Lieu |
Personnages |
Devant la cathédrale à Buda | Lucheni, peuple hongrois |
A) «Pendant l’entracte»
La dernière scène de l'acte I couvrait le 24 août 1865, l'ultimatum d’Élisabeth. La première scène de l'acte II se déroule le 8 juin 1867, lors du couronnement en Hongrie. Analysons se qui se déroule entre ces deux scènes.
A.1) 1864 - la guerre des Duchés
Cette période qui devait être un nouveau départ pour Élisabeth va être terrible pour l’Autriche. L’année 1867 est sans doute l’une des plus dures du règne de François-Joseph au XIXème siècle.
Revenons où nous avions lâché la politique internationale, avec le coup de génie du stratège politique Bismarck et la «Guerre des Duchés» (février à octobre 1864) dont le résultat est le suivant:
- le 30 octobre 1864, le Danemark battu renonce à ses droits sur les duchés de Schleswig, de Holstein et de Lauenburg
- le 14 août 1865, la Convention de Gastein (discutée entre les deux vainqueurs, l’Autriche et la Prusse) définit la répartition des trois duchés entre les deux vainqueurs:
- les duchés de Schleswig et de Saxe-Lauenbourg sont administrés par la Prusse
- le duché de Holstein est administré par l'Autriche
Très habile, car l’Empire d’Autriche – qui est par ailleurs à la tête de l’organisation symbolique du monde germanique, la Confédération Germanique, après l’avoir été à la tête du Saint Empire Romain Germanique – doit gérer un duché au beau milieu de la Prusse. C’est un PIÈGE DIABOLIQUE mis en place par Bismarck qui a décidé que ce serait sous peu la Prusse qui dirigerait le monde germanique.
A cette époque:
- La Prusse est puissante grâce à
- la révolution industrielle réussie
- le Zollverein, union douanière d’où est exclue l’Autriche
- L’Autriche est faible à cause de
- sa faiblesse économique (le pays travers une sérieuse crise économique au milieu des années 1860)
- son isolement géopolitique:
- Rivalité depuis des siècles avec la Prusse
- Rivalité avec la France (guerre d’Italie + problématique Mexicaine)
- En froid avec la Russie qu’elle n’a pas soutenu lors de la Guerre de Crimée
- sa nature même: l’Empire d’Autriche est constitué de nombreuses nations
- La Prusse est protestante et l’Empire d’Autriche est catholique
Pour faire court, après s’être assuré de la neutralité de la France et de la Russie, Bismarck joue son coup de pute: il affirme que dans les 3 duchés, un parlement doit être élu. François-Joseph refuse pour le Holstein qu’il administre, car ce serait un précédent: une constitution en Autriche! Bismarck n’hésite alors pas: il envahit le 9 juin 1866 le Holstein. La «Guerre austro-prussienne» vient de commencer.
A.2) 1866 - la guerre austro-prussienne et la défaite de Sadowa
Et quand Bismarck fait-il tout cela? Juste au moment où une très importante réunion de la Confédération germanique se déroule. Les pays se répartissent en deux camps: les pro-Autriche et les pro-Prusse.
Dans une guerre éclair menée du 14 juin au 12 août 1866, mais faisant tout de même 175.000 morts, le camp autrichien est battu à plates coutures, dont par une terrible défaite à Sadowa (République tchèque actuelle).
L’humiliation de l’Autriche va être terrible…
Le traité de paix est signé à Prague le 23 août 1866:
- La Confédération germanique est dissoute.
- C’est une bombe et on la doit à Bismarck. François-Joseph n’a rien vu venir!
- Les Habsbourgh ont dirigé le Saint-Empire romain germanique de 1452 à 1806 puis la Confédération germanique de 1815 à ce 23 août 1866. Plus de 400 ans! Et tout s'arrête ici!!
- La Confédération de l’Allemagne du Nord est créée.
- Dans le traité de paix on trouve:
- «Sa majesté l'Empereur d'Autriche reconnaît la dissolution de l'ancienne Confédération germanique, et donne son accord pour une nouvelle organisation de l'Allemagne sans la participation des États impériaux autrichiens.»
Bismarck a coupé le monde germanique en deux et a pris le pouvoir:
- par le traité, les duchés de Schleswig et de Holstein jusqu'alors gérés par la la Prusse sont maintenant tout bonnement annexés, et place les anciens États souverains alliés de l'Autriche — Hanovre, Nassau, Hesse-Cassel ainsi que la ville libre de Francfort — sous administration militaire prussienne. Berlin réalise ainsi la continuité territoriale entre ses provinces occidentales de Rhénanie et de Westphalie, et son berceau originel du Brandebourg, à l'est de l'Elbe. Le «camp prussien» se renforce.
- les États du sud de l'Allemagne, anciennement sous influence autrichienne, – Grand-duché de Hesse-Darmstadt, Grand-duché de Bade, Royaume de Wurtemberg et Royaume de Bavière – accèdent à une complète indépendance. Le «camp autrichien» s'affaiblit.
- l’Autriche est exclue de l’espace germanique. Rien ne pouvait être pire pour François-Joseph. Si, une chose, que son Empire se disloque de l’intérieur… et disparaisse. Cela ne va pas tarder...
Une question pourrait se poser: pourquoi les armées prussiennes, vu sa supériorité militaire évidente, ne fonce-t-elle pas plus avant vers Vienne, pour renverser définitivement la dynastie autrichienne? Vomme l'avait fait Napoléon Ier?
Le Roi de Prusse, Guillaume Ier le voulait. Mais Bismarck l’en a dissuadé, non sans mal:
«Sire, cela ne servirait à rien d’humilier notre adversaire. L’Autriche nous sera beaucoup plus utile comme alliée – le plus vite possible – que si nous en faisons notre ennemi juré. C’est plus la mise en place d’une Allemagne prussienne que l’anéantissement de l’Empire autrichien qui était recherché, et ce but-là est totalement atteint»
Bismarck à Guillaume Ier
L’Empire autrichien est à genoux. Mais d’autres commencent à s’inquiéter. Dont la France dont le Second Empire sera écrasé par la même Prusse en 1870…
A.3) 18 février 1867 - Le compromis austro-hongrois du 18 février 1867
Affaiblie par sa défaite militaire et ses conséquences, l’Autriche, monarchie multinationale, se heurte aux aspirations des différents peuples de son Empire. Pour éviter une explosion totale de l’Empire, il faut immédiatement négocier avec cees différents peuples. Il y a deux «peuples majeurs»: les autrichiens et les hongrois. De longues tractations s’engagent dès la Paix de Prague, et trois options sont envisagées:
- une option fédérale à six: Autriche, Bohême-Moravie, Galicie-Lodomérie, Hongrie, Croatie et Transylvanie
- une option fédérale à quatre: Autriche, Bohême, Croatie, Hongrie
- une option fédérale à trois: Autriche, Hongrie, Croatie
- une option fédérale à deux: partie Autrichienne ou «Cisleithanie» et partie Hongroise ou «Transleithanie»
Cette dernière option est la seule que les aristocraties de ces deux «entités majeures» acceptent.
Le Compromis austro-hongrois transforme l’Empire d’Autriche en un duo: l’Empire d'Autriche et le Royaume de Hongrie, deux entités autonomes et égales qui disposent chacune de sa propre constitution et de son propre Parlement qui vote son propre budget. Mais ces deux entités ont en commun les Affaires Étrangères, l’Armée et les Finances.
A.4) L'implication d'Élisabeth dans cette émergence de la Hongrie
L’implication d’Élisabeth dans le choix de cette option bicéphale n’est pas nulle.
Nous avons souligné son attrait sans cesse croissant pour la Hongrie et son peuple. A nouveau, un petit épisode «Point de Vue et Images du monde» tellement éloquent:
En janvier 1866 (six mois avant Sadowa), une délégation hongroise est venue, officiellement, souhaiter un heureux 28ème anniversaire à l’Impératrice.
Dans la salle du trône de la Hofburg à Vienne, elle attend, revêtue du costume national hongrois. Elle est resplendissante et a pris soin d’être entourée de huit dames du palais, toutes de nationalité hongroise. On imagine avec quelle aigreur les familles autrichiennes proches de la Cour sont offusquées!
La délégation est conduite par le cardinal primat de Hongrie et par le séduisant comte Gyula Andrâssy, 42 ans, la barbe couvrant son cou et les cheveux en bataille.
Depuis son amnistie personnelle, il est un soutien des Habsbourg et, à l’évidence, un admirateur de l’impératrice. Il souhaite avoir l’honneur «comme tous les Hongrois de la recevoir dans leur capitale». Elle lui répond en hongrois :
«Je n’ai pas de souhait plus cher que de revoir cette ville splendide.»
La foudre tombant sur la Hofburg aurait eu moins d’effet! Une ovation monte de la délégation hongroise.
«Éljen Erzsébet (Vive Élisabeth)!»
François-Joseph admire sa femme qui réussit là où ministres et hauts fonctionnaires ont échoué. Maintenant, elle leur parle presque sans le secours de sa lectrice-traductrice, la précieuse Ida Ferenczy.
Quand en février 1866, le couple impérial se rend à Budapest, comme elle reçoit une telle ferveur du peuple (très différent de Vienne), elle devient une véritable diplomate et arrive à persuader son mari que la Hongrie a besoin de plus de libéralisme.
Après le drame de Sadowa, Élisabeth va proposer à François-Joseph de nommer Gyula Andrâssy Ministre des Affaires Étrangères, renforçant ainsi la cohésion de l’Empire en danger. Mais en octobre 1866, il choisira un allemand. Durant toutes les discussions du Compromis austro-hongrois, Élisabeth n’aura de cesse de défendre la Hongrie.
Une fois la solution bicéphale choisie, celle qui va devenir Reine de Hongrie, vit avec bonheur l’annonce la nomination du comte Gyula Andrâssy au poste de Premier ministre de Hongrie (février 1867). Tous les efforts de l’impératrice ont abouti, elle a gagné. Après des mois de tractations et d’audace, le triomphe d’Andrâssy est son triomphe. L’archiduchesse Sophie et son entourage sont effondrés de voir l’empereur soumis au dangereux libéralisme de sa femme. C’est elle qui a tout manigancé. Se prendrait-elle pour une nouvelle Marie-Thérèse («Impératrice» d'Autriche), la seule femme à avoir été souveraine des possessions des Habsbourg et restée, dans la mémoire collective, comme l'un des plus grands monarques du XVIIème siècle? Ces rancoeurs ne dépassent pas l’univers déconfit de la Cour, mais elles consacrent l’élimination de la mère de François-Joseph dans les calculs politiques. L’archiduchesse n’a plus son mot à dire...
B) 8 juin 1867 - Le couronnement hongrois
B.1) Une consécration hongroise
Le sacre et le couronnement des souverains obéissent à un protocole particulier: le Roi demande au Cardinal de bénir l’épouse unie à Dieu devant lui avant que les grandes orgues entonnent une vibrante Messe du couronnement.
Elle a été composée par Franz Liszt et c’est lui-même qui est aux commandes des claviers: Liszt, le grand Liszt, dont les tournées ont enchanté l’Europe romantique mais qui vit alors à Rome dans une semi-retraite. Son âme hongroise l’avait déjà incité à composer un oratorio: Die Legende von der heiligen Elisabeth (la Légende de sainte Elisabeth), créé à Buda deux ans auparavant. Liszt n’attendait plus qu’un bonheur: jouer enfin sa Messe du couronnement. Sa présence est elle-même un événement.
Portée par la grâce qui rejaillit sur elle en ce moment, la Reine oublie sa fatigue et sa hantise du cérémonial. Elle est très émue et on peut dire qu’elle épouse la nation hongroise. À la sortie de Saint-Mathias, la foule crie à plusieurs reprises: «Eljen Erzsébet (Vive Élisabeth)!»
Dans sa trentième année, l’ancienne sauvageonne, duchesse en Bavière, puis impératrice d’Autriche en rébellion contre les convenances, est devenue un ange salvateur du peuple hongrois. En la regardant, Liszt, comme la foule, remarque qu’elle ne marche pas: elle glisse. Et l’organiste écrit à sa fille, Cosima, maîtresse et future seconde épouse de Richard Wagner:
«Je ne l’avais jamais vue si belle. Elle apparaissait comme une vision céleste dans le déroulement d’un faste barbare.»
Franz Liszt
Puis, la cérémonie se poursuit par un rite original et spectaculaire. C’est le serment public du sacre, en plein air. Ils sont ovationnés, puis le ministre des Finances distribue des milliers de pièces d’or et d’argent. Dans la bousculade, deux chevaux se cabrent et jettent à terre deux évêques, ce qui fait rire la Reine, toujours sévère avec les piètres cavaliers. Le Roi fait ouvrir deux coffres contenant chacun 100.000 ducats en or. C’est un cadeau personnel du couple royal aux orphelins, aux veuves, aux miséreux et aux victimes de la répression des Habsbourg. Une rumeur circule: cette générosité est sûrement l’idée de la Reine. Tout ce qui est bon et libéral lui est attribué, que ce soit avéré ou non...
La scène 1b montre bien la ferveur du peuple en opposant le commentaire très critique de Lucheni:
Acte II – Scène 1b |
Acte II – Scène 1b |
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Acte II – Scène 1b |
Acte II – Scène 1b |
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Acte II – Scène 1b |
Acte II – Scène 1b |
Lucheni comprend que dans les années à venir, François-Joseph (et donc les Habsbourg) seront beaucoup plus assimilés à l’Autriche qui ne va cesser de s’effondrer. La Hongrie restera au second plan.
A la fin de la scène 1a, Lucheni nous annonce qu’Élisabeth n’est pas celle qu’on croit…
Acte II – Scène 1a |
B.2) KITSCH !
- On relie parfois les sources du mot «kitsch» au verbe allemand verkitschen, qui signifie «brader» ou «vendre quelque chose à la place de ce qui avait été demandé».
- Ou au verbe allemand kitschen, qui signifie «ramasser des déchets dans la rue».
- Ou au mot anglais sketch, prononcé à l'allemande, qui signifie «croquis» ou «esquisse».
Dix jours plus tard, le 19 juin 1867,
le frère de François-Joseph, Maximilien, l’Empereur du Mexique
est fusillé.