Richard Rodgers, est un monument du musical américain! Il a effectivement eu deux grandes périodes majeure dans sa carrière, marquées par ses collaborations avec Lorenz Hart puis avec Oscar Hammerstein II. Chacune a sa propre saveur et son importance dans l’histoire du musical.Et enfin, après le décès d'Oscar Hammerstein, il a inaugurée une troisième période, moins glorieuse, faite de collaborations diverses...

Avant de se lancer dans une analyse plus détaillée, voici un «petit résumé schématique de sa carrière».

4.A.1) Ère Rodgers & Hart (1919-1943): élégance cynique et sophistiquée

Rodgers rencontre Lorenz "Larry" Hart en 1919. Hart est un parolier au style vif, mordant, parfois même mélancolique, mais toujours brillant. Ensemble, ils vont composer près de 500 chansons et une trentaine de musicals.

Le style Rodgers & Hart:

  • Des mélodies élégantes et souvent jazzy.
  • Des paroles pleines d’esprit, parfois ironiques, souvent romantiques mais désabusées.
  • Des personnages plus complexes et ambigus que ceux des musicals traditionnels de l’époque.

Quelques œuvres majeures:

  • The Garrick Gaieties (1925) – Premier grand succès, avec "Manhattan".
  • A Connecticut Yankee (1927) – Inspiré de Mark Twain.
  • On Your Toes (1936) – Introduction du ballet dans le musical avec Slaughter on Tenth Avenue.
  • Babes in Arms (1937) – Contient "My Funny Valentine" et "The Lady Is a Tramp".
  • The Boys from Syracuse (1938) – Premier musical basé sur une pièce de Shakespeare (La Comédie des erreurs).
  • Pal Joey (1940) – Un des premiers musicals où le héros est un anti-héros (avec "Bewitched, Bothered and Bewildered").

Pourquoi ça s’est terminé? Hart, brillant mais tourmenté par des problèmes d’alcoolisme et de dépression, devient de plus en plus imprévisible. Son état de santé décline, et Rodgers se tourne vers un autre parolier en 1943: Oscar Hammerstein II. Hart meurt peu après, en 1943.

4.A.2) Ère Rodgers & Hammerstein (1943-1959): musical intégré, révolution

Avec Oscar Hammerstein II, Rodgers va totalement redéfinir le musical. Leur approche est beaucoup plus narrative : ici, les chansons servent l’intrigue et les personnages, au lieu d’être de simples numéros divertissants.

Le style Rodgers & Hammerstein:

  • Des mélodies plus lyriques et romantiques.
  • Des paroles simples mais pleines d’émotion, ancrées dans l’histoire.
  • Des musicals qui abordent des sujets plus profonds (racisme, oppression, tolérance).
  • Une dramaturgie plus cohérente où les chansons, dialogues et danses forment un tout.

Quelques œuvres majeures:

  • Oklahoma! (1943) – Révolutionne le musical avec une intégration totale du récit, du chant et de la danse.
  • Carousel (1945) – Une histoire d’amour tragique avec "You'll Never Walk Alone".
  • South Pacific (1949) – Musical engagé contre le racisme ("You've Got to Be Carefully Taught").
  • The King and I (1951) – Rencontre de l’Orient et de l’Occident ("Shall We Dance?").
  • The Sound of Music (1959) – Dernier chef-d’œuvre du duo, avec Julie Andrews à Broadway.

Pourquoi ça s’est terminé? Hammerstein meurt d’un cancer en 1960, mettant fin à cette collaboration légendaire. Rodgers continuera à écrire seul ou avec d’autres paroliers, mais ne retrouvera jamais une complicité aussi forte.

4.A.3) Ère où Rodgers est un électron libre (1960-1979)

4.A.3.a) Rodgers en solo (1960-1962)

Après Hammerstein, Rodgers tente quelque chose qu’il n’avait jamais fait : écrire à la fois la musique et les paroles. C'est un défi énorme, car bien qu'il ait toujours été un maître de la mélodie, il avait toujours travaillé avec des paroliers.

No Strings (1962) – Un succès modeste

  • Son premier musical post-Hammerstein, et le seul où il écrit lui-même les paroles.
  • Une histoire d’amour entre un écrivain américain et un mannequin parisien.
  • Connu pour la chanson "The Sweetest Sounds".
  • Un succès modéré mais pas au niveau de ses grands classiques.

4.A.3.b) Collaborations diverses (1963-1979)

N’ayant pas le même talent que Hart ou Hammerstein pour les paroles, Rodgers collabore avec plusieurs paroliers, mais sans retrouver la magie d’avant.

Do I Hear a Waltz? (1965)

  • Parolier : Stephen Sondheim (oui, LE Sondheim !).
  • Basé sur une pièce d’Arthur Laurents (The Time of the Cuckoo).
  • Un projet compliqué: Sondheim ne voulait pas travailler avec Rodgers (il considérait qu’écrire avec Hammerstein était déjà un défi!).
  • Résultat: un musical élégant mais qui ne passionne pas Broadway.
  • Sondheim dira plus tard qu’il a appris à ne jamais travailler sur un projet qu’il ne sent pas à 100%.

Two by Two (1970)

  • Parolier : Martin Charnin (Annie).
  • Un musical biblique sur l’histoire de Noé et l’arche.
  • Problème majeur: Danny Kaye, la star du show, changeait le texte chaque soir et faisait du spectacle un one-man-show incontrôlable. Rodgers, en fauteuil roulant à cause d'une maladie, était furieux.

Rex (1976)

  • Parolier : Sheldon Harnick (Fiddler on the Roof).
  • Sujet : la vie d’Henri VIII et ses épouses.
  • Résultat : flop, malgré quelques belles mélodies.

I Remember Mama (1979)

  • Son dernier musical à Broadway.
  • Adapté d’une pièce sur une famille norvégienne immigrée aux États-Unis.
  • Un échec critique et commercial.

4.A.4) L’héritage de Rodgers

Dans les années 70, Broadway est en pleine révolution avec des compositeurs comme Stephen Sondheim, Andrew Lloyd Webber, et Kander & Ebb (Cabaret, Chicago). Rodgers appartient à une autre époque, celle du "Golden Age" du musical.

Il décède en 1979, laissant derrière lui un catalogue légendaire. Son influence est incommensurable. Aujourd’hui, ses musicals sont toujours joués, et ses chansons sont devenues des standards du Great American Songbook.