Au fur et à mesure que les années '20 progressaient, il semblait que les théâtres du West End de Londres étaient inondés d'importations américaines. À contrario, le nombre de comédies musicales britanniques dignes d'exportation était infime. La situation s’était inversée en 20 ans… Mais au milieu de cette tendance, deux producteurs ont tenté de résister : André Charlot et Charles B. Cochran. Il est vrai qu’ils avaient à leur disposition une pléiade de talents extraordinaires...
A) Les producteurs André Charlot et Charles B. Cochran
Avec plus de 45 musicals à son actif, André Charlot (1882-1956), né à Paris, fut l'un des producteurs les plus prolifiques du West End londonien du XXe siècle. Les Revues qu’il a produites dans les années ’20 étaient d’un genre intime, s'appuyant sur une simplicité élégante plutôt que sur le grand-spectacle. Charlot a réalisé des effets éblouissants avec des budgets serrés, mettant en valeur des talents britanniques exceptionnels.
Cochran est né lui dans le Sussex et a fait ses études à Brighton, Hove et Sussex Grammar School. À l'âge de 18 ans, il se rend à New York et apparaît dans une adaptation de Around the World in Eighty Days, puis tourne dans une adaptation de Rip Van Winkle. Pendant trois ans, il a été l’assistant personnel de Richard Mansfield, qui a compris que le talent de Cochran était plus dans la gestion que dans le métier d’acteur. Cochran a alors «tout fait»: producteur de Vaudeville, représentant de la presse, attaché de presse pour un cirque aux puces, un spectacle de médecine, des matchs de boxe, un rodéo, et d'autres divertissements aux États-Unis et plus tard au Royaume-Uni. Il a vendu des stylos-plumes à l'Exposition universelle de Chicago en 1893. C’est ce qu’on appelle «se former sur le tas»… Il commence à produire du théâtre sérieux en 1897, avec John Gabriel Borkman d'Ibsen, à New York. Cochran rentre à Londres en 1902 comme producteur. À partir de 1904, il fait la promotion de spectacles de lutte ainsi que des spectacles mettant en vedette Harry Houdini et Odette Dulac.
En 1911, Cochran a connu un premier grand succès avec la pièce The Miracle. Un autre spectacle notable a été Houp La! en 1916. Cela lui permet, l’année suivante, de devenir responsable des productions du prestigieux Oxford Music Hall, dont le succès The Better 'Ole () (1917, 811 représentations) s’est joué plus de 800 représentations.
Très vite, Cochran a commencé à manifester un intérêt pour bon nombre de théâtres londoniens connus, que ce soit en tant que futur locataire ou propriétaire potentiels.
À partir des années '20, après un revers financier majeur, il produit des revues musicales et des spectacles en concurrence directe avec André Charlot, et collabore régulièrement avec Noël Coward dont il produit les plus célèbres pièces et comédies musicales. Il monte également les productions londoniennes de quelques comédies musicales de Cole Porter. Il a également produit les Ballets Russes et a dirigé le Royal Albert Hall pendant 12 ans. Cochran a été fait chevalier en 1948.
B) Noël Coward
B.1) Un véritable OVNI
Noël Coward (1899-1973) est une personnalité majeure des arts de la scène britannique. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que l’un des théâtres londoniens du West-End porte actuellement son nom.
Mais il s’agit d’un vrai «OVNI»: Noël Coward était à la fois dramaturge, compositeur, metteur en scène, acteur et chanteur, mais il était surtout connu pour son esprit, sa flamboyance et ce que le magazine Time appelait «un sens du style personnel, une combinaison d’impertinence et de chic, de prétention et d'élégance».
Coward a fréquenté une académie de danse à Londres dès l’enfance, faisant ses débuts professionnels sur scène à l'âge de onze ans. Adolescent, il a été introduit dans la haute société, univers dans lequel la plupart de ses pièces se dérouleront. Coward a connu un succès durable en tant qu'auteur dramatique, publiant plus de 50 pièces à partir de son adolescence. Plusieurs de ses œuvres sont encore jouées régulièrement de nos jours. Il a composé des centaines de chansons, en plus d'une douzaine d'œuvres de théâtre musical, des scénarios, de la poésie, plusieurs volumes de nouvelles, un roman et une autobiographie en trois volumes.
La fascinante carrière de Noël Coward s'étend sur six décennies, au cours desquelles il a joué dans nombreuses de ses propres œuvres.
Mais nous parlions d’OVNI? Au début de la Seconde Guerre mondiale, Coward se porte volontaire pour le travail de guerre, à la tête du bureau de propagande britannique à Paris - avant que les allemands n'y arrivent! Il a également travaillé pour les services secrets, cherchant à utiliser son influence pour persuader le public et le gouvernement américains d'aider la Grande-Bretagne. Coward a remporté un Oscar d’honneur en 1943 pour son film de guerre In Which We Serve et a été fait Chevalier en 1969, devenant Sir Noël Coward...
Dans les années ‘50, il a connu un nouveau succès en tant qu'interprète de cabaret, chantant ses propres chansons. Ses pièces et chansons ont atteint une nouvelle popularité dans les années ‘60 et 1970, et son travail et son style continuent d'influencer la culture populaire d’aujourd’hui.
Noël Coward avait ses secrets, comme tout le monde... Il n'a jamais reconnu publiquement son homosexualité, mais elle a été abordée franchement après sa mort par des biographes, y compris Graham Payn, son partenaire de longue date, et dans les journaux intimes de Coward et ses lettres publiées à titre posthume.
L'ancien Albery Theatre (à l'origine le New Theatre) de Londres a été rebaptisé le Noël Coward Theatre en son honneur en 2006.
B.2) Jeunesse
Noël Coward est né le 16 décembre 1899, recevant son prénom du fait que la Noël n'était plus qu'à quelques jours, Il a été élevé comme un garçon de la classe ouvrière dans la banlieue londonienne de Teddington. Son lieu de naissance existe toujours, une maison en brique mitoyenne assez commune à Teddington, un village de banlieue tranquille près de Londres, en Angleterre. Un coup d'œil à ce bâtiment vous convaincrait que de grandes choses peuvent commencer dans les endroits les plus modestes.
Son père, Arthur Coward, était un vendeur de pianos sans succès avec peu d'ambition personnelle, ce qui entraînait souvent de mauvaises finances familiales. Le premier fils de la famille était mort en bas âge. Violet Coward, la mère de famille, a montré une dévotion incroyable à Noël et a fait de son mieux pour dissimuler la pauvreté de la famille. Noël était l'attraction vedette de la famille. Il faut dire que dès son plus jeune âge, Coward possédait une intelligence naturelle; il était un lecteur avide et un interprète instinctif avec une ambition insatiable d'apprendre et de réussir.
Sa mère ambitieuse - et, comme nous l'avons dit, totalement dévouée à son fils - l'avait dès son plus jeune âge envoyé suivre des cours de chant à la Chapel Royal Choir School (qu'il méprisait) et des cours de danse (qu'il appréciait) dans une académie à Londres.
Le premier engagement professionnel de Coward fut en janvier 1911 dans la pièce pour enfants The Goldfish. Dans Present Indicative, le premier volume de ses volumineuses mémoires, Noël Coward écrit:
«One day ... a little advertisement appeared in the Daily Mirror.... It stated that a talented boy of attractive appearance was required by a Miss Lila Field to appear in her production of an all-children fairy play: The Goldfish. This seemed to dispose of all argument. I was a talented boy, God knows, and, when washed and smarmed down a bit, passably attractive. There appeared to be no earthly reason why Miss Lila Field shouldn't jump at me, and we both believed that she would be a fool indeed to miss such a magnificent opportunity.»
Noël Coward
L'acteur-manager Charles Hawtrey, que le jeune Coward idolâtrait et dont il a beaucoup appris en matière de théâtre, le lança dans la pièce pour enfants Where the Rainbow Ends, en 1911 et 1912 au Garrick Theatre dans le West End de Londres. En 1912, Coward (12 ans) se produisit également au Savoy Theatre dans An Autumn Idyll (en tant que danseur dans le ballet) et au London Coliseum dans A Little Fowl Play, de Harold Owen, dans lequel son protecteur Charles Hawtrey joue également. Italia Conti engagea Coward pour se produire au Liverpool Repertory Theatre en 1913, et la même année, il a joué le rôle de Lost Boy Slightly dans Peter Pan. Il réapparaît à nouveau dans Peter Pan l'année suivante, et en 1915 il est de nouveau dans Where the Rainbow Ends.
Coward a été précoce à tous niveaux: il a admis plus tard avoir eu sa première expérience sexuelle à 13 ans avec un autre enfant acteur Philip Tonge. Il faut dire qu'il a travaillé avec de nombreux autres enfants-acteurs dans cette période: Hermione Gingold (sa mère traitait Noël de «mauvais garçon»), Fabia Drake, Esmé Wynne, Alfred Willmore et Gertrude Lawrence qui, comme l’écrit Coward dans ses mémoires, «m'a donné une orange et m'a raconté quelques histoires légèrement salaces, et je l'ai aimée à partir de ce moment-là.»
Mais son amitié adolescente la plus proche était avec l'actrice et auteure en herbe Esmé Wynne. Ils partageaient des conversations si intenses qu'ils se baignaient parfois ensemble pour ne pas interrompre une ligne de pensée. Coward et Wynne ont échangé des vêtements à l'occasion, se promenant dans Londres en genre inversé, Coward habillé en femme et Wynne en homme. Avec le temps, leur amitié s'est estompée, mais leurs farces et leurs plaisanteries pleines d'esprit inspireraient du matériel dans de nombreuses pièces futures de Coward.
Au début des années 1900, l'Angleterre était une société très consciente des classes sociales. Un garçon acteur né de parents pauvres était snobé par les classes supérieures. Cependant, la détermination et le charme extraordinaires de Coward lui ont valu une entrée dans les cercles les plus chics. Ses ambitions professionnelles et sociales étaient insatiables. L'ascension sociale de Noël a commencé grâce à son amitié d'adolescent avec l'artiste adulte Philip Streatfeild.
En 1914, alors que Coward avait à peine 14 ans, il devint le protégé et probablement l'amant de Philip Streatfeild, un peintre de la haute société. Streatfeild le présente à une riche mondaine Mme Astley Cooper et à ses amis de cette High Society. Streatfeild mourut de tuberculose en 1915, mais Mme Astley Cooper continua d'encourager le protégé de son ami défunt, l'invitant fréquemment dans sa propriété Hambleton Hall. Il y a découvet un monde, un style de vie: majordomes et femmes de chambre, repas formels, équitation et chasse. Coward a prospéré dans cet environnement sophistiqué, son premier aperçu du monde élégant qu'il immortalisera un jour dans plusieurs de ses comédies.
Coward a continué à se produire pendant la majeure partie de la Première Guerre mondiale, jouant au Prince of Wales Theatre en 1916 dans The Happy Family puis en tournée avec la Compagnie d'Amy Brandon Thomas dans Charley's Aunt. En 1917, il apparaît dans The Saving Grace, une comédie produite par Charles Hawtrey. Coward se souvient dans ses mémoires:
«Mon rôle était assez grand et ce fut très agréable en raison de la gentillesse de Charles Hawtrey. Il a eu des ennuis sans fin avec moi ... mais il m'a appris au cours de ces deux courtes semaines de nombreuses techniques de comédie, que j'utilise encore aujourd’hui.»
Noël Coward
Coward était trop jeune pour être enrôlé lorsque la guerre a éclaté en 1914, mais, alors que sa carrière d'acteur se révélait très prometteuse, en 1918, Coward s’est enrôlé dans les Artists Rifles (un régiment de volontaires qui regroupait des artistes de toutes origines, désireux de combattre pour le Royaume-Uni). Une légère blessure à la tête subie lors d'un exercice d'entraînement a fait sombrer Coward dans une forte dépression. Après neuf mois de service passés principalement à l'hôpital, un médecin sympathique l'a aidé à obtenir une décharge médicale honorable. Bien que soulagé d'être à nouveau un civil, Noël a constaté que la demande pour ses talents d'acteur s'était évaporée. Cette année-là, il apparaît dans le film Hearts of the World de D. W. Griffith, mais dans un petit rôle non crédité. Il a continué à auditionner, mais sans aucun résultat.
Pour aider financièrement sa famille, il a publié des nouvelles dans plusieurs magazines. Son futur métier principal était en train de naître... Sa mère, toujours solidaire, a transformé la maison familiale de Londres en pension de famille, où elle a travaillé sans relâche pour que Noël puisse poursuivre ses rêves théâtraux. Le père de Noël, ne cherchant plus d'emploi formel, semblait content de laisser sa femme prendre les choses en main.
Il commence également à écrire des pièces de théâtre, collaborant sur les deux premières – Ida Collaborates (1917) et Women and Whisky (1918) – avec son amie Esmé Wynne. Sa première œuvre solo en tant qu’auteur est The Rat Trap () (1918) qui sera créée 8 ans plus tard à l'Everyman Theatre, Hampstead, en octobre 1926.
«J’ai senti, pour la première fois avec une réelle conviction, que je pouvais vraiment écrire des pièces… Je ne crois pas que cela ait jamais été fait depuis sa production originale, même par des amateurs, ce qui est dommage, comme j’aimerais le voir.»
Noël Coward à propos de «The Rat Trap»
C'est au cours de ces «années de lutte que Coward a rencontré pour la première fois Lorn McNaughtan, une femme dont le sens de l'organisation et le langage salé en ont fait le choix parfait pour être la secrétaire privée de Noël - un rôle qu'elle remplira jusqu'à sa mort plus de quarante ans plus tard.