Lieu |
Personnages |
Côte d'Azur | Elisabeth et François-Joseph |
A) Élisabeth et François-Joseph: deux bateau dans la nuit...
Acte II – Scène 15b |
En fait, Élisabeth et François-Joseph ont chacun leur propre but et leur propre cargaison. Surtout depuis la mort de Rudolf.
Réunis par l’horreur du suicide de leur fils, les parents de Rudolf n’en font pas la même analyse car a raison même de leurs souffrances est profondéménent différente.
- L'Empereur s'en tient à son devoir qui est de préparer immédiatement la survie de l'Empire à ce désastre. En plus d'avoir perdu un fils, il a perdu le Prince-Héritier. Mais compte tenu de l'état de l'Autriche-Hongrie, il s’agit bien d’un affaiblissement terrifiant. Ceci ne retire rien à sa tristesse de père. Il faut rajouter à cela l'angoisse de l'Empereur.
- Élisabeth, toujours rebelle, refuse la réalité, elle choisit encore une fois de s'enfuir, mais prend soin de ne pas submerger son mari de ses caprices, au contraire.
Élisabeth réussit parfois ce prodige – pour elle – de soutien de son mari puisque le 16 février 1889, une semaine après sa visite nocturne à la Chapelle des Capucins, François-Joseph écrit à la précieuse Katharina Schratt: «Apparemment, l’impératrice est calme et ne semble se préoccuper que de mon bien-être et de mon divertissement, mais je remarque quand même cette douleur profonde silencieuse qui l’habite. Elle est une grande dame, une femme rare.»
Les deux ont une seule peur: que l'autre s'écroule...
Cependant, la vie de ce «couple» traumatisé par le décès de Rudolf et son impact mondial, différencie leurs deux personnalités.
François-Joseph est un homme simple, un esprit perfectionniste, haïssant le désordre et l'inattendu, un pragmatique qui s'intéresse au respect des us et coutumes de son Empire multi-centenaire.
Au lieu de discuter longuement, il préfère donner des ordres et avoir des réponses directes afin de pouvoir clairement organiser son travail.
Sa douleur de père a une rivale, la crainte du scandale mettant en évidence la vie conjugale chaotique de son fils et son esprit trop libéral, trop moderne par ses fréquentations et ses idées. Si le père tentait de prolonger son monde et de consolider l'esprit du passé, le fils entrevoyait le futur. François-Joseph paraît parfois presque soulagé de sa douleur. D’une certaine façon, pour l’extérieur, le pire a été évité et les convenances sont à peu près sauves, puisque la réalité du scandale, quel qu’il soit, a été masquée, voire étouffée. Mais l'empereur est probablement hanté par le remords de ne pas avoir suffisamment écouté son fils et de ne pas l'avoir davantage associé à l'exercice du pouvoir.
Mais demeurons honnêtes, le père de ce fils rebelle et noceur, aux idées progressistes, n'est-il pas lui-même critiquable. François-Joseph, figure tutélaire, pouvait-il être un vrai modèle? Oui, grâce à l’hypocrisie bourgeoise. A notre époque, sa relation avec Katharina Schratt consentie – voire encouragée – par l’impératrice voyageuse ne poserait plus aucun problème. Mais à l’époque on est en pleine hypocrisie.
Rudolf en avait parlé avec sa petite soeur Marie-Valérie; elle était en colère contre son père et ne supportait pas la présence, théâtrale et permanente, de l'actrice Katharina Schratt. En vérité, pour faire face au drame, François-Joseph est moins bien armé que son épouse: elle craint qu'il ne s'effondre brusquement. C'est comme s'il était K.O.
D'autre part, l'Impératrice est une âme ardente, inventive, prolifique, exténuante, mais d'une sensibilité exceptionnelle, avec un instinct bien connu. Élisabeth, par ses excès, est bien mieux préparée au pire: le désordre est son univers, elle le cherche et y prend plaisir. Les extravagances de l’impératrice sont une armure, l’empereur n’est protégé que par la routine.
Mais tout en s’égratignant dans des scènes familiales qui désolent leurs filles, ils tentent de faire survivre leur couple. La mort de Rudolf peut les rassembler ou, au contraire, les séparer. Deux bateaux dans la nuit…
Élisabeth essaie de ne pas trop s'absenter, mais voyager est pour elle une affaire de survie. Elle demande aux ambassades et aux institutions austro-hongroises de cesser de célébrer sa fête et son anniversaire. Et bientôt, elle partagera entre ses deux filles tous ses habits colorés, sacs, chapeaux et chaussures. Elle ne s’habillera plus qu’en noir, jusqu’à sa propre fin, et partagera aussi ses parures et bijoux entre Gisèle, Marie-Valérie et Erzsi (la fille de Rudolf). Même ses éventails sont noirs! Seules ses ombrelles seront blanches. Au Tyrol, la population étant prévenue que Sa Majesté souhaite «demeurer dans une retraite absolue» et que les habitants doivent s’abstenir de toute manifestation, le résultat est désastreux: les paysans se cachent et les enfants se sauvent en hurlant dès qu’ils aperçoivent «la dame en noir»!
Elle gèle son image, on retouche ses portraits et photos. Elle s'oppose également à toute nouvelle séance de pose. Élisabeth ne vieillira plus. Le sourire à peine esquissé, elle aura éternellement moins de 50 ans. Elle va bientôt mourir. Ce n’est pas pour rien qu’il n’y a plus d’enjeu pour La Mort…
Quand l’atmosphère est trop pénible, elle fuit, dans un périple méditerranéen: Palerme, Malte, Tunis, Carthage et Corfou, où elle a décidé de se faire construire un somptueux palais de marbre blanc. Elle demande à son mari de l’aider financièrement en lui promettant: «Ici, je pourrai renier mon principe de perpétuelle errance.»
Ce qu’elle n’avait pu réaliser à Madère parce que c’était trop loin et qu’elle était trop jeune, elle prétend y arriver dans cet endroit sublime, sur une colline dominant une mer indigo. François-Joseph, par bonté amoureuse, fait semblant de la croire. Elle appelle son nouveau fantasme antique l’Achilleion.
Dès qu’elle revient à Vienne, elle est écrasée par la réalité. Ses filles l’entendent soupirer: «Que j’envie Rudolf... Mais qu’y a-t-il de l’autre côté ? Si on le savait, ce serait tellement plus facile...» La fin du musical approche, la délivrance!
B) Quelques événements des années 1889-1898
18 février 1890 Le comte Andrâssy succombe, à 67 ans, après des mois de souffrance. Il était l’un des rares hommes qu’Élisabeth estimait réellement. La reine de Hongrie, bouleversée, s’incline devant sa dépouille et dit: «Mon dernier ami, mon seul ami est mort.»
16 mai 1890 L’Impératrice Élisabeth déjeune avec François-Joseph et Katharina Schratt - n’est-ce pas très moderne? - alors que Hélène, la sœur d’Élisabeth et première fiancée de son mari, est au plus mal. Elle se rend d’urgence chez elle et Hélène s’éteint dans les bras d’Élisabeth lui confiant: «Nous avons beaucoup souffert parce que nous avions un cœur.» Elles étaient restées très complices. Élisabeth brisée a cette réflexion troublante: «Je comprends maintenant qu’on puisse être amené à se suicider par peur d’une telle agonie.» Une fois de plus elle ne rejette plus La Mort.
31 juillet 1890 Enfin un peu de joie… Marie-Valérie (la plus jeune fille des Empereurs) se marie. Vu les drames qui ont touché la famille impériale (voir cadre ci-contre), le mariage de l'enfant préféré d'Élisabeth avait été postposé à plusieurs reprises.
17 janvier 1891 Après le mariage de sa fille, Élisabeth part à Corfou puis voyage dans toute l’Europe. La fuite continue. Le bateau dans la nuit. Quand elle revient le 17 janvier 1891 pour une fête à Vienne – concession à François-Joseph – son apparence de deuil a un effet désastreux: la plupart des dames pleurent!
François-Joseph ne comprend pas pourquoi elle se sent obligée de partir dès qu’elle arrive quelque part. François-Joseph est si inquiet qu’il refuse de la laisser entreprendre un tour du monde ou de traverser les États-Unis. Dès qu’elle quitte le territoire austro-hongrois, il lui écrit tous les deux jours des lettres qui l’attendent dans les consulats, récupérées par la dame d’honneur!!!
30 avril 1896 Cette date est un grand rendez-vous entre Budapest et l'Histoire: les 1.000 ans du Royaume de Hongrie. Le Roi et la Reine reviennent enfin dans leur pays pour célébrer ce prestigieux événement. Le 2 mai 1896, Erzsébet apparaît dans une somptueuse robe noire (toujours le deuil...). Des milliers de paires d’yeux la scrutent.
«Comment va notre souveraine? Est-elle vraiment folle? Non, elle a simplement l’air triste...»
La foule scande: «C’est notre Erzsébet, notre Reine bien-aimée!»
Mais la population constate un immense chagrin: ses cheveux sombres, ses perles noires, ses épingles noires...
5 mai 1897 Dans la matinée, à la Hermes Villa, l’impératrice termine tout juste une leçon de grec avec son professeur. On apporte une dépêche. Élisabeth blêmit: la veille, à Paris, sa sœur Sophie-Charlotte, la duchesse d’Alençon, a péri dans l’incendie du Bazar de la Charité.
À quatre heures dix, une flamme a jailli d’un appareil de cinématographie qui fonctionne à l’éther et qu’il aurait fallu laisser refroidir... L’incendie éclate, ravageant les comptoirs tenus par des femmes portant les plus grands noms. Sophie-Charlotte s’est immédiatement rendu compte de la catastrophe, la salle de projection improvisée n’étant pas, au sens réglementaire, une salle de spectacle, ses portes sont bloquées de l’intérieur par le public paniqué qui s’écrase contre les parois. Aux jeunes filles du monde affolées qui l’entourent, la duchesse ordonne : «Que les autres passent avant moi! Sauvez les jeunes filles! Je partirai la dernière!» Elle s’est sacrifiée, les mains jointes, en priant.
Elle sera l’une des 150 victimes piétinées et carbonisées. Seul son dentiste pourra identifier son corps, atrocement mutilé. L’impératrice, qui aimait tant sa sœur humiliée par Louis II, dit d’une voix brisée et le regard voilé: «La malédiction grandit...»
14 juin 1897 Le 14 juin, c’est à la Hermes Villa que Élisabeth rédige son testament, en hongrois, qui comprend neuf paragraphes, document contresigné et enregistré le lendemain à Budapest. À sa fille Marie-Valérie, elle annonce: «Cela finira bien un jour... Le repos éternel n’en sera que meilleur.» Elle n’a pas 60 ans!
Mai 1898 Élisabeth inquiète toute sa famille. Les uns disent que, selon les médecins, elle souffre d’un œdème de malnutrition et a les pieds enflés ; mais d’après sa suite, elle marche à une cadence toujours aussi impressionnante et, bien entendu, déraisonnable. Qui croire? Les deux, sans doute, car c’est une question de moment et d’humeur. Mais c’est l’empereur qui a droit à cette réflexion intime peu encourageante lorsqu’elle lui dit qu’elle a l’impression d’avoir 80 ans. Elle en a dix-neuf de moins. Quoi qu’il en soit, elle va enchaîner les cures dans des stations thermales: Carlsbad, Gastein, Bad Kissingen, Bad Nauheim, …
Après sa cure à Bad Nauheim, en Hesse, Élisabeth regagne son cher lac Léman à la fin de l’été. Elle s’installe, comme à son habitude, à l’Hôtel des Alpes-Grand Hôtel à Territet. L’impératrice trouve cette fin d’été au bord du lac si délicieuse qu’elle supplie François-Joseph de venir la rejoindre. L’empereur lui répond qu’il est désespéré de ne pouvoir venir car, comme il lui explique: «Je ne peux pas y penser à cause du jubilé pour la seconde moitié de septembre avec les inaugurations d’expositions.» En effet, Vienne se prépare à célébrer avec une grande ferveur les 50 ans de règne du souverain (1848-1898).
Triste et déçue, elle accepte l’invitation à déjeuner, le 9 septembre 1898, aux portes de Genève, chez la baronne Julie de Rothschild. Après le déjeuner, Élisabeth a prévu de se rendre à Genève avant de regagner Territet le lendemain. Pourquoi cette escapade à Genève? Tout simplement parce que l’impératrice a envie d’y faire quelques courses et qu’elle adore cette ville. À son dernier professeur de grec, Constantin Christomanos, elle a dit de Genève : «C’est mon lieu de séjour favori, parce que je puis y marcher à ma guise parmi des gens cosmopolites: cela me donne l’illusion d’être vraiment telle que chacun devrait être.»
Mais il est temps de changer de chapitre puisque, Lucheni, lui aussi est à Genève.