A) Ne mélangeons pas tout...
Nombreux sont ceux qui pensent que le genre se résume à l'apparition de quelques stripteaseuses... Mais c'est résumer un genre à ce qu'il est devenu durant ses années de déclin. À son époque de gloire, le burlesque était une forme de spectacle drôle et musical qui on passionné l'Amérique et l'Angleterre de 1840 jusque dans les années 1960.
A contrario, certains historiens ont pris l'habitude d'envelopper le burlesque d'une respectabilité intellectuelle. Bien sûr, on assistait au développement de chansons et de scénettes transgressives, mais l'attraction principale du burlesque restait le sexe: sous la forme d'humour licencieux et aussi de femmes habillées mais qui révélaient une certaine impudeur.
Alors, même si nombreux sont ceux qui critiquent le burlesque, il a eu une influence considérable sur le divertissement populaire de notre époque.
«Without question, however, burlesque's principal legacy as a cultural form was its establishment of patterns of gender representation that forever changed the role of the woman on the American stage and later influenced her role on the screen... The very sight of a female body not covered by the accepted costume of bourgeois respectability forcefully if playfully called attention to the entire question of the "place" of woman in American society.»
«Horrible Prettiness: Burlesque and American Culture» - Robert G. Allen - Univ. of North Carolina Press, Chapel Hill, 1991
Au 19ème siècle, le terme burlesque s'appliquait à de nombreuses pièce drôle, qu'elles soient musicales ou non. Ces œuvres amusaient les basses classes et les classes moyennes des sociétés anglaises et américaines, en parodiant ("burlesquing") les opéras, les pièces où les habitudes sociales chères aux hautes classes sociales: tout, depuis Shakespeare jusqu'à la mode de l'époque concernant le chanteur d'opéra suédois Jenny Lind, pouvait donner naissance à un spectacle burlesque.
A Broadway, les productions burlesques avec les acteurs William Mitchell, John Brougham et Laura Keene furent parmi les plus populaires du milieu du XIXème siècle. Dans les années 1860, le burlesque britannique présentait des actrices, très bien proportionnées, habillées légèrement, tout ceci dans le but de captiver le public. Il faut dire que l'Angleterre était en pleine époque victorienne, époque où les femmes "bien" portaient de longues robes pour cacher leurs corps. La possibilité de voir de jeunes femmes "moins" vêtues, en faisait frissonner plus d'un.
B) Lydia Thompson, star du burlesque
A la fin des années 1860, la troupe burlesque anglaise de Lydia Thompson est devenue un des plus grands succès théâtraux à New-York.
Leur premier spectacle était Ixion (1868), une parodie mythologique qui présentait des femmes dans des collants explicites jouaient des rôles d'hommes.
Des femmes légèrement vêtues qui jouent des agresseurs sexuels, tout cela dans une bonne comédie, mise en scène et produite par une femme?
INIMAGINABLE!
Pas étonnant, que les hommes, parfois accompagnés de leurs femmes aventureuses, se soient rendus en masse pour admirer Thompson et ses "blondes britanniques", la chose la plus chaude qu'il ait été donner de voir jusque là dans le show business américain.
La demande de billets a été telle qu'Ixion a bientôt été transféré dans le plus prestigieux théâtre de musicals de New-York, le Niblo's Garden où avait été créé triomphalement The Black Crook () (voir chapitre suivant ) deux années plus tôt (qui, rappelons-le est par beaucoup considéré comme le premier musical américain).
La preuve du succès est simple: la première saison de Thompson à New-York a rapporté une recette brute de plus de 370.000$.
Lydia Thompson, puis ses imitateurs, ne se sont pas ennuyé à engager des compositeurs. Ils ont utilisé des mélodies existantes d'arias d'opéra et des chansons populaires de l'époque, en les incorporant à l'action pour créer un effet comique ou sentimental. Pour éviter des problèmes d'autorisation d'utilisation des œuvres, tant musicales que littéraires, les textes n'étaient jamais publiés. En fait, les textes changeaient tout le temps (quelquefois de semaines en semaines).
Il est historiquement très difficile de savoir ce qui se disait durant ces shows, nous n'en avons que peu de traces. Par contre, une chose est sûre: le public adorait! La presse, au début, a été assez enthousiaste. Et puis, sous l'influence de gens riches et bienpensants - qui avaient bien souvent une influence directe, car financière, sur les journaux - les avis devinrent plus mitigés. Certains éditoriaux dénonçaient le côté indécent des burlesques. Mais cela eut, le plus souvent, l'effet contraire. Or plus on disait que c'était choquant, au plus les spectateurs se ruaient pour se rendre compte par eux-mêmes.
Les Américains ont commencé à créer leurs propres burlesques, et quelques-uns ont recueilli un grand succès auprès du public. Le compositeur Edward E. Rice s'est associé avec l'acteur Henry Dixey pour créer Adonis (1874), l'histoire d'une statue à qui l'on donne vie mais qui, expérimentant l'existence humaine demande bien vite de redevenir statue, dégoûtée par la folie humaine. Le spectacle a connu plus de 500 représentations à New York et a fait une tournée qui a duré des années.
C) Le style
Dans les années 1880, ce sont des hommes qui ont majoritairement repris l'organisation des tournées burlesques. Par conséquent, l'esprit féminin, qui était omniprésent dans les premières années, a été remplacé progressivement par une détermination à dévoiler autant le corps des femmes que les lois locales le permettaient. Mais, même alors, l'obscénité et la vulgarité ont été évitées. Le but était de parodier et de titiller, jamais d'offenser.
Le burlesque a subi un changement profond lorsque Michael Leavitt a produit des spectacles de variétés burlesques qui utilisent le même format que celui des minstrels, en trois actes:
- Acte 1 - Toute la troupe en vêtements du soir ou de cérémonie amuse le public avec des chansons et des plaisanteries.
- Acte 2 - Un "olio" de différents numéros de variété (chanteurs, comiques, pièces satirique, etc.).
- Acte 3 - Un burlesque musical complet en un acte. Cela allait de parodies de Shakespeare comme Much Ado About Nothing ou A Merchant of Venice à une caricature d'un spectacle de Gilbert et Sullivan appelée The Mick Hair-Do (une parodie de The Mikado ()).
A partir de 1905, les propriétaires de théâtres burlesques ont formé des circuits, un peu comme ceux du vaudeville. Vu que les spectacles se jouaient majoritairement en tournée dans ces théâtre on avait l'habitude les surnommer wheels (roue).
Les plus grands furent la Columbia Wheel (Est des USA), Mutual Wheel et l'Empire Wheel (Ouest des USA). A la différence des artistes du vaudeville qui cherchaient des engagements d'une semaine pour des numéros individuels, les artistes de burlesque passaient une saison de quarante semaines entières en voyageant au sein d'une troupe complète.
Pendant plus de trois décennies, ce système a fait du burlesque une source de travail stable.
La plus grande étoile burlesque du début du 20ème siècle était la danseuse Millie DeLeon, une brune attirante qui lançait ses jarretières dans le public et "oubliait" parfois d'enfiler ses collants. Elle fut arrêtée plusieurs fois, mais cela participa à se célébrité, et à son succès.
Bien que les artistes des vaudevilles aient méprisé ceux des burlesques, plus d'un membre d'une troupe du vaudeville a évité la faillite en paraissant dans un burlesque, souvent sous un nom d'emprunt, pour éviter tout embarras.
A partir des années 1880, les comédies burlesques représentaient des situations familières à la classe ouvrière et aux classes sociales pauvres. L'action se déroulait dans un tribunal, au coin d'une rue ou dans une salle de classe. Les insinuations sexuelles étaient omniprésentes, mais il s'agissait plutôt de se moquer du sexe et de ce que les gens étaient prêts à entreprendre pour lui! Quelques exemples...
(Injured Man crosses stage in assorted bandages and casts)
Comic: What happened to you?
Injured Man: I was living the life of Riley.
Comic: And?
Injured Man: Riley came home!
(A buxom Girl drops her purse, and a Comic tries to return it.)
Comic: I beg your pardon.
Girl: What are you begging for? You're old enough to ask for it.
(Minister walks up to a beautiful young woman.)
Minister: Do you believe in the hereafter?
Woman: Certainly, I do!
Minister: (Leering) Then you know what I'm here after.
De nombreuses routines comiques se basaient sur des jeux de mots. Le numéro le plus célèbre était le Who's On First de Bud Abbott et Lou Costello dans lequel ils s'amusaient des surnoms donnés aux joueurs de base-ball populaires.
Un autre numéro populaire s'en est pris aux noms pompeux des entreprises et des cabinets d'avocats:
Man at Desk: (picks up phone) Hello, Cohen, Cohen, Cohen and Cohen.
Caller: Let me speak to Mr. Cohen.
Man at Desk: He's dead these six years. We keep his name on the door out of respect.
Caller: Then let me speak to Mr. Cohen.
Man at Desk: He's on vacation.
Caller: (Exasperated) Well then, let me speak to Mr. Cohen.
Man at Desk: He's out to lunch.
Caller: (Yells) Then let me speak to Mr. Cohen!
Man at Desk: Speaking.
Beaucoup de numéros montraient un perdant qui finissait par se sortir avantageusement d'une confrontation. Une pièce satirique montrait un homme qui poussait une voiture d'enfant. Le bébé hurlait jusqu'à ce que l'homme prenne une bouteille de bière et batte l'enfant caché dans sa poussette jusqu'à ce qu'il se taise. Le père proclame alors: "Cela devrait lui apprendre... ", après quoi un jet d'un liquide jaune émerge de la voiture et le frappe en plein visage. Il y a donc une justice...
Dans les années 1920, les anciens circuits de tournée des burlesques ont fermé, laissant les propriétaires de théâtre un peu perdu car ils devaient maintenant programmer eux-mêmes les spectacles. Le strip-tease parut bien souvent être la solution miracle que la radio, le cinéma ou le vaudeville ne pouvaient offrir.
Il existe bien une dizaine de légendes populaires qui expliquent la naissance du strip-tease, comme dire comme que la bretelle du costume d'une danseuse avait cassé, ou d'autres absurdités du même ordre. En fait, tout a débuté autrement.
En 1893, au Egyptian Theater de la World's Columbian Exposition Midway à Chicago, des danseuses arabes se produisaient pour la première fois aux Etats-Unis. Sol Bloom présentait un spectacle intitulé The Algerian Dancers of Morocco, avec Spyropoulos, qui était ni Egyptienne ni Algérienne, mais Syrienne. Spyropoulos avait pour nom de scène Fatima, mais de par sa taille, elle avait été surnommée Little Egypt.
Spyropoulos en Little Egypt attira toute l''attention sur elle et, en quelque sorte, "vola" le spectacle et rendit populaire ce type de danse, qui fut dès lors référenciée comme "Hoochee-Coochee", ou dans les pays francophones comme la "danse du ventre". Aujourd'hui, le mot "hootchy-kootchy" signifie une danse érotique suggestive.
Trois ans plus tard, en 1896, Ashea Wabe dansa au Seeley Banquet de New-York et récolta un ... succès de scandale. Elle prit aussi le même surnom de Little Egypt. Par la suite, d'autres danseuses ont aussi pris le nom de Little Egypt et se sont lancées dans des tournées aux Etats-Unis, jusqu'au moment ou ce nom est presque devenu un nom commun signifiant danse exotique.
Spyropoulos s'est plaint du fait qu'elle était la Little Egypt originale de la Chicago Fair. Elle fut reconnue comme telle, et elle se plaindra toujours d'être comparée à Ashea Wabe, surtout après les représentation scandaleuses de cette dernière au Seeley Banquet. Spyropoulos dansa encore en Little Egypt au Century of Progress de 1933 à Chicago à l'âge de 62 ans !!! Les frères Minsky, qui après avoir fait faillite dans le vaudeville et le burlesque-clean, ont décidé de se lancer dans la production de show plus ... osés. Et le burlesque allait dès lors se voir affublé d'une réputation sulfureuse...
Une véritable répression juridique a commencé dans le milieu des années 1920, dont la plus connue est la légendaire descente chez les frères Minsky à Manhattan, qui ont inspiré le livre et le film The Night They Raided Minsky's. Les gestionnaires de burlesques ont poussé leurs avocats à invoquer les lacunes juridiques pendant plus de dix ans. Mais le maire réformateur Fiorello LaGuardia a fermé à New York les derniers théâtres burlesques en 1937, les considérant comme des pourvoyeurs de «saletés». Il n'avait pas tout à fait tort – à cette époque, la plupart des spectacles burlesques avaient dégénéré en des shows de strip-tease interrompus seulement par quelques numéros comiques sans intérêt. Les gestionnaires de burlesques étaient à ce point résistant que LaGuardia a du interdire l'utilisation des mots «burlesque» ou «Minsky» dans les annonces publiques.
Certaines sources soulignent les qualités les numéros comiques des burlesques des années 1920 et 1930, mais si l’on veut rester honnête, les hommes se rendaient à ces spectacles burlesques principalement pour regarder les femmes se déshabiller. Et plus les filles se déshabillaient totalement, plus cela plaisait au public. À une époque où la peur du scandale personnel et où les maladies sexuelles étaient monnaie courantes dans les lieux de prostitution, le burlesque est une source d’excitation relativement sûre pour bon nombre de jeunes et d’hommes mariés. La comédie n'était l’attraction centrale du burlesque.
Sans New York, qui avait été la plaque tournante de l'univers du burlesque, les promoteurs restants qui organisaient des tournées aux États-Unis présentaient des spectacles de plus en plus crus. Les meilleures artistes burlesques comiques émigrèrent à la radio et au cinéma, puis à la télévision.
Dans les années ‘60, la pornographie était présente dans de très nombreux théâtres partout aux États-Unis. Mais les hommes n'avaient plus besoin de ces spectacles pour nourrir leurs fantasmes sexuels. Les quelques derniers spectacles burlesques se transformèrent en «soft-pornos kitschs». Un article paru dans Esquire (juillet 1964) décrit comment Blaze Starr tournait son strip-tease en ridicule. Après que l'un de ses seins sorte «accidentellement» de son costume –
Blaze tripped to the microphone. Looking down at her exposed breast, she said, "What are you doing out there, you gorgeous thing?" Then she covered herself. "You got to tell them they're pretty," she said; "it makes them grow" . . . Then she flung herself on the couch and quickly stripped down to a transparent bra and black garter pants. She produced a power puff and asked rhetorically, "Who's going to powder my butt?"
Au cours des dernières décennies, plusieurs revues ont tenté de donner une seconde vie au format burlesque – habituellement avec une strip-teaseuse connue comme Ann Corio en tête d’affiche. Corio et d’autres ont écrit des livres sur le genre, accordant toujours une attention démesurée à l’aspect strip-tease du burlesque. Bon d’artistes du burlesque devinrent des visages familiers à la télévision – et les goûts de Red Skelton, Milton Berle et Jackie Gleason ont fait beaucoup pour redonner vie à ces bons vieux gags «corsés» lors des diffusions télévisuelles. Il a fallu concevoir un véritable hommage à l'ère antérieure au strip-tease pour pouvoir restaurer la réputation initiale du burlesque.
Le hit de Broadway Sugar Babies () (1979 - 1208 représentations) présentait les vétérans de la MGM Mickey Rooney et Ann Miller. Avec des numéros «légèrement» torride, des chansons de l’époque et plein de jolies filles dans le chœur, ce somptueux spectacle a capturé l'esprit comique du burlesque des années 1930 … tout en lui conférant plus de classe que le genre n’en avait jamais vraiment eu. Le seul numéro de strip-tease dans le spectacle se terminait lorsqu'une choriste enlevait son soutien-gorge, libérant une longueur robe de soirée! La clé du succès du spectacle était la comédie.
A burlesque comedian always plays the child of nature. He represents man stripped of moral pretense, lazy, selfish, frequently a victim, but never a pathetic one, because in nine bits out of ten, he blunders into some kind of dubious success . . . The jokes are classy or corny, depending on your point of view. But most of us love jokes we know. They reassure us, and therefore the earth does not yawn at our feet . . . If only we too could make the law an ass, or win five aces in a poker game, or receive an invitation from a lovely lady to meet her 'round the corner for unspecified delights.
Dr. Ralph G. Allen, from the Sugar Babies souvenir program, 1980
Même si l’«âge d'or du burlesque» est révolu depuis longtemps, son héritage est bien vivant. Chaque fois qu'un comédien raconte une blague avec un double-sens, ou chaque fois que Saturday Night Live parodie des politiciens ou des stars de cinéma, en fait on retrouve l'esprit du burlesque.
Les parodies au grand écran telles que Young Frankenstein, Spaceballs ou les films Austin Powers perpétuent clairement la tradition des débuts du burlesque – se moquant des divertissements bien connus, des mœurs sociales, etc.. Shrek 2 (2004) est un superbe exemple du genre de comédie que Lydia Thompson et ses British Blondes proposaient dans les années 1860, s’en prenant dans la bonne humeur à une grande variété de cibles de sociales contemporaines dans une histoire fantastique imaginaire – tout en incitant le public à regarder au-delà des apparences.
La tradition du burlesque «de mauvais goût» se poursuit elle aussi. Chaque fois que The Jerry Springer Show présente la séquence «Jerry breads», où des femmes viennent à la télévision pour … montrer leur seins, on se retrouve dans le cadre classique d’une allumeuse de burlesque – et le public de Jerry Springer rappelle étrangement ceux qui voulaient être émoustillés il y a quelques décennies. On pourrait aussi penser à bon nombre d’émissions de télé-réalité d’enfermement comme Secret Story, …
Dans les années 2000, une vague de «new burlesque» s’est installée dans les théâtres sur les deux côtés de l'Atlantique, mettant en vedette des comiques décapants, des strip-teaseurs et strip-teaseuses mais aussi des numéros visuels. On y retrouve une fois de plus le bon vieux mélange "burly-q". Il est trop tôt pour évaluer pleinement cette tendance, mais le fait que ces spectacles sont apparus spontanément dans des endroits aussi divers que Manhattan, Montréal et Oslo suggère qu’il y a un vrai intérêt pour ce genre, au-delà des barrières physiques et générationnelles.