Assis dans le salon de la Lakewood Academy à Glenwood, Han Leivi Sudak était persuadé qu’il s’était retrouvé dans ce coin du monde pour une bonne raison. Cela devait être un voyage d’un jour de Londres à New York, pour visiter la tombe du rabbin Menachem Mendel Schneerson. Sur place, il aurait récité ses prières, se souvenant des noms de sa famille et des personnes les plus proches de lui, puis serait retourné à l’aéroport et rentré en Angleterre le soir même. Dans le même avion, se trouvait également Baila Hecht, la femme du rabbin Shea Hecht de New York, et sa fille de 13 ans, Esther. Ils se connaissaient depuis de nombreuses années. Son mari et le rabbin étaient de bons amis.
À Londres, Rabbi Sudak passait ses journées au contact de jeunes vivant dans la rue, suite à des problèmes de drogue ou de petite délinquance. Ici à Terre-Neuve, il s’est rendu compte qu’il y avait des choses à apprendre.
Mais dans l’autre sens, on peut dire que la plupart des gens de Gander avaient eu peu, voire aucun contact avec quelqu’un qui était juif, et encore moins un juif orthodoxe. Malgré cela, les Terre-Neuviens ne furent pas seulement accueillants, mais vraiment curieux. Nombreux sont les locaux qui leur ont demandé s’ils pouvaient leur poser des questions sur leurs croyances. Baila Hecht et Rabbi Sudak ont apprécié les discussions qui en ont découlé.
Au cours d’une conversation avec Carl Smith, le mari d’Eithne dont nous avons déjà parlé, le rabbin a demandé s’il y avait beaucoup de problèmes de drogue à Terre-Neuve. Il faut dire que Carl Smith travaillait à la Gendarmerie canadienne. Il a répondu qu’il y en avait: des études estimaient qu’entre 10% et 15% des élèves du secondaire avaient essayé la marijuana. Le rabbin Sudak a remarqué que Carl était embarrassé par cette réponse. Mais à Londres, se dit le rabbin, le nombre d’élèves du secondaire qui avaient essayé la marijuana est proche de 80%. Pour Hecht et Rabbi Sudak, une des raisons de la différence entre Terre-Neuve et Londres était évidente. En regardant autour de l’école, ils pouvaient voir un grand nombre de jeunes travaillant comme bénévoles aux côtés de leurs parents. C’était la définition même de la communauté. Une communauté liée par des valeurs communes. C’était une des leçons que le rabbin Sudak espérait ne jamais oublier de Terre-Neuve.
Quand on leur a annoncé que leur avion allait repartir le vendredi soir, un nouveau problème est apparu. Trois des 71 passagers — Rabbi Sudak, Baila Hecht et sa fille, Esther — ne pouvaient pas voyager le jour du sabbat. Du vendredi soir au coucher du soleil au samedi soir à la tombée de la nuit, leur religion les empêche non seulement de voyager, mais de s’engager dans toute activité qui détourne leur attention de leurs observances religieuses le jour où Dieu se repose après avoir créé l’univers, le monde et l’homme. Le jour du sabbat, les Juifs orthodoxes s’abstiennent de conduire une voiture, de cuisiner des repas, de regarder la télévision ou d’utiliser tout type de machine, y compris le téléphone. Même allumer un interrupteur est interdit.
Alors que tous les passagers de leur vol sont montés à bord des bus pour l’aéroport, Rabbi Sudak et les Hechts sont restés à la Lakewood Academy à Glenwood. Deux familles qui vivaient à distance de marche ont proposé de les héberger pour la nuit. Rabbi Sudak est allé chez une famille et les Hechts chez l’autre. Plus qu’une obligation liée à sa foi religieuse, Rabbi Sudak avait le sentiment qu’il était censé rester à Terre-Neuve pour une autre raison, peut-être une autre leçon. Mais il ne savait pas ce que c’était.