A) Répétitions
Oklahoma! (1943) est généralement considéré comme le premier musical qui utilise la danse à des fins narratives. La chorégraphe Agnes de Mille y intègre un dream ballet, idée qui sera reprise dans de nombreux musicals sur scène comme à l’écran, de West Side Story à La La Land. Jerome Robbins, metteur en scène mais dont le langage premier est la danse, prend une décision radicale : il supprime tous les dialogues du début de la pièce et décide de présenter les personnages et commencer le récit par des claquements de doigts et de la danse.
Robbins développe encore plus les idées d’Agnes De Mille : il ne voit pas les membres de l’ensemble comme un « chorus » anonyme mais comme des individus qui ont tous un nom et une histoire. Il demande à chacun d’écrire la biographie de son personnage, une technique qu’il reprend du method acting qu’il a étudié. Il exige de sa distribution en baskets et jeans moulants un réalisme inédit. Il leur donne une liberté que les danseurs de Broadway n'ont jamais connue jusque-là dans l'interprétation de leurs rôles ; les danseurs sont ravis de se voir traités comme des acteurs et non plus seulement comme des corps chorégraphiés. Il remplit le tableau d’affichage de coupures de journaux pour leur rappeler la réalité de la violence des gangs new-yorkais.
Il interdit aux Sharks de fréquenter les Jets. Malgré cela, Chita Rivera (qui joue Anita) tombe amoureuse de Tony Mordente (Ratso, A-Rab dans la version originale). Ce dernier explique qu’une fois leur romance découverte, les autres Jets ne lui parlent plus pendant une semaine. Ils se marieront quelques mois plus tard.
Bernstein se bat pour conserver l'intégrité de sa partition alors que les autres membres de l'équipe l'incitent à couper toujours plus largement des passages « opératiques » complexes. Columbia Records refuse tout d'abord d'enregistrer le cast recording, prétextant la difficulté et le caractère déprimant de la partition.
Les quatre rôles d’adultes (les deux policiers, le travailleur social et le gérant du drugstore) sont des rôles parlés. Pour Robbins, la musique est réservée aux jeunes.
Il y a des problèmes avec la scénographie d'Oliver Smith. Ses toiles peintes sont magnifiques mais les décors sont, pour la plupart, soit d'apparence misérable soit trop stylisés. Harold Prince refuse de dépenser de l'argent dans de nouvelles constructions et Smith est obligé d'improviser pour le mieux avec très peu d'argent. Il gagnera cependant le Tony pour son décor.
Les divers témoignages racontent des répétitions épuisantes, Robbins créant de multiples versions de chaque chorégraphie et de chaque scène jusqu’à ce qu’il soit satisfait. Les quatre créateurs s’admirent mutuellement. Selon eux, la gestation du spectacle est « une collaboration merveilleusement harmonieuse » (ce qui n’empêche pas les tensions) et tous s’encouragent afin de tirer le meilleur d’eux même. Les premiers run-through (répétitions du spectacle complet) auxquelles assistent des collègues et amis d’autres productions préfigurent le succès à venir : Carol Lawrence (qui crée le rôle de Maria) raconte être abasourdie de voir Lena Horne, une star de Broadway et d’Hollywood au sommet de sa carrière, criant bravo et l’embrassant en pleurant.
Les premières représentations hors de Broadway (previews) sont des succès. Le vice-président Nixon assiste à la première à Washington. Une chanson, « Kid Stuff », y est éliminée, Laurents persuadant les autres qu'elle entraîne le spectacle sur la pente de la comédie.
Philadelphie suit et le succès ne se dément pas. Le musical est prêt pour sa première officielle à Broadway.