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Personnages |
Clinique psychiatrique près de Vienne | Lucheni, Élisabeth (30 ans), personnel et patients de la clinique |
A) Introduction
Il ne s’agit pas du tout d’une anecdote. Élisabeth visitait souvent des cliniques psychiatriques. Bien sûr, ici les auteurs s’en servent pour parler du son propre enfermement, de sa propre camisole, mais ils se sont appuyés sur une réalité.
Rappelons que le monde germanique est l’un des foyers de la psychiatrie et d’autres sciences des troubles psychiques. Freud est par exemple né à Vienne en 1856. Rappelons aussi que c’est au tournant des XVIIIème et XIXème siècles que naît l’asile moderne en Europe, modèle institutionnel qui repose sur l’isolement des malades mentaux. S’il s’impose largement au XIXème siècle (les asiles se multiplient rapidement et prennent en charge des populations de plus en plus nombreuses), le modèle asilaire suscite de vives critiques dès sa naissance. La recherche d’alternatives à l’asile commence ainsi dès le XIXème siècle.
Qu’est-ce qui pousse Élisabeth à visiter ces asiles? Une manifestation de bonté ou de charité? Une fascination morbide pour la déchéance? Nul ne le sait, mais n’oublions pas qu’Élisabeth a dans son entourage proche de nombreuses personnes atteintes de troubles psychiques plus ou moins importants.
Même si nous allons y revenir, citons déjà Louis II de Bavière (sa patrie natale) qui est très proche d’elle et qui entendait entendait «demeurer une éternelle énigme pour lui et pour les autres» et a réussi au-delà de toutes espérances. Au XXIème siècle on dirait qu’il était schizophrène.
B) Quelques manifestations de troubles psychiques dans l’entourage d’Élisabeth
B.1) Ferdinand Ier (Empereur d’Autriche) et François-Charles (père de François-Joseph
Ferdinand est né avec des petits bras, des petites jambes et une énorme tête aux yeux globuleux. Mais ce physique disgracieux n’est encore rien: Ferdinand est en plus hydrocéphale, épileptique et rachitique! Il est atteint de troubles de la parole. Il apprit à écrire tardivement et ne brille guère dans ses études – ce qui est embêtant pour le futur Empereur de l’un des plus importants pays du monde. Ceci semble être un résultat de la consanguinité. Ferdinand règnera mais ne gouverne pas (c’est Metternich qui le fera). Son mariage n’a jamais été consommé, Ferdinand ayant des crises d’épilepsie chaque fois qu’il voulait honorer sa promise!
Réputé peu subtil, l'empereur Ferdinand est surnommé affectueusement par les Tchèques Ferdinand Dobrotivý (Ferdinand le Bon) et plus méchamment par les Autrichiens Ferdinand der Gütige (Ferdinand le Bénin) ou plus encore Gütinand der Fertige (Béni-oui-oui le Fini).
François-Charles, même s’il n’existe aucune analyse clinique, n’avait pas les moyens intellectuels de devenir Empereur. Comme nous l’avons vu il accepta que son fils François-Joseph succède en direct à son frère Ferdinand Ier.
B.2) Charlotte de Belgique, Impératrice du Mexique
Après l’assassinat de son mari, Charlotte sombre dans une longue folie de 50 ans… Charlotte disparaît complètement de la sphère publique, protégée par les hautes grilles de son domaine, le long desquelles passent des gardes en livrée, le mousqueton sur l'épaule. Elle ne reçoit que les visites de sa famille. Sa dame d'honneur, Hélène, comtesse de Reinach-Foussemagne, raconte au sujet de Charlotte:
«La plupart du temps, la malheureuse s'absorbait en de longs silences, ou au contraire en des discussions passionnées en français, anglais, allemand, italien, espagnol, avec d'imaginaires interlocuteurs, discussions trop incohérentes, trop décousues pour qu'on puisse deviner quelles pensées occupaient ce cerveau. [...] Dans ses soliloques passent de temps en temps, bien rarement, des phrases, des interjections qui prouvent que parfois sa pensée obscurcie revient sur ces lamentables souvenirs : «Monsieur, on vous a dit qu'on avait eu un époux; un époux, Monsieur, et puis la folie! La folie est faite des événements! S'il avait été aidé par Napoléon!… »»
Hélène, comtesse de Reinach-Foussemagne - dame d'honneur de Charlotte de Belgique
B.3) Hélène, sœur d’Élisabeth
Celle qui avait failli se marier avec François-Joseph et avait épousé Maximilien de Tour et Taxis en 1858. En 1867, comme nous l’avons mentionné, son mari meurt à 35 ans d’une infection rénale. Hélène est veuve à 33 ans. Elle tentera d’assumer l’éducation de ses 4 enfants. Mais sa deuxième fille meurt en 1881 à 21 ans (laissant trois enfants en bas âge) et son fils aîné meurt de la scarlatine à 23 ans. Elle sombre et devra être internée quelque temps en hôpital psychiatrique. A Élisabeth, présente à ses dernier moments en 1890, Hélène chuchotera ses derniers mots: «Nous avons beaucoup souffert parce que nous avions un cœur.»
B.4) Louis Ii de Bavière et son frère Othon
L’exemple le plus frappant est évidemment Louis II de Bavière. Louis II est un jeune homme épris d’art, davantage tourné vers le rêve que vers les vicissitudes de son règne. Un monarque dont la meilleure amie et confidente n’est autre que sa cousine Élisabeth, aussi éprise de liberté que lui. Elle seule arrive à comprendre à quel point lui pèse cette vie dans une cage dorée, régie par le protocole et l’étiquette. Dès qu’ils le peuvent, ces deux complices se retrouvent dans le cadre romantique d’un chalet sur le lac de Starnberg, où ils échangent sur leur mal de vivre. «Un amour platonique, mais épanoui dans la poésie», comme le décrit l’auteure Hortense Dufour.
Leur amitié date d’avant son accession au trône de Bavière en 1864. Cette amitié sera mise à mal temporairement suite à la rupture des fiançailles de Louis II avec Sophie-Charlotte, la sœur d’Élisabeth. Les deux souverains renouent en 1875, échangeant une correspondance riche sous les noms de l'Aigle et la Mouette.
Elle comprendra aussi totalement l’homosexualité de Louis II, n’étant inquiète que d’une chose: que son propre fils Rudolf, proche lui aussi de Louis II, ne devienne homosexuel et n’aie pas d’héritier (c’est mal connaître son fils qui était un chaud lapin, il n’avait pas besoin de «comtesses hygiéniques»).
On peut le qualifier de schizophrène et il s’est peu à peu coupé du monde. Mais il est intelligent, comprenant par exemple très bien la stratégie prussienne pour unifier l’Allemagne, projet auquel il tente de résister, en vain. Il refuse cependant de participer au couronnement de Guillaume Ier comme Empereur d’Allemagne dans la galerie des glaces de Versailles et envoie son frère Othon le représenter.
Finalement, il est «déposé» par le gouvernement et interné le 13 juin 1886. Le 16 juin, son corps sans vie est retrouvé dans le lac de Starnberg ainsi que celui de son psychiatre, le docteur Bernhard von Gudden. Une mort mystérieuse. Un simple accident? La thèse officielle: le roi aurait tué son psychiatre puis aurait mis fin à ses jours.
À ce jour, le mystère entourant la mort du «beau roi fou» de Bavière n’est pas élucidé. Ne reste de Louis II qu’une croix plantée dans le lac Starnberg là où Louis II est mort – et des châteaux, et des poèmes, et des symphonies.
Mais son petit frère Othon va lui être atteint plus évidente. A 20 ans, il participe à la guerre austro-prussienne de 1866 (camp autrichien), puis à la guerre franco-allemande de 1870 (camp allemand). Il en ressort particulièrement meurtri.
L’Allemagne victorieuse va proclamer le IIème Reich à Versailles. Comme nous l'avons dit, Louis II refuse d’y assister et c’est Othon qui doit se taper la corvée. Le prince de 21 ans lui décrit la cérémonie en ces termes:
«Hélas Louis, je ne puis te dire avec quelle douleur infinie j'assistais à cette cérémonie. Combien chaque fibre de mon être se révoltait contre tout ce que je vis et entendis. Tout était si fier, si froid, si pompeux, si grandiloquent sans cœur et vide.»
Othon de Bavière, futur Othon Ier
Ayant commencé à montrer des signes de démence, il est déclaré fou en 1872, deux ans à peine après la guerre franco-allemande et sa participation à la proclamation du IIème Reich.
Enfermé au château de Nymphenburg en 1873, puis au château de Fürstenried, en 1875, il demeure interné le reste de ses jours. Il reste cependant l'héritier du trône, et devient roi sous le nom d'Othon Ier après la déposition de son frère Louis II en juin 1886. À cause de sa folie, le règne d'Othon Ier est placé sous la régence de son oncle Luitpold de Wittelsbach.
A titre anecdotique, ce qui est assez bizarre c'est qu'Élisabeth dans son livre de poème ne parle jamais d’Othon. Il y a beaucoup de poèmes sur la mort de Louis II et la régence de Luitpold mais pas un clin d'oeil à son cousin Othon interné pendant quarante années. Il meurt le 11 octobre 1916, un mois avant François-Joseph (le 21 novembre 1916).
Un article du Petit Parisien de 1893 évoquait la folie du roi Othon Ier de manière totalement non équivoque:
«Il n'y a pas longtemps, un domestique allait se plaindre à l'intendant du château qu'habite ce platonique souverain. Son pantalon, s'il faut tout dire, était en lambeaux, et il donnait les signes d'une vive souffrance. Il montra, en geignant, sa chair déchirée par de furieuses morsures.
«Qu'avez-vous qui vous a mis dans cet état ?» lui dit l'intendant surpris
«C'est le Roi!» répondit le domestique. «Sa Majesté a la dent dure. Je refuse de la servir désormais.»
Quelle bouffonne et tragique ironie!
Le roi Othon passait, en effet, la plus grande partie de ses journées accroupi dans un coin de sa chambre, imitant un chien courroucé, aboyant, sautant à quatre pattes aux mollets, ou plus haut encore, de ceux qui pénétraient auprès de lui! C'était une abjecte et méchante folie que celle de ce dément princier, dont il fallait se garder comme d'une bête dangereuse, si bien que les valets qui prenaient soin de lui, avaient trop affaire à se défendre pour s'abandonner aux réflexions philosophiques qu'eût pu inspirer l'état du royal malade.
Les fantaisies de Louis II coûtaient cher à la Bavière du moins, on pouvait l'approcher sans danger.»
«Le Petit Parisien» - 27 février 1893
La folie rôde autant dans la vie d’Élisabeth que la mort…
C) La scène du musical
La scène se déroule dans la salle d’attente de l’asile d’aliénés de l’état à Brünfeld. Des médecins, des gardes de fous, le clergé de l’institution et les bonnes soeurs des malades tentent de repousser les patients mais Élisabeth s’interpose.
La première partie de la scène montre une interne de l’asile de fous traiter Élisabeth de … folle.
Mais où est la folie?
Auprès des patients ou auprès Élisabeth?
La dernière phrase de la scène 4a est éloquente à ce sujet:
Acte II – Scène 4 |
Acte II – Scène 4 |
Cette question n’est elle pas dénuée de sens.
L’organisation géopolitique européenne du XIXème siècle est « un peu débile ». Non? En tout cas on est très loin du rationnel qui amène à gérer une situation en fonction du bien collectif.
Mais osons aller jusqu’au bout du raisonnement avec un exemple majeur, un exemple terrifique si on l'analyse à froid. Le 28 juin 1914, à Sarajevo, l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois (qui n’est que le neveu de François-Joseph et donc pas un vrai proche comme l'est normalement un héritier au trône) est assassiné à Sarajevo par un nationaliste Serbe (les Serbes estiment que leur pays est «occupé»). Ce «banal assassinat politique» va déclencher la Première Guerre Mondiale et ses 17 millions de morts!
N’est-ce pas une pure folie à laquelle on tente de donner un sens, un réel manque de mesure?
La deuxième partie de la scène montre met Élisabeth face à elle-même.
Sa vie a-t-elle un sens ou n’est-ce que pure … folie?
Acte II – Scène 4
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Cette réplique dénonce le corset – la camisole qui lui enserre l’âme – qui est le symbole de la fonction d’Élisabeth: sa fonction d’Impératrice d'Autriche mais aussi de Reine de Hongrie. Elle est prisonnière. En comparant le corset avec la camisole de force, Élisabeth avoue que tout cela n’est que folie…
Acte II – Scène 4 |
Elle est consciente de « faire son boulot » d’Impératrice d'Autriche et de Reine de Hongrie, mais a-t-elle atteint son but? Non. Car il n’y a pas d’autre objectif que celui de jouer un rôle…
Acte II – Scène 4 |
Elle aimerait sans doute être plus folle que la « raisonnable » Élisabeth qu’elle est condamnée à être, trop à l’étroit dans la camisole du protocole et des convenances. Ce serait un vrai succès d’être alors jugée comme folle par tous ces gens à qui elle doit obéir. Louis II n’a-t-il pas plus raison qu’elle?
Acte II – Scène 4 |
Sa vie est un équilibre instable.
Elle a un pied en Autriche et l’autre en Hongrie.
Elle a des enfants mais pas vraiment.
Elle a un rôle politique mais souvent celui qu’on a décidé pour elle.
Elle aime vraiment son mari mais déserte son lit.
Elle se veut sociale (infirmière) mais prend des bains de lait.
Elle aimerait tellement être mais est obsédée par paraître.
Et rien de tout cela, elle ne l’a vraiment décidé...
Acte II – Scène 4 |
C’est un eu le choix que son père avait fait, reniant toutes les convenances et décidant de vivre la vie qu’il souhaitait. Ou Louis II de Bavière qui est considéré comme fou parce qu’il construit le Château de Neuschwanstein ou finance les compositions de Wagner. |