A) Espagnols et Portugais se partagent le monde, avec l'accord du Pape
Lorsqu'à son retour en Angleterre en 1497, Jean Cabot annonce la découverte d'une nouvelle île, la route commerciale des Portugais longe surtout la côte ouest-africaine et se poursuit en Inde. Depuis longtemps, ils sont curieux de connaître ce qu'ils pourraient découvrir à l'ouest. Ils souhaitent autant que les autres découvrir une route maritime plus rapide vers l'Asie en passant par l'ouest.
Même si cela nous parait très étonnant aujourd’hui, le roi du Portugal revendique les droits territoriaux sur la région qu'a explorée John Cabot. En 1493, fort de la juridiction internationale qu'il s'est arrogée, le pape avait réparti entre l'Espagne et le Portugal les terres déjà découvertes et celles qui le seront sur le futur continent d'Amérique, écartant ainsi de fait la France, l’Angleterre et les Pays-Bas. L'année suivante, le 7 juin 1494 – trois ans donc avant la découverte de Terre-Neuve par John Cabot – l’Espagne et le Portugal, dans le Traité de Tordesillas, s’accordent pour fixer la limite entre leurs domaines respectifs au méridien passant à 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert:
« Attendu que, pour le bien de la paix et de la concorde, et pour la conservation de l'amitié qui lie ledit seigneur roi de Portugal aux seigneurs roi et reine de Castille et d'Aragon, il plaît à LL. AA., et que lesdits procureurs, en leur nom et en vertu de leurs pouvoirs, ont accordé et consenti qu'il se fasse et se tire par ladite mer Océane une ligne droite de pôle à pôle, c'est-à-dire du pôle arctique au pôle antarctique, ce qui est du nord au sud, laquelle ligne devant se tirer et se tirant droite, comme il a été dit, à 370 lieues des îles du Cap-Vert, vers le couchant, par degrés ou d'autre manière, comme on pourra le faire pour le mieux et le plus promptement, de façon qu'il n'y ait pas plus de lieues, et que tout ce qui a été découvert jusqu'à présent et se découvrirait à l'avenir par ledit seigneur roi de Portugal et ses vaisseaux, soit iles ou terre ferme, depuis ladite ligne tirée dans la forme susdite, allant par ladite partie du levant, en dedans de ladite ligne du côté du levant, du nord ou du sud, pourvu qu'on ne passe pas ladite ligne, que tout cela soit et appartienne audit seigneur roi de Portugal et à ses successeurs pour à tout jamais, et que tout le reste, tant îles que terre ferme, trouvés ou à trouver, découverts et à découvrir par lesdils seigneurs roi et reine de Castille et d'Aragon, etc., et par leurs vaisseaux, depuis ladite ligne tirée en la forme susdite, allant par ladite partie du couchant et après avoir passé ladite ligne vers le couchant, le nord et le sud, soit et appartienne auxdits seigneurs roi et reine de Castille et de Léon et à leurs successeurs à tout jamais. »
Extrait du Traité de Tordesillas - Article 1 - 7 juin 1494
Ils déterminent ainsi deux zones au sein desquelles ils auront le monopole de la découverte, de la navigation et du commerce.
Comme on le voit clairement sur la carte ci-dessus, Terre-Neuve se situe dans la «zone espagnole», à l’ouest de la ligne de démarcation... Mais la géographie approximative de l'époque place Terre-Neuve plus à l’est et, le Traité de Tordesillas attribue au Portugal la «nouvelle île». La carte de l'époque ci-dessous le montre clairement:
Les navigateurs portugais ont donc de bonnes raisons de se placer dans le sillage de Jean Cabot.
Remarquons que cela détermine encore très grandement les langues parlées en Amérique du Sud et Amérique centrale au XXIème siècle: très majoritairement l’espagnol sauf au Brésil, où l’on parle portugais.
Pour être complets, signalons qu’un siècle plus tard, à la fin du XVIe siècle, le monopole de l'Espagne et du Portugal fut fortement remis en cause par les autres pays européens, notamment l'Angleterre, la France et la Hollande, qui s’employèrent à mettre fin à cette hégémonie dans une grande partie de l'Afrique, dans l'océan Indien et en Amérique du Nord. Et que cela définit les deux langues parlées en Amérique du Nord: anglais et français.
B) João Fernandes
Le premier explorateur portugais est João Fernandes, un agriculteur des Açores. Le 28 octobre 1499, João Fernandes a reçu une lettre patente du roi Manuel Ier du Portugal qui lui a permis d’explorer l’Atlantique pour découvrir des terres et des îles «de notre côté de la ligne de démarcation». Il faisait allusion à la scission du Traité de Tordesillas.
Il aperçut le Groenland à l’été 1500 au cap Farvel, qu’il appela «terre du propriétaire ou du petit fermier» (en portugais «tierra del lavrador»). Cette terre fut donc baptisée, momentanément, le Lavrador avant de devenir le Groenland. Le nom Labrador finit par désigner un territoire plus au sud.
Il aurait péri en route vers l'Amérique en 1501. Le syndicat semble avoir poursuivi ses activités pendant quelques années avec la sanction royale.
C) Gaspar Corte-Real
Le 12 mai 1500, Manuel Ier de Portugal accorde à Gaspar Corte-Real une série de lettres patentes, comme il l’avait l’année précédente avec João Fernandes, mais il est ici beaucoup plus «généreux»: il lui fait donation «de toutes îles ou terres fermes qu'il pourrait découvrir», transmissible à ses héritiers, ainsi qu'un quart net de tous les revenus directs et indirects!
Gaspar Corte-Real part de Lisbonne au début de l'été 1500 avec un navire bien équipé, soutenu financièrement par son frère Miguel. Vers septembre ou octobre, il atteint une terre septentrionale où règne un climat très froid, qu'il nomme Terra verde (Terre verte, aujourd'hui le Groenland), mais ne peut y débarquer en raison des conditions météorologiques.
Fin décembre 1500 ou début janvier 1501, il entreprend une seconde expédition composée de trois caravelles, toujours soutenu financièrement par son frère. Après avoir navigué pendant plusieurs semaines sans rien découvrir, il rencontre de fortes banquises, et doit changer de direction. Il aperçoit une grande contrée, probablement le Labrador ou Terre-Neuve, où il capture environ soixante autochtones Béothuks. Gaspar Corte-Real renvoie deux des navires au Portugal avec ces esclaves avant de continuer lui-même vers le sud. Il disparaît ensuite sans laisser de trace. Les autres navires rentrent au Portugal en octobre 1501.
Son frère tente de le rechercher en 1502 et disparaît à son tour; une expédition affrétée par le roi (qui refuse catégoriquement de laisser le troisième frère Corte-Real y participer) l'année suivante ne trouve aucun signe d'eux.
De toute évidence, les ressources tels le poisson, le bois et les esclaves qu'offrent ces nouveaux territoires intéressent beaucoup les Portugais. Mais leurs activités dans cette partie du monde au XVIème siècle vont rester nébuleuses. Malgré les noms de lieux d'origine portugaise qui persistent encore de nos jours, la présence des Portugais n'est pas aussi marquante que l'ont toujours affirmé des historiens.