Lieu et date |
Personnages |
Villa Eltz (Villa de l’empereur) à Bad Ischl le 15 août 1853 |
François-Joseph, Archiduchesse Sophie, Duchesse Ludovica, Hélène, Elisabeth, Lucheni, … |
La rencontre entre Elisabeth et François-Joseph est tout sauf une rencontre pré-arrangée. Car le 15 août 1853, François-Joseph est censé rencontrer sa future fiancée, Hélène de Wittelsbach, la soeur d'Elisabeth. Rien ne va - une fois de plus - se passer comme prévu...
A) Réalité de la rencontre
La scène du musical a été construite pour représenter la réalité de la rencontre. Les détails sont justes mais ont été rassemblés en un seul lieu et un seul jour. Le lieu est la Villa Eltz à Bad Ischl qui va devenir la résidence d’été de la famille impériale. En fait, lors de la rencontre, la villa appartient encore à un médecin, qui « prête » le lieu plus discret que les résidences impériales. Un mois après la rencontre, Sophie acquerra la propriété et l’offrira au couple impérial comme «le lieu où ils se sont rencontrés». Que tout cela est romantique ... ou stratégique!
Mais en réalité, tout cela a été beaucoup plus complexe.
A.1) Participants au voyage de présentation de Hélène à François-Joseph
Pour ce voyage, il y a deux évidences. Bien entendu, la future fiancée et sa mère, Hélène (18 ans) et Ludovica, y participent. Et comme il fallait s'y attendre, Maximilien, le père, n’en est pas. Cela ne l'intéresse pas du tout ce genre de «cérémonie». Mais, au dernier moment, Elisabeth (15 ans) se rajoute. Pourquoi? Deux éléments de réponse:
- un des «amis» d’Elisabeth vient de mourir, Richard. La perte de cet «amoureux» l’a fortement affectée (cf poème ). Ludovica a des soucis à abandonner sa fille seule dans cet état de faiblesse. Elisabeth, aurait certainement préféré rester à Possenhofen que de partir rencontrer l’Empereur
- Mais Ludovica, qui n'a peur de rien, se met à rêver à un «doublé gagnant». Hélène va épouser François-Joseph. Et si on en profitait pour qu’Elisabeth épouse le frère cadet de l’Empereur, Charles-Louis (20 ans)…
A.2) 15 août 1853 - Premier jour - Voyage
Elisabeth fait les 400 coups. Lors d’un arrêt, elle exige de donner elle-même à boire aux chevaux.
A.3) 16 août 1853 – Deuxième jour – Voyage & première rencontre
La berline arrive à l’hôtel à Bad Ischl avec 1h30 de retard. Comme François-Joseph est un être ultra-ponctuel, elle n’ont pas le temps de se changer et partent rencontrer l’Empereur. Il partent directement à la Villa Eltz. Dans le musical, cela se matérialise par une discussion entre les deux soeurs:
Acte I – Scène 4 |
François-Joseph regarde Hélène pour jauger les qualités que lui a vantées sa mère Sophie. L’empereur lui sourit. Il est d’excellente humeur, observant Hélène en passant à table alors que le thé et les pâtisseries vont être servis. Il n’y a pas de hasard dans le protocole impérial et les calculs des mères marieuses: Hélène est placée à côté du souverain. La parfaite éducation de François-Joseph lui permet d’échanger des banalités académiques avec cette cousine intimidée, mais qui sait se tenir. Leurs propos sont plats et courtois.
Acte I – Scène 4 |
Sophie n'oublie pas que la fonction première de l'épouse de l'Empereur est de «fabriquer» un héritier...
Cependant, comme le remarque l’archiduc Charles-Louis (20 ans), le deuxième frère de l’empereur, que Sophie aimerait marier à Elisabeth, le regard de son frère aîné n’est pas pour Hélène. S’il s’exprime très aimablement, presque mécaniquement, ses yeux se portent vers le bout de la table. Pourquoi? Parce que Elisabeth y a été reléguée comme une enfant, avec la gouvernante.
François-Joseph s’étonne de son éloignement. Et pourquoi donc sa mère ne lui a-t-elle parlé que d’Hélène? Et pourquoi Elisabeth n’est-elle pas plus près?
Au fur et à mesure que l’heure s’avance, l’empereur est de moins en moins attentif à Hélène, au point qu’il finit par lui trouver plus de dureté que de grâce. Elle l’a intéressé un moment. Sans plus…
Tandis qu'Elisabeth …
A.4) 17 août 1853 – Troisième jour
A.4.1) Matin: Réunion politique
Le lendemain, une réunion politique a lieu (problématique de la Guerre de Crimée). Il déclare à sa mère qu'Elisabeth est charmante. Pas un mot sur Hélène. Sophie écrira – elle qui a l’habitude de se substituer aux hommes défaillants (Empereur Ferdinand Ier ou son propre mari) – que son fils rayonne. Elle écrit qu’elle sent qu’elle va devoir faire un compromis qui la contrarie. Elle a jusqu’alors fourni les femmes qui satisfont sexuellement son fils «énergique», ce qu’elle appelait les «comtesses hygiéniques». Comme mentionné dans son journal – c’est donc suffisamment important pour qu’elle le notifie – elle interroge alors son fils sur Hélène: «N’est-elle pas intelligente, avec une belle silhouette, svelte?» Selon le journal de Sophie, il lui aurait répondu: «Certes, elle est très sérieuse, discrète, et sans aucun doute gentille et fort agréable; mais Sissi! Sissi, son charme, cette exubérance de petite fille encore, et pourtant cette douceur!»
Rappelons encore que François-Joseph doit à la stratégie du Congrès de Vienne de 1815 le mariage de ses parents, Sophie et François-Charles. Qu’il doit à la stratégie de 3 femmes (voir ci-dessous) de devenir Empereur à 18 ans:
L’impératrice-douairière Caroline-Auguste de Bavière |
L’impératrice-consort Marie-Anne de Sardaigne |
L’Archiduchesse Sophie |
La 4ème et dernière épouse de l'Empereur François Ier | L'épouse de l'Empereur Ferdinand Ier qui abdiquera en 1848 | L’épouse de François-Charles qui renoncera à succéder à Ferdinand Ier au profit de son fils François-Joseph |
Comme nous l'avons vu à la scène précédente, le tout jeune Empereur a encore besoin de sa mère Sophie comme tuteur. Il ne décide de rien. Le choix d’Elisabeth est un des rares actes irrationnels posés par le jeune Empereur et un des rares où il s’opposera – jeune – à sa mère, le «pantalon de l’Empire». Il s’agit d’un véritable coup de foudre. Et ce n’est nullement naïf que de l’affirmer.
A.4.2) Fin de matinée: chasse
Une séance de chasse – grand plaisir des Habsbourg et de François-Joseph – est prévue en fin de matinée. L’Empereur refuse d’y participer et préfère revoir … Elisabeth avant le déjeuner familial. Sophie sent que la situation lui échappe.
Elle vit cela comme une faute professionnelle. La mission de sa vie est d’être le «pantalon de l’Empire», une sorte de réincarnation de Metternich. Cet homme qu’elle a tant jalousé et admiré en secret.
Selon elle, ce mariage est une folie! La problématique à ses yeux est double – et elle ne s’en cache pas car elle l’écrit clairement dans son journal:
- Élisabeth ne connaît rien des usages de la cour de Vienne, elle n’est qu’une campagnarde, parle un dialecte bavarois. Elle est beaucoup trop jeune et forcément inculte.
- Pour la première fois, ce fils dont elle a fait un empereur décide sans elle! Seul! En empereur… Plus grave: si François-Joseph lui doit sa couronne, il ne lui devra pas son épouse… Il lui échappe!
ATTENTION, on n’est pas dans les can-cans de journaux à sensation.
Le déroulement de cette rencontre explique
le rapport des deux femmes pendant des années.
Sophie décide alors de changer de stratégie. Elle qui était pressée de marier son fils avec Hélène va tout faire pour tout freiner, espérant ainsi faire retomber la «fièvre» de son fils pour Elisabeth.
LA GUERRE COMMENCE. UNE GUERRE DU QUOTIDIEN.
A.4.3) Déjeuner
Sophie ordonne qu’Elisabeth ne paraisse pas au déjeuner familial du midi. Elle est trop jeune. Elle est reléguée avec sa gouvernante dans une pièce contiguë à la salle à manger.
En plein milieu du repas, François-Joseph demande la permission à sa mère d’inviter Elisabeth à sa table. Sophie, même si elle en a envie, ne peut refuser sous peine de créer un incident. A ce stade François-Joseph et Elisabeth ne se sont pas encore parlé!!!
Elisabeth entre dans la pièce et rejoint la grande table mais n’ose pas regarder l’Empereur qui, lui, la dévore des yeux. On se pousse pour lui inventer une place, dans un silence qui ressemble à un désaveu. Elisabeth, furieuse d’être, de nouveau, mise en lumière, s’assoit. Mais elle triomphe de sa gouvernante et surtout de sa mère. C’est un point commun avec l’Empereur. Mais ce «regard chargé de rêve», cette peau blanche, ces cheveux auburn, cette silhouette féerique sont-ils ceux d’une future impératrice? Est-ce la vie dont elle rêve?
L’empereur se lève, tout le monde se lève. On se retrouvera ce soir au dîner, puis au bal. François-Joseph prie sa mère d’y inviter Elisabeth, ce qui n’était pas du tout prévu.
Sophie, et sa sœur Ludovica, cèdent mais vont se venger. Si ce n’est plus le Congrès de Vienne qui décide de l’avenir des Habsbourg, Sophie n’a pas subi un mari puis un beau-frère lamentables pendant tant d'années pour qu’on sabote maintenant son organisation. Elle a choisi Hélène, et Elisabeth n’est pas prête. Son fils François-Joseph dont elle est si fière, ne peut pas épouser une jeune fille qui écrit des poèmes, grimpe aux arbres et … qui danse mal.
A.4.4) Bal
Ludovica prépare sa fille Hélène pour le bal (se déroulant à l’hôtel Austria où logent Ludovica, Hélène et Elisabeth): magnifique robe de satin blanc, créée pour l’occasion, … Par contre, Elisabeth ne sera parée que d’une simple robe de voile, couleur pêche. Elle doit passer inaperçu.
Mais Elisabeth ne passe jamais inaperçu. La preuve? Quand elle arrive face à l’Empereur, plutôt que de faire une révérence, elle lui tend la main! François-Joseph est surpris mais il adore.
Comme nous l'avons dit, tout ce qui se passe dans le musical s'est déroulé en rélaité, mais dans une autre temporalité... Comparez!
Acte I – Scène 4 |
François-Joseph lance le bal mais ne danse pas. C’est prévu, il ne doit danser qu’à la fin de la soirée pour le cotillon (une sorte de danse)! «Quelqu’un» envoie son aide de camp, le baron von Weckbecker (cela pourrait être la mort si la scène avait été reprise dans le musical) inviter Elisabeth à danser. Est-ce Sophie qui sait qu’Elisabeth danse mal? Est-ce l’Empereur lui-même qui veut voir son coup de foudre danser pour lui? Quoi qu’il en soit, comme l’écrira François-Joseph: «Elisabeth semblait avoir des ailes.»
Lorsqu’en fin de soirée vient la danse de clôture, le cotillon, François-Joseph choisit Elisabeth à qui il offre un bouquet comme le veut la tradition de cette danse. MAIS…
Accroc à l’usage…. Il lui offre aussi tous les autres bouquets, ceux qui étaient destinés à toutes les autres jeunes filles, dont Hélène. Les commentaires sont discrets mais unanimes, une telle exclusivité ne peut avoir qu’un sens: c’est une demande en mariage! Ce soir, Elisabeth est la seule danseuse de l’empereur et les fleurs ne sont que pour elle. On imagine l’humiliation que ressent Hélène!
A.5) 18 août 1853 – Quatrième jour
A.5.1) Rencontre Sophie - François-Joseph
A l’aube du 18 août, le jour de son 23ème anniversaire, François-Joseph annonce à sa mère qu’il veut épouser Elisabeth. Sophie masque sa déception et/ou sa rage; elle sait qu’elle n’est pas de taille à s’opposer au choix de son fils. Elle remet sa critique à plus tard.
A.5.2) Déjeuner
Elisabeth est cette fois assise à côté de l’Empereur et … Hélène, là où on avait fait de la place pour sa sœur, la veille. Même si elle se sent humiliée, Hélène reste digne. C’est sa sœur qui va devenir Impératrice à sa place. Dur, dur.
A.5.3) Promenade en calèche
L’après-midi, la chaleur restant accablante, Sophie organise une promenade en calèche à quatre, avec son fils et ses deux cousines. Ici encore, Sophie s’arroge une place bizarre, avec nos yeux d’aujourd’hui. Une douzaine de kilomètres dans les bois, jusqu’à Saint-Wolfgang. La situation est presque comique: Elisabeth et François-Joseph se regardent, ils se parlent en silence, avec leurs yeux, pendant qu’ Hélène fait la conversation presque toute seule, d’une manière mécanique et d’une voix forte, parlant de tout, du paysage… Sophie se tait car elle a une migraine. Irrespirable! L’Empereur abrège la promenade pour épargner sa mère. A moins que ce ne soit pour une autre raison.
A.5.4) Entrevue Sophie - Ludovica
Dès qu’ils sont seuls, l’Empereur demande à Sophie de se rendre chez sa sœur Ludovica et de lui transmettre son souhait d’épouser Elisabeth. Sophie, comme le lui a demandé son fils, va voir sa sœur qui se sent presque coupable du désordre familial causé par sa fille cadette. L’archiduchesse l’interroge: Elisabeth consentira-t-elle à épouser son fils? Ludovica veut poser la question seule à seule avec sa fille.
A.5.5) Entrevue Sophie - Elisabeth
Rappelons que deux jours auparavant, Elisabeth et François-Joseph ne se connaissaient pas. Et qu’ils n’ont toujours pas eu de vraie conversation.
La question de Ludovica à sa fille est claire: «Peux-tu aimer l’Empereur?»
La réponse est limpide et ambiguë, très élisabéthaine: «J’aime tant l’Empereur. Si seulement il n’était pas Empereur!»
Ludovica interprète la réaction de sa fille et envoie un billet à sa sœur Sophie disant qu’Elisabeth acceptait.
Sophie est vaincue. Pour elle, c’est un caprice de son fils. Caprice auquel elle ne peut s’opposer. Si son fils veut en faire sa femme, Sophie décide qu’elle en fera une Impératrice. A ce moment, Sophie se voit investie d’une nouvelle mission: être la maîtresse de cérémonie de l’accouchement social de sa nièce Elisabeth qui devient aussi sa belle-fille. Elisabeth est encore une enfant, à la frontière de la femme, un état flou. L’archiduchesse devra diriger la métamorphose car ce mariage est aussi, voire surtout, une entreprise politique. Et Sophie ne peut se permettre d’échouer: l’Empire en souffrirait.
D’ailleurs, c’est le rôle chronique de sa vie.. Après l’avoir rencontrée, à Vienne, le géant politique qu’est Bismarck déclarera: «Au fond, c’est elle qui tire les ficelles de la vie politique.»
La soirée du 18 août à l’Hôtel Austria est unique et, si elle n’avait été réelle, elle serait totalement non crédible:
- Elisabeth qui avait accompagné sa sœur pour ne pas rester seule se voit bombardée Impératrice d'Autriche en place de sa sœur
- Les deux sœurs se parlent et Hélène s’incline sans vraie rancœur
- Elisabeth déclare à Sophie : «Je ferais bien tout pour rendre l’empereur heureux… mais le pourrai-je?» Bicéphale, comme toujours. Et ce n’est qu’un début.
A.6) 19 août 1853 – Cinquième jour
A.6.1) Intermède comique de Maximilien
Ludovica envoie un télégramme à son mari. Mais il croit que son épouse s’est trompée dans le message. C’est Hélène qui devait devenir Impératrice, non? C’est donc Elisabeth … Le père est ravi, car l’indépendance et la liberté d’Elisabeth vont rendre les fêtes de familles beaucoup plus sympathiques. Si Elisabeth ne change pas. Quoi qu’il en soit, il part à Bad Ischl.
A.6.2) Tôt le matin, Hôtel Austria
A huit heures, Sophie et François-Joseph arrivent à l’Hôtel Austria. Elisabeth est prête, ravissante. Les deux cousins s’embrassent. Les voici fiancés. L’empereur présente Elisabeth officiellement à ses aides de camp, aux officiers de son escorte. La nouvelle agite tout l’hôtel et très vite la nouvelle se répand dans la petite ville.
A.6.3) Onze heure, la messe
À onze heures, la foule se presse à l’église pour la grand-messe. Le curé fait jouer l’hymne impérial à l’orgue. À la sortie, la foule applaudit en jetant des fleurs: «Voici ma fiancée», dit François-Joseph à la foule. C'est ce que l'on appelle un vrai coup de foudre, non?
Signalons tout de même qu’Élisabeth n’a pas eu le temps de dire oui. Ni de dire non. A-t-elle eu un instant pour réfléchir au destin, inattendu, qui est désormais le sien? L’archiduchesse Sophie écrira, plus tard, avec son sens rigoureux du protocole: «On n’envoie pas promener un empereur d’Autriche.»
Il va falloir 8 mois pour préparer Élisabeth à son nouveau statut.
Le mariage n’aura lieu que le 24 avril 1854.
Ces 8 mois sont symbolisés dans la scène 5 du musical «Elisabeth».