1.C.8) «Leave It to Jane» - Princess Musical

image
Leave It ti Jane (1917)

Avec Oh Boy! () triomphant au Princess Theatre, Leave It to Jane () (1917, 167 représentations) a du être créé au Longacre Theatre, qui avec ses 1.005 sièges était encore plus petit que la plupart des salles de Broadway.

Kern a composé 14 chansons pour Leave It to Jane () en moins d’une semaine! L’histoire concerne la rivalité entre l’Atwater College et le Bingham College en matière de football et fait la satire de la vie universitaire dans une ville du Midwest américain. Jane (Edith Hallor) est la mascotte de l'Atwater College, car elle a toujours une solution au moindre problème. Tout le corps étudiant la salue :

Leave it to Jane, Jane, Jane.
Jane is the girl with brain.
No problem you can wish on her
Gives her a pain.
She’ll handle gaily
A score or more daily.
If something is on your mind
Comfort you soon will find.
If you have started worrying, kindly refrain.
Just hand the whole thing over to Jane!

Extrait de «Leave It to Jane»(1917)

 

image
Oh, Joy
Kingsay Theatre - London (1919)

Pour renforcer l'équipe de football perdante de son école, Jane courtise Billy (Robert G. Pitkin), le quarterback star de l’école rivale. Envoûté, il accepte de jouer pour l’Atwater College. Alors que Jane se rend compte qu'elle est tombée amoureuse de Billy, lui se rend compte qu'il a été manipulé par la jeune fille. Mais Jane n'aura besoin que d'un duo d'amour – il est vrai écrit par Kern et WodehouseWhat I'm Longing to Say pour arranger les choses, avant que Billy ne mène l'équipe d'Atwater à la victoire.

Une fois encore, Kern utilise un style léger et mélodique qui préfigure l’évolution des comédies musicales américaines vers une narration fluide et naturelle. Les chansons de Leave It to Jane () restent mélodiques et accessibles, mais elles évitent les excès dramatiques de l’opérette ou du vaudeville. Kern favorise des thèmes musicaux agréables à l’oreille, souvent construits sur des schémas de valse légère, de fox-trot ou de ballades charmantes. L’orchestration dest conçue pour être légère et flexible, adaptée aux petites salles du Princess Theatre.

Leave It to Jane () s’est joué devant des salles pleines à craquer, mais il dut fermer en janvier 1918 après 167 représentations suite à un conflit interne au théâtre. Une reprise dans le off-Broadway en 1959 s'est transformée en un succès surprise, accumulant 928 représentations!

1.C.9) «The Riveria Girl»

image
The Riveria Girl (1917)

Rien qu’en 1917, Kern a composé la musique de 5 comédies musicales complètes (Have a heart, Miss 1917, Love O' Mike, Oh, Boy!, Leave It to Jane et The Riviera Girl) mais aussi des adaptations pour d'autres spectacles. Alors que la guerre sous-marine totale contre le transport maritime commercial avait repris dans l’Atlantique (elle s’était calmée après le Lusitania), l'entrée en guerre des États-Unis dans le conflit mondial était devenue presque inévitable.

Les propriétaires de théâtre Klaw et Erlanger se sont retrouvés coincés avec les droits d'une opérette viennoise intitulée Gypsy Princess (). Pour rendre le spectacle moins germanique, Guy Bolton a écrit un nouveau livret, transformant le personnage principal en danseur de vaudeville américain. Rebaptisé The Riviera Girl () (1917, 100 représentations), Kern et Wodehouse ont écrit une chanson supplémentaire. À une époque où les New-Yorkais rêvaient d'obtenir de petites maisons de week-end (des «bungalows») sur Long Island, c'était amusant d'entendre un jeune couple planifier l'un des leurs:

Let’s build a little bungalow in Quogue
In Yaphank or in Hicksville or Patchogue.
Where we can sniff the scented breeze,
And pluck tomatoes from the trees,
Where there is room to exercise the dog.
How pleasant it will be through life to jog
With Bill the bull and Hildebrand the hog:
Each morn we’ll waken from our doze,
When Reginald, the rooster, crows,
Down in our little bungalow in Quogue.

Extrait de «The Riviera Girl»(1917)

 

Kern a mis ces paroles ludiques en musique grâce à une mélodie simple qui a utilisé plusieurs ensembles de notes répétées, une technique risquée, mais dont le résultat final a ravi les auditeurs.

1.C.9) «Oh Lady! Lady!» - Princess Musical

image
Oh, Lady! Lady! (1918)

En 1918, Kern construisait une nouvelle maison dans le Bronx, de sorte que sa production ralentit: seulement quatre comédies musicales. Et une seule était pour le Princess Theatre. Dans Oh Lady! Lady! () (1918, 219 représentations), les plans de mariage d'une jeune femme sont en péril lorsque sa couturière s'avère être l'ex-petite amie de son fiancé. Plusieurs malentendus surviennent lors d'une fête sur un toit à Greenwich Village. La partition de Jerome Kern est caractéristique de son style fluide et mélodieux, avec des chansons raffinées et accrocheuses. Parmi les morceaux notables: "Not Yet", "Before I Met You" et "Greenwich Village". Certaines de ces chansons ont survécu au spectacle et ont été reprises dans des revues musicales ou des enregistrements ultérieurs.

La ballade Bill a été coupée lors des previews, car elle a été jugée trop mélancolique. Mais Kern a cru en la chanson et l'a déposée. Il la réutilisera en 1927 dans ce qui restera son plus célèbre musical, que beaucoup consièdrent comme le premier vrai musical de tous les temps: Show Boat ().

Avec cette comédie musicale, la «Princess Team» a mis fin à son partenariat. Et pourtant, cette collaboration a été couverte de louanges, comme celle de Gerald Bordman, écrivant dans The Musical Times:

These shows built and polished the mold from which almost all later major musical comedies evolved. As they all dealt with the smart set they were stylishly mounted .... The characters and situations were, within the limitations of musical comedy license, believable and the humor came from the situations or the nature of the characters. Kern's exquisitely flowing melodies were employed to further the action or develop characterization. ... P. G. Wodehouse, the most observant, literate, and witty lyricist of his day, and the team of Bolton, Wodehouse, and Kern had an influence which can be felt to this day.

Gerald Bordman, "The Musical Times".


A propos de Oh Lady! Lady! (), en avril 1918, Dorothy Parker a écrit dans Vanity Fair:

Well, Wodehouse and Bolton and Kern have done it again. Every time these three are gathered together, the Princess Theatre is sold out for months in advance. (...) You can get a seat at the Princess, somewhere along around the middle of August, for just about the price of one on the stock exchange. (...) Wodehouse and Bolton and Kern are my favorite indoor sport, anyway. I like the way they go about a musical comedy. (...) I like the way the action slides casually into the songs. (...) I like the deft rhyming of the song that is always sung in the last act, by two comedians and one comedienne. And oh, how do I like Jerome Kern's music – those nice, soft, polite little tunes that always make me wish I'd been a better girl. And all these things are even more so in Oh Lady! Lady!! than they were in Oh Boy!

Dorothy Parker, "Vanity Fair", avril 1918.


Aucun d'entre eux n'a jamais expliqué pourquoi ils s’étaient séparés. Il se peut que les livrets de Bolton et Wodehouse s'appuyant souvent sur des malentendus devenaient trop prévisibles et récurrents. Il est plus probable que Bolton et Wodehouse n'étaient plus disposés à se contenter de 5% chacun des bénéfices quand Kern en obtenait 10%. Bolton et Wodehouse font équipe avec le compositeur Louis Hirsch (1887-1924). Hirsch était bon, mais pas du même niveau que Kern, et leur Oh, My Dear! () (1918, 189 représentations) fut le premier sans Kern, mettant fin à une magnifique aventure de trois ans du trio magique au Princess Theatre:

  • Jerome Kern a commencé à travailler sur des projets plus ambitieux à Broadway et à Hollywood.
  • P.G. Wodehouse, déjà célèbre en tant que romancier, a préféré se concentrer sur sa carrière littéraire.
  • Guy Bolton a poursuivi sa carrière en collaborant avec d'autres compositeurs.
image
De gàd: Morris Gest, P.G. Wodehouse, Guy Bolton, Ray Comstock et Jerome Kern (env. 1917)

Le trio Bolton-Wodehouse-Kern demeura ami et se retrouva une seule fois, dans Sitting Pretty () (1924, 94 représentations). Mais les charmes mélancoliques des comédies musicales du Princess Theatre semblèrent totalement hors de propos au milieu du rugissement des années ‘20. A partir de ces années-là, le public s’est tourné vers des productions plus spectaculaires et plus grandioses. Des compositeurs comme George Gershwin et Cole Porter ont introduit des comédies musicales plus rythmées, avec des orchestrations plus étoffées et des numéros dansés.

D) L’importance des « Princess Years »

Beaucoup ont tenté d’analyser pourquoi les «Princess Years» furent si importantes. Mais beaucoup semblent faire fausse route dans cette analyse. Les membres du trio Bolton-Wodehouse-Kern n'ont pas été les premiers auteurs à intégrer avec succès les chansons dans l'histoire. Nous en avons vu beaucoup dans les chapitres précédents. Et quant à qualifier ces comédies musicales d’«américaines», n’oublions pas que Bolton et Wodehouse sont nés en Angleterre. Donc ces succès ont une «paternité» internationale. Mais qu'est-ce qui a vraiment rendu les «Princess Years» historiques? Voici un certain nombre de pistes:

  • L'intimité du Princess Theatre, et de ses 299 places, a rendu possible un style de jeu plus naturel (il n’y avait pas de micro à l’époque), préfigurant l'attrait du film sonore.
  • Il s'agissait de la première série de comédies musicales dont l’action se déroulait à New York. Jusqu'à présent, la plupart des comédies musicales se passaient à des époques anciennes ou dans des lieux lointains, ou dans de petites villes. À partir de maintenant, le cadre le plus courant pour les comédies musicales contemporaines de Broadway serait New York, l'endroit où la culture populaire se créait.
  • Dans les meilleures comédies musicales du Princess, chaque élément était logique et naturel, survenant à cause de l'histoire ou des personnages. Cela a permis à ces spectacles de se débarrasser des numéros des stars, des chansons à succès importées dans le show sans raison et forcé des numéros d’«humoristes» que l’on trouvait dans les comédies musicales précédentes.
  • Ce sont les premières comédies musicales à bénéficier pleinement du génie créatif de Jerome Kern. Les paroles de Bolton et Wodehouse étaient très réussies, mais le fait que lorsque Kern a été remplacé par Kern, le succès a été nettement moindre, cela démontre que la musique de Louis Hirsch était un facteur clé. Qu'est-ce qui a rendu sa musique unique? Peut-être Stephen Sondheim est celui qui est le plus proche de la vérité quand il affirme que les compositions de Kern montrent une «hard-won simplicity», une simplicité durement gagnée.
  • Ce sont les premières comédies musicales américaines qui ont été si bien écrites qu'elles peuvent encore divertir aujourd’hui.
  • Les comédies musicales du Princess ont inspiré la génération d'auteurs-compositeurs qui va alimenter Broadway dans les années ‘20, y compris Richard Rodgers, George Gershwin et Cole Porter.
  • Dans la plupart des comédies musicales de l’époque, les spectateurs avaient réellement quelques minutes de véritable plaisir. Dans les meilleures comédies musicales Princess, ce plaisir durait deux heures et demie, en continu.

Jerome Kern était un artiste sérieux. Il a répondu un jour lors d’une interview: «J'essaie de confronter la musique légère à l’art moderne, comme Debussy (moderniste prophétique de la fin du XIXe siècle; avec Pelléas et Mélisande, l’opéra français sort des ornières de la tradition du drame lyrique) l'a fait pour une musique plus sérieuse.» En tant que vétéran de Tin Pan Alley (surnom de la musique populaire américaine de la fin du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle), il a équilibré l'ambition artistique avec un désir sain d'écrire des chansons à succès commercial. Comme nous le verrons dans les chapitres à venir, la double orientation de Kern (qualité ET populaire) a conduit à certains des plus grands succès de la scène musicale des deux décennies suivantes.

Laissons la conclusion de ce chapitre à George Gershwin:

Kern was the first composer who made me conscious that most popular music was of inferior quality, and that musical-comedy music was made of better material. I followed Kern’s work and studied each song that he composed.

George Gershwin