1.
Le 11 septembre

 2.3.
Jour 3
le 13 septembre

 

 2.4.2.
Jour 4: 14/9
DÉPART DU VOL 438
de LufthansA

 2.5.
Jour 5
le 15 septembre

 3.
Une aventure
humaine


 

Continental avait décollé de l’aéroport de Dublin pour Newark à l’aube du 11 septembre, quatre jours plus tôt. Il fut le premier vol à atterrir à l’aéroport de Gander. Selon Tom McKeon, l’un des passagers, vu que le Vol 23 de Continental avait pour destination l’un des aéroports de New York, Newark, il avait été soumis à un examen de sécurité particulièrement intense et les passagers n’avaient pas été autorisés à débarquer pendant des heures, alors que les passagers d’autres vols, arrivés plus tard, avaient déjà débarqué. Les 88 passagers du vol ont tous été amenés à Appleton, un village de 600 habitants. Ils y ont été accueillis de manière magnifique et cordiale, participant même à un certain nombre de barbecues impromptus. Lorsqu’il fut décidé à Gander, pour des raisons organisationnelles, que les passagers devaient loger dans les abris prédéfinis – regroupés par avion – et pas chez l’habitant, et que cette information est parvenue à Appleton, il était déjà trop tard: des dizaines de personnes étaient hébergées chez les résidents locaux. Tom McKeon, en fait, dormait chez le maire d’Appleton, Derm Flynn, et sa femme, Dianne.

image
Derm et Dianne Flynn préparent le dîner pour les passagers hébergés à leur domicile, à Appleton.
Derm Flynn était à l'époque le maire d'Appleton.

Tard dans la soirée du jeudi 13, les passagers du Continental 23 ont reçu un appel leur demandant de rassembler leurs affaires, car ils allaient être emmenés en autobus à l’aéroport de Gander. En fait, suite à la réouverture de l’espace aérien ce 13 septembre, les passagers du Vol 23 ont été relativement chanceux. Tout d’abord parce que la Continental était une compagnie aérienne américaine, ce qui lui permettait d’entrer dans l’espace aérien américain, ce qui était encore interdit aux compagnies non américaines. Mais leur chance ne s’arrêtait pas là: les trois principaux aéroports de la région de New York – JFK, LaGuardia et Newark – faisaient partie de ceux qui avaient été rouverts par la FAA. L’intention était donc de faire décoller le Vol Continental 23 aux premières heures du 14 septembre, en prévision d’un atterrissage à Newark avant le lever du soleil. Le personnel de l’aéroport de Gander était tellement convaincu que ce plan fonctionnerait, qu’il a prévu une pause de 2h à 6h, une fois le vol décollé.

Mais, au même moment où les passagers du Vol 23 voyageaient en bus vers l’aéroport de Gander, des agents du FBI prenaient d’assaut des avions au sol à JFK et LaGuardia, arrêtant une douzaine de suspects. En raison de ces graves préoccupations en matière de sécurité, pratiquement dès leur réouverture, les aéroports de la région de New York ont à nouveau été fermés. À leur arrivée à l’aéroport de Gander, la désillusion des passagers du Vol 23 fut énorme. Ils frétillaient déjà tous de s’envoler pour New York, mais ont les redirigea vers la salle de bal d’un hôtel de Gander. C’était un gâchis: ils étaient entassés dans ce petit lieu, les bébés sur les tapis de gym et les personnes âgées assises à même le plancher. L’interminable attente recommençait. Très vite, les passagers du Vol 23 regrettèrent amèrement la jovialité d’Appleton.

Le vendredi matin, le pilote du Vol 23, Tom Carroll, s’est excusé auprès des passagers qu’ils aient été déplacés inutilement d’Appleton. Il a dit qu’il savait qu’à l’instant où il s’adressait à eux, leur destination finale, l’aéroport international de Newark, était toujours fermé, et ne savait pas pourquoi les autorités locales avaient donné l’ordre de les amener à l’aéroport jeudi, en fin de soirée.

Carroll a ensuite expliqué qu’au niveau de l’aviation civile, la situation aux États-Unis changeait constamment. Certains aéroports étaient ouverts, tandis que d’autres étaient fermés. Il y avait de nouvelles menaces et de nouveaux avertissements toutes les heures, et rien ne garantissait que Newark ouvrirait ses portes dans un proche avenir.

«Que pensez-vous d’aller à Houston?» demanda le pilote. Houston était la base de Continental, et il semblait qu’elle ouvrirait relativement bientôt. Les passagers sont devenus furieux. Les Européens dans l’avion, craignant de voler au beau milieu des États-Unis qu’ils imaginaient en guerre, voulaient retourner à Dublin. Les Américains voulaient aller de l’avant, mais ils ne voulaient pas aller à Houston. Ils ont préféré attendre Newark, d’autant plus que beaucoup d’entre eux habitaient New York City et voulaient rentrer à la maison pour être avec leurs familles. Des disputes ont éclaté parmi des groupes de passagers. Un passager s’est levé et a demandé que l’on passe au vote.

«Tous ceux qui sont en faveur de retourner à Dublin, dites 'oui'!»

Environ un tiers de la salle a élevé la voix.

«Tout ça pour aller à Newark...»

Les deux tiers ont crié pour Newark.

Le capitaine, cependant, ne cherchait pas à voter.

«Ce n’est pas une démocratie», déclara-t-il en faisant taire la foule. «Je vais faire ce qui est sûr pour vous, pour l’équipage et pour l’avion. Et si je peux aller à Houston, je vais y aller.»

C’était la fin de la discussion.

Toutes ces nouvelles mesures de sécurité contrastaient bien entendu avec ce qui était en place avant le 11 septembre. De telles mesures de sécurité pouvaient sembler inutiles – où même parano aux yeux de certains – mais dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, alors que le monde tentait tant bien que mal de revenir à la normale, il y avait tellement de choses qui étaient encore incertaines aux États-Unis, en particulier dans la région de New York. En plus, rappelons qu’un tiers des passagers qui avaient été dérouté au Canada le 11 septembre avaient pour destination New York. La refermeture des trois aéroports de la ville n’était pas une anecdote pour ceux qui avaient été déroutés à Gander.

En cette fin de semaine, le quartier de Manhattan à New York reprenait un semblant de vie. Les magasins commençaient à rouvrir, la zone interdite était réduite, les spectacles à Broadway reprenaient. Et pourtant, près de cinq mille personnes étaient portées disparues et les murs de la ville étaient recouverts de photocopies déchirantes de familles et d’amis demandant où se trouvaient des centaines de personnes disparues. La fumée âcre des ruines du World Trade Center flottait encore à des dizaines de pâtés de maisons de Ground Zero, le nom qu’avait pris la zone où quelques jours auparavant régnaient les tours jumelles. Pourquoi «Ground Zero» ? C’est un terme anglais utilisé pour indiquer l'endroit précis sur le sol où fut utilisée la première fois une bombe atomique le 16 juillet 1945. En cette fin de semaine, de plus en plus d’informations arrivaient sur les pirates de l’air et leurs méthodes. Cela mettait en évidence toutes les faiblesses des systèmes de sécurité et les faisait évoluer heure par heure. À ce moment précis, il n’y avait finalement que très peu de différence entre ce que l’on pouvait qualifier de vigilance ou de paranoïa.

Quoi qu’il en soit, ce vendredi 14 a vu le mouvement de redécollage de l’aéroport de Gander s’amplifier. De nombreux avions de compagnies européennes sont repartis vers l’Europe. Mais comme rien n’est jamais simple, il y avait un autre impératif de faire décoller les avions: l’ouragan Erin. Il avait agité les Caraïbes pendant près de deux semaines et faisait maintenant un virage inattendu vers la Nouvelle-Écosse! On prévoyait que Terre-Neuve se trouverait sur sa trajectoire et le temps brillant de la semaine commençait à grisonner sur les bords.

Brian Mosher, le présentateur de la TV locale, Rogers TV, qui s’occupait du «centre de commande» de la station presque sans arrêt depuis le mardi 11 septembre, est finalement sorti de son bureau et a interviewé divers passagers qui se promenaient dans les rues de Gander l’après-midi. Chacune des personnes interviewées — quelle que soit son origine — n’avait que des commentaires chaleureux sur Gander et la façon dont ils avaient été accueillis. Un couple de Suédois voyageant avec un petit enfant était totalement déprimé suite à l’attaque sur l’Amérique, mais leur séjour à Gander les avait encouragés: «Les gens ici nous ont tellement soutenus et ils sont si gentils. Même si c’est suite à de terribles circonstances, quelle découverte et tout ressemble ici tellement à la Suède.»

Brian Mosher a interviewé un jeune officier de l’armée de l’air américaine qui avait pris l’avion depuis sa base militaire près de Stuttgart pour rentrer à la maison dans le New Jersey. Le gars portait un T-shirt acheté au Walmart sur lequel il avait fait imprimer: «It's been nice, nice» – un compliment aux habitants – suivi d’une deuxième ligne: «But I'm ready to go».

Cette double phrase s’appliquait certainement aux passagers fatigués du vol Continental 23. Ils étaient toujours bloqués à Gander après leur faux départ… Mais une fois la nouvelle parvenue jusqu’à Appleton, un convoi de résidents du village a pris la route pour Gander pour leur tenir compagnie pendant toute la durée de leur attente! En fin d’après-midi du vendredi 14 septembre, alors que le président Bush aboyait à la TV – «Le reste du monde vous entend! Et les gens qui ont démoli ces bâtiments nous entendront tous très bientôt!» – une sirène a retenti: l’aéroport de Newark avait rouvert. C’était officiel: les passagers du Vol 23 de Continental pouvaient être amenés à l’aéroport pour commencer les formalités de leur deuxième tentative de départ.

À 20h20, ils ont été informés que leur avion avait eu des problèmes mécaniques et qu’il se pouvait qu’ils doivent passer une nouvelle nuit à l’hôtel de Gander. Tsunami de soupirs…

Mais, cinquante minutes avant la fin du 14 septembre, leur 747 jumbo jet avait été réparé et, à minuit, les passagers du Vol 23 de Continental étaient enfin sur le chemin du retour.