A) Un fleuve et des bateaux
Le Mississippi traverse le centre des Etats-Unis depuis le Nord du pays jusqu'au Sud. Mais si l’on considère toutes les rivières qui s’y jettent, on peut dire que le bassin hydro-graphique du Mississippi est le plus grand d'Amérique du Nord et le troisième du monde, derrière celui de l'Amazone et du Fleuve Congo. Bien avant le train et la route, le Mississippi a été une route vitale pour le commerce et les voyages, reliant des milliers de villes et de villes au golfe du Mexique.
Dès les années 1830, ce fleuve a accueilli des théâtres flottants connus sous le nom de «show-boat».
Après la guerre de Sécession, ces navires sont devenus pendant près d’un demi-siècle extrêmement populaires.
Une des belles manières de visualiser ce qu’étaient les «show-boat», cela pourrait être de regarder les adaptations au cinéma du musical Show Boat (), par exemple celle de la MGM en 1951. C’est surtout le meilleur moyen d’en avoir une idée fausse car ce film est rempli de magnifiques bêtises. Les bateaux-spectacles n’ont jamais été automoteurs car les énormes machines nécessaires pour faire tourner les roues à vapeur n’auraient pas laissé assez de place pour un théâtre. Un vrai «show-boat» était un théâtre rectangulaire de deux étages simplement posé sur une barge. Et cet ensemble était poussé par une embarcation séparée à vapeur appelée un «remorqueur» – injustement puisqu’il poussait et ne remorquait pas. C’est ce que l’on voit très bien sur ces photos du Majestic (même si ce petit bateau ne date que de 1923, il est un bon exemple).
Un «show boat» peut avoir quelques pièces à sa proue ou à sa poupe, pouvant servir de loges ou de cabines pour les artistes. Mais la majeure partie de l’espace était réservé à la salle qui sur certains bateaux pouvait accueillir jusqu’à sept cents spectateurs. L’étage inférieur était réservé aux spectateurs blancs (25¢ le siège). Le balcon était réservé aux Noirs, qui payaient eux 10¢.
Le spectacle typique présenté dans un «show-boat» était le mélodrame, souvent sous sa forme la plus simple, celle où le bien triomphe du mal. Si un bateau restait dans une ville pendant plusieurs soirs, la compagnie présentait un spectacle différent chaque soir. Après le spectacle principal, des membres de la troupe proposaient aussi des chansons, des danses et des sketchs comiques. Le passage annuel de ces bateaux était annoncé par un grand défilé pour stimuler la vente de billets. Après 1915, le succès grandissant du cinéma muet a fortement réduit la demande de «show-boat». Quelques-uns ont survécu, mais cela ressemblait plus à un témoignage historique, presqu’une sorte de musée vivant.
B) Edna Ferber publie le roman «Show Boat»
En août 1924, Edna Ferber – une auteure de roman et de pièces de théâtre, pas très connue à cette époque – assistait dans un théâtre à la première représentation de sa pièce Minick. Mais la soirée a été perturbée par une invasion de chauves-souris qui avaient élu domicile, sans être détectées, dans les lustres du théâtre. Les spectateurs, affolés, se précipitèrent vers les sorties. Alors que la troupe se remettait de cette débâcle, Winthrop Ames, le producteur a dit en plaisantant:
La prochaine fois, on ne va plus s’embêter avec tout ça. Nous allons affréter un bateau et nous allons simplement nous laisser dériver le long des rivières et jouer dans les villes que nous traverserons.
Edna Ferber (1960). «A Peculiar Treasure» New York: Doubleday. pp. 297–304
Même si, comme nous l’avons vu, les «show-boats» avaient très largement sillonné les rivières des États-Unis des années 1870 aux années 1930, Edna Ferber, n’en avait jamais entendu parler. Elle fut immédiatement intriguée:
C’était, je pensais, l'un des aspects les plus mélodramatiques et les plus magnifiques de l’âme américaine qui m'avait alors échappé. Ce n'était pas seulement du théâtre – c'était le théâtre plus le glamour d’une vie vagabonde et errante, le côté intrigant des villes fluviales, le mystère et la terreur du Mississippi lui-même ... J'ai passé un an à traquer toute information disponible sur les «showboats»: j’ai beaucoup lu, interviewé, pris des notes et à fait des schémas.
Edna Ferber (1960). «A Peculiar Treasure» New York: Doubleday. pp. 297–304
En 1925, Edna Ferber s'est rendue à Bath en Caroline du Nord, et a passé quatre jours à bord de l'un des «show boats» du pays, le James Adams Floating Theatre qui sillonnait la rivière Pamlico et le Great Dismal Swamp Canal. Les informations qu’elle a rassemblées, en particulier les souvenirs de Charles Hunter, le metteur en scène et acteur principal des spectacles de ce bateau. Tout cela lui a fourni un trésor d’information sur les «show-boats» de quoi écrire une histoire humaine, touchante et vraie. Ferber a passé l'année suivante en France et à New York à écrire son roman Show Boat, et l'a publié à l'été 1926.
Ce livre et son subtil mélange de romance, de représentation réaliste des problèmes raciaux et de la nostalgie d'un passé américain disparu a été un succès immédiat auprès d'un public américain encore affecté par la Première Guerre mondiale.
Le roman a été numéro un sur les listes de best-sellers pendant douze semaines.
L'accueil critique a été lui beaucoup plus prudent, mais presque toujours positif. Dans sa revue du New York Times, Louis Kronenberger a écrit:
Avec Show Boat, Miss Ferber s'impose non pas comme une auteure créant une littérature de premier ordre, mais comme l’une de celles qui racontent de magnifiques histoires. Ce n'est rien d'autre qu'une histoire irrésistible; et cela, sûrement, est suffisant.
"Show Boat is High Romance; Edna Ferber Goes Barnstorming Down the Old Mississippi"
Louis Kronenberger (New York Times - 22 août 1926)
Quoi qu’il en soit et même si elle n’avait jamais posé les yeux sur le Mississippi – elle s'était rendue à Bath en Caroline du Nord pour préparer son roman – Edna Ferber a imaginé la saga de Magnolia Hawks qui s’étend sur 50 ans. Née et élevée sur un «show-boats» du Mississippi, Magnolia doit survivre à l’amour, la chance, le chagrin, la pauvreté, la renaissance et la célébrité de Broadway. En cours de route, elle voit d’autres brisés par le sectarisme, le jeu, l’alcoolisme et le passage implacable du temps. En fin de compte, elle retournera à sa vie sur la rivière.
Vu le succès du roman, Edna Ferber a pu rêver d’une adaptation pour le grand écran. Mais son roman allait avoir un avenir auquel elle n’aurait jamais pu penser…