Le Musical Élisabeth suit le destin de la légendaire impératrice autrichienne Élisabeth - la mythique et célèbre "Sissi". Mais nous sommes très loin des sirupeux films des années '50 avec Romy Schneider en tête d'affiche. L'histoire qui nous est racontée de la bouche de son meurtrier, l'anarchiste Luigi Lucheni, dresse un portrait touchant, captivant et étonnamment contemporain de cette femme écrasée par les contraintes protocolaires. Son combat pour l'indépendance fait d'elle une femme née à la mauvaise époque... Mais, avec les années, Élisabeth devient plus égocentrique et part dans de long voyages, abandonnant son fils, le Prince-Héritier Rodolphe.
Ce musical nous présente donc la vraie vie de "Sissi". Et même s'il s'agit avant tout d'une grand épopée romantique, ce musical nous parle aussi de notre monde contemporain, de ses mensonges et de ses lâchetés. Le meilleur moyen de comprendre cette seconde lecture, est de s'attarder quelques instants sur le processus de création...
Un musical européen
Cette œuvre a été créée en 1992 à Vienne par deux artistes, deux amis qui travaillaient ensemble de manière récurrente depuis le début des années ’70 et dont le trajet européen est lourd de sens:
Sylvester Levay est un compositeur hongrois né le 16 mai 1945 à Subotica, aujourd'hui en Serbie, une ville qui a été successivement au gré des errements de l’«Histoire»: hongroise, ottomane, à nouveau hongroise, ville libre, autrichienne, austro-hongroise, yougoslave et enfin serbe.
Michael Kunze est un auteur allemand né le 9 novembre 1943 à Prague à une époque où la ville était sous le joug nazi. Redevenue tchécoslovaque, cette ville a vécu sous le joug soviétique pendant 44 ans, le terme joug étant justifié ne fut-ce que par le cri de liberté que fut le Printemps de Prague en 1968.
Vous trouverez dans ce programme des biographies détaillées de ces auteurs, mais il était important à ce stade de souligner à quel point leurs origines respectives les ont sensibilisés aux aléas de l’histoire, aux notions d’extrémisme, de nationalisme. En ce qui concerne le librettiste Michaël Kunze, qui est juriste et historien de formations, il s’est attaché dans ses livres historiques, puis dans ses musicals, à dénoncer les absolus, les certitudes. Surtout quand ils sont véhiculés «pour des raisons d’État». Et de mettre en garde contre les peuples qui sont aveuglés par ces certitudes et qui suivent «docilement».
Michaël Kunze s'attaquera dans son deuxième musical à un autre personnage mythique autrichien, le compositeur Wolfgang Amadeus Mozart.
Dans MOZART!, le compositeur est joué pendant tout le spectacle par deux artistes très différent et en concurrence, comme deux voix intérieures: un enfant de 6 ans qui incarne le petit prodige musical, et un jeune adulte qui veut jouir de la vie et de ses plaisirs.
Une mouette noire pour la fin d’un mondeLe musical Élisabeth est le fruit d’une commande de la prestigieuse Vereinigte Bühnen Wien faite à Michael Kunze, au tout début des années ’90. Comme se souvient Michael Kunze:
«Cette commande m’est arrivée à un moment très particulier de l’histoire de l’Europe et à moins de dix ans de la fin du millénaire.»
Rappelons que le 9 novembre 1989, le mur de Berlin est tombé. C’est sans doute la manifestation la plus symbolique de cet effondrement, de ce que l’on appelait le bloc de l’Est. Rappelons encore à quel point fut absurde cette situation qui vit des familles séparées pendant près de trente ans par un mur dressé au milieu d’une ville, voulant séparer de manière définitive deux manières de concevoir le monde.
Beaucoup d’analystes politiques ou même d’hommes politiques de premier rang, comme François Mitterrand, imaginaient qu’il faudrait de nombreuses années avant que les deux Allemagne ne puissent se réunifier en un seul État. En réalité, ce fut fait en moins de dix mois, le 10 octobre 1990, Berlin redevenant la capitale de cette Allemagne réunifiée. Rappelons que dans cette même année 1989, des révolutions ont eu lieu en Hongrie, en Bulgarie, en Tchécoslovaquie et en Roumanie. En décembre 1990, Lech Walesa - fondateur du syndicat Solidarność - sera élu Président de la République en Pologne. En ce qui concerne l’URSS, elle disparut le 25 décembre 1991.
Ce n’est pas étonnant que dans cette tempête, la Vereinigte Bühnen Wien souhaite créer un musical qui parle de la place de l’Autriche. Il n’était pas précisé si c’était de l’Autriche d’hier ou de celle d’aujourd’hui dont il fallait parler. Laissons à nouveau la parole à Michaël Kunze:
«Dans cette époque où tous les repères avaient disparu, et à la veille du tournant du millénaire, j’ai choisi d’aborder la chute de l’empire des Habsbourg. Je suis historien, et je m’intéresse aux parallèles entre le présent et le passé. Après tout, au tournant du millénaire, l’ensemble de l’Europe a été confrontée à un bouleversement profond, et en Autriche, au tournant du XIXème siècle, quelque chose de similaire s’était produit: une époque vieille de 1.000 ans avait disparu.»
Rappelons que pendant 1.000 ans, depuis 942, l’Autriche et la Prusse vont s’affronter au sein de la famille germanique pour y assurer le pouvoir. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, l’Autriche va être toute puissante, mais imperceptiblement, à partir de là, l’Autriche va s’effondrer sans oser l’admettre.
L’exemple le plus frappant est certainement la «réunification allemande» et la proclamation du IIème Reich, comprenant toutes les nations germaniques, sauf l’Autriche, qui ont lieu en 1871, dans ce lieu symbolique qu’est le Château de Versailles après que la Prusse ait battu militairement la France et renversé Napoléon III. L’Autriche est devenue un simple petit satellite de cet Empire Allemand tout puissant.
Mais, remplie d’illusions, l’Autriche croit encore en sa puissance puisque, le 28 juin 1914, quand sera assassiné François-Ferdinand, l’héritier de l’Empire d’Autriche-Hongrie par un nationaliste serbe de Bosnie – la Bosnie étant alors une province de l’Empire austro-hongrois – le vieil Empereur François-Joseph, le mari d’Élisabeth, va en faire une affaire de principe, déclenchant ainsi une guerre qui par le jeu des alliances allait devenir mondiale. Et provoquer 20 millions de morts. L’arrogance de l’Empire austro-hongrois moribond nous a donc tous touchés, car c’est une décision de l'Empereur François-Joseph qui a provoqué cette guerre des tranchées qui a ravagé la Belgique et le nord de la France pendant 4 ans. La fin de la Première Guerre mondiale allait mettre fin au IIème Reich, mais aussi à cet Empire austro-Hongrois millénaire. Redonnons une fois encore la parole à Michaeël Kunze:
«L’effondrement d’une culture et d’une société entière est quelque chose de terriblement théâtral. J’avais toujours rêvé de pouvoir raconter quelque chose de tel sur scène. Cette proposition apportait donc de l’eau à mon moulin. Dans les premières discussions préparatoires, nous avons commencé à discuter des épisodes historiques et des destins qui nous semblaient intéressants à l’époque des Habsbourg. Mais ils sont si nombreux! On a mentionné Sissi, mais je n’avais pas la moindre envie de faire de l’Impératrice la figure principale d’un musical. L’idée de devoir lutter contre le cliché d’un personnage des années ‘50 était trop dissuasive.»
Rappelons que dans l’inconscient collectif, l’image d’Élisabeth, c’est avant tout la jeune Romy Schneider. Elle a créé cette image iconique dans trois films des années '50. N'oublions pas que cette biographie édulcorée en trois films avait pour objectif premier de restaurer le passé glorieux de l’Autriche et de redonner une «virginité politique» à la mère de Romy Schneider dont la proximité avec Hilter pendant la guerre a été plus qu’équivoque.
Michael Kunze est très clair:
«Mes premières recherches, suite à la commande de la Vereinigte Bühnen Wien, concernaient Mayerling, François-Joseph, Arthur Schnitzler ou Josef Roth, l’auteur du roman Radetzkymarsch. J’ai lu des milliers de documents sur tout ce qui était arrivé avant et après 1900, y compris le Tagebuchblätter du professeur de grec de l’Impératrice Élisabeth, Constantin Christomanos, dont un épisode m’a profondément touché.» (Michaël Kunze)
«Cette mouette noire qui la suivait, lui était familière. Elle s’identifiait à elle. Quand j’ai lu ça, j’ai réalisé qu’Élisabeth se voyait comme une mouette noire, un symbole de la fin. J'ai été immédiatement séduit.» (Michaël Kunze)
Dans le monde des musicals, jusqu’à ce projet, Michaël Kunze s’était «limité» à adapter en allemand des musicals préexistants. Il avait à cette occasion travaillé à de nombreuses reprises avec le légendaire – tant à Broadway qu’à Londres - producteur et metteur en scène Harold Prince. Mais cette fois, il savait qu’il devait réussir ce projet sans son aide. C’était un sujet européen, et plus le projet a avancé, plus Michaël Kunze est devenu persuadé qu’il ne fallait pas le faire avec une équipe américaine. Harold Prince a confirmé cette option. Michaël Kunze se souvient:
«Comme toujours, je l’ai écouté, même si j’ai eu du mal à le perdre en tant qu’associé. Tout restait à faire. Mais Élisabeth serait définitivement le fil rouge du musical nous permettant de comprendre la fin du monde des Habsbourg, et à travers ce que l’on peut presque qualifier de «naufrage d’une civilisation millénaire» nous porter à nous interroger sur nos certitudes quant au monde dans lequel nous vivons aujourd’hui à l’aube du troisième millénaire.» (Michaël Kunze)