À sa mort, en 936, Henri Ier avait gagné une aura considérable. Et redonné un grand prestige à la fonction royale. Il n’a donc eu aucun mal à faire accepter son fils Otton Ier comme son successeur.
A) Le règne de Otton Ier: affirmer la puissance royale
Otton Ier, âgé de vingt-quatre ans, est couronné le 7 août 936 à Aix-la-Chapelle. En choisissant cet endroit, il montre ainsi qu'il veut renouer avec la tradition née de Charlemagne. Les représentants de toutes les communautés de la Francie Orientale sont convoqués; mais ce sont les représentants des duchés de la Saxe et de la Franconie qui ont le privilège de lui rendre hommage en premier le 7 août dans l'atrium de la chapelle palatine. Il est ensuite acclamé par le peuple et sacré dans la chapelle par l'archevêque de Mayence Hildebert. Il reçoit ensuite les insignes de son pouvoir: épée, manteau, bracelet, sceptre et bâton de commandement. Au cours du banquet qui suit, les grands honorent le souverain en serviteurs chargés des offices domestiques. Otton entend affirmer sa souveraineté par tous les signes visibles. Il bannit par exemple Eberhard, le duc de Bavière, après l'avoir battu car celui-ci avait refusé de lui rendre hommage.
Le règne d’Otton Ier commence plutôt mal, avec une rébellion, menée par son propre frère, Henri Ier de Bavière, avec le soutien de plusieurs ducs et celui - pour le moins intéressé - du roi de Francie Occidentale, Louis IV. Mais il parvient à battre les révoltés lors de la terrible bataille d'Andernach en octobre 939 où les ducs de Lotharingie et de Franconie sont tués. Il est victorieux et a soumis Louis IV. Mais devant le carnage fratricide qui concerne la plupart des familles dominantes, Otton victorieux est ému. Pris de colère, il ne songe d'abord qu'à faire massacrer les responsables capturés et les fuyards. S'il ne peut que pardonner à la majorité des survivants de sa famille, il reporte son courroux sur les autres et pendant des décennies exerce son inflexible vengeance. Otton pardonne à son frère Henri et rejette la responsabilité sur son entourage et quelques apparentés ambitieux. Il lui confie des responsabilités et le place même à la tête de la Lotharingie. Mais Henri, jaloux et solidaire des anciens conjurés, continue à ruser et à comploter. Il ne se soumet vraiment qu'en 941. La puissance d’Otton Ier terrifie le roi de France Louis IV. Ce dernier tente de se sauver en se mariant avec la sœur d’Otton Ier. Entrant dans la famille, le roi diplomate s'incline ainsi devant Otton.
B) S'allier - et soumettre - l'Eglise
Pour assurer son besoin de vengeance sur les grandes familles et son pouvoir sur les duchés, Otton aide et suscite un lent réveil de l'affirmation chrétienne sous l'égide des épiscopats. Il va considérablement renforcer leurs pouvoirs, leur donnant le contrôle de vastes portions de territoires, prises aux seigneurs rebelles. Mais tout en se donnant le pouvoir de nomination des évêques, qui seront donc tous des hommes de confiance. Et de puissants soutiens.
L'intelligente utilisation des évêchés pour fonder une administration régalienne provoque le lent effacement du monde carolingien. Les grands monastères trop souvent en décadence qui monopolisaient cette fonction cruciale d'intermédiaire pratique de l'administration régalienne perdent lentement leur puissance, devenant de simples gestionnaires avisés de leurs temporels dans le meilleur des cas s'ils ne marquent pas suffisamment leur allégeance. Les évêques et leurs chapitres s'enhardissent sous la protection royale: ils revitalisent les campagnes et revalorisent leurs cités, lançant un fantastique essor urbain et laissant s'inventer un art ottonien. Partout, des villes conquérantes commencent à renaître ou à se développer, même à proximité des marches militaires, malgré les dangers de pillage et de destruction.
Mais la chrétienté est attaquée en Italie même. Le très jeune roi d'Italie Lothaire est très vraissemblablement empoisonné en 950 par Bérenger II, Marquis d'Ivrée qui s'empare du pouvoir et jette en prison la femme de Lothaire, Adélaïde. Mais la reine réussit à appeler à son secours le roi de Germanie Otton Ier qui intervient et détrône Bérenger en septembre 951. Otton Ier, veuf depuis 946, l'épouse pour asseoir son influence sur l'Italie. Le couple aura quatre enfants.
C) 955, des attaques venues de l'extérieur
En 955, le royaume subit deux nouvelles invasions coup sur coup. Les Hongrois, en août, puis les Slaves, en octobre. Les deux vont purement et simplement se faire amssacrer massacrer.
Les hongrois (août 955) Tout d'abord, dans la chaleur d'août 955, une bande magyare dirigée par trois capitaines - Lehel, Bultzu et Boton - surgit des contreforts alpins et menace Augsbourg. L'Évêque d'Augsbourg prend la tête d'une armée de paysans guerriers souabes après une défense acharnée de la ville et les repousse. Les troupes ducales qui accourent les encerclent. Les autorités souabes appellent alors les duchés voisins qui volent à leur secours. Otton Ier, dernier venu avec ses Saxons, prend le commandement des opérations et défait le 10 août les Hongrois à la bataille du Lechfeld près d'Augsbourg. Les pillards envahisseurs encerclés sont impitoyablement massacrés un par un, la légende hongroise ne rapportant que sept rescapés dans une fuite éperdue.
Les slaves (octobre 955) Les troupes germaniques unies prennent désormais l'initiative. Elles massacrent à la Rechnitz le 16 octobre 955 une coalition de Slaves de l'Elbe, sous l'hégémonie des Slaves Obodrites en Mecklembourg[20]. Othon invite les chefs slaves à ne pas entrer pour autre motif que de négociation ou de protection marchande dans les marches et les chefs hongrois à se fixer dans les plaines de Pannonie, s'ils veulent bénéficier de la clémence royale. Au cours des décennies suivantes, les Hongrois renoncent aux pillages, se sédentarisent dans la plaine de Pannonie et se christianisent.
D) Devenir Empereur
Ces victoires spectaculaires permettent à la royauté saxonne de jouer un rôle majeur sur le plan européen alors que les invasions s'éternisaient depuis cinq longue décennies. Soldats et dignitaires religieux se doivent d'acclamer Otton Ier comme le sauveur de la Chrétienté, un vainqueur digne d'être empereur. Face aux Slaves, il conduit une véritable politique d'expansion vers l'est. À la suite des victoires face aux Slaves et Hongrois, l'Oder est atteint.
Quelques années plus tard, en 961, le pape Jean XII, dont les terres sont menacées par ses voisins, appelle Otton Ier à la rescousse. Ce sera sa deuxième intervention en Italie, après celle victorieuse de 951. Le roi Otton Ier débarque en Italie avec son armée ce qui calme immédiatement la stuation. On est ici dans une situation totalement similaire à ce qui était arrivé à l'époque de Charlemagne.
Le 2 février 962, à Rome, Otton est couronné Empereur des Romains par le pape Jean XII. Le couronnement impérial confère à Otton le surcroît d'autorité qu'il attend. Il se trouve à mi-chemin de la cléricature et du laïcat. Les grands du royaume ne peuvent plus le considérer comme un primus inter pares car il se situe dans la sphère du sacré.
E) Naissance du Saint Empire Romain Germanique
Cet événement est considéré comme la naissance du Saint Empire Romain Germanique. Mais il faut bien avoir en tête que dans l’esprit des contemporains, ce ne fut en rien la naissance d’un nouvel Empire. Mais juste la continuation de l’Empire carolingien, dont la couronne n’avait plus de propriétaire depuis 924. Empire carolingien dont on a vu précédemment qu’il se voulait être la renaissance de l’Empire Romain d’Occident. Otton ne prétend donc pas fonder un nouvel empire mais se pose comme l’héritier de l'Empire de Charlemagne ... et de l'Empire Romain. Ce qui, il faut l'avouer, n'est pas rien.
Bref, quelques jours plus tard, reprenant ce qu’avaient fait les Carolingiens avant lui, Otton Ier donne au pape de vastes territoires supplémentaires en Italie centrale. Mais en échange, il prend le contrôle total de l’élection du pape, se garantissant ainsi son soutien. Même logique que dans le système qu’il avait déjà mis en place avec les évêchés donc. Mais au niveau supérieur.
La première crise va venir de la papauté même... Cette mainmise de l'Empereur Otton Ier gêne cependant Jean XII qui noue des contacts avec Aubert, fils de Bérenger II, ainsi qu'avec Byzance. Il va même jusqu'à reprendre la tradition, abandonnée depuis Adrien Ier (772–795), de dater ses actes à partir des années de règne des Empereurs Byzantins - un terrible désaveu pour l'Empereur dont le pape est censé dépendre. Otton Ier revient à Rome et le pape Jean XII doit s'enfuir. L'Empereur convoque un synode qui juge le pape coupable d'apostasie, d'homicide, de parjure et d'inceste. Il le fait déposer le 4 décembre 963. Jean XII est remplacé par un laïc, qui prend le nom de Léon VIII. Otton Ier exige ensuite des Romains un serment. Ils jurent «qu'ils n'éliraient ni n'ordonneraient aucun pape en dehors du consentement du seigneur Otton ou de son fils.»
L’empereur contrôle alors totalement l'élection du pape, et pouvoir compter sur la collaboration du pontife garantit l'autorité impériale sur les Églises locales du Saint-Empire. Comme Charlemagne, Otton Ier reçoit de Rome la mission de défendre l'ordre et la paix de la chrétienté. Cependant, l'empereur est conscient que son emprise réelle sur les Romains est faible: elle n'est réelle que quand il séjourne à Rome avec son armée. Il accepte donc à la mort de Otton Ier en 965 qu'un représentant de la noblesse romaine soit élu sous le nom de Jean XIII. Cependant en 966, Otton Ier doit faire un exemple du préfet Pierre qui s’est rebellé contre le pape Jean XIII: il est pendu par les cheveux à la statue de bronze de Constantin. Cette attitude est payante: Jean XIII est ensuite respecté
À ce stade, on peut dire qu’Otton Ier était de très loin l’homme le plus puissant de toute l’Europe occidentale de l’époque. Et la Francie occidentale, future France, n’était alors guère plus qu’un état satellite du Saint Empire Romain Germanique. Ceci dit, le contrôle d’Otton Ier sur son Empire était loin, très loin, d’être absolu. Certains seigneurs locaux étaient très puissants. Et n’hésitaient pas à faire des leurs dès que l’empereur avait le dos tourné. Ce qui restera la marque de fabrique de cet empire pendant les huit siècles à venir.
La suite du règne d’Otton Ier et ceux de ses successeurs peuvent se résumer assez simplement: quand ils sont en Italie, leur pouvoir est remis en question en Germanie et quand ils sont en Germanie, les seigneurs italiens en profitent pour commencer une révolte. Le pouvoir de l’empereur est donc plutôt fragile. Cette fragilité est particulièrement vraie du côté de la Lotharingie, et donc des Pays-Bas, dont la Francie est prête à s’emparer à la première occasion. Pourtant, les empereurs saxons, puis leurs successeurs franconiens (des Francs, comme leur nom l’indique), vont se maintenir à la tête d’un empire très puissant. Et la Lotharingie restera au sein de cet empire pendant de longs siècles…
F) La fin du règne d'Otton Ier
À l'automne 972, après six années continûment en Italie, son autorité en Germanie est légèrement amoindrie: quelques conflits locaux renaissent malgré la gestion de sa fille Mathilde de Quedlinbourg, abbesse de Quedlinbourg responsable de la Germanie depuis 967. Tous les empereurs du Saint Empire connaissent ce problème durant leur longue absence: comment maintenir leur autorité des deux côtés des Alpes auprès des dignitaires en rivalité constante pour accaparer pouvoir et place? Pour restaurer son autorité surtout auprès des peuples qui ne comprennent pas son absence, Otton Ier malade revient participer à des cérémonies publiques. Les dignitaires pressentent sa fin. L'empereur réunit tous les évêques dans un synode à Ingelheim et répartit les diocèses vacants, objets de convoitise. Il réunit pour la fête de Pâques tous les grands laïcs du royaume dans une diète à Quedlinburg, abbaye où sont enterrés ses parents. Il meurt quelques semaines plus tard dans son palais de Memleben. Son corps est placé dans un mausolée à l'ensemble cathédral archiépiscopale de Magdebourg.
G) La dénomination «Saint Empire Romain Germanique»
Par son nom, le Saint Empire Romain se réclame directement de l’Empire Romain antique et se réclame, tout comme l’Empire Byzantin, à l’idée d’une domination universelle. C'est au XIe siècle que cette idée d'universalité fait son apparition dans le Saint-Empire. Le qualificatif Saint souligne le droit divin de l'Empereur et légitime son pouvoir. En acceptant d'être couronné empereur par le pape Léon III en l'an 800, Charlemagne fonde son empire dans la continuité de l'Empire Romain, on parle de translatio imperii, bien que l'Empire Romain d'Orient dit byzantin, se place également dans une continuité et cela de manière plus ancienne. Les Byzantins considèrent d'ailleurs l'Empire Romain Occidental comme illégitime. Voltaire remarqua ainsi que «ce corps qui s’appelait et qui s’appelle encore le Saint Empire Romain n’était en aucune manière ni Saint, ni Romain, ni Empire».
Signalons que si nous connaissons tous assez bien le funeste IIIème Reich, le Saint Empire Romain Germanique est en fait le Ier Reich (eux ne savaient pas encore que ce serait le Ier)