
8.B.8) James Hanley: Honeymoon Lane (353 représ - #28)
James Frederick Hanley, est né le 17 février 1892 à Rensselaer, Indiana. Il fut un compositeur et parolier américain prolifique du début du XXème siècle. Il servit dans la 82ème division de l'armée américaine pendant la Première Guerre mondiale.
De retour aux États-Unis, Hanley devint accompagnateur dans le vaudeville avant de se consacrer à l'écriture de chansons pour le théâtre et le cinéma. Hanley contribua également à de nombreuses comédies musicales de Broadway, notamment Robinson Crusoe, Jr. (1916 - 139 représentations), Jim Jam Jems (1920 - 105 représentations), Big Boy (1925 - 56 représentations), Honeymoon Lane (1926 - 353 représentations) qui est son vrai seul succès, Sidewalks of New York (1927 - 112 représentations) et Keep It Clean (1929 - 16 représentations). Il est décédé d'une crise cardiaque le 8 février 1942 à Douglaston, Queens, laissant derrière lui une épouse et cinq enfants. En reconnaissance de son apport significatif à la musique américaine, il fut intronisé au Songwriters Hall of Fame en 1970.
1926: «Honeymoon Lane» - 353 représentations (#28) L’action se déroule dans la petite ville de Canningville, en Pennsylvanie, où le héros Tim Murphy (Eddie Dowling) travaille à l’expédition et à l’emballage dans l’usine de cornichons W. H. Kleinze. Tim est amoureux de la jeune Mary Brown (Pauline Mason), une fille du coin qui nourrit des rêves vagues de quitter Canningville pour devenir une star à Broadway. Grâce aux manigances du « Dream Man » (Worthe Faulkner), la majeure partie de l’histoire se déroule dans un rêve partagé par Tim et Mary, où elle quitte Tim et l’usine de cornichons, devient une vedette de la scène new-yorkaise, et flirte même avec Ted Kleinze (Al Sexton), héritier de l’empire des cornichons.
Mais tout cela n’était qu’un rêve, et à leur réveil, Tim et Mary sont plus qu’heureux de rester à Canningville, de travailler à l’usine, et de rêver à leur petite maison blanche au bout de Honeymoon Lane.
Honeymoon Lane connut également le succès grâce à une ballade, dans ce cas une autre de ces rêveries nostalgiques typiques de l’époque, évoquant un petit coin de paradis sous forme de bungalow ou de maisonnette: «Little White House at the End of Honeymoon Lane». On peut aussi mentionner que dans le rôle de Tiny Little, une jeune Kate Smith de 19 ans fit ses débuts à Broadway et créa l’événement, autant chez les critiques que dans le public — en particulier lorsqu’elle fit un tabac en interprétant un Charleston qui provoqua un reel show-stop.
8.B.9) Stephen Jones & Arthur Samuels: Poppy (346 représ - #31)
Ces deux compositeurs sont aujourd'hui totalement inconnus au bataillon!
1923: «Poppy» - 346 représentations (#31) "Poppy" fut l’un des plus grands succès de la saison — et avec W. C. Fields dans le rôle du bonimenteur ultime, ce n’est guère étonnant. Il faut dire que la présence de la comédienne acerbe Luella Gear et du parfois surréaliste Robert Woolsey ne gâchait rien à la fête.
La distribution de ce "musical Cendrillon" comprenait également l’actrice Madge Kennedy (dans son premier et unique musical) dans le rôle-titre. Elle y incarnait une orpheline de cirque recueillie par le filou de charme qu’est le professeur Eustace McGargle. Ensemble, ils s’arrêtent sur leur route poussiéreuse dans la ville de Greenmeadow, au Connecticut, où McGargle répand la rumeur selon laquelle Poppy serait l’héritière disparue d’une riche habitante récemment décédée.
Très vite, ses manigances le conduisent en prison… mais voilà qu’un médaillon que Poppy porte toujours autour du cou se révèle être la preuve qu’elle est bel et bien l’héritière en question. Et comme il se doit dans toute bonne comédie musicale de type Cendrillon, la jeune fille devient riche et épouse l’homme de ses rêves — ici, William Van Wyck, interprété par Alan Edwards.
"Poppy" fut un véritable tour de force pour W. C. Fields, même si, au départ, il n'était que mentionné parmi les vedettes, tandis que Madge Kennedy, qui incarnait l’héroïne éponyme, bénéficiait d’un rôle en solo. Cependant, Fields accéda au statut de star lorsque la doublure de Miss Kennedy reprit son rôle; dès lors, il fut co-vedette aux côtés de Kennedy pour la tournée.
Poppy fut également joué à Londres au Gaiety Theatre le 4 sepytembre 1924 où il tint l'affiche 188 représentations avec W.H. Berry dans le rôle incarné à Broadway par Fields.
Le musical a été adapté deux fois au cinéma, et chaque fois, W. C. Fields y a repris son rôle de la scène. Intitulé Sally of the Sawdust (en raison d’une subtilité juridique, le nom de l’héroïne a dû être modifié pour la version filmée), le premier film, muet, est sorti en 1925. Il fut réalisé par D. W. Griffith et distribué par United Artists. Carol Dempster y incarnait Sally, et le casting comptait également Alfred Lunt.
La seconde adaptation cinématographique, intitulée Poppy, a été produite par Paramount et sortie en 1936, avec Rochelle Hudson dans le rôle principal. Cette version comique comportait deux chansons: A Rendezvous with a Dream (paroles de Leo Robin, musique de Ralph Rainger) et une chanson-titre (paroles de Sam Coslow, musique de Frederick Hollander).
8.B.10) Albert Von Tilzer: The Gingham Girl (322 représ - #36)
Albert Von Tilzer (1878–1956) est un compositeur américain surtout connu pour Take Me Out to the Ball Game (1908), hymne populaire coécrit avec son frère Jack Norworth. Né à Indianapolis sous le nom de Gumm, il adopte un nom à consonance européenne et débute dans le milieu de Tin Pan Alley comme parolier et pianiste. Quand il compose The Ginghaml Girl, il est déjà un "ancien": il a 45 ans...
Il a participé à de nombreuses revue et a composé aussi la musique de nombreux book-musicals: In New York Town (1905 - 24 représentations), The Earl and the Girl (1905 - 148 représentations), Honey Girl (1920 - 142 représentations), The Gingham Girl (1922 - 322 représentations), Adrienne (1923 - 235 représentations), Bye, Bye, Bonnie (1927 - 125 représentations).
1922: «The Gingham Girl» - 322 représentations (#36) The Gingham Girl fut à la fois le troisième book-musical de la saison 1922-1923 et aussi le troisième musical Cendrillon (après Sue, Dear et Daffy Dill). Etait-il possible d'en voir encore d’autres dans ce genre? Eh bien, les prochains dans la file sont Molly Darling et Sally, Irene and Mary… . Cela semblait un véritable filon pour les compositeurs de l'époque, une sorte de poule aux oeufs d'or.
The Gingham Girl fut un succès surprise et tint l’affiche pendant plus de neuf mois, devenant la deuxième production la plus durable de la saison — juste après Wildflower.
L’héroïne, Mary Thompson (interprétée par Helen Ford, dans le premier des cinq rôles-titres qu’elle créa durant la décennie — les autres étant Helen of Troy, New York, No Other Girl, ainsi que Peggy-Ann et Chee-Chee de Richard Rodgers et Lorenz Hart), et le héros, John Cousins (joué par Eddie Buzzell), vivent à Crossville Corners, petite ville du New Hampshire. Le rêve de Mary est d’ouvrir une boulangerie pour y vendre ses Blue Bird Cookies (le programme avertissait d’ailleurs le public que la marque de ces biscuits avait été « dûment déposée » par les producteurs !).
John prête à Mary cent dollars pour lancer son affaire, puis part tenter sa chance à New York, où il connaît un certain succès dans le milieu du spectacle. Mais lorsqu’il se retrouve sans le sou, il postule… dans la boulangerie florissante de Mary ! Il découvre alors que sa mise de départ a fructifié : Mary l’a discrètement fait devenir associé silencieux. Selon le critique du Brooklyn Life, « la dernière fois qu’on les a vus, ils allaient se marier ».
Le titre du spectacle fut littéralement choisi à la dernière minute: jusqu’à la semaine précédant la première à Broadway, le show s’appelait Love and Kisses, du nom d’une des chansons de la partition. Le New York Times rapporta que, suite à ce changement de titre, les producteurs avaient fait décorer le proscenium du Earl Carroll Theatre avec un motif en vichy. La chanson-titre Love and Kisses resta dans la partition durant les neuf mois de la production à Broadway, mais fut retirée pour l'US-Tour. Quant à l’«autre» chanson-titre (A Gingham Girl), elle, fut coupée pendant la série new-yorkaise, puis réintégrée pour l'US-Tour.
8.B.11) J. Fred Coots: Sally, Irene and Mary (313 représ - #42)
J. Fred Coots (1897–1985) était un compositeur américain surtout connu pour avoir coécrit Santa Claus Is Comin’ to Town (1934), devenu un classique incontournable de Noël. Né à Brooklyn, il débute sa carrière dans le vaudeville et Tin Pan Alley, avant de s’imposer comme l’un des artisans de la chanson populaire des années 1920 à 1940.
Outre son tube de Noël, il a composé des dizaines de chansons pour la scène, le cinéma et les cabarets. Coots a également signé plusieurs musiques de musicals à Broadway. La première fut justement Sally, Irene and Mary (1922 - 313 représentations). il a enchaîné avec Dew Drop Inn (1923 - 83 représentations), June Days (1925 - 84 représentations), Mayflowers (1925 - 81 représentations), White Lights (1927 - 31 représentations), Sons O' Guns (1929 - 295 représentations). Son style, à la fois accessible et raffiné, mêlait légèreté mélodique et sens du swing.
1922: «Sally, Irene and Mary» - 313 représentations (#42) Dans une saison 1922-1923 déjà bien garnie en musicals façon Cendrillon - cf paragraphe précédent - Sally, Irene and Mary ne se contente pas d’en rajouter une couche: elle triple la mise en suivant trois jeunes filles de l’East Side qui passent des pavés d’Avenue A aux lumières de Broadway. Officiellement sans lien avec les Irene (1919 - Harry Tierney), Mary (1920 - Louis A. Hirsch) et Sally (1920 - Herbert & Kern) précédents, nos trois héroïnes en partagent pourtant l’ADN: ambition artistique, rêves de célébrité… et une certaine appétence pour les maris fortunés.
Le public a adhéré sans réserve: le spectacle fut un immense succès avec plus de trois cents représentations, devenant le troisième musical le plus longuement joué de la saison. À l’origine, il s’agissait d’un simple sketch de vaudeville écrit par Eddie Dowling pour un spectacle de variétés des frères Shubert. Cette fois, le librettiste Eddie Dowling — qui reprenait également un rôle sur scène — l’a étoffé avec Cyrus Wood en un vrai musical, avec des paroles de Raymond Klages et une musique signée J. Fred Coots.
L’histoire débute dans un quartier populaire new-yorkais, où Sally (Jean Brown), Irene (Kitty Flynn) et Mary (Edna Morn) tuent le temps sur les trottoirs de leur immeuble. Un producteur de Broadway tombe sur Mary et, séduit, lui propose un rôle. Sally et Irene en profitent pour tenter leur chance… et sont elles aussi engagées. Direction Broadway pour toutes les trois!
Quatre ans plus tard, elles sont devenues les vedettes de la scène new-yorkaise, chacune à l’affiche dans un théâtre emblématique: le Vanderbilt, le Knickerbocker et le New Amsterdam — autant de lieux où les Irene, Mary et Sally originaux avaient vu le jour. Et comme par enchantement, ces trois théâtres se retrouvent ici dans la même rue, voisins comme dans un rêve de géographe de comédie musicale (malgré leurs adresses bien distinctes dans la réalité).
Adieu les immeubles défraîchis: le décor a changé, et l’on évolue désormais dans le Peacock Alley de l’Hôtel Astor ou lors de ventes de charité sur Park Avenue, entouré de riches soupirants. Mais Mary n’a pas oublié Jimmie Dugan (Dowling), l’amour qu’elle avait quitté pour courir après la gloire. À la fin du spectacle, elle le retrouve, tandis qu’Irene et Sally convoleront aussi avec leurs prétendants dorés… le tout scellé par un triple mariage à la très romantique Little Church Around the Corner.
8.B.12) Philip Braham: Battling Buttler (313 représ - #43)
Ce cas-ci est très différent car Philip Braham (1881–1934) fut un compositeur et directeur musical britannique, surtout actif dans les années 1910 et 1920. Né à Londres, il s’est illustré comme l’un des artisans du musical britannique à une époque où le genre connaissait une transition entre l’opérette édouardienne et les revues modernes.
Il est principalement connu pour la musique de la revue à sketches London Calling! (1923), produite par C. B. Cochran, qui marqua les débuts de Noël Coward et comprenait le célèbre numéro Poor Little Rich Girl. Braham collabora souvent avec des paroliers comme Douglas Furber, avec qui il écrivit son plus grand succès: "Limehouse Blues" (1922), une chanson évocatrice aux accents orientalisants, qui connut une renommée internationale et devint un standard repris par des artistes de jazz et de variétés.
Tout au long de sa carrière, Braham travailla également comme directeur musical pour des productions de revue et de théâtre, mêlant élégance mélodique, sens de la scène et savoir-faire dans l’accompagnement de la chanson populaire.
Alors, pourquoi un cas différent? Car il s'agit d'un compositeur britannique dont un musical va être un gros succès à Broadway. C'est le seul des années '20, et cela prouve bien à quel point la situation s'est inversée par rapport à l'avant Première Guerre Mondiale.
1923: «Battling Buttler» - 313 représentations (#43) Battling Buttler était donc une «importation» de Londres, où le spectacle avait été créé sous le titre Battling Butler le 8 décembre 1922 au New Oxford Theatre, pour une série de 238 représentations. Il était alors présenté dans une mise en scène de Jack Buchanan, qui tenait le rôle principal d’Alfred Buttler et signait également les chorégraphies. Pour l’adaptation américaine, revue et « américanisée », Buchanan conserva son crédit en tant que l’un des producteurs, et cette version new-yorkaise connut même un succès plus durable, totalisant 313 représentations — mieux que Londres!
Pendant la série à Broadway, puis lors de lUS-Tour qui suivit (qui s’annonçait fièrement « direct from a solid year on Broadway » en passant sous silence que la production new-yorkaise avait duré neuf mois), le titre du spectacle fut encore légèrement modifié: il devint Mr. Battling Buttler.
Lors des Pre-Broadway Try-Out à Detroit et Chicago, le musical s’appelait The Dancing Honeymoon — un titre que les producteurs auraient peut-être dû conserver, tant le titre final prêtait à confusion. La moitié du globe semblait hésiter sur l’orthographe du nom: Buttler? Butler? Le New York Times et le Brooklyn Daily Eagle optaient pour Buttler, tandis que Time, le Wall Street Journal et Burns Mantle écrivaient Butler.
L’intrigue farcesque suit Alfred Buttler (interprété à Broadway par Charlie Ruggles), un homme tranquille vivant à Silver Lake, dans le New Hampshire, avec son épouse (jouée par Helen Eley). Chaque fois qu’il veut s’échapper de la vie de province pour retrouver ses vieux copains, il active un stratagème bien rodé : il a fait croire à tout le monde qu’il est le boxeur Battling Buttler, et, à chaque combat à venir, il « part s’entraîner ». Alfred, complètement ignare en boxe, en parle d’ailleurs avec des métaphores de golf.
Mais les choses se compliquent quand le vrai boxeur (joué par Frank Sinclair) entend parler de l’imposture… et quand la femme du vrai boxeur, Bertha (Frances Halliday), rencontre la femme d’Alfred. Bien vite, les deux en viennent à croire qu’elles sont mariées au même homme et que leurs époux mènent une double vie !
8.B.13) Tom Johnstone: I'll Say She Is! (313 représ - #44)
Ici encore, un compositeur tombé dans l'oubli...
1928: «Whoopee!» - 412 représentations (#21) Les Marx Brothers étaient déjà des vedettes du vaudeville au Palace Theatre, mais ils n’étaient encore jamais apparus dans un spectacle à Broadway avant la création de I’ll Say She Is! C’est donc ce musical qui permit au public de théâtre «traditionnel» (par opposition à celui qui fréquentait plutôt les salles de variétés et de vaudeville) de découvrir pour la première fois le joyeux chaos, parfois surréaliste, incarné par les quatre frères Marx: Julius, Adolpho (ou Adolph, puis Arthur), Leonardo et Herbert — mieux connus du public sous les noms de Groucho, Harpo, Chico et Zeppo.
On ne peut qualifier I’ll Say She Is! de book-musical qu’en étirant un peu la définition: il s’agit en réalité d’une revue, avec un fil narratif des plus ténus. L’histoire — si l’on peut dire — met en scène une riche dévergondée, nommée Beauty (interprétée par Lotta Miles), lasse de la haute société et en quête d’émotions vertigineuses.
Les Marx Brothers l’entraînent alors dans une succession d’aventures délirantes, toutes plus déconnectées les unes des autres. Elle rencontre un agent théâtral nommé Richman; visite une fumerie d’opium dans le Chinatown de New York où elle croise un marchand de drogue; se retrouve dans un tribunal, accusée de meurtre — avec Groucho dans le rôle de son avocat, qui lui explique avec enthousiasme qu’elle sera d’abord condamnée pour meurtre, puis … à l’électricité.
Elle est ensuite conduite à Wall Street pour une leçon sur «La Tragédie du jeu», avant de voyager dans le temps jusqu’à l’Ancien Versailles, où elle devient Joséphine, face à un Groucho-Napoléon (qui nous apprend que Joséphine était toujours «fidèle» … fidèle, du moins, à toute l’armée).
Ah, et bien sûr, clin d’œil très contemporain aux musicals façon Cendrillon de l’époque, Groucho apparaît brièvement déguisé en Cendrillon — moustache et cigare compris.
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