Depuis près de 300 ans, depuis 962, le Saint Empire Germanique a tempté d'unifier un énorme territoire comprenant majoritairement la Germanie et l'Italie. Mais dès 1250 ce rêve va s'évanouir. De 1250 à 1273, le trône du Saint Empire va rester vide.
A) 1250-1273: le Grand Interrègne - Rupture entre Empire et Papauté
Rapelons que le dernier Empereur, Frédéric II, avait été excommunié deux fois; le pape l'appelait «l'AntéChrist». A sa mort, son fils Conrad IV va se disputer le pouvoir avec Guillaume II de Hollande. Aucun des deux n'a la faveur du Pape qui leur préfère Charles Ier d'Anjou. Le pape nommera d'ailleurs ce dernier Roi de Sicile en juin 1263. Conrad IV meurt en 1254, ne laissant que son fils Conradin âgé de deux ans, trop jeune pour lui succéder! Guillaume II de Hollande décède lui en 1256. Il faut donc réalimenter le débat par de nouveaux candidats au poste d'Empereur. Les Grands Electeurs hésitent entre Richard Ier de Cornouailles, beau-frère de Frédéric II, et Alphonse X de Castille, un petit-fils de Philippe de Souabe. Le pape s'oppose toutefois aussi à ces deux prétendants. Et donc, d'autres prétendants se font connaître: le duc Louis II de Bavière et même le roi de France Philippe III le Hardi.
Une nouvelle élection est organisée en 1273. Les princes choisissent alors Rodolphe de Habsbourg, un comte de la région de Zurich, au détriment du plus puissant prince de Germanie, le roi de Bohême Ottokar II. Rodolphe est choisi pour ses compétences militaires et son sens de l'organisation. Le pape Grégoire X entérine également ce choix puisqu'il désire que l'ordre soit rétabli en Allemagne. On va pouvoir sortir du Grand Interrègne mais cette élection inaugure une nouvelle phase de l'histoire allemande.
L'une des conséquences immédiate et éphémère du Grand Interrègne est l'accroissement de la puissance de Charles Ier d'Anjou, le nouveau roi de Sicile. Il peut alors faire sentir son influence en Italie centrale et septentrionale.
L'autre conséquence plus durable est la décentralisation au sein de l'Empire. La plupart des princes et villes allemandes profitent de la vacance du trône pour atteindre une indépendance par rapport au pouvoir central. Ce manque d'unité va dès lors caractériser la Germanie jusqu'au XIXe siècle, lépoque du musical Elisabeth.
La dernière conséquence de cette période est le début de l'importance de la famille de Rodolphe de Habsbourg en Europe centrale. La famille Habsbourg devient l'une des plus puissantes d'Europe et ses membres règneront d'une manière ininterrompue sur le Saint-Empire romain de 1438 jusqu'à sa dissolution par Napoléon Ier en 1806, puis sur l'Empire d'Autriche jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale en 1918, soit près de 500 ans.
Mais surtout, l'Empire se réduira désormais progressivement au royaume de Germanie.
B) 1273-1438: l'alternance des familles
Dès ce moment, les familles vont alterner à la tête de ce que l'on appelle encore «Empire»...
- Rodolphe Ier de Habsbourg (1218 - 1273 - 1291)
- Adolphe Ier de Nassau (1250 - 1292 - 1298)
- Albert Ier de Habsbourg (1255 - 1298 - 1308)
- Henri VII de Luxembourg (1278 - 1308 - 1313)
- Louis IV de Bavière (1282 - 1314 - 1347)
- Charles IV de Luxembourg (1316 - 1347 - 1378)
- Venceslas Ier de Luxembourg, l'Ivrogne (1361 - 1378 - 1400 (destitution))
- Robert Ier de Bavière (1352 - 1400 - 1410)
- Jobst de Moravie (1351 - 1410 - 1411)
- Sigismond 1er de Luxembourg (1368 - 1411 - 1437)
B.1) 1273, Rodolphe, le premier Habsbourg à la tête de la Germanie
En 1273, Rodolphe de Habsbourg est ainsi devenu un prince influent du sud de l'Allemagne, mais il est loin d'être le plus puissant dans l'Empire. C'est pour cette raison que les princes-électeurs l'élisent comme Roi, écartant ainsi le roi de Bohême, Ottokar II, lui aussi candidat. En effet, outre les qualités militaires de Rodolphe, les électeurs sont soucieux de ne pas porter au pouvoir un prince trop puissant afin de préserver leurs propres prérogatives et d'éviter tout risque de transmission héréditaire de la couronne.
Mais, selon la procédure qui est alors en vigueur, les princes-électeurs n'élisent pas directement l'Empereur, mais le «Roi des Romains». Celui-ci doit alors entreprendre le voyage à Rome afin de se faire officiellement couronner par le pape. Ce n'est qu'alors qu'il devient Empereur.
Rodolphe de Habsbourg, roi pragmatique et ambitieux, préfère renoncer à cette expédition jamais dénuée de risques. Âgé de 55 ans, il craint que le temps lui soit compté, il ne souhaite non plus apparaître comme un vassal du pape et son absence peut fragiliser son pouvoir dans une Allemagne qui sort d'une période trouble. En droit, il n'a donc pas été empereur même si, dans les faits, tout le monde le considère comme tel.
Dès son accession au pouvoir, Rodolphe entend remettre de l'ordre dans l'Empire, d'abord en mettant fin aux multiples petites guerres privées entre seigneurs locaux, mais aussi et surtout en récupérant des territoires qui sont indûment occupés par certains princes, à commencer par le Duché d'Autriche. Celui-ci a longtemps été la propriété de la famille des Babenberg, mais cette lignée de ducs s'est éteinte en 1246, avec la mort sans héritier mâle du duc Frédéric II d'Autriche. L'héritage d'un fief ainsi tombé en déshérence doit normalement revenir à l'Empereur. Cependant, le roi de Bohême Ottokar II, qui a épousé Marguerite d'Autriche la sœur du duc défunt, a profité de la vacance du pouvoir durant le Grand Interrègne pour s'emparer du Duché d'Autriche. Craignant sans doute l'arrivée au pouvoir de l'ambitieux Rodolphe de Habsbourg, Ottokar II a aussi été le seul des sept princes-électeurs à ne pas voter pour lui. Il ne s'est pas rendu non plus à la cérémonie du couronnement.
Rodolphe ne tarde pas à convoquer Ottokar II devant la Diète d'Empire afin qu'il lui prête l'hommage pour ses fiefs de Bohême et de Moravie et qu'il restitue le duché d'Autriche. Comme le Roi de Bohême ne répond pas à cette convocation, il est mis au ban de l'Empire et Rodolphe met sur pied une coalition contre lui. En Autriche même, une partie de la noblesse et des villes se soulève contre Ottokar II, qui est contraint de négocier la paix: il ne conserve que ses possessions de Bohême et de Moravie. Ayant reconstitué des forces, il reprend les hostilités quelques années plus tard, mais il est finalement vaincu et tué à la bataille de Marchfeld, le 26 août 1278. Rodolphe prend ainsi possession des duchés d'Autriche. C'est l'arrivée des Habsbourg à la tête de l'Autriche.
B.2) Une succession d'Empereurs gérant une mosaïque de petites principautés
Rupture entre l'Empire et la Papauté
L'Empire se réduira désormais progressivement au Royaume de Germanie. Certains empereurs, successeurs de Rodolphe, tel Henri VII de Luxembourg, n'en poursuivent pas moins des ambitions irréalistes dans la péninsule italienne. Si en 1330 l'Empereur Louis IV de Bavière tente de déposer le pape, il trouve trop peu d'appuis en Italie pour mener à bien sa politique.
Mais, en Germanie, Louis IV de Bavière est soutenu par les Électeurs, qui affirment avec force la légitimité de son pouvoir face au pape Jean XXII et proclament le droit absolu des Allemands de prendre pour Empereur et Roi le Prince de leur choix, sans intervention du Pape.
Mais le pape Clément VI, avec l'appui des archevêques rhénans, obtient l'élection de Charles IV de Luxembourg, en 1347, à la mort de Louis IV de Bavière. Le 5 avril 1355, Charles peut venir recevoir à Rome la couronne impériale, mais il se garde désormais de toute intervention en Italie. En 1356 va survenir un événement essentiel: la Bulle d'or. Il s'agit d'un code juridique essentiel du Saint-Empire Romain, promulgué par l’empereur Charles IV de Luxembourg le 10 janvier 1356 à la diète de Nuremberg et le 25 décembre 1356 à Metz. En tant que «loi fondamentale», elle donne à l’institution de l'Empire sa forme définitive jusqu’à sa dissolution définitive 450 ans plus tard en 1806 attribuant le choix du Roi des Romains aux sept princes-électeurs: les archevêques de Mayence, de Trèves et de Cologne, le roi de Bohême, le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg et le comte palatin du Rhin. Les sept Électeurs élisent le roi des Romains.
Le roi était alors réputé In imperatorem promovendus («devant être promu empereur»), mais la Bulle d'or restait muette quant à la confirmation par le pape. Mais les conditions d'élection étaient si bien précisées qu'elles ne pouvaient plus être contestées. Le pape n'avait donc plus d'arbitrages à rendre.
La Bulle d'or définit aussi les prérogatives impériales. L'Empereur était le suzerain de tous les fiefs impériaux, c'est-à-dire de tous les fiefs situé au sein du Saint Empire Romin Germanique. Il faut distinguer deux types de fiefs:
- les «Grands Fiefs»: le suzerain est l'Empereur et les vassaux sont les Princes Electeurs ou de grands seigneurs
- les «Petits Fiefs»: les suzerains sont les Princes Electeurs ou de grands seigneurs et les vassaux sont de «plus petits seigneurs»
Il y a donc vraiment trois niveaux... : l'Empereur, les Princes Electeurs et les autres seigneurs. Puis, bien sûr, le peuple, qui se trouve au quatrième niveau! L'Empereur détenait le pouvoir judiciaire suprême. Les Princes Electeurs avaient rang de souverains, et la prééminence sur tous les autres Princes de l'Empire. Leurs terres n'étaient plus démembrables et devaient être transmises du père au fils aîné. Ils obtenaient le droit de justice souveraine.
Avec cette séparation de la Papauté, l'Empire est devenu une Royauté purement allemande, même si l'appellation Nationis Germanicae n’apparaît pas encore. L'«Empereur des Romains» porte désormais un titre purement honorifique, creux, qui l'élève cependant au rang de chef théorique d’un conglomérat de principautés par ailleurs indivisibles et jouissant de droits exclusifs.
Une mosaïque de petites principautés
L'Empire est devenu une mosaïque de petites principautés où les seigneurs de la terre se sont emparés de ce qu'ils ont pu saisir de la puissance publique. Cette évolution est fondamentale dans ce qui nous intéresse concernant le musical Elisabeth. L'éloignement de la papauté, d'une part, et la prise de pouvoir importante des Princes et grands seigneurs face à l'Empereur, d'autre part, transforme l'espoir du Saint Empire Romain Germanique de devenir un Empire Universel s'étendant sur une immence territoire en un conglomérat qu'on pourrait dénommer «Les Allemagnes». Mais là, on va relancer une lutte de pouvoir entre tous ces Princes et grands suzerains. Il s'agit d'une constance de l'histoire de la Germanie qui terminera au XIXème siècle - alors que le Saint Empire Romain Germanique n'xiste plus - par la lutte entre l'Autiche-Hongrie des Hbasbourg et l'Allemagne née en 1870. On peut considérer que l'Anschluss effectué par Hitler en 1838 tient de la même démarche.
L'affaiblissement du pouvoir royal, propice à l'ascension des princes, autorise l'émancipation des villes, d'une part en Villes d'Empire qui dépendent sans intermédiaire de l'empereur, d'autre part en Villes Libres. Il existait à l'origine une différence entre Ville d'Empire (Reichsstadt) et Ville Libre (Freie Stadt). Ce n'est que dans le premier cas qu'il s'agissait de villes appartenant au souverain du Saint-Empire, jouissant de libertés et de privilèges en vertu de leur statut. Elles bénéficiaient d'une large autonomie et exerçaient même leur propre juridiction; de cette façon, elles étaient placées sur un pied d'égalité par rapport aux Princes. Dans le deuxième cas, il s'agissait de villes placées sous le pouvoir temporel d'un prince-évêque, comme Lübeck, Utrecht, Cologne, Augsbourg, Mayence (jusqu'en 1462), Worms, Spire, Strasbourg, Bâle et Ratisbonne qui s'étaient libérées progressivement de l'emprise de leur seigneur féodal, généralement au prix de luttes s'étendant sur plusieurs générations. Contrairement aux Villes d'Empire, ces dernières villes n'étaient pas tenues de contribuer en hommes et en argent aux croisades et autres guerres menées par l'empereur.
Tout ceci augmente encore la notion de «mosaïque allemande».
Déclin et Grand Schisme d'Occident Avec la mort de Charles IV de Luxembourg en 1378, c'est le pouvoir de la Maison de Luxembourg qui s'effondre. Le fils du souverain, Venceslas, est même déchu par un groupe de Princes Electeurs le 20 août 1400, du fait de son incapacité notoire. À sa place, c'est le comte palatin du Rhin Robert Ier de Bavière qui est élu roi. Les soutiens de son pouvoir et ses ressources sont cependant trop faibles pour pouvoir mettre en œuvre une politique efficace. Et cela d'autant plus que la Maison de Luxembourg n'accepte pas d'avoir perdu la dignité royale. Après la mort de Robert en 1410, le dernier représentant de la Maison de Luxembourg, Sigismond Ier de Luxembourg, monte sur le trône. Des problèmes politico-religieux s'étaient fait jour, comme le Grand Schisme d'Occident en 1378, crise durant laquelle durant laquelle plusieurs papes rivaux ont simultanément dirigé l’Occident chrétien. Juste pour montrer la complexité de la chose, en 1410, il y a trois papes en fonction qui règnent sur des régions diverses:
- Grégoire XII pape à Rome avec un pouvoir en Italie sur plusieurs villes du royaume de Naples et toute la Romagne; en Allemagne sur la Bavière, le palatinat du Rhin, les duchés de Brunswick et de Lunebourg, le landgraviat de Hesse, l'électorat de Trèves, une partie des électorats de Mayence et de Cologne, les évêchés de Worms, de Spire et de Werden
- Benoît XIII «antipape» en Avignon avec un pouvoir sur les royaumes de Castille, d'Aragon, de Navarre, d'Écosse, du duché de Bretagne, des îles de Corse et de Sardaigne, des comtés de Foix et d'Armagnac
- Jean XXIII «antipape» à Pise avec un pouvoir sur la France, l'Angleterre, la Pologne, la Hongrie, le Portugal, les royaumes du Nord, avec une partie de l'Allemagne et de l'Italie
Cette situation ne pouvait durer et c'est suite à une crise que les choses vont «s'arranger». Jean XXIII «antipape» à Pise, chassé de Rome en 1413 par Ladislas, roi de Naples et de Hongrie, se met sous la protection de l'empereur Sigismond Ier de Luxembourg. De concert avec ce prince, il convoque un Concile général à Constance pour le 1er novembre 1414. Ce Concile va durer quatre ans et a pour but de réunifier l'Eglise Catholique. Guide vigilant, l'empereur Sigismond devait y jouer un rôle primordial: trois mois avant la bulle de convocation, il fit parvenir un édit universel annonçant la tenue d'une assemblée. «Avoué de l'Église», il suivit avec zèle l'exécution des décisions prises lors des assemblées. Martin V, fut élu à la quasi-unanimité le 11 novembre 1417 par un conclave élargi pour la circonstance : le collège des cardinaux de toutes obédiences, renforcé par six députés de chaque nation du concile : France, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne. Martin V eut la bonne idée d’annoncer au préalable qu’il ne remettrait pas en cause les nominations de cardinaux effectuées par les deux antipapes. On peut dire sans trop simplifier que l'action internationale de Sigismond Ier de Luxembourg, que Francis Rapp appelle «pèlerin de la paix», a pour but de préserver ou de retrouver la paix. Avec sa mort en 1437, c'est la Maison de Luxembourg qui s'éteint. La dignité royale passe désormais entre les mains des Habsbourg, et cela pour ainsi dire jusque la fin de l'Empire.