2.
Un mythe:
Romeo & Juliet

 3.2.
Broadway:
années '50

 3.3.2.
Préproduction
1948-1949:
«East Side Story»

 3.3.4.
Préproduction
1957: «Gangway»


 4.
L'après 1957

C) 1955-1956: «Romeo»

Chacun continue de s’enrichir artistiquement en participant à différents projets: Laurents (Anastasia, Bonjour Tristesse) comme Robbins (Call me Madam, Wonderful Town) ou Bernstein (l’opéra Trouble in Tahiti ou le musical The Pajama Game).

En 1955, le producteur de théâtre Martin Gabel travaille à une adaptation scénique de Serenade, le roman de James M. Cain. Il invite Laurents à en écrire le livret. Laurents accepte et propose à Bernstein et Robbins de rejoindre l'équipe de la création. Robbins estime que si les trois joignent à nouveau leurs forces, ils doivent reprendre l'East Side Story, ce qu'approuve Bernstein. Laurents présente à Gabel le jeune compositeur et lyriciste Stephen Sondheim. Sondheim auditionne en jouant la partition de Saturday Night, la comédie musicale qu'il doit présenter à l'automne. Laurents aime les paroles, mais n'est pas convaincu par la musique.

Laurents est engagé pour écrire le scénario d'un remake pour Ava Gardner du film de 1934 avec Greta Garbo, The Painted Veil (le voile des illusions). Il contacte Bernstein qui dirige au même moment plusieurs concerts au Hollywood Bowl. Ils se rencontrent au Beverly Hills Hotel et la conversation tourne autour de la délinquance juvénile, un phénomène social relativement récent qui fait la une des journaux en raison de la guerre que se livrent les gangs. Pourquoi ne pas faire leur Roméo et Juliette sur la violence entre Chicanos et Anglos ? Cela semble une excellente idée.

Bernstein suggère qu'ils retravaillent East Side Story pour le situer à Los Angeles. Ils rappellent Robbins, tout à fait enthousiaste à l'idée d'une comédie musicale sur des rythmes latino. Il se rend à Hollywood pour chorégraphier les séquences de danse de Le Roi et moi et commence à élaborer la comédie musicale avec Laurents. Ils continuent de travailler sur leurs projets respectifs tout en gardant le contact avec Bernstein qui est retourné à New York. Lorsque le producteur du Painted Veil remplace Ava Gardner par Eleanor Parker et demande à Laurents de réviser son script, il se retire du film ce qui lui permet de consacrer tout son temps à la comédie musicale.

Un problème taraude cependant Laurents. Bien qu'il ait passé beaucoup de temps à Los Angeles, il n'a pas l'impression d'en savoir assez sur l'endroit pour y mettre un scénario. L’équipe décide donc de transposer le récit de Los Angeles dans un endroit qu'ils connaissent mieux. Les trois (ainsi que Sondheim d’ailleurs) sont natifs de la côte est et résident à Manhattan, c’est donc là que se passera leur récit.

À New York justement, les affrontements entre gangs rivaux deviennent un sujet fréquent dans les journaux. Un rapport du FBI affirmera plus tard que les procès pour mineurs augmentent de 220 % entre 1941 et 1957, l'année de la première de West Side Story à Broadway. Les gangs juifs ne font plus l’actualité, remplacés par les gangs portoricains. Ceux-ci sont alimentés par le boom de l’immigration en provenance de Porto Rico dans les années 1950 (voir le chapitre sur l’immigration).

Bernstein (dont la femme est l’actrice et pianiste chilienne Felicia Montealegre) se réjouit de pouvoir intégrer dans la partition les rythmes latins dont il raffole. Mais il se rend également compte qu’il n’a pas le temps d’écrire les paroles et la musique de Candide et de Roméo en même temps. Il décide donc de se concentrer sur la musique et cherche un co-lyriciste.

À New York, Laurents se rend à une soirée où il rencontre Sondheim ; il l’informe que le projet East Side Story, rebaptisé West Side Story, est remis sur les rails. Bernstein désire fait appel aux paroliers Betty Comden et Adolph Green pour l'écriture des paroles mais l'équipe préfère travailler sur Peter Pan. Laurents propose donc à Sondheim d'entrer dans l'aventure. Celui-ci, plus motivé pour écrire la partition d’un nouveau projet (Saturday Night a été abandonné), hésite. Le lendemain, il auditionne cependant pour Bernstein : il est engagé pour écrire les paroles quelques jours plus tard. Sondheim se sent d’abord humilié par un rôle qu’il considère comme secondaire car il se voit plus comme un compositeur qu’un lyriciste. Il considère également que son éducation dans la classe moyenne supérieure ne l’avantage pas : « je n’ai jamais été pauvre et je n’ai même jamais connu un Portoricain » avoue-t-il à son agent. Il consulte son mentor Hammerstein qui lui dit : « Écoutez, vous avez la chance de travailler avec des professionnels très doués sur un projet qui semble intéressant, et vous pourrez toujours écrire votre propre musique par la suite. Mon conseil serait d’accepter le contrat. »

Entre temps, Laurents a écrit une nouvelle esquisse du livret en changeant le profil des personnages : Anton, auparavant italo-américain, devient d’origine polonaise et Maria, juive au départ, devient portoricaine