6.C) Triomphes des années 1920 : et The Vagabond King

Bien que le passage d’une décennie à l’autre ne soit qu’une frontière symbolique, il marque néanmoins un tournant décisif pour l’opérette et le musical. Un véritable changement d’ère s’opère : les figures dominantes de l’opérette, comme Victor Herbert et George M. Cohan, cèdent progressivement la place aux Big Five (Kern, Berlin, Porter, Rodgers et Gershwin). Ces derniers révolutionnent le musical américain en rompant avec les traditions européennes et en intégrant des formes narratives plus modernes, tout en introduisant le jazz et le swing. Nous avons déjà largement exploré cette transformation dans les chapitres précédents.

Dans ce climat de transformation rapide, Rudolf Friml ne disparaît pas pour autant ; au contraire, il s’efforce de suivre le mouvement, adaptant ses œuvres aux nouvelles attentes du public. Toutefois, face aux Big Five, dont le génie redéfinit les codes du musical, il devient difficile de rivaliser sans sembler en retrait. De plus, évoluer vers un nouveau style implique un risque: celui de dérouter une partie de son public, resté attaché aux charmes de l’opérette traditionnelle. Quoi qu'il en soit, changer semble plus facile à dire qu'à faire...

6.C.1) Début des années 1920: peut-on encore parler de succès?

  1921: «June Love» - 48 représentations  La protagoniste, June Love,_n, un11²12ZSLe jeune veuve (interprétée par Else Adler), jette son dévolu sur Jack Garrison (W. B. Davidson), un célibataire qui, par un malentendu, croit qu’elle est mariée à son meilleur ami et ne manifeste donc aucun intérêt romantique envers elle. Mais lorsqu’il découvre qu’elle est en réalité célibataire, l’histoire se conclut par des cloches de mariage pour les deux amoureux.

Les critiques et le public ne se sont pas montrés très enthousiastes face au spectacle, qui a fermé ses portes après seulement six semaines. Il faut dire que L’histoire de June Love manquait de profondeur et d’originalité. À une époque où les intrigues devenaient plus dynamiques et modernes, le livret semblait déjà dépassé. Malgré ses efforts, le style de Friml paraissait daté, alors que le public réclamait des œuvres plus rythmées et plus américaines dans leur sonorité.

  1922: «The Blue Kitten» - 140 représentations  The Blue Kitten de Rudolf Friml a connu un succès modéré, se maintenant quatre mois à l’affiche. Cette comédie musicale était une version assagie d’une farce française plus audacieuse, adaptée pour le public américain.

L’intrigue se déroule au Blue Kitten, un restaurant parisien animé, dirigé par Théodore Vanderpop (Joseph Cawthorn). Ce lieu haut en couleur attire les danseuses des Folies Bergère, comme Chi Chi et Totoche, ainsi que des figures typiques de la vie nocturne parisienne, à l’image de Giglais, décrit dans le programme comme un "bon vivant parisien". Mais Vanderpop ne se contente pas d’être le propriétaire du Blue Kitten: il y joue aussi les rôles de maître d’hôtel, videur, prêteur d’argent et confident discret pour une clientèle en quête de discrétion. Comme le note Alexander Woollcott dans le New York Times, "Vanderpop s’épanouit comme un laurier et prospère comme un contrebandier."

En réalité, Vanderpop mène une double vie. Lorsqu’il quitte son restaurant, il redevient un respectable gentleman campagnard dans son domaine de Fontainebleau, où son épouse Lucile (Jean Newcombe) et sa fille Madeleine (Lorraine Manville) le croient rédacteur en chef d’un grand journal parisien. Elles ignorent que leur train de vie repose sur les revenus d’un simple restaurant, et même en partie sur les pourboires de Vanderpop.

Mais tout bascule lorsque Vanderpop découvre que sa fille est fiancée à l’un des plus célèbres séducteurs du Blue Kitten, le marquis Armand Duvelin (Douglas Stevenson). Si Vanderpop connaît très bien la réputation de noceur du marquis, Armand, de son côté, sait tout sur la double vie de Vanderpop. Chacun a donc un secret à protéger, et un chantage implicite s’installe entre eux… jusqu’au moment où les masques tombent!

Une production londonienne a ouvert ses portes le 23 décembre 1925 au Gaiety Theatre, où elle est restée à l’affiche pendant quelques mois. La distribution comprenait notamment Bobby Howes, Ethel Levey et Roy Royston. Des chansons supplémentaires ont été composées par Howard Carr.

  1923: «Cinders» - 31 représentations  Après ce demi-succès (ou demi-échec) Friml a enchaîné avec une comédie musicale qui ne s’embarrassait pas des conventions. Son héroïne (Nancy Welford) est une jeune orpheline pauvre mais vertueuse, employée comme coursière dans une maison de couture. Un jour, chargée de livrer une somptueuse robe de bal à une élégante mondaine, elle décide, sur un coup de tête digne des meilleures comédies musicales, de la porter elle-même et de s’inviter discrètement à un prestigieux bal de charité, organisé par l’aristocratique Mrs. Horatio Winthrop (Margaret Dale). Lors de la soirée, elle fait la rencontre de John Winthrop (W. Douglas Stevenson), un jeune héritier riche, charmant et célibataire, qui n’est autre que… le fils de Mrs. Winthrop ! Coup de foudre instantané et promesse d’un avenir radieux… jusqu’à ce qu’un vol de bijoux ne vienne gâcher la fête. Accusée à tort, l’héroïne est heureusement innocentée, et le couple peut enfin partir vers son "happy end"—que ce soit dans un conte de fées ou sur Long Island.

Mais le public n’est pas dupe: ce «Cendrillon» revisité n’a rien de nouveau. Depuis le succès de Irene en 1919, cette histoire a été vue et revue des dizaines de fois. Pour ceux qui n’auraient pas encore saisi l’inspiration du spectacle, le titre lui-même dissipait tout doute: Cinders… comme Cinderella (Cendrillon). Malheureusement, cette recette usée ne prend pas cette fois-ci. Le spectacle de Rudolf Friml s’effondre après seulement 31 représentations, décrochant ainsi le titre peu enviable de comédie musicale la plus courte de la saison!

  1923: «Dew Drop Inn» - 83 représentations  Dew Drop Inn était avant tout le show de James Barton. Le danseur et comédien a reçu des critiques enthousiastes, parmi les plus élogieuses de son époque, notamment pour son style de danse excentrique, qui a littéralement subjugué les spectateurs. Malgré cet accueil favorable, Barton n’a jamais connu de triomphe durable à Broadway. Contrairement à Eddie Cantor, qui enchaînait les succès avec des spectacles comme Kid Boots ou Whoopee, ses productions ne sont jamais devenues de véritables blockbusters.

À New York, Dew Drop Inn a connu deux passages distincts sur scène, mais n’a tenu l’affiche que huit semaines au total avant de partir en tournée. Une fois en tournée, le spectacle s’est progressivement effacé, sans même laisser derrière lui une chanson mémorable qui aurait pu prolonger son existence.

Dans cette comédie musicale, Barton incarnait Ananias Washington, un portier travaillant dans une station balnéaire californienne (dans un rôle joué en blackface, une pratique alors courante mais aujourd’hui reconnue comme offensante). Lorsque l’établissement est mis en vente, Ananias lance une rumeur affirmant qu’un trésor serait caché sur la propriété. Son mensonge ingénieux déclenche une véritable ruée de clients, tous persuadés de pouvoir mettre la main sur une fortune oubliée. En parallèle, une intrigue secondaire suit Bobbie Smith (Robert Halliday), le fils du propriétaire de l’hôtel, et son idylle avec Violet Gray (Mabel Withee), une employée du salon de beauté de l’établissement. On retrouve ici un schéma classique et très apprécié des librettistes de l’époque : le riche héritier tombant amoureux d’une jeune femme de condition modeste.

Malgré ses qualités et la performance saluée de Barton, Dew Drop Inn n’a pas réussi à s’imposer durablement et fait partie des comédies musicales de Broadway tombées dans l’oubli.

6.C.2) 1924: «Rose-Marie»: un triomphe, enfin... (557 représentations)

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Partitions de «Rose-Marie»

Rose-Marie est l’une des plus grandes réussites de Rudolf Friml, et sans doute la dernière opérette américaine d’envergure avant que Broadway ne bascule définitivement vers la comédie musicale moderne. Créée en 1924, elle marie avec succès le lyrisme de l’opérette viennoise et les nouvelles tendances du musical américain, marquant un tournant décisif dans l’évolution du théâtre musical.

Arthur Hammerstein, producteur et fils du célèbre producteur Oscar Hammerstein I, décide de miser sur une grande fresque romantique, ancrée dans un cadre inédit pour Broadway: les montagnes Rocheuses canadiennes. L’action se déroule dans une nature sauvage et majestueuse, contrastant avec les salons mondains des opérettes européennes. L’utilisation de la Police montée canadienne donne une touche exotique et héroïque, inspirant plusieurs films hollywoodiens par la suite.

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«Rose-Marie»
© Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
https://digitalcollections.nypl.org/items/510d47e3-ebcb-a3d9-e040-e00a18064a99

Il confie la musique à Rudolf Friml et à Herbert Stothart, qui deviendra plus tard directeur musical de la MGM. Le livret et les paroles sont signés par Otto Harbach et Oscar Hammerstein II (qui, rappelons-le, deviendra un des grands architectes du musical moderne avec Show Boat en 1927). Ensemble, ils créent un spectacle ambitieux, alliant romance, aventure et intrigue criminelle.

L’intrigue de Rose-Marie se distingue par son intensité dramatique, bien plus marquée que dans la plupart des comédies musicales de l’époque, avec un meurtre au centre de l’histoire.

Rose-Marie La Flamme (Mary Ellis), chanteuse à l’hôtel Lady Jane en Saskatchewan, est follement amoureuse du trappeur Jim Kenyon (Dennis King). Mais leur bonheur est menacé lorsque Jim est accusé à tort du meurtre de Black Eagle (Arthur Ludwig) par Edward Hawley (Frank Greene), un homme riche et influent. Hawley désire Rose-Marie, mais il cache aussi un lourd secret : il entretient une liaison avec Wanda (Pearl Regay), la femme de Black Eagle. Lorsque la vérité éclate, on découvre que c’est Wanda qui a tué son mari, après que celui-ci l’a surprise en flagrant délit avec Hawley. L’innocence de Jim est enfin rétablie, et il peut retrouver Rose-Marie, libre d’aimer celui qu’elle a toujours choisi.

La musique de Rose-Marie s’éloigne de l’opérette européenne classique, tout en conservant son élégance lyrique. On y retrouve:

  • Des valses romantiques, héritées de l’opérette viennoise.
  • Des chœurs puissants, évoquant les paysages grandioses du Canada.
  • Une influence américaine plus marquée, notamment dans le rythme et la structure dramatique des chansons.

Le musical contient des chansons emblématiques:

  • "Indian Love Call" – Le titre phare, un duo d’amour entre Rose-Marie et Jim, devenu un standard mondial après l’adaptation cinématographique de 1936.
  • "Rose-Marie" – Une valse enchanteresse qui donne son nom à l’opérette.
  • "The Mounties" – Un chœur martial qui met en avant la Police montée canadienne, jouant un rôle clé dans l’intrigue.
  • "Why Shouldn't We?" – Un numéro léger et rythmé, annonçant les comédies musicales plus modernes.

L’un des éléments marquants de Rose-Marie est la manière dont les chansons sont intégrées à l’intrigue, un pas vers le "book musical" qui dominera Broadway dans les décennies suivantes.

Rose-Marie est un triomphe dans le monde entier. Voici les principales versions:

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Programme de «Rose-Marie»
au Théâtre Royal Drury Lane
  • 1924 - Broadway (création): 557 reprsentations à l'Imperial Theatre
  • 1925 - Londres: 851 représentations au Theatre Royal Drury Lane. La production originale du West End avait un chœur d'une centaine d'artistes. Ce fut le spectacle provenant de Broadway le plus réussi à Londres après la Première Guerre mondiale jusqu’à ce qu’il soit dépassé par Oklahoma!.
  • 1927 - Broadway: court revival de 48 représentation au Century Theatre
  • 1927 - Paris: au Théâtre Mogador, Rose-Marie tint l’affiche pendant trois ans de suite totalisant 1.250 représentations consécutives. L’ouvrage préfigure le style d’ouvrage à grand spectacle qui fera recette pendant quarante années à Mogador et au Châtelet.
  • 1928 - Film: film muet qui ne fut pas pas un succès. Le réalisateur Lucien Hubbard a déclaré plus tard que le film n’aurait jamais dû être filmé en version muette parce que «l’intrigue stupide dépendait des chansons pour réussir». La MGM a eu plus de chance avec ses versions musicales plus fidèles, en 1936 et 1954.
  • 1932 - Paris: reprise pour 138 représentations au Théâtre Mogador
  • 1935 - Paris: reprise pour 107 représentations au Théâtre Mogador
  • Jeannette MacDonald chante Indian Love Call à Nelson Eddy,
    avec James Stewart, dans le film «Rose-Marie» (1936)
  • 1936 - Film: réalisé par W.S. Van Dyke (MGM). Il s'agit de la version cinéma­to­gra­phique la plus connue, avec Jeanette MacDonald et Nelson Eddy. Bien que l’intrigue ait été modifiée et que la plupart des chansons aient été abandonnées, ce fut un énorme succès et il est devenu le film le plus connu de Jeanette MacDonald et Nelson Eddy. Ce film est aujourd'hui inclus dans la liste 2002 de l'American Film Institute des 400 films nominés pour le top 100 des plus grands films d'amour américains.
  • 1940 - Paris: 258 repré­sentations au Châtelet avec Fanély Revoil à partir du 19 décembre 1940
  • 1942 - Londres: premier revival londonien, en pleine guerre, pour 149 représentations au Stoll Theatre
  • 1944 - Paris: 357 représentations au Châtelet avec Madeleine Vernon à partir du 21 octobre 1944
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    Programmes de quatre versions jouées à Paris de «Rose-Marie»
  • 1954 - Film: réalisé par Mervyn LeRoy. Cette version Eastmancolor en Cinemascope, suivait de plus près l’intrigue originale, mais elle a tout de même abandonné la plupart des chansons de Friml. Cette version mettait en vedette Ann Blyth, Howard Keel et Fernando Lamas, avec Bert Lahr et Marjorie Main dans le rôle du comique.
  • 1960 - Londres: second revival à Londres au Victoria Palace pour 135 représentations
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Affiches des trois adaptations cinématographique de «Rose-Marie»

Le spectacle révolutionne l’opérette américaine et prouve qu’un musical peut être à la fois grandiose, dramatique et accessible au grand public.

6.C.3) 1925: «The Vagabond King»: nouveau succès (511 représentations)

The Vagabond King est un joli petit chapitre dans l'histoire du musical américain, bien que souvent éclipsé par les géants de la même époque. Il s'agit d'une opérette romantique signée bien sûr Rudolf Friml pour la musique, avec des paroles de Brian Hooker et William H. Post.

Le musical est basé sur la pièce If I Were King de Justin Huntly McCarthy, qui romantise la vie de François Villon, poète voleur du XVème siècle, rebelle au grand cœur, sorte de Robin des Bois parisien. Qie est donc ce roi vagabond? Rien d'autre que le poète français François Villon (interprété par Dennis King, qui signe ici son deuxième rôle dans une opérette en moins d’un an; il avait déjà tenu la vedette dans la production originale de Rose-Marie de Friml). Villon est aimé par la tragique fille des rues Huguette (Jane Carroll), mais lui est épris de la noble Katherine de Vaucelles (Carolyn Thomson), une parente du roi Louis XI (Max Figman).

Un jour, le roi, déguisé, entend Villon se moquer de lui. Après avoir consulté son astrologue, Louis décide de faire de Villon le roi d’un jour, espérant que l’ultime acte officiel de Villon-en-tant-que-roi sera de condamner Villon-le-poète à la potence. Mais Villon se montre à la hauteur: alors que le duc de Bourgogne et ses partisans complotent pour renverser Louis, Villon et sa « misérable bande de vauriens » parviennent à vaincre les rebelles, sauvant ainsi la nation et la couronne.

Malheureusement, en tentant de protéger Villon lors d’un duel à l’épée contre le vil Thibaut (Bryan Lycan), Huguette est tuée par ce dernier. Au baisser de rideau, Villon s’est révélé patriote et héros, et le roi consent à son mariage avec Katherine.

Il est clair que l'on est très loin des opérettes de Friml de la fin des années 1910. On est en pleine transition: transition: on sent encore l’esprit de l’opérette viennoise, mais avec des pointes d'américanisation dans la structure et l'humour.

Musicalement, on y trouve de belles envolées lyriques, des mélodies romantiques à souhait, avec des airs restés célèbres comme "Only a Rose" ou "Song of the Vagabonds", ce dernier étant particulièrement martial et héroïque, parfait pour les grandes envolées d’ensemble.

La production originale à Broadway a été un vrai succès, avec Dennis King dans le rôle de Villon — il deviendra d’ailleurs le Villon attitré, reprenant le rôle dans la version cinématographique de 1930. Le musical a tenu l'affiche plus de 511 représentations au Casino Theatre de Broadway, ce qui, pour l’époque, est un énorme succès. Il sera d'ailleurs la 8ème plus longue série d'un musical dans les années '20 à Broadway.

The Vagabond King fut créé à Londres le 19 avril 1927 au Winter Garden Theatre et connut aussi un beau succès avec 480 représentations avec Derek Oldham (Villon), Winnie Melville (Katherine) et Norah Blaney (Huguette).

L'opérette a été reprise à Broadway au Shubert Theatre le 29 juin 1943 pour cinquante-six représentations, avec John Brownlee dans le rôle de Villon, Frances McCann dans celui de Katherine, et Arline Thomson en Huguette. À l’exception de The Song of the Archers, l’intégralité de la partition originale a été conservée.

Deux adaptations cinématographiques ont été produites par Paramount, en 1930 et en 1956:

  • La première, filmée dans un somptueux Technicolor, a conservé six chansons de la production de Broadway : Huguette Waltz, Love Me Tonight, Nocturne, Only a Rose, Some Day, et Song of the Vagabonds. Cinq nouveaux morceaux furent ajoutés, composés par Sam Coslow et Newell Chase, avec, semble-t-il, des paroles de Leo Robin. Réalisée par Ludwig Berger, cette version mettait en vedette Dennis King (reprenant son rôle original de Villon), Jeanette MacDonald (Katherine), Lillian Roth (Huguette), Warner Oland et O. P. Heggie.
  • La seconde adaptation, sortie en 1956, fut réalisée par Michael Curtiz, avec des chorégraphies signées Hanya Holm. On y retrouvait Oreste, alias Oreste Kirkop (Villon), Kathryn Grayson (Katherine), Rita Moreno (Huguette), Cedric Hardwicke, Walter Hampden, Leslie Nielsen, William Prince, Jack Lord, Lucie Lancaster, Richard Tone, Phyllis Newman, et Vincent Price en narrateur. Quatre chansons de l’original furent conservées (Huguette Waltz, Only a Rose, Some Day, Song of the Vagabonds), et Friml composa cinq nouvelles pièces avec des paroles de Johnny Burke : Bon Jour, Vive La You, This Same Heart, Watch Out for the Devil, et Companions (certains sources mentionnent Compatriots comme titre alternatif de cette dernière). Une sixième chanson — Lord, I'm Glad That I Know Thee, paroles de Burke et musique de Victor Young — ne figure pas dans la version finale du film. Le site de l’American Film Institute mentionne encore une autre chanson, A Harp and a Fiddle and a Flute, dont le parolier et le compositeur restent inconnus.

6.C.4) 1926-1927: trois œuvres mineures

En 1926, Friml contribue également à la grande revue Ziegfeld Follies (édition 1925) avec quelques numéros musicaux. Mais après deux triomphes, il va proposer trois œuvres mineures...

  1926: «No Foolin'» - 108 représentations  Là, on entre dans un coin un peu plus poussiéreux de la malle aux souvenirs de Broadway. Ce n’est pas l’œuvre la plus célèbre de Rudolf Friml — et pour cause, elle est souvent considérée comme un flop charmant ou une œuvre de transition.

No Foolin’ a été créée à Broadway en 1926, à un moment où Friml surfait encore sur le succès de The Vagabond King (1925) et, avant cela, Rose-Marie (1924). Mais ici, Friml collabore avec le parolier John Golden et le librettiste Leo Ditrichstein. Le spectacle fut produit par les frères Shubert — preuve qu’on y croyait malgré tout — et mis en scène au Lyric Theatre. Malheureusement, No Foolin’ n’a pas eu la même fortune que les opérettes précédentes : elle a tenu seulement 108 représentations, ce qui à l’époque (et encore plus aujourd’hui) indique un intérêt public plutôt tiède, voire une réception critique mitigée.

De quoi ça parlait? Eh bien… voilà justement une partie du mystère. Contrairement à d’autres œuvres de Friml, No Foolin’ n’a pas vraiment marqué les esprits par son intrigue. Il semblerait qu’elle naviguait entre comédie romantique légère et satire sociale, dans un décor urbain contemporain (donc loin des rêveries médiévales ou exotiques chères à Friml). Le ton était plus léger, moins lyrique, plus proche de la revue que de l’opérette. D'ailleurs certains historiens des musicals classent l'œuvre comme une revue plutôt que comme une opérette ou un musical.

En plus, la concurrence était féroce à Broadway en 1926, avec des auteurs comme Rodgers & Hart, ou Vincent Youmans, qui apportaient des formes musicales plus intégrées et plus «américaines» dans le ton.

  1926: «The Wild Rose» - 61 représentations  The Wild Rose, voilà une autre perle oubliée — ou plutôt une fleur fanée avant d’avoir vraiment éclos! Cette œuvre de Rudolf Friml est aujourd’hui largement méconnue, et pour cause: elle fait partie de ces musicals "perdus dans le flot" de productions des années 1920, et elle n’a pas laissé de trace durable ni dans la mémoire collective, ni dans les anthologies du genre.

Le spectacle fut produit par les Shubert (encore eux), avec un livret signé de Otto Harbach et Oscar Hammerstein II, deux noms plus qu’honorables dans le monde du musical. Autant dire qu’il y avait du beau monde sur le projet. Cependant, malgré cette équipe prestigieuse, The Wild Rose ne rencontra pas le succès espéré. Il n’a tenu l’affiche que 61 représentations, ce qui, comme pour No Foolin’, trahit une réception mitigée, voire franchement tiède.

Peu d'informations précises subsistent sur l’intrigue (ce qui est en soi révélateur de l’impact du spectacle). « Monty » Travers (interprété par Joseph Santley) est un millionnaire américain du pétrole en vacances à Monte-Carlo, où il fait la connaissance d’une jeune femme charmante (jouée par Desiree Ellinger), qui prétend être la fille d’un tavernier. Mais la coquine! Elle est en réalité la princesse Élise de Borovina, et notre héros part bien vite à sa recherche dans ce royaume d’opérette peuplé de rois et de filous, de romances et d’aventures rocambolesques — peut-être un peu plus d’aventure que ce que le touriste Monty avait prévu.

Le père d’Élise, le roi Auguste III (Fuller Mellish), est renversé et échappe de justesse à un attentat, grâce à une bombe que Monty intercepte in extremis. Monty affronte ensuite les soldats, se balance jusqu’au balcon où Élise est retenue prisonnière par le fourbe baron Frédéric (Joseph Macaulay), qui projette de s’emparer du trône et d’épouser la princesse.

Lorsque Monty est emprisonné, Élise accepte d’épouser le baron — à la seule condition que Monty soit libéré. Mais bientôt, l’armée de Borovina reprend le contrôle, Auguste retrouve sa couronne, Élise et Monty sont libres de s’unir, et la princesse échappe au sort funeste d’un mariage avec le sinistre baron. Ouf!

  1927: «White Eagle» - 48 représentations  Voilà une autre œuvre méconnue et un peu oubliée de Rudolf Friml, souvent reléguée dans les marges de l’histoire du musical — et à juste titre, car elle n’a ni marqué la scène, ni laissé de traces musicales durables. Mais c’est justement ce genre de pièce qui, pour un historien du musical, peut s’avérer fascinante. Alors remettons nos gants d’archéologue de Broadway et creusons un peu.

White Eagle est créé à Broadway en 1927, au Casino Theatre. Le livret et les paroles sont signées de Brian Hooker et W.H. Post. Le spectacle n’a eu qu’un succès modeste, avec juste 48 représentations. C’est donc, à l’échelle de l’époque, un échec.

The White Eagle était basé sur la pièce à succès The Squaw Man d’Edwin Milton Royle, créée en 1905. L’histoire met en scène James Wynnegate (interprété par Allan Prior), un Britannique droit et honorable, qui, afin de préserver la réputation de sa famille, accepte d’endosser la responsabilité des fautes commises par un autre membre de celle-ci. Il choisit donc de s’exiler volontairement aux États-Unis, où il devient Jim Carson. Là-bas, il rencontre une jeune autochtone, Silverwing (Marion Keeler), qui lui sauve la vie en tuant un «méchant» notoire. Jim reconnaît en elle une âme sœur, une femme courageuse qui, comme lui, ne recule pas devant la justice. Ils tombent amoureux et se marient. Des années plus tard, Jim apprend qu’il a été innocenté du crime pour lequel il s’était faussement accusé, et qu’il est désormais titulaire d’un titre de lord en Angleterre. Pour permettre à Jim de retourner dans son pays et d’y accomplir son destin, Silverwing se suicide.

Une histoire bien dans l’esprit tragique de l’opérette finissante, mêlant noblesse sacrificielle, exotisme dramatique et romance fatale… La réception critique fut polie, mais tiède. Certains journaux ont loué la qualité des décors ou des costumes, mais peu ont salué l’originalité ou la pertinence du livret ou de la partition.

6.C.5) 1928: «The Three Musketeers»: nouveau succès (318 représentations)

"The Three Musketeers" version 1928, musique de Rudolf Friml - une curiosité méconnue mais pas inintéressante de la scène musicale de Broadway - est une adaptation libre (et assez romantico-dramatique) du roman d’Alexandre Dumas, avec tous les ingrédients attendus: d’Artagnan, Athos, Porthos, Aramis, Milady, le Cardinal, Constance… et une bonne dose de chansons enrobées de panache.

Pour le producteur Florenz Ziegfeld, The Three Musketeers marquait son cinquième succès consécutif. Lors de la saison précédente, Rio Rita avait été créé, et plus tôt dans la saison en cours, on avait vu s’ouvrir la version 1927 des Ziegfeld Follies (avec Eddie Cantor, Cliff Edwards et Ruth Etting, et l’introduction du tube d’Irving Berlin, “Shaking the Blues Away”), ainsi que Show Boat et Rosalie. (Le blockbuster Whoopee allait d’ailleurs être lancé plus tard la même année.)

The Three Musketeers proposait des décors somptueux signés Joseph Urban, la majorité des costumes étaient conçus par John W. Harkrider. La pièce a été créée le 13 mars 1928 au Lyric Theatre et a été jouée 318 fois. La distribution comprenait Dennis King dans le rôle de d’Artagnan, Douglass R. Dumbrille dans le rôle d’Athos, Detmar Poppen dans le rôle de Porthos, Joseph Macaulay dans le rôle d’Aramis, Clarence Derwent dans le rôle de Louis XIII de France, Reginald Owen dans le rôle du cardinal de Richelieu et Vivienne Segal dans le rôle de Constance Bonacieux, le rôle principal féminin, qui poursuivait ici son impressionnant parcours en créant des rôles majeurs dans des opérettes et musicals composés par les plus grands noms.

King reprend son rôle pour une production du West End de 1930 au Theatre Royal de Drury Lane, qui compte 242 représentations. La distribution comprenait également Marie Ney dans le rôle de Lady De Winter, Jerry Verno dans celui de Planchet, Webster Booth dans celui du duc de Buckingham et Arthur Wontner dans celui du cardinal de Richelieu.

Un revival en 1984 avec un nouveau livret de Mark Bramble a été mis en scène par Tom O’Horgan, mais peu de temps avant l’ouverture, Joe Layton a remplacé O’Horgan. Les chorégraphies étaient de Lester Wilson. Après 15 preview, il a ouvert ses portes le 11 novembre 1984 au Broadway Theatre et a fermé après seulement 9 représentations. Un terrible flop.

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On peut dire que The Three Musketeers connaît un beau succès en 1928, mais il marque aussi la fin d’une époque. Avec cette œuvre et The New Moon de son confrère Sigmund Romberg la même année, l’ère de l’opérette américaine triomphante touche à sa fin. En quelques années, la mode du théâtre musical bascule vers de nouvelles formes (comédies musicales jazz, vaudevilles musicaux), reléguant peu à peu l’opérette romantique au second plan.