La «Reaktionsära» (l'«ère réactionnaire« en allemand) est la période qui suit immédiatement la révolution de mars 1848 dans les états allemands. Elle est marquée par le rétablissement de la Confédération germanique après l'épisode révolutionnaire et la mise en place du Parlement de Francfort. C'est une période très conservatrice, caractérisée par la répression envers les hommes politiques libéraux et démocrates par les États de la confédération. Elle se termine en 1858.
A) Restauration de la Confédération germanique
L'échec du Parlement de Francfort, qui ne parvient pas à créer un État-nation démocratique, et la victoire de la contre-révolution en 1849 permettent la restauration de la Confédération germanique. Toutefois, comme les relations entre l'Autriche et la Prusse se sont nettement dégradées, le fonctionnement de la confédération devient moins efficace.
Directement après la dissolution du Parlement de Francfort, l'Autriche prend l'initiative de rétablir le Bundestag à Francfort-sur-le-Main. La Prusse n'y adhère pas et poursuit sa politique d'Union, c'est-à-dire une tentative de réaliser la Petite-Allemagne. D'autres États proches de la Prusse ne participent pas non plus à la Confédération, son parlement n'a donc qu'un rôle symbolique.
La crise entre l'Autriche et la Prusse atteint son sommet avec la crise des duchés du Holstein et du Schleswig en 1850. Les deux duchés réclament en effet une intervention militaire de la Confédération germanique pour rétablir l'ordre chez eux mais la Prusse, par la voix de son ministre des Affaires étrangères (grand artisan de la politique de la Petite-Allemagne) Joseph von Radowitz, s'y oppose catégoriquement. Début novembre, la guerre est proche. Cependant, la Prusse se retrouve isolée. Le tsar Nicolas Ier de Russie, en particulier, soutient activement l'Autriche. Radowitz doit démissionner et la Prusse se ranger du côté autrichien.
La Conférence d'Olmütz du 29 novembre 1850 entre les trois parties est marquée par de larges concessions prussiennes: fin de l'Union d'Erfurt (embryon de Petite-Allemagne), retrait de Hesse, acceptation d'entrer en négociation à propos des duchés de Schleswig et de Holstein ainsi que son adhésion à la Confédération germanique. Cette reculade prussienne est un recul sur la voie de l'unité nationale allemande mais évite tout conflit entre l'Autriche et la Prusse jusqu'en 1866. La Confédération germaniquereprend donc vie, mais sous quelle forme?
La conférence ministérielle de Dresde (23 décembre 1850 au 15 mai 1851) à laquelle participent tous les États membres esr réunie pour définir la forme que doit prendre la nouvelle institution. Mais rien n'est évident et différentes propositions sont à l'étude. La première consiste à revenir à la solution antérieure à 1848, la seconde à réformer celle-ci en renforçant l'exécutif fédéral en particulier, mais aussi en la dotant de pouvoirs d'ordre économique et législatif. Le ministre-président d'Autriche Felix zu Schwarzenberg tente alors d'imposer son idée d'une Allemagne sous domination autrichienne: une Allemagne de 70 millions d'habitants. Il compte sur l'aide de la «troisième Allemagne», c'est-à-dire les États allemands de la Confédération autres que la Prusse et l'Autriche, pour faire accepter cette idée. Mais la conférence de Dresde marque son échec. Les propositions des uns et des autres étant souvent opposées, le retour à la situation antérieure est privilégié.
La Prusse réclame avec succès la parité avec l'Autriche dans la Confédération germanique. Immédiatement après, les autres États allemands de l'ex-Union d'Erfurt rejoignent la Confédération germanique à leur tour. Une alliance militaire secrète entre la Prusse et l'Autriche vient garantir ces accords: la Prusse s'engage à intervenir en cas d'attaque contre les territoires autrichiens. De manière pratique cela revient à protéger l'Italie à l'époque.
Les deux grandes puissances allemandes coordonneront alors leurs efforts pour mettre fin à la politique révolutionnaire. Le nouveau ministre-président de Prusse Otto Theodor von Manteuffel déclare: «Oui, c'est un tournant dans notre politique : il faut marquer une rupture nette avec la révolution». Les années allant de 1851 à 1857 sont particulièrement encadrées sur le plan politique dans la Confédération.
B) Politique réactionnaire
B.1) Ingérence dans les affaires des États fédérés
La première étape de cette nouvelle politique est de revenir sur les acquis de la révolution. Ainsi, le 23 août 1851, le parlement de la Confédération germanique abroge les lois sur les droits fondamentaux votées par le Parlement de Francfort et qui étaient valables dans tous les États fédérés.
La loi dite «Décret réactionnaire fédéral» fait du Bundestag l'instance suprême en matière judiciaire, supérieure à la constitution des différents États membres. Les différents aménagements qui ont eu lieu depuis 1848 sont alors passés au crible. Les points suivants sont en particulier considérés comme révolutionnaires:
- un serment sur la constitution dans l'armée en lieu et place d'un serment au roi
- le suffrage universel, égalitaire et secret
- le droit de contrôle sur l'ensemble du budget par le parlement régional
- un droit d'association, ce qui permet l'existence de partis politiques
- la liberté de presse.
Une administration est créée afin de mettre en force le «Décret réactionnaire fédéral», il s'agit du «Comité réactionnaire». Il vérifie la conformité des constitutions et des lois avec les préceptes précédents. Les États suivants sont directement touchés: Saxe-Cobourg, Anhalt, Liechtenstein, Waldeck, Lippe, Hesse-Hombourg, Hanovre, Francfort-sur-le-Main, Brême et Hambourg. Dans certains cas, comme à Brême ou en Hesse-Cassel, l'armée doit entrer en jeu. Dans cette dernière, la Confédération germanique rédige une nouvelle constitution qui est mise en place par le prince-électeur Frédéric-Guillaume Ier en 1852. Cette action est en claire contradiction avec les lois établies lors de la création de la Confédération germanique en 1815-1820 qui interdisent au parlement de la Confédération d'abroger une Constitution d'un État fédéré.
B.2) Appui sur l'Église
Afin de justifier sa politique, la réaction s'appuie sur l'Église. Des Concordats sont ainsi signés dans le Wurtemberg, en Hesse-Darmstadt et dans le Bade directement après la révolution. En Autriche, les lois concernant l'Église votées durant la révolution sont révoquées. L'éducation et le contrôle des livres redeviennent de la compétence de l'Église. Les problèmes matrimoniaux sont jugés directement pas l'institution. Cette politique de rapprochement avec l'Église dans les États allemands divise le camp conservateur. Dans le Bade et le Wurtemberg les libéraux s'opposent vivement à ces décisions. Un très important Concordat est signé par l'Autriche en 1855. Nous y reviendrons dans l'analyse du musical.
B.3) Mesures policières et oppression des révolutionnaires
Le «Décret réactionnaire fédéral» permet d'identifier de manière plus précise l'ennemi politique. Ce décret oblige les États à «lutter par tous les moyens légaux contre les journaux et magazines qui poursuivent des objectifs athées, socialistes ou communistes ainsi que ceux qui veulent renverser la monarchie». La fin de cette phrase, en soi très vague - et qui permet donc presque tout - permet de lutter contre les démocrates et les républicains.
La loi fédérale sur la presse du 6 juillet 1854 rétablit la censure qui avait été abolie par le parlement de Francfort. Le 13 juillet 1854, la loi fédérale sur les associations est votée. Elle interdit toute association politique. Si les lois des États fédérés contredisent ce principe, la loi fédérale prévoit que ces associations n'ont pas le droit d'entretenir des liens avec d'autres. Cela empêche la formation d'associations sur le plan national, ce qui est une entrave importante pour les partis politiques et les syndicats. La fraternité générale des travailleurs allemands s'en trouve de facto interdite.
Certes, le parlement ne parvient pas à reformer une police fédérale, toutefois une association policière est créée en 1851 afin d'échanger les informations entre les États et lutter efficacement contre les idées révolutionnaires et leurs partisans. Cette association n'est pas fondée par le parlement, elle découle de la coopération des administrations policières prussienne, autrichienne, hanovrienne et saxonne. Les autres États s'y raccrocheront progressivement par la suite. Elle n'a donc pas de base légale, le président de la police de Berlin, dirigeant de cette association, Karl Ludwig Friedrich von Hinckeldey décalre sans scrupules qu'elle fonctionne de «manière totalement informelle et sans bruit».
Ces méthodes évitent de devoir faire passer la communication entre les polices par les différents gouvernements. Dans les villes où se trouvent le plus d'exilés - comme New York, Paris, Bruxelles ou Londres - des agents sont envoyés. Ils ne surveillent pas seulement les ressortissants allemands mais également les meneurs des mouvements révolutionnaires comme Giuseppe Mazzini, Victor Hugo, Louis Blanc, Carl Vogt, Arnold Ruge ou Gottfried Kinkel. Il est remarquable que Karl Marx ait été listé comme peu dangereux.
Les commissaires des différentes administrations policières des États membres se rencontreront ainsi régulièrement jusqu'en 1866. Les principales informations sont rassemblées dans un rapport hebdomadaire distribué dans les différents États. Cette coopération explique le grand succès de la lutte contre l'opposition politique après 1849. La presse d'opposition est interdite: que ce soit pour les démocrates, les républicains ou les socialistes. Les parutions libérales ont également des difficultés à survivre. La formation de partis politiques est tuée à l'état embryonnaire. Le système politique révolutionnaire est complètement détruit, ses acteurs forcés à l'abandon ou à l'illégalité.
Karl Biedermann, lui-même homme politique libéral, incarcéré et ayant perdu sa chaire lors de la période réactionnaire pour ses prises de position, écrit: «À travers toute l'Allemagne, la réaction progressait, de manière plus planifiée, plus impitoyable, piétinant avec une terrible véhémence les sentiments nobles pour la nation - chose impsensable dans les années 1820, 1830 et 1840. Un réactionnisme politique dont les actions ont été stigmatisées par le si mesuré Frédéric Christoph Dahlmann [historien et homme d'État allemand, membre de Parlement de Francfort]: «L'illégalité est débarrassée de toute honte».».
B.4) Différences régionales dans la répression
L'ensemble de ces mesures démontre la capacité de coordination de la Confédération germanique. Elle se comporte alors plus à la manière d'un État centralisé qu'à celle d'une fédération. Toutefois, il faut noter que cette politique répressive a été appliquée avec plus ou moins de zèle selon les États fédérés.
L'Autriche et la Prusse ne luttent pas ainsi de la même manière afin de rétablir l'ordre pré-révolutionnaire. La première abroge immédiatement sa constitution alors que la seconde la conserve. La Constitution prussienne reprend même partiellement à son compte certaines parties de la Charte Waldeck (ébauche de constitution en Prusse écrite en 1848 lors de la révolution de mars) pourtant écrite par les libéraux. La version promulguée ne laisse cependant plus aucun doute sur le rôle de décideur suprême qu'occupe le Roi de Prusse. Parmi les changements remarquables, signalons la création d'un système électoral qui accorde le même nombre de députés à trois classes inégales d'électeurs regroupés selon le montant de leurs impôts, pour remplacer le suffrage universel instituté lors de la Révolution. La reculade démocratique en Prusse est donc moins nette qu'en Autriche. La Prusse persiste dans la voie constitutionnelle, mais dispose d'un contrepoids efficace avec son système bureaucratique et militaire. Ce programme est soutenu par des intellectuels conservateurs, comme Lorenz von Stein ou Leopold von Ranke, qui tentent d'associer constitution et monarchie. Les autres États fédérés se cherchent une direction entre celle autrichienne et celle prussienne. L'abrogation pure et simple de la constitution reste cependant l'exception. Le Mecklembourg constitue dans ce domaine un extrême, il revient aussi à son système féodal en vigueur depuis 1755. Dans le Bade, Frédéric Ier retourne à un gouvernement libéral relativement rapidement après une période de répression. La réaction est également très lâche en Bavière.
En Autriche, l'ère réactionnaire est marquée par un renforcement de l'appareil étatique centralisé et bureaucratique: une gendarmerie centrale supervise ainsi l'ensemble de l'Empire. La séparation entre la justice et l'administration est réduite. L'ère réactionnaire est donc un retour de l'État et non un retour du féodalisme en Autriche. L'état d'urgence est maintenu à Prague et à Vienne jusqu'en septembre 1853, dans les autres territoires qui s'étaient révoltés jusqu'en mai 1854. L'objectif de l'Empire autrichien est de maintenir son emprise sur ses territoires.
B.5) Différences régionales dans la répression
La plupart des démocrates radicaux, quand ils n'ont pas été emprisonnés ou exécutés, ont fui en exil après la révolution de mars. Dans les années 1848/49, une vague d'émigration de grande ampleur a lieu, on estime ainsi à 78.800, 59.000 et 61.700 le nombre d'émigrants allemands pour les années 1847, 1848 et 1849, la quasi-totalité vers les États-Unis.
C) 1818-1849 - Révolutions
C) 1849-1866 - «Reaktionsära» («Ère de la Réaction»)