2.C.2) Vivian Ellis (1903–1996)

2.C.2.a) Débuts sur la scène londonienne

Né à Hampstead (Londres) le 29 octobre 1903, Vivian John Herman Ellis grandit dans une famille de la bonne société, férue de musique. Très tôt, il se passionne pour le piano et la composition. Il étudie à la Highgate School, puis au Royal Academy of Music, où il reçoit une formation classique solide, notamment en composition et orchestration.

Vivian Ellis commence sa carrière dans les cercles de musique légère. Il travaille d'abord dans l'ombre, comme accompagnateur, arrangeur ou pianiste de cabaret dans les salons londoniens — un monde encore très influencé par l'esprit édouardien. Ellis ressent d'abord une grande admiration pour des compositeurs comme Jerome Kern et Ivor Novello, mais il refuse d’imiter leur lyrisme parfois trop sentimental: son style est plus pétillant, souvent plus espiègle.

A moins de 20 ans, Il co-compose avec Herman Finck la musique d'une revue, The Curate's Eff, qui est créée à l'Ambassadors Theatre le 22 mars 1922. Ce spectacle se jouera 84 fois. Ce n'est vraiment pas mal pour un début, surtout à 19 ans!

Il enchaîne moins d'un an plus tard avec la revue Crystals qui oivre le 5 février 1923 au Palladium. Le succès sera plus mitigé avec 36 représentations.

Avec ses premières compositions, on peut dire qu'il décide de passer de la salle de concert au vaudeville. À partir de 1923, il se lance dans l’écriture de chansons pour des revues et spectacles légers:

  • Il compose pour des revues musicales, notamment celles du London Hippodrome ou du Gaiety Theatre, alors haut-lieux du divertissement chic.
  • Il fournit aussi des airs de danse (foxtrot, quickstep, valses) joués en salons et dans les dancings. Sa capacité à créer des mélodies accrocheuses attire rapidement l’attention.

On parle de lui dans la presse spécialisée comme d’un "jeune compositeur prometteur dont les refrains font mouche".

En 1925, il a son premier vrai succès avec la revue By the Way et ses 347 représentations. Le spectacle a été créé le 22 janvier 1925 à Londres à l'Apollo Theatre (avant un transfert au Shaftesbury theatre). Ce succès permettra une vraie première pour Vivian Ellis: la revue est créée à Broadway le 28 décembre 1925 au Gaiety Theatre de Broadway.

  • Still Dancing (Revue - 19 novembre 1925 - London Pavilion - 114 représentations)
  • Cinderella (Pantomime - 23 décembre 1925 - Palladium - 101 représentations)
  • Palladium Pleasures (Revue - 24 février 1926 - Palladium - 314 représentations)
  • Just a Kiss (Farce musicale - 8 septembre 1926 - Shaftesbury Theatre - 93 représentations): il s'agit d'une adaptation de la comédie musicle française Pas sur la Bouche () de Maurice Yvain. Vivian Ellis va écrire de la miuique additionnelle.
  • My Son John (Théâtre musical - 17 novembre 1926 - Shaftesbury Theatre - 255 représentations)
  • Clowns in Clover (Revue - 1er décembre 1927 - Adelphi Theatre - 511 représentations)
  • Cinderella (Pantomime - 24 décembre 1927 - Palladium - 85 représentations)
  • Will o' Whispers (Divertissement musical - Shaftebury Theatre - 4 avril 1928 - 68 représentations)
  • Charlot 1928 (Revue - 29 août 1928 - Vaudeville Theatre - 92 représentations)

Et puis vint le plus grand succès de la carrière de Vivian Ellis, Mr. Cinders. En fait, beaucoup de comédies musicales originales anglaises de cette décennie sont aujourd’hui tombées dans l’oubli. L’une d’elles a toutefois traversé le temps: Mr. Cinders (1929).

2.C.2.b) «Mr. Cinders» (1929)

Pour ceux qui liraient cette «Tentative d'histoire des musicals» de manière chronologique, les quelques paragraphes ci-dessous se trouvaient aussi dans l'introduction aux années '20 en Angleterre. Nous la replaçons ici pour que le sujet Vivian Ellis puisse aussi être lu de manière isolée.

Mr. Cinders, comme son titre l’indique, est une relecture de Cendrillon, mais avec un protagoniste masculin. Une comédie musicale d’époque édouardienne, qui mêle satire sociale, romance douce-amère et humour pince-sans-rire. Le héros, Jim "Mr. Cinders" Lancaster, est un jeune homme modeste, intelligent et bienveillant, maltraité par sa belle-mère et ses deux demi-frères snobs dans un domaine anglais. Il travaille comme homme à tout faire à Merton Chase, la maison de campagne de la famille, bien qu'il soit en réalité le fils du propriétaire d'origine. Entre en scène Jill, qu’il croit être une soubrette, mais qui est en réalité Jill Youll, une riche héritière (la « princesse » de l’histoire, en quelque sorte). Les quiproquos s’enchaînent, la romance s’épanouit, et l’ascension de Jim se fait en dansant, chantant, et avec un solide sens de la répartie.

La production originale de 1929 fut un succès immédiat, avec 528 représentations à l'Adelphi Theatre, ce qui est notable pour l’époque. Le rôle principal, Jim, était interprété par Bobby Howes, dont la performance attachante et énergique a grandement contribué au triomphe du spectacle. C’est l’une des rares comédies musicales britanniques originales à avoir rencontré un vrai succès pendant que les musicals américains (et les opérettes continentales) dominaient les scènes londoniennes.

La chanson la plus célèbre du spectacle est sans doute “Spread a Little Happiness”, un air joyeux et optimiste interprété sur scène par Binnie Hale qui deviendra un standard de la chanson britannique, un véritable hymne britannique à l’espoir durant les rudes années de Dépression qui suivront. Elle a connu de nombreuses reprises, notamment par Sting en 1982! Autres morceaux marquants: “On With the Dance”, “I’ve Got You”, “Blue Eyes Are Wonderful Things”.

Le succès de Mr. Cinders consacre le compositeur Vivian Ellis (à qui cette comédie doit ses mélodies les plus entraînantes) et le librettiste Clifford Grey, figures montantes de l’écriture musicale made in UK. Néanmoins, le spectacle est jugé « trop britannique » dans son humour et ses références pour être exporté aux États-Unis, si bien qu’aucune production à Broadway n’en sera tentée. Ce constat – un succès local qui reste local – vaut pour nombre de comédies musicales britanniques des années 1920.

La carrière de Vivan Ellis est évidemment loin d'etre achevée. A suivre...

2.C.3) Clifford Grey (1887–1941)

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Tom Carrick's Popular Pierrots

Célèbre librettiste et parolier anglais de l’époque, Grey est un artisan de l’ombre dont la plume a contribué à de nombreux succès. Il est nél le 5 janvier 1887 à Birmingham, Warwickshire, fils de George Davis, un fabricant de fouets, et de sa femme Emma, née Lowe. Il a été éduqué à la King Edward VI School.À la fin de ses études en 1903, il a occupé divers emplois de bureau, sans succès. Il est devenu un pierrot dans une troupe locale de «Pierrot Show» (genre très rependu à l'époque cf photo ci-contre), et a adopté le nom de scène Clifford Grey, se produisant dans des pubs, des jetées et des music-halls.

Au moment de son mariage en 1912, il avait réduit le nombre de ses performances scéniques au profit de l'écriture de paroles pour les spectacles du West End. Sa femme était Dorothy Maud Mary Gould (1890 ou 1891–1940), membre de leur troupe. Leur mariage a duré jusqu'à la mort de Dorothy.

En 1916, Grey connaît sa grande percée en tant qu’auteur, en collaborant avec Nat Ayer, un compositeur américain travaillant en Angleterre, sur The Bing Boys Are Here, une revue à grand succès qui ouvre à Londres en avril et contient deux des premiers grands succès de Grey: «If You Were the Only Girl (In the World) » et « Another Little Drink Wouldn't Do Us Any Harm ».

Il poursuit sa collaboration avec Ayer sur Pell-Mell, The Bing Girls Are There, The Other Bing Boys, The Bing Brothers on Broadway, et Yes, Uncle!; avec Herman Finck () sur Hallo, America!; avec Ivor Novello et Jerome Kern sur Theodore & Co; avec Howard Talbot et Novello sur Who's Hooper?; avec Novello sur Arlette (1917); et avec Ivan Caryll () sur Kissing Time. Pour ce dernier spectacle, il collabore avec P.G. Wodehouse, qui, en privé, se montre tiède à l’égard du talent de Grey, le considérant davantage comme un spécialiste de l’adaptation des œuvres des autres que comme un créateur véritablement original.

En 1920, Grey est invité à New York par Jerome Kern pour renouveler leur collaboration, en écrivant Sally pour Florenz Ziegfeld. Grey reste aux États-Unis pendant la majeure partie de la décennie, avec quelques allers-retours à Londres, notamment pour Phi-Phi avec Henri Christiné (1922), The Smith Family avec Nat Ayer (1922), et The Rainbow avec George Gershwin (1923).

Pour Broadway, il fournit un flux régulier de paroles – et parfois de livrets – pour des comédies musicales et des revues. Parmi ses collaborateurs figurent Sigmund Romberg et Melville Gideon pour quelques spectacles aujourd’hui oubliés, Ivan Caryll et Guy Bolton pour The Hotel Mouse (1922), Vincent Youmans pour Hit the Deck (1927), et Rudolph Friml ainsi que P.G. Wodehouse pour The Three Musketeers (1928), ainsi que Ups-A-Daisy avec Robert A. Simon pour le Shubert Theatre (1928). Avec William Cary Duncan, il coécrit le livret et les paroles de Sunny Days (1928), basé sur sa propre pièce de 1925 A Kiss in a Taxi, présentée à l’Imperial Theatre.

L’arrivée du cinéma parlant attire Grey à Hollywood. Il collabore avec Victor Schertzinger sur The Love Parade (1929), un film avec Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald, puis avec Oscar Straus sur The Smiling Lieutenant (1931). Il contribue également à des films avec une variété de vedettes, allant de Ramon Novarro à Lawrence Tibbett en passant par Marion Davies.

Ses chansons et ses paroles issues de spectacles sont utilisées dans de nombreux films, et il écrit des scénarios et des paroles pour quatorze nouveaux films hollywoodiens entre 1929 et 1931, notamment The Vagabond Lover (1929), In Gay Madrid (1930) et The Smiling Lieutenant (1931). Après sa mort, les chansons de Grey continuent à être utilisées dans des films et des productions télévisées. Sa chanson la plus connue, « If You Were the Only Girl (in the World) », figure dans des films comme Lilacs in the Spring (1954), The Bridge on the River Kwai (Le Pont de la rivière Kwaï, 1957) et The Cat’s Meow (2001), et certains films comme Hit the Deck (1955) sont directement adaptés de ses spectacles.

En 1929, il retourne temporairement à Londres, où il collabore avec Vivian Ellis sur la comédie musicale Mr Cinders (voir ci-dessus), qui connaît une longue exploitation dans le West End et contient l’une des chansons les plus célèbres de Grey, «Spread a Little Happiness».

De retour en Angleterre en 1932, bien qu’il ait apparemment passé du temps en Californie, Grey se concentre par la suite sur la scène du West End et les films britanniques.

On peut donc dire que Clifford Grey occupe une place importante dans l’histoire du théâtre musical anglais en tant que parolier prolifique de l’entre-deux-guerres, capable de naviguer avec aisance entre le West End, Broadway et Hollywood. Il a contribué à professionnaliser et internationaliser le genre, collaborant avec les plus grands compositeurs de son époque (Novello, Kern, Ayer, Gershwin), et apportant une verve légère, souvent pétillante, au répertoire des revues et comédies musicales. À suivre...