D) La pêche motive la création de comptoirs de traite
Comme nous l’avons vu, bien avant la traite des fourrures, il y a eu la pêche saisonnière. Dès le tout début du XVIème siècle, des hommes venus de Normandie, de Bretagne, voire du Pays basque fréquentent les bancs de Terre-Neuve pour y pêcher la morue et chasser la baleine. Ainsi, vers 1550, quelque 200 navires quittent la France l'été pour voguer vers ces eaux où abonde le poisson.
La présence française s’intensifie sur la côte de l’Atlantique. La pêche à la morue, pratiquée principalement par les Français et les Anglais, continue de représenter une activité extrêmement importante, surtout à Terre-Neuve. Au milieu du XVIIème siècle, la flotte de pêche française y est forte de 500 navires et emploie 10.000 hommes.
À l'aube du XVIIème siècle, la France et l'Angleterre sont des nations concurrentes dans les eaux de Terre-Neuve. Ce siècle sera tout sauf paisible. Pirates et corsaires sillonnent les mers, guerres civiles et guerres internationales se succèdent, la colonisation est en marche, la politique se centralise, la pêche connaît de mauvaises années, la maîtrise et le développement de ce secteur font l'objet de fortes rivalités. Toutes ces circonstances ébranlent l'industrie de la pêche. Sa survie exige des solutions qui forcent son évolution. Des pays renoncent à poursuivre cette activité. L'importance d'autres pays s'estompe.
D.1) Terre-Neuve et les Anglais
L'industrie de la pêche à la morue avec le Nouveau-Monde, tout au début du XVIIème siècle, se concentre dans le sud-ouest de l'Angleterre. Les pêcheurs des îles Anglo-Normandes de Guernesey et de Jersey font souvent la traversée. Entre 1615 et 1640, 70% des bateaux de pêche anglais qui se rendent à Terre-Neuve partent du sud-ouest de l'Angleterre. C'est une région géographiquement bien située et prospère. Elle peut aussi compter sur des marins d'expérience pour la pêche à Terre-Neuve.
Le grand risque des marchands entrepreneurs C'est donc un petit groupe de marchands entrepreneurs du sud-ouest de l'Angleterre qui a la mainmise sur Terre-Neuve. Ils se surnomment eux-mêmes les «aventuriers de l'Ouest». Ils partagent les mêmes intérêts commerciaux, forment fréquemment des alliances par le mariage et ils sont très riches. Ce pouvoir et cette cohésion leur confèrent énormément d'influence dans la région. Pourtant, la pêche à Terre-Neuve suscite d'intenses rivalités commerciales entre marchands, familles marchandes ou même collectivités marchandes, tout aussi déchirés par des différends de nature religieuse et politique. Ces antagonismes éclatent souvent au XVIIème siècle et témoignent des écueils qui accompagnent ce commerce.
Au cours des 20 premières années du XVIIème siècle, la pêche est en plein essor. Jusqu'en 1620, environ 300 bateaux de pêche anglais voguent chaque année vers Terre-Neuve. Plusieurs facteurs expliquent cette croissance. La guerre avec l'Espagne prend fin en 1603, et les pêcheurs espagnols ne sont plus les bienvenus à Terre-Neuve. À cela s'ajoute l'abondance de la ressource et un excédent de capitaux. Toutefois, après 1620, le sort s'acharne sur l'industrie de la pêche. Certains ports du sud-ouest de l'Angleterre n'ont d'autre choix que d'abandonner cette activité.
Les pirates Jusque vers 1640, des pirates barbaresques, connus aussi sous le nom de corsaires de Salé, sont un ennemi redoutable du commerce du poisson. De nationalités diverses, ces pirates sont d'anciens marins qui ont choisi la piraterie. Leurs ports d'attache sont situés en Afrique du Nord. Mais la piraterie n'est pas nouvelle à Terre-Neuve. Peter Easton et Henry Mainwaring, des pirates notoires, sont parmi ceux qui attaquent l'île pendant les années 1610. Cette forme de piraterie est saisonnière comme la pêche.
Les cargaisons des bateaux qui partent au printemps pour la pêche et celles des navires destinées au transport valent une fortune. La perte d'un de ces bateaux représente un dur coup financier pour le marchand entrepreneur.
Les corsaires de Salé s'en prennent surtout aux navires marchands. Ils sillonnent le littoral du Portugal et de l'Espagne afin de les repérer et de les intercepter avant leur arrivée aux marchés portuaires. Ils parcourent impunément la Manche, car ni la France ni l'Angleterre ne peuvent compter sur une marine capable de les arrêter. Les pertes subies sont stupéfiantes autant en hommes qu'en navires marchands. De 1624 à 1628, la seule ville de Poole déclare la perte de 20 bateaux, ce qui équivaut au nombre de bateaux en partance pour Terre-Neuve chaque année. Par la suite, la ville ne peut expédier plus que trois bateaux vers l'île.
Les guerres Les nombreuses guerres qui éclatent après 1620 entre l'Angleterre et diverses autres nations européennes s'ajoutent aux problèmes que subit la région du sud-ouest de l'Angleterre. La marine recrute les pêcheurs, la marine marchande est ciblée par l'ennemi et les pays en guerre avec l'Angleterre lui ferment leurs marchés. La seule suggestion d'un possible conflit perturbe les activités commerciales. En 1623 par exemple, la simple menace du déclenchement d'une nouvelle guerre avec l'Espagne amène le gouvernement britannique à imposer un embargo sur les exportations de poisson vers ce pays. Le tort causé à la pêche et au commerce du poisson par la Première Guerre civile anglaise (après 1640) et les conflits avec l'Espagne et la Hollande dans les années 1650 se révèlent si graves qu'en 1660, le nombre de bateaux de pêche est passé de 300 à tout juste 100. En 1684, 43 bateaux anglais seulement appareillent pour Terre-Neuve.
Plusieurs ports du sud-ouest renoncent tout simplement à ce commerce. La situation ne fait qu'empirer avec le déclenchement de la guerre avec la France après 1690. Le gouvernement anglais interdit alors à tous les bateaux de pêche de se rendre à Terre-Neuve. En effet, la marine a besoin de marins expérimentés. En conséquence, la pêche migratoire ne redémarre pas avant 1693.
L'industrie de la pêche toujours imprévisible et incertaine n'a jamais été sans risque, même en l'absence de pirates et de guerres. Les naufrages, la fraude, des prises médiocres et des marchés saturés sont des éventualités possibles. La pêche peut enrichir un marchand entrepreneur qui perdra ensuite cette fortune dans d'autres activités commerciales. Les hauts et les bas se succèdent. Il se méfie donc de toute nouvelle situation et devient fataliste. Les marchands entrepreneurs ne cessent de prédirent les malheurs qui les guettent, se lamentent, se disent menacés de ruine et se plaignent de profits de misère et de coûts colossaux. Toutes ces lamentations soulèvent une pointe d'incrédulité. Pourtant, à la fin du XVIIème siècle, la pêche migratoire anglaise est bel et bien sur le point de sombrer. D'ailleurs, les noms de nombreux marchands entrepreneurs prééminents de ce secteur d'activité sont tombés dans l'oubli.
D.2) Terre-Neuve et les Français - La «Colonie de Plaisance»
Les activités de pêche par les Français à Terre-Neuve ont atteint leur apogée durant la première moitié du XVIIème siècle. Les Espagnols et les Portugais disparaissaient peu à peu de la scène, ne laissant pour seuls concurrents que les Anglais. Mais la flotte française était beaucoup plus grande; vers 1650, elle atteignait le double de la flotte anglaise (environ 500 navires contre 250 et allait encore rapidement décroître dans les années suivantes, comme nous l’avons vu).
Les Anglais étaient confinés à la «côte anglaise» (zone rouge ci-contre), secteur qui allait de Bonavista à Trepassey. Les Français concentraient leurs efforts sur deux grandes régions: le littoral au nord de Bonavista, appelé le «Petit Nord»; et la côte sud de l'île, qui comprenait la baie de Plaisance, Saint-Pierre-et-Miquelon et les baies et les bancs adjacents, appelée «Côte du Chapeau rouge». Jusqu’alors, la très grande majorité des pêcheurs sont des pêcheurs intermittents (l’été ils pêchent à Terre-Neuve et l’hiver ils retournent en France ou Angleterre). Mais, à partir de 1650, des pêcheurs basques entreprennent de passer l'hiver dans la Baie de Plaisance. Leur poste principal devient Plaisance, où sont installés depuis les années 1660 un gouverneur et une petite garnison, et où, à la fin du siècle, vit en permanence une quarantaine de familles. La couronne française les y encourage après 1655, car le Roi Louis XIV entend officiellement y établir une colonie.
Nicolas Gargot, un officier de marine originaire de La Rochelle, se voit confier vers 1660 le mandat de fortifier Plaisance et d'y établir une colonie. Les négociants en poisson de la Bretagne s'insurgent contre ce projet, qui est donc abandonné. Pourtant, quelques braves s'y risquent. En 1662, Louis XIV s'y intéresse de nouveau. Il expédie 30 soldats et un petit nombre de colons, sous les ordres du gouverneur Thalour du Perron, pour y bâtir un fort. Les conditions de vie sont suffisamment pénibles, semble-t-il, pour fomenter une mutinerie parmi les soldats. Le gouverneur Thalour du Perron, l'aumônier et 10 autres personnes sont tués.
L'année suivante, la France dépêche 20 autres soldats ainsi que 20 pêcheurs accompagnés de leur famille pour assurer l'implantation de la colonie. À cette époque, le gouvernement français soutient activement la colonisation de l'Amérique du Nord. Ces nouveaux colons font partie d'un contingent de soldats et de colons que Pierre Dugua de Mons a recruté pour peupler la Nouvelle-France et qui se dirige ensuite vers Québec.
Contrairement aux entreprises commerciales anglaises des premières décennies du XVIIème siècle, la colonie française de Plaisance est avant tout une entreprise militaire ayant des objectifs stratégiques. Ses habitants se consacrent toutefois à la pêche et au commerce. Les soldats et les administrateurs jouent aussi les marchands. Dans les années 1670, le gouverneur La Poippe effectue une restructuration qui vise à consolider la colonie. Les gouverneurs français subséquents tentent d'exploiter le mécontentement des colons anglais pour les attirer à Plaisance. Au tournant du siècle, des serviteurs irlandais s'y sont d'ailleurs installés. Dès 1680, les habitants-pêcheurs établis sur la côte anglaise avoisinante jugent que la colonie de Plaisance est devenue une menace.
La période 1689-1697 est particulièrement importante puisque la guerre d'Augsbourg incite la France à mettre en place de nouvelles structures administratives. À compter de 1689 arrivent les premiers civils qui forment une petite administration à côté du gouverneur. En 1700, la colonie compte au moins quatre fonctionnaires et devient une composante coloniale à part entière de la Nouvelle-France à côté du Canada et de l'Acadie.
D.3) L'Acadie
Découverte par les Français
Comme nous l’avons vu, les premiers colons français n’arrivent en Acadie qu’en 1604 et sont dirigés par Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain. Pierre de Mons établit les quelques 80 colons dans l’île Sainte-Croix, sur la rivière Sainte-Croix, mais l’hiver 1604 à 1605 est désastreux. Au moins 36 hommes meurent du scorbut .
L’année suivante, la colonie cherche un nouvel emplacement et choisit Port-Royal. En 1607, lorsque des marchands français contestent son monopole commercial, Pierre de Mons ramène tous ses compagnons en France. Aucun colon français ne revient avant 1610. À cette époque, les Français forment également des alliances avec les deux principaux peuples autochtones de l’Acadie, les Micmacs et les Malécites .
1613-1632 : l’Acadie devient la «Nova Scotia»
Le 16 mai 1613, débarquèrent à La Hève 48 colons français, qui s'installèrent un peu plus tard au sud de l'île des Monts-Déserts à un endroit désigné comme Saint-Sauveur.
Mais les Anglais veillaient au grain. Ils n'acceptaient pas que les Français puissent s'installer aussi près de la Nouvelle-Angleterre. Fort des prétentions de l'Angleterre, le gouverneur de la Virginie, Thomas Dale, commanda à Samuel Argall, un aventurier et un officier anglais, d'aller déloger les Français de Saint-Sauveur.
Le petit établissement fut saccagé, leur navire (le Jonas) fut saisi et les colons furent faits prisonniers et amenés à Jamestown (Virginie). Argall planta ensuite une croix au nom du roi d'Angleterre sur le site de Saint-Sauveur, puis détruisit ce qui restait de l'établissement de Sainte-Croix. Enfin, il se rendit à Port-Royal dont il incendia tous les bâtiments.
En 1621, Jacques Ier, roi d'Angleterre, avait concédé une charte à l'Écossais William Alexander qui fonda la «Nova Scotia», malgré la présence des Français. Port-Royal était alors sous occupation anglaise et comptait une petite colonie britannique, dont un bon nombre d'Écossais. Lorsque la France récupéra Port-Royal en 1632 à la suite du traité de Saint-Germain-en-Laye, la plupart des colons écossais et anglais quittèrent les lieux.
L’Acadie française En 1631, la France nomme Charles La Tour en tant que lieutenant général de l’Acadie. Celui-ci construit des forts au Cap-Sable et à l’embouchure du fleuve Saint-Jean (le fort La Tour sera plus tard connu sous le nom de Saint John).
Les efforts renouvelés de colonisation reprennent sous la direction du gouverneur Isaac de Razilly , qui déménage la capitale de Port-Royal à La Hève (aujourd’hui LaHave), sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse actuelle. Il arrive en 1632 avec 300 hommes des « messieurs de qualité ». Marin de profession, Isaac de Razilly s’intéresse davantage au commerce maritime qu’à l’agriculture, et cela a une influence sur ses choix d’endroits où établir des colonies. Dès 1613, des missionnaires français participent au projet de colonisation. Dans les années 1680, des prêtres habitent dans quelques églises en bois.
Après la mort d’Isaac de Razilly en 1635, Charles de Menou d’Aulnay et Charles La Tour se disputent sa succession. Charles D’Aulnay ramène la capitale à Port-Royal, puis entreprend une guerre civile contre Charles La Tour, qui est solidement établi dans la région. Charles D’Aulnay est convaincu que l’avenir de la colonie réside dans le développement agricole, qui assurerait la stabilité de l’approvisionnement alimentaire et de la population. Avant son décès en 1650, il est responsable de l’arrivée d’une vingtaine de familles. Avec l’arrivée de celles-ci, la production agricole se stabilise et de la nourriture et des vêtements adéquats deviennent disponibles.
Les hostilités entre la France et l’Angleterre se répercutent de nouveau sur le sort de l’Acadie, les Anglais la conquérant en 1654. La région est cependant rendue à la France par le Traité de Breda en 1667. L’Acadie est prise en 1690 par Sir William Phips, un aventurier de la Nouvelle-Angleterre, et rendue à nouveau à la France par le Traité de Rryswick en 1697.