4 - Hitoire de Terre-Neuve (5/?) 4.3 - 1608-1763: domination française (6/28) 4.3.2 - PERIODE 2: 1663-1763 - colonie royale (1/8)

 

A) L’impact de Louis XIV

A.1) Introduction

Les historiens ont tenté de voir dans les décisions prises par Louis XIV au début des années 1660 la manifestation d'une nouvelle approche des scènes politique et coloniale. Aidé par Jean-Baptiste Colbert, son fidèle et efficace contrôleur général des finances, Louis XIV n'était-il pas en train d'imposer à son royaume un mode de gouvernement autoritaire, l'absolutisme, au sein duquel tout devait se rapporter à lui? Le Roi-Soleil, avec sa vision de la destinée nationale, sa volonté de la concrétiser et les moyens adoptés pour la réaliser, n'a-t-il pas rendu hommage à la grandeur monarchique française, et même européenne, à l'époque moderne? Néanmoins, il est clair que Louis XIV était confronté à un défi et que les mesures qu'il a prises pour y faire face n'étaient pas nouvelles. Son grand-père, Henri IV, et son père, Louis XIII, avaient été confrontés à des situations similaires qui les avaient amenés, eux aussi, à adopter des politiques visant à restaurer l'autorité monarchique et à dynamiser le commerce en s'appuyant sur le développement colonial.

Avant de nous attarder sur cette Nouvelle-France colo­nia­liste de Louis XIV, nous passerons rapidement en revue les initiatives de ses 2 prédécesseurs à ce sujet.

Entre 1562 et 1659, le Royaume de France a été confronté à de nombreuses crises. En ce qui concerne l'extérieur, le conflit avec l'Espagne était presque permanent, même s'il n'était pas toujours déclaré. À bien des égards, on peut parler d'une guerre froide permanente, avec Madrid intervenant sans cesse dans les conflits civils qui affaiblissaient le royaume français pendant toute cette période. Les conflits civils se présentaient comme des guerres ouvertes, des révoltes, des complots ou des conjurations. Souvent nourris par l'animosité entre les catholiques et les protestants, ils ont été rendus possibles par la faiblesse de la dynastie française du temps. Il faut dire que la France a été gouvernée par un monarque de moins de 20 ans pendant 45 ans sur 100 depuis l'avènement de François II en juillet 1559!!!

Nous avions vu que les premières tentatives d’installation de la France en Amérique avaient été vouées à l’échec. La présence française outre-mer subsiste surtout grâce aux pécheurs de l’Atlantique qui vont jusqu'à Terre-Neuve et les rives du Saint-Laurent.

A.2) Restaurer le pouvoir royal et rénover la marine

La fin des périodes les plus perturbées, notamment la dernière phase des tensions religieuses de 1588 à 1598 et les grandes révoltes protestantes contre Louis XIII de 1620 à 1629, plaça les rois dans l'obligation de restaurer l'ordre au sein du royaume et de relancer son économie afin de regarnir ses coffres. Henri IV a favorisé les expéditions outre-mer et a cherché à établir un Premier Empire Colonial en France. Cette politique, qui mena entre autres à la fondation de Québec, était d'autant plus nécessaire que, la France étant minée par des conflits civils, ses rivaux directs sur la scène européenne - l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre et les Pays-Bas - avaient développé leurs entreprises commerciales et coloniales. Henri IV souhaitait que son royaume parvienne à rattraper son retard. Une vingtaine d'années plus tard, alors qu'il croyait en avoir fini avec les révoltes protestantes, le Cardinal de Richelieu reprit à son compte la vision coloniale d'Henri IV et développa une véritable politique maritime d’envergure. Il a fondé des grandes compagnies commerciales chargées de développer les colonies, entre autres la Compagnie des Cent-Associés (). Il est donc clair qu’à ce stade, ce renforcement de la marine va aussi de pair avec une action coloniale et commerciale. Mais tout cela n'a pas été calme. Rappelons que Québec fut prise un temps par les Anglais ().

Mazarin accorde beaucoup moins d’importance à la mer et aux colonies. La marine de guerre est délaissée, il ne reste plus en 1662 que 6 galères et 18 vaisseaux; la colonisation stagne. Il avait d’autres légitimes priorités.

La fin des conflits civils qui avaient marqué la minorité de Louis XIV - le Roi était né en 1638 - avait permis au gouvernement de s'atteler à la remise en ordre du royaume dès 1653. Mazarin voulait asseoir, en première priorité, la légitimité du jeune souverain, ce qui fut réalisé par la voie de son couronnement du 7 juin 1654, de son mariage avec l'infante Marie-Thérèse d'Autriche le 9 juin 1660 et de la naissance d'un fils en novembre 1661. Cette légitimité dynastique renouvelée favorisa la restauration de la paix et de la justice au sein du royaume, deux obligations envers lesquelles tous les monarques français s’engageaient par serment lors de leur couronnement. La tranquillité établie permit la relance du commerce, favorisée par l’abandon des impositions extraordinaires prélevées en temps de guerre. Les mesures relatives à la tranquillité publique, à l’exercice de la justice et au développement du commerce furent facilitées par l’envoi, dans les différentes provinces françaises, d’intendants chargés d’aider l’administration royale à remplir ses obligations militaire, judiciaire et financière.

Il aura donc fallu attendre le début du pouvoir personnel de Louis XIV et la nomination de Colbert pour avoir une véritable grande politique maritime et coloniale. Avec Louis XIV commence cette grande politique qui permet à la France de s’imposer sur la mer. Cette réussite de la France dans les domaines de la mer et des colonies est d’abord due à l’action de Colbert pour faire de la marine française la plus puissante d’Europe, mais aussi à la mise en place d’une stratégie commerciale à l’échelle mondiale, puis à l’action militaire de Louis XIV. Cependant, cette apparente réussite est loin d’être totale et militairement comme économiquement, les difficultés sont importantes.

Nommé par Louis XIV à la direction des affaires financières peu après la mort de Mazarin en 1661, Colbert a conscience du lien étroit qui unit désormais Marine et finance. Une marine de guerre forte est la condition essentielle au maintien des colonies et à leur lucrative exploitation. Elle permet aussi le contrôle des routes maritimes, indispensable à l’expansion du commerce. Louis XIV voulait «rétablir, par toutes sortes de moyens, le commerce et particulièrement celui de mer», écrivait Jean-Baptiste Colbert, en octobre 1662.

Après plusieurs années de contrôle de la colonie par les compagnies, le Roi arrive à la conclusion que la Nouvelle-France ne s'est pas développée comme prévu. En effet, la Compagnie des Cent-Associés n'a pas rempli son mandat de peuplement, en plus d'être déficitaire. Devant un tel constat, le roi décide de reprendre en main sa colonie. L’édit du mois de mars 1663, érigeant la Nouvelle-France en province royale, est très clair sur ce point. Il commence en effet par la phrase suivante:

 

A.3) Le «gouvernement royal»

En 1663, le Roi instaure un gouvernement royal:

• En France (la métropole): le Roi et le Secrétaire d'État à la Marine
• Le roi est à la tête du système politique, il a tous les pouvoirs et peut nommer les gens aux différents postes du gouvernement.
• Pour l'aider dans la gestion des différentes colonies, le roi nomme le secrétaire d'État à la Marine. C'est avec lui que les colonies seront appelées à communiquer pour recevoir des directives.
• En Nouvelle-France (la colonie): le Conseil Souverain
• Le Conseil souverain est composé du gouverneur, de l'intendant, de l'évêque et d'un nombre variable de conseillers.
• Son rôle est d'appliquer les consignes du roi, telles que communiquées par le secrétaire d’État à la Marine, et de conseiller les dirigeants. Il représente aussi la plus haute cour de justice de la colonie.

En parallèle à cette mutation politique, plusieurs mesures sont mises en place afin d'augmenter la population de la colonie, qui ne compte alors que 3.000 habitants. Le roi de France envoie plus de 1.100 soldats du régiment Carignan-Salières en Nouvelle-France pour assurer la protection de la colonie et la stabilité de son développement économique. Ces soldats arrivent dans la colonie en 1665. Entre 1663 et 1760, la population d’origine européenne de la Nouvelle-France passe d’environ 3.000 à 70.000 personnes. Cette croissance démographique découle des migrations entre la France et la Nouvelle-France ainsi que de la natalité au sein de la colonie.

Origines sociales des immigrants	La majorité provient des milieux urbains: seul 27% de la population provient des milieux ruraux (agricoles). La Nouvelle-France a donc une composition différente de celle de la France où 80% des habitants sont des paysans. Dans l'ensemble, la moitié sont des artisans: dans les domaines de la construction, du textile et de la navigation avec peu d'expérience en agriculture
Origines géographiques des immigrants	65 % proviennent des provinces de l'ouest et du nord-ouest de la France. Ils arrivent principalement de villes comme La Rochelle, Paris, Saint-Malo, Rouen, Nantes, Dieppe et Bordeaux.

Lors de l'instauration du gouvernement royal, la couronne française élabore une politique de peuplement pour stimuler la croissance démographique dans sa colonie. En 1663, le Roi de France envoie les premières Filles du Roy pour remédier au fait qu’il manque de femmes célibataires en Nouvelle-France.

Dès son arrivée à Québec en 1665, l’intendant Jean Talon réalise un recensement pour connaitre le nombre de colons, ce qui lui permet de confirmer qu’il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes. Pour réduire ce déséquilibre, la couronne française continue d’envoyer des Filles du Roy vers la colonie en finançant leur traversée de l’Océan Atlantique et en leur accordant un trousseau de biens nécessaires à la vie de femme mariée. Près de 800 jeunes femmes célibataires s’installent en Nouvelle-France entre 1663 et 1673.

Jusqu’à son départ de la colonie en 1672, Jean Talon multiplie les mesures pour la politique de peuplement. Voici quelques exemples:

• une prime pour les hommes et les femmes qui se marient à un jeune âge, soit 20 ans pour les garçons et 16 ans pour les filles;
• une récompense de 300 livres par année pour les couples avec 10 enfants et plus;
• des terres pour les soldats du régiment Carignan-Salières qui décident de rester en Nouvelle-France après leur mission.

La politique de peuplement de la couronne française favorise la natalité en Nouvelle-France surtout parce qu’elle rééquilibre le rapport entre le nombre d’hommes et de femmes. Alors que la colonie compte 13,2 hommes pour une femme en 1663, elle compte deux hommes pour une femme en 1679. Ce rapport plus équilibré entre les sexes permet une augmentation du nombre de mariages, puis une hausse des naissances au sein de la colonie.

Dans la deuxième moitié du XVII^ème siècle, les couples ont entre sept et huit enfants en moyenne, ce qui témoigne d’un fort accroissement naturel qui se poursuivra au 18e siècle. La prise en charge du peuplement par couronne française et l’accroissement naturel entre 1663 et 1760 expliquent pourquoi on qualifie cette période de la Nouvelle-France de colonie de peuplement.

Au fil des générations, les colons s'adaptent à leur nouvel environnement et développent un mode de vie qui les distingue des Français, leurs ancêtres. Les contacts fréquents entre les colons et les Premières Nations ont également un impact important sur la manière de vivre de chacun de ces groupes.

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