

1.D.1) Compositeurs et librettistes marquants

1.D.1.a) Le tandem Henri Christiné (compositeur) et Albert Willemetz (parolier)

Ce duo a marqué l’âge d’or de l’opérette et du music-hall en France, à une époque où Paris vibrait au rythme des refrains légers et des plumes virevoltantes.

  Henri Christiné (1867–1941) - le compositeur:  Christiné est né à Genève, mais c’est à Paris qu’il a connu la gloire. Il s’est imposé comme un maître de la mélodie accrocheuse, du refrain qu’on fredonne dans la rue. Avant de se lancer dans le théâtre musical, il a été organiste et professeur de piano — bref, un homme à la solide formation musicale.

  Albert Willemetz (1887–1964) — le parolier:  Willemetz, lui, est l’un des grands faiseurs de mots du XXème siècle. Avocat de formation, il est vite devenu un des piliers de la scène parisienne. Parolier, librettiste, auteur de revues, administrateur... il a touché à tout. Et surtout, il savait écrire des textes piquants, rythmés, et souvent pleins d’humour ou de charme un peu canaille.

Leur point de rencontre le plus célèbre? Comme nous l'avons vu, Phi-Phi () (), fut créée en novembre 1918 à la fin de la Première Guerre mondiale. Un véritable raz-de-marée! Cette opérette enjouée, légère et pleine de double sens a fait un tabac. Le succès fut tel qu’on dit souvent que "Phi-Phi" a inventé la comédie musicale à la française — ou du moins, une forme renouvelée d’opérette moderne, plus proche du music-hall que de l’opéra-comique.

Ce succès a cimenté leur duo et leur a permis d’enchaîner d’autres titres dans le même esprit: Dédé () () (1921), une autre grande réussite. Sans oublier "Madame" (1923) et "J'adore ça" (1925).

Leurs œuvres sont souvent peuplées de quiproquos, de femmes affranchies, de maris dépassés, et de bourgeois parodiés avec malice. On est dans l’esprit de l’opérette jazzée, frivole mais jamais idiote, et profondément enracinée dans l’entre-deux-guerres.

Christiné savait ciseler des musiques enlevées, et Willemetz apportait des mots qui font mouche. Ensemble, ils ont su capter l’air du temps — celui d’un Paris qui voulait oublier la guerre, danser, rire et s’aimer. Willemetz, prolifique, écrira au total les livrets de plus de 60 opérettes dans sa carrière, en collaborant avec les plus grands compositeurs de l’époque (Messager, Yvain, etc.)

1.D.1.b) Le compositeur Maurice Yvain

vain, c’est un peu l’alter ego français de Cole Porter ou de Gershwin, mais avec un accent montmartrois. Il est né à Paris, a été formé au Conservatoire, et a commencé sa carrière en tant que pianiste de cabaret. Ce qui explique sans doute pourquoi sa musique est si vivante, si proche du public. Il savait comment faire swinguer un refrain.

Il s’est d’abord fait connaître comme accompagnateur (notamment de Mayol), avant de se tourner vers la composition — pour la revue, l’opérette, le music-hall… et même plus tard pour le cinéma.

Parmi ses plus grands succès, on peut citer:

  • Ta Bouche () () (1922): son premier gros carton, écrit avec Albert Willemetz (eh oui, encore lui !). C’est une opérette frivole, drôle, avec des dialogues qui claquent et une musique moderne. Un manifeste du musical à la française.
  • Pas sur la Bouche () () (1925): là aussi avec Willemetz. Cette opérette, à la fois tendre et irrévérencieuse, a même eu droit à une adaptation ciné par Alain Resnais en 2003. C’est dire comme elle a traversé le temps!
  • Yes! () (1928): avec René Pujol et Willemetz. Encore un bijou de légèreté et de rythme, très influencé par le style américain de Broadway.

Et puis, Maurice Yvain, c’est aussi un compositeur pour le music-hall pur et dur, celui des planches de Mistinguett ou Maurice Chevalier. Il a écrit Mon homme (), le tube immortel de Mistinguett (repris plus tard par Billie Holiday et Barbra Streisand — cocorico !), en 1920. Un chef-d’œuvre de chanson réaliste sentimentale, un peu cassée, très parisienne.

1.D.1.c) Et aussi...

Citons encore le vétéran André Messager, qui contribue au genre avec L’Amour masqué, ou Reynaldo Hahn (Ciboulette ()). Côté librettistes, outre Willemetz, des auteurs de théâtre comme Sacha Guitry s’essaient avec brio à l’écriture de comédies musicales. Il signe en 1923 le livret piquant de L’Amour masqué ().

Des paroliers comme Albert Willemetz, Pierre-Louis Flers, Rip ou Saint-Granier fournissent des livrets légers et spirituels parfaitement dans l’air du temps. Enfin, pour les revues, il faut mentionner les grands metteurs en scène et concepteurs de tableaux que sont Jacques-Charles (producteur attitré des Folies Bergère) ou Léon Volterra (Casino de Paris) dont nous avons largement parlé au chapitre précédent, qui s’entourent d’équipes d’auteurs et de décorateurs pour sans cesse renouveler le genre.

1.D.2) Vedettes de la scène et interprètes

Plusieurs noms dominent le music-hall parisien des années '20. En premier lieu, Mistinguett, la “Reine du music-hall”, est la star française incontestable de la revue pendant la première moitié de la décennie (). Forte d’une popularité acquise avant-guerre, elle atteint son apogée dans les Années folles en attirant les foules au Casino de Paris. Son image est partout (affiches, couvertures de programmes, partitions) et son nom devient synonyme de spectacle de revue fastueux.

À ses côtés brille Maurice Chevalier, son ancien partenaire et pygmalion: après son succès dans Dédé en 1921, il conquiert le public par son charme souriant et ses chansons optimistes, devenant le roi de l’opérette et du cinéma naissant. Chevalier symbolise le Parisien jovial des Années folles, enchaînant succès sur scène puis s’exportant à Hollywood à la fin de la décennie.

Autre figure emblématique: Joséphine Baker (), danseuse et chanteuse américaine arrivée en 1925, qui enflamme Paris avec la Revue Nègre puis aux Folies Bergère. À 20 ans, Baker révolutionne le music-hall par son énergie, son exotisme et son talent, au point de devenir une véritable icône de la décennie (elle publie ses mémoires dès 1927, signe de son immense célébrité précoce).

Parmi les autres vedettes féminines, on peut citer Yvonne Printemps (soprano légère révélée par Guitry, qui brille dans l’opérette et la chanson), Arletty (qui débute à la fin des années 20 dans les revues et opérettes, apportant son esprit frondeur et son phrasé unique), ou encore des chanteuses réalistes comme Fréhel et Damia qui se produisent dans les cabarets parisiens et inspirent les compositeurs.

Côté hommes, outre Chevalier, des artistes comme Dranem (comique troupier maintes fois acclamé), Georgius (chansonnier fantaisiste) ou le jeune Jean Gabin (qui fait ses classes comme danseur dans la troupe de Mistinguett avant de bifurquer vers le cinéma) participent à l’animation du music-hall. Le comédien Max Dearly, vedette de boulevard et partenaire fréquent de Mistinguett, est également très populaire pour ses rôles comiques dans les revues. Ensemble, ces artistes forment une véritable constellation de stars dont le public suit avidement la vie et la carrière.

1.D.3) Directeurs de théâtre

Derrière le succès de ces spectacles se cachent aussi des personnalités clés de l’ombre. Parmi elles, le rôle des directeurs de salles est primordial. C'est très différent de ce qui se passe à Broadway où un nombre important de théâtre sont des garages à spectacles. Bien sûr, il y a des contre-exemple comme Ziegfeld ou l'aventure du Princess Theatre.

1.D.3.a) Paul Derval (1880–1966) - Les Folies Bergères

On peut dire sans insister que Paul Derval, né en 1880, fut une figure majeure du monde du spectacle parisien, essentiellement connu pour avoir été le directeur artistique et producteur légendaire des Folies Bergère pendant près de quatre décennies. Il prend les rênes des Folies Bergère en 1918, à la suite d'André Charlot. À une époque où le music-hall est en pleine transformation, Derval impose sa patte: du glamour, du chic, de la légèreté... et surtout, des revues à grand spectacle centrées sur des tableaux somptueux, des décors extravagants, des effets de lumière innovants, et – sa marque de fabrique – les célèbres "girls" à moitié nues, dans une esthétique élégante et soigneusement chorégraphiée.

Il fait des Folies Bergère un lieu incontournable du Paris nocturne, au même titre que le Moulin Rouge ou le Casino de Paris, mais avec ce petit supplément d'âme un peu plus raffiné, plus “à l’américaine” diront certains. Il contribue à internationaliser le style des revues parisiennes, attirant un public cosmopolite et des artistes venus du monde entier.

Parmi ses plus grands coups d’éclat figure sa collaboration avec Joséphine Baker, qu’il met en vedette dès les années 1930, consolidant son statut d’icône. Il sait reconnaître les stars avant les autres et leur offrir un écrin à leur mesure.

Derval reste aux commandes des Folies jusqu’à sa mort en 1966, fidèle à sa vision d’un spectacle total, festif, sensuel, et éblouissant. Il aura profondément influencé le genre de la revue, tant en France qu’à l’étranger.

1.D.3.b) Léon Volterra (1888–1949) et Henri Varna (1887–1969) - Le Casino de Paris

Autre figure majeure, Léon Volterra, né en 1888, a largement participé à faire de Paris ce qu'il fut dans les années '20. Producteur audacieux, directeur de théâtre entreprenant, il a laissé son empreinte sur plusieurs institutions majeures, mais c’est au Casino de Paris qu’il déploie véritablement toute sa flamboyance. Il prend la direction du Casino de Paris en 1917, en pleine Première Guerre mondiale – un pari risqué, mais Volterra est un homme de flair. Il comprend que, même en temps troublés, le public parisien a soif de divertissement, de luxe et d’évasion. Il transforme alors le Casino en un temple du spectacle à grand déploiement, alliant revues fastueuses, musique entraînante et vedettes charismatiques.

Sous son impulsion, le genre de la grande revue se modernise: Volterra fait appel à des compositeurs en vogue, des chorégraphes inspirés et surtout à des stars qui attirent les foules. Il a le génie du casting. Il fait notamment briller Mistinguett, qui devient sa muse et la star incontournable du Casino de Paris dans les années 1920. Leur collaboration marque l’apogée du music-hall parisien: plumes, strass, escaliers monumentaux et numéros spectaculaires deviennent la norme.

Volterra est aussi un homme d’affaires redoutable. Il sait vendre le rêve parisien à l’international, attirer les touristes fortunés et exporter un certain art de vivre à la française. Après son passage au Casino de Paris, il dirigera également le Théâtre Marigny, le Théâtre de Paris, l’Opéra, et même brièvement l’Opéra-Comique — preuve de son éclectisme. Mais c’est bien au Casino de Paris qu’il aura façonné son mythe: celui d’un producteur visionnaire, qui fit de la scène un lieu d’enchantement et de prestige.

Moins flamboyant que Léon Volterra, Henri Varna, né en 1887, lui succède en 1929 à la direction du Casino de Paris. Il impose un style personnel, plus populaire, parfois plus audacieux, et tout aussi efficace. C’est un homme de terrain, fin connaisseur des goûts du public, et un infatigable artisan du spectacle. Il reprend la direction du Casino de Paris dans les années 1930, après le départ de Volterra. La tâche est délicate: il faut à la fois maintenir le prestige de la maison et renouveler la formule. Varna s’y emploie avec une énergie débordante. Il insuffle un style plus accessible, plus "populaire" pourrait-on dire, sans jamais tomber dans la facilité. Il modernise les revues, diversifie les attractions, et mise beaucoup sur la danse, l’humour et les grands effets visuels.

Sous sa houlette, le Casino de Paris reste une machine à rêves, mais avec une tonalité plus vive, plus directe, parfois plus provocante. Il attire aussi de grands noms – il sait flairer les talents – mais il donne surtout une place essentielle à la troupe, à l’ensemble du spectacle, et pas seulement aux vedettes.

Il reste directeur du Casino de Paris jusqu’aux années 1969 - lorsqu'il meurt d'une crise cardiaque - traversant avec brio la Seconde Guerre mondiale et les mutations du goût d’après-guerre. À sa manière, plus artisan que showman, il aura su préserver l’âme du music-hall, tout en l’adaptant à un public en perpétuelle évolution.

1.D.3.c) Les frères Isola – Émile (1860–1945) et Vincent (1862–1947) - Le Théâtre Mogador

Les frères Isola, Émile et Vincent de leur prénom, commencent leur carrière dans les années 1880... en tant qu’illusionnistes! Très populaires dans le Paris fin-de-siècle, ils enflamment les scènes avec leurs tours spectaculaires. Mais leur vraie "transformation" – la plus spectaculaire peut-être – est celle qui les voit passer de la scène à la direction des théâtres.

Ils deviennent au fil du temps de véritables empereurs des salles de spectacle: ils dirigent l’Olympia, le Théâtre de la Gaîté, le Châtelet... Et à partir de 1920, ils prennent la direction du tout nouveau Théâtre Mogador, fraîchement inauguré en 1919.

Lorsque les Isola arrivent à Mogador, le théâtre est encore jeune, et il a besoin d'une identité. Les frères, avec leur flair redoutable et leur expérience des grandes machines théâtrales, vont modeler la salle à leur image: ambitieuse, spectaculaire, élégante. Ils y développent une programmation riche, alternant grandes opérettes françaises, revues fastueuses et, petit à petit, des productions inspirées des modèles anglo-saxons, déjà annonciatrices du musical moderne. Ce n’est pas encore Broadway, mais on sent le vent tourner. On vpit d'ailleurs s'enchaîner dans la programmation:

  • 1926: No, No, Nanette de Vincent Youmans, à partir du 29 avril 1926
  • 1927: Rose-Marie de Rudolf Friml et Oscar Hammerstein II, à partir du 9 avril 1927
  • 1929: Hallelujah ou Hit the deck de Vincent Youmans, à partir du 3 octobre 1929
  • 1930: Le Chant du désert de Sigmund Romberg, à partir du 11 octobre 1930

Cela semble vraiment être "Broadway à Paris". Mais ils enchaînent avec des opérettes d'Offenbach ou de Benatzky. Ils restent à la direction du Théâtre Mogador jusqu’en 1936. Ensuite, le lieu passera par d'autres mains, et s’ouvrira plus franchement au musical anglo-saxon à partir des années 1960-70.

1.D.3.d) Oscar Dufrenne (1880–1933) - L’impresario flamboyant des nuits parisiennes

Oscar Dufrenne est l’un des noms les plus singuliers du Paris des Années folles. Né en 1880, il commence sa carrière dans les coulisses du spectacle en tant que régisseur et directeur artistique. Mais c’est dans les années '20 qu’il prend véritablement son envol, devenant une figure incontournable du music-hall parisien. Avec son complice Henri Varna dont nous avons parlé ci-dessus, Dufrenne prend la direction de plusieurs grandes salles dont l’Empire, l’Alhambra, mais surtout le mythique Palace, qu’il dirige à partir de 1923. Sous son impulsion, le lieu devient un haut lieu de l’avant-garde du divertissement, flirtant avec l’exubérance, la sensualité, et parfois même la provocation. Oscar Dufreene, c'est «l’audace à la scène comme à la ville».

Dufrenne a le flair pour sentir les évolutions du goût et ne recule devant rien pour surprendre son public. Il mise sur des revues brillantes, rythmées, souvent très visuelles, avec des costumes osés, des chorégraphies suggestives, et un mélange des genres inédit pour l’époque: cabaret, danse moderne, éléments de jazz, un peu de burlesque et beaucoup de panache.

Il n’hésite pas à s’entourer d’artistes venus d’autres horizons – notamment de ce que l'on appelle aujourd'hui la communauté LGBTQ+, à une époque où cela reste largement tabou. Il crée une atmosphère de liberté et d’expérimentation, faisant du Palace une sorte de laboratoire du chic débridé, un peu canaille mais jamais vulgaire. Son goût pour l’audace s’inscrit pleinement dans l’esprit des Années folles, ces années où Paris se veut capitale du plaisir, du style et de la modernité.

La trajectoire de Dufrenne s’interrompt brutalement en août 1933. Il est retrouvé mort dans son bureau au Palace, nu et vraisemblablement assassiné. L’affaire fait grand bruit: l’homme était connu, respecté, mais aussi discret sur sa vie privée. L’enquête évoque un crime à caractère sexuel, mais les circonstances exactes ne seront jamais élucidées. Sa mort, aussi tragique qu’énigmatique, met en lumière un pan plus sombre du Paris nocturne de l’entre-deux-guerres, où se mêlaient faste, liberté, et risques. Dufrenne, qui avait bâti sa carrière sur l’éclat et la transgression, devient malgré lui une figure tragique de cette époque, un peu comme un Gatsby parisien tombé dans les coulisses de son propre rêve.

1.D.4) Autres contributeurs artistiques

Sur le plan de la création artistique, il faut souligner l’apport des chorégraphes et maîtres de ballet, souvent moins connus. Les troupes de danseuses des Folies ou du Casino sont entraînées par des professionnels qui intègrent les danses modernes: par exemple l’Américain Harry Pilcer (partenaire de Mistinguett) contribue à introduire le style du charleston et du fox-trot sur scène.

De plus, les costumiers et affichistes jouent un rôle crucial dans l’identité visuelle des spectacles. Un exemple typique est le jeune dessinateur Charles Gesmar. C’est Mistinguett — LA star du music-hall des années 20 — qui le prend sous son aile. Elle fait de lui son illustrateur attitré, son habilleur, son afficheur, son enchanteur visuel. Gesmar crée pour elle des costumes spectaculaires, des affiches inoubliables, des dessins de scène qui deviennent autant d’icônes du Paris nocturne.

Sa collaboration avec Mistinguett va définir l’esthétique du Casino de Paris à son apogée, sous la direction de Léon Volterra. Les revues deviennent des défilés de fantaisie luxueuse, où les corps sont parés comme des divinités art déco. Chaque robe, chaque décor, chaque affiche signée Gesmar est une explosion de couleur, de sensualité et d’invention graphique.

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De gauche à droite: Affiche pour Mistinguett au Moulin Rouge (1926) - Affiche pour Mistinguett au Casino de Paris (1922) - Affiche pour le spectacle de Barbette (1926) - Affiche pour Elvire Popesco (1925)

Il incarne à merveille l’esprit des Années folles: luxe, insouciance, érotisme raffiné, modernité graphique. À travers ses affiches, il vend du rêve, et ce rêve a un goût de champagne et de plumes d’autruche. Hélas, Gesmar meurt très jeune, à seulement 28 ans, en 1928, d’une pneumonie. Sa disparition choque le milieu du spectacle. On dit que Mistinguett en est restée profondément affectée. Il laisse derrière lui des centaines de croquis, d’affiches, de maquettes de costumes et de décors.

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Affiche de «La Revue Nègre»
Paul Colin

On peut aussi mentionner l’illustrateur Paul Colin, formé aux Beaux-Arts de Nancy et arrivé à Paris dans les années 1910 pour travailler dans la publicité et la décoration. Mais c’est dans les années '20 qu’il explose littéralement en devenant l’affichiste le plus influent du théâtre et du spectacle vivant.

Son œuvre la plus célèbre est sans doute l’affiche de la Revue Nègre, spectacle qui fait découvrir à Paris un nouveau monde sonore et visuel, celui du jazz et de la culture afro-américaine. Cette affiche – avec une Joséphine Baker stylisée, cambrée, en mouvement – est emblématique de l’époque. Elle mêle lignes anguleuses, couleurs franches, formes géométriques: influence du cubisme, du futurisme et de l’art déco. C’est un choc visuel : moderne, audacieux, vibrant, et profondément inscrit dans l’air du temps.

Colin a réalisé plus de 1.900 affiches au cours de sa carrière, pour des spectacles de théâtre (Cocteau, Pitoëff, Jouvet…), des revues et concerts, des galas, des cabarets et des films.

L’ensemble de ces talents – des régisseurs aux décorateurs, des chefs d’orchestre (tels Raymond Legrand débutant alors) aux auteurs de chansons – concourt à faire des spectacles parisiens des années 20 un produit artistique complet, sophistiqué et reconnu internationalement.