1.C.7) «Oh Boy!» - Princess Musical - TRIOMPHE

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Oh, Boy! (20/2/1917 – 30/3/1918)

Oh Boy! () (1917, 463 représentations), le premier du trio au Princess Theatre, est aussi la comédie musicale la plus réussie de toutes celles qu’ils présenteront à trois dans ce lieu. Juste pour souligner la puissance de travail du trio, Have a Heart () a ouvert au Liberty Theatre le 11 janvier 1917 et Oh Boy! () au Princess Theatre, le 20 février 1917, seulement six semaines plus tard. C'est ce qu'on appelle «enchaîner». La mise en scène originale est signée Edward Royce, un metteur en scène anglais familier des productions de Kern.

1.C.7.a) Histoire et synopsis

L'intrigue de Oh Boy! () suit George Budd, un jeune homme fraîchement marié à Lou Ellen Carter malgré l’opposition de sa riche tante Penelope. Alors que Lou Ellen est absente, George, bien intentionné, offre refuge à Jackey Sampson, une jeune actrice poursuivie par un agent de police après une fête clandestine mouvementée. George cache Jackey chez lui pour lui éviter l’arrestation, mais la situation dérape lorsque Lou Ellen revient à l’improviste. S’ensuivent une série de malentendus et de fausses identités: pour justifier la présence de Jackey, George la fait passer tantôt pour sa propre épouse, tantôt pour sa tante Quaker auprès des visiteurs inattendus (les parents de Lou Ellen et la vraie tante Penelope). La confusion culmine dans un second acte se déroulant au club de campagne local, où tous les personnages – le juge Carter (père de Lou Ellen), son épouse, la tante Penelope, le policier Constable Simms ... – finissent par se croiser. Après moult péripéties (y compris une tante Penelope involontairement saoule et une Jackey déguisée en respectable Quaker), la vérité éclate. Tous les malentendus sont résolus dans le dénouement: Jackey récupère son porte-monnaie égaré, le juge récupère le discours qu’il avait perdu, la tante consent finalement au mariage, et George peut rassurer Lou Ellen sur la véritable identité de la jeune femme en pyjama. La pièce se conclut sur une note joyeuse, réunissant les jeunes mariés et formant un nouveau couple entre Jackey et son admirateur, Jim Marvin, le meilleur ami de George.

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Carte postale publicitaire pour «Oh, Boy!»
© The New York Public Library Digital Collections. 1917. https://digitalcollections.nypl.org/items/12a74680-5225-013a-3933-0242ac110004

1.C.7.b) Détails de la production originale

La distribution originale est composée d’acteurs alors peu connus, dont plusieurs allaient ensuite faire carrière. Tom Powers tient le rôle principal de George Budd, face à Marie Carroll dans celui de Lou Ellen. Anna Wheaton interprète la pétillante Jackey Sampson et Hal Forde son soupirant Jim Marvin. La fantasque tante Penelope est jouée par Edna May Oliver, qui deviendra célèbre pour ses rôles de vieilles filles excentriques. À noter que deux jeunes chorus girls, Marion Davies et Justine Johnstone, figurent également dans la troupe – Comstock se vantait de les avoir débauchées des Ziegfeld Follies. Davies deviendra une star de cinéma (et la célèbre compagne de William Randolph Hearst), tandis que Johnstone quittera la scène pour une carrière scientifique remarquable.

Après des avant-premières sans accroc, Oh Boy! () ouvre officiellement le 20 février 1917 et reçoit des critiques enthousiastes. Le bouche-à-oreille est excellent: la comédie musicale affiche 463 représentations – un record pour la saison 1916-1917 – et s’affirme comme le plus grand succès de tous les spectacles du Princess Theatre. Devant la demande, le show quitte même le petit Princess Theatre en novembre 1917 pour finir sa carrière au Casino Theatre, une salle plus grande. Cette longévité exceptionnelle consacre Oh Boy! () comme l’une des comédies musicales les plus populaires de son époque à Broadway.

Il s'agissait de la première production de Broadway à vendre 3,50$ la place, mais les revendeurs ne se privaient pas de surfer sur le succès et le billet, chez eux, pouvait monter jusqu’à 50$.

1.C.7.c) Impact et importance dans le théâtre musical

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Oh, Boy! (20/2/1917 – 30/3/1918) Broadway

Créé durant l’ère pionnière des comédies musicales intimes du Princess Theatre, Oh Boy! () a marqué une étape importante dans l’évolution du genre. Bolton, Wodehouse et Kern cherchaient à intégrer étroitement les chansons à l’intrigue, de sorte que les numéros musicaux découlent naturellement de l’action dramatique. Ils y sont parvenus avec brio, au point que la cohérence du livret de Oh Boy! () a souvent été soulignée. Selon l’historien Cecil Smith, «rarement une comédie musicale [antérieure] n’avait bénéficié d’une intrigue et de dialogues aussi cohérents» – un compliment qui illustre combien Oh Boy! () était en avance sur son temps en 1917. Bien que Oh Boy! () n’ait pas été la toute première œuvre à mêler intrigue et chansons (des auteurs comme Offenbach, Gilbert & Sullivan ou même George M. Cohan l’avaient déjà tenté), le trio Kern-Bolton-Wodehouse l’a fait d’une façon si maîtrisée qu’il a exercé une influence durable sur le théâtre musical.

Wodehouse a remplacé les blagues indépendantes par de l'humour situationnel. Avec des chansons comme Till the Clouds Roll By, Oh Boy! () a marqué une nouvelle étape de sophistication pour la comédie musicale américaine.

La génération suivante de compositeurs et librettistes a grandi en admirant ces nouvelles comédies musicales «intégrées». Par exemple, Richard Rodgers (futur créateur d’Oklahoma! ()), adolescent à l’époque, a vu six fois un spectacle du trio et déclara plus tard: «J’assistais aux débuts d’une nouvelle forme de théâtre musical... et je voulais désespérément en faire partie». Son complice Lorenz Hart cita P. G. Wodehouse comme une inspiration majeure pour ses propres lyrics. De même, les jeunes George et Ira Gershwin étaient des admirateurs – comme nous l'avons vu George Gershwin avait travaillé comme pianiste de répétition sur Miss 1917 ().

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Scène de «Oh, joy!» la version londonienne de «Oh, Boy!»
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Oh, Joy
Kingsay Theatre - London (1919)

En outre, Oh Boy! () a ouvert la voie à l’exportation des musicals de Broadway outre-Atlantique. Il fut l’un des tout premiers succès américains à connaître une véritable réussite à Londres, inaugurant une tradition d’échanges entre Broadway et le West End qui deviendra la norme par la suite.

Oh Boy! () est rentré dans l’histoire quand il a été transféré avec succès à Londres. Le producteur britannique changea le titre en Oh Joy! () (1919, 167 représentations), déplaça l'action à Londres et fit adapter certaines chansons par des auteurs britanniques. C’était difficile de protester, l’adaptation venait de changer de sens… À partir de ce moment, les comédies musicales de Broadway sont devenues des vedettes régulières du West End de Londres.

1.C.7.d) Chansons notables et leur signification

Oh Boy! () regorge de numéros musicaux entraînants dont certains sont devenus remarquables pour leur qualité ou leur popularité:

  • Till the Clouds Roll By: la grande ballade romantique du spectacle et son plus grand hit. Jerome Kern la considérait comme l’une de ses mélodies favorites. Elle est interprétée à la fin de l’acte I, lorsque George s’apprête à quitter Jackey sous une pluie battante afin de préserver la réputation de la jeune femme. La chanson naît ainsi in situ de la situation dramatique: les personnages chantent leur espoir de voir les nuages se dissiper (métaphore de la fin des complications) alors qu’il pleut à verse. Avec ses détails prosaïques (il est question d’imperméable et de grog dans les paroles) mêlés à une mélodie tendre, le duo a conquis le public de 1917. Till the Clouds Roll By est rapidement devenu un standard repris hors contexte du spectacle – il sera même choisi comme titre d’un film biographique sur Jerome Kern en 1946.
  • Nesting Time in Flatbush: un duo comique et charmant entre Jackey et Jim. Dans cette chanson du deuxième acte, les deux comparses imaginent leur future vie conjugale non pas dans quelque printemps exotique, mais dans le quartier populaire de Flatbush à Brooklyn. Avec un humour typiquement Wodehouseien, les paroles tournent en dérision les clichés romantiques: «Quand vient le temps de nidifier à Flatbush, nous prendrons un petit appartement... où il y a assez de place pour balancer un chat». Cette évocation volontairement banale d’un bonheur domestique, en lieu et place des habituelles fantaisies parisiennes, souligne le ton terre-à-terre et moderne du spectacle. Le numéro, aux rimes ingénieuses et à la mélodie pétillante, est considéré comme un petit chef-d’œuvre comique de Kern et Wodehouse.
  • You Never Knew About Me: le duo d’amour de George et Lou Ellen au début de l’acte I. Introduite par une réplique de George avouant que son passé était «sombre avant de te rencontrer», la chanson s’enchaîne naturellement au dialogue. Les jeunes mariés y expriment avec candeur leurs regrets de ne pas s’être connus plus tôt, imaginant qu’enfants ils auraient même pu partager la garde d’un lapin apprivoisé. Ce numéro attendrissant, aux paroles simples et sincères, illustre parfaitement la volonté du trio créatif de faire surgir les chansons de l’action. Il renforce la caractérisation des protagonistes (montrant la douceur de leur amour) tout en conservant une légèreté espiègle dans les lyrics.

Parmi les autres morceaux, on peut également citer An Old-Fashioned Wife, le solo où Lou Ellen affirme ses valeurs de femme rangée en déclinant une invitation à faire la fête, ou encore A Pal Like You et Rolled into One qui mettent en valeur l’énergie effervescente du duo Jackey/Jim. L’ouverture Let’s Make a Night of It sert de mise en train pour la folle soirée à venir, et l’ensemble du score témoigne de la variété de tons – du vaudeville au sentiment – que Kern maîtrisait dans cette partition.

1.C.7.e) Accueil critique, hier et aujourd’hui

À sa création, Oh Boy! () reçoit un accueil critique excellent. La presse new-yorkaise de 1917 salue une comédie musicale « pétillante » et « intelligemment construite », applaudissant tant l’humour enlevé du livret que la grâce des mélodies de Kern. Les critiques soulignent notamment l’équilibre réussi entre la farce et la cohérence narrative – un équilibre rare pour les musicals de l’époque. Le spectacle est qualifié de «brilliant musical farce» par plusieurs journaux, et le public afflue suffisamment pour prolonger la série bien au-delà de la normale. En résumé, Oh Boy! () apparaît comme un triomphe artistique et populaire du Broadway de l’ère Wilson (président des États-Unis du 4 mars 1913 au 4 mars 1921).

Avec le recul, les historiens du théâtre musical confirment l’importance de Oh Boy! (). Dès 1950, Cecil Smith notait l’avance qu’avait ce show sur ses prédécesseurs en terme d’intégration livret-musique. Plus récemment, des chroniqueurs comme Laura Frankos ou des ouvrages de référence (American Musical Theatre de Gerald Bordman, The Cambridge Companion to the Musical, etc.) soulignent que Oh Boy! () a fixé un nouveau standard pour la comédie musicale américaine, préfigurant les chefs-d’œuvre à venir de l’entre-deux-guerres. Bien que le spectacle lui-même soit moins joué de nos jours, il est souvent cité comme un jalon du genre, grâce à l’influence qu’il exerça sur Rodgers, Hart, les Gershwin et consorts. Les spécialistes louent encore l’esprit vif des lyrics de Wodehouse et l’élégance mélodique de Kern, qui confèrent à Oh Boy! () un charme intact un siècle plus tard. En somme, la critique moderne considère Oh Boy! () non seulement comme un divertissement réussi de son temps, mais aussi comme une œuvre charnière ayant contribué à l’évolution du théâtre musical vers plus d’unité et de sophistication.

1.C.7.f) Principales représentations et reprises

Voici les principales productions du spectacle:

  • Broadway (1917-1918): production originale au Princess Theatre de New York (préviews le 19 février 1917, première le 20 février). Le spectacle affiche complet pendant plus d’un an. En novembre 1917, il est transféré au Casino Theatre pour répondre à la demande, et s’achève le 30 mars 1918 après 463 représentations. Ce succès en fait le plus gros hit de Broadway cette saison-là, et le record absolu des Princess Musicals.
  • Londres – Oh, Joy! (1919): Oh Boy! () est exporté en Angleterre sous le titre modifié Oh Joy! () dès la fin de la Première Guerre mondiale. La production londonienne débute le 27 janvier 1919 au Kingsway Theatre, avant de transférer à l’Apollo Theatre, et totalise 167 représentations. Tom Powers reprend son rôle de George Budd aux côtés d’une jeune débutante nommée Beatrice Lillie qui fait des étincelles sur scène. Le producteur britannique déplace l’action à Londres et adapte certaines chansons pour le public local. Le succès est au rendez-vous: Oh Joy! () prouve qu’un musical typiquement new-yorkais peut conquérir le West End. À partir de ce moment, les comédies musicales de Broadway deviendront des invitées régulières des scènes londoniennes, faisant de Oh Boy! () un précurseur des transferts transatlantiques.
  • Reprise au Goodspeed Opera House (USA, 1983): après des décennies d’oubli relatif, Oh Boy! () est remis à l’honneur à l’automne 1983 par le Goodspeed Opera House (Connecticut), une compagnie réputée pour ressusciter des musicals anciens. Cette nouvelle production démarre le 1er octobre 1983 et se joue durant près de deux mois. Bien qu’il s’agisse d’une reprise régionale, elle attire l’attention des amateurs de théâtre musical et des historiens, curieux de revoir sur scène ce monument de 1917. La mise en scène de Thomas Gruenewald cherche à recréer l’ambiance intime et rythmée de la version originale.
  • Concerts et reprises modernes: Oh Boy! () reste rarement monté intégralement, mais connaît ponctuellement des versions en concert ou des adaptations. En octobre 2003, la York Theatre Company de New York l’a présenté dans sa série Musicals in Mufti (lectures-spectacles sans décor ni costumes) pour célébrer le patrimoine du Broadway ancien. Cette version en concert, donnée du 17 au 19 octobre 2003, a permis au public contemporain de découvrir l’œuvre avec une distribution new-yorkaise, sous la direction de Simon Jones. D’autres compagnies ont suivi: par exemple, l’Applause Musicals Society au Canada l’a joué en concert à Vancouver en 2017. Chaque reprise, qu’elle soit scénique ou en concert, met en lumière l’importance historique de Oh Boy! () et offre l’occasion d’apprécier en live son esprit joyeux et novateur, témoignant de la longévité de son charme plus d’un siècle après sa création.