Dès sa création, West Side Story déconcerte certains spectateurs et critiques par sa violence, son mélange de tons et, surtout, pour la façon dont il décrit les Portoricains.
Les créateurs du spectacle, bien qu'ils soient tous blancs, ne sont pas insensibles à la situation des Portoricains à New York à l'époque. Jerome Robbins se rend dans des bals de jeunes Portoricains et essaie d'incorporer certaines de leurs danse dans sa chorégraphie. Il tente également de recruter autant d'interprètes latino-américains que possible, mais il y a tellement peu d’opportunités de travail pour eux à Broadway qu’il n’y en a presque pas.
Par conséquence, la plupart des rôles Sharks sont tenus par des Blancs que l’on maquille avec un fond de teint brun (brownface). Idem dans le film où le rôle de Maria est joué par Nathalie Wood, une actrice blanche qui feint (assez mal) un accent portoricain. Ironiquement, Rita Moreno, qui joue Anita et est réellement d’origine portoricaine, se retrouve elle aussi maquillée en brun parce qu’elle est trop blanche pour être crédible…
Les protestations de la communauté latinx commencent avant même la première représentation à Washington. On reproche à certaines paroles d’America de donner une image trop négative de Porto Rico : « island of tropical diseases » (île aux maladies tropicales) ? il se trouve qu’il y en a de fait très peu et que le taux de mortalité est plus élevé dans le reste des USA... La production reçoit une lettre demandant de changer les paroles, mais Sondheim refuse de céder à la censure, surtout pour une chanson satirique.
La plupart des personnages portoricains sont peu développés et ne sont définis que comme membres de gangs criminels, porteurs d’armes et envahisseurs contre lesquels les Jets doivent se défendre. Afin de ne pas dérouter le spectateur, ils sont tous bruns aux cheveux foncés et maigres (c’est-à-dire pauvres) ce qui renforce les stéréotypes. On oublie qu’être portoricain est une origine géographique, pas une « race ».
L’usage d’accents espagnols heurte également la sensibilité de certains. Les acteurs doivent feindre un accent si exagéré qu’on ne l’entend jamais dans la réalité. Laurents tentera de résoudre ce problème en traduisant certaines chansons en espagnol ; les interprètes des rôles portoricains depuis les années 1980 sont presque exclusivement latinx et la pratique du brownface a complètement disparu de Broadway.
Les musicals s'appuient souvent sur des stéréotypes pour faire valoir des arguments plus importants qu'ils ne le pourraient s'ils se concentraient sur des caractéristiques spécifiques et réelles. La question est de savoir si les stéréotypes sont utiles ou non pour faire évoluer les mentalités. Dans un souci de justice, on peut dire que les Jets sont également stéréotypés. Et que, dans le matériel source, les habitants de Vérone le sont aussi : Shakespeare n’y a jamais mis les pieds.