C) Le commerce de fourrure
C.1) Ressource principale: les fourrures
Il est difficile de surévaluer l’importance de la fourrure dans le développement historique de la Nouvelle-France. En effet, c’est cette ressource qui a incité les Français à établir une présence permanente dans la vallée du Saint-Laurent au début du XVIIème siècle et à poursuivre par la suite leurs activités dans la région des Grands Lacs, les vallées du Mississippi, de l’Ohio et de l’Illinois, et le bassin hydrographique de la baie d’Hudson. Dans ces vastes étendues du continent nord-américain, les Français ont lancé une entreprise commerciale ambitieuse en vue de répondre à la demande européenne de fourrure. Cette entreprise – appelée la «traite des fourrures», terme dont la simplicité n’est qu’apparente – avait des dimensions économiques, sociales et politiques complexes, et a façonné l’expérience coloniale française de diverses manières. Même si sa valeur annuelle était dérisoire par rapport à celle de la pêche à la morue dans l’Atlantique Nord, la traite des fourrures était le moteur économique de la Nouvelle-France: elle finançait des initiatives d’exploration, d’évangélisation et de peuplement tout en assurant un revenu aux habitants et en permettant aux autorités, aux marchands et aux investisseurs de faire fortune. De plus, la traite des fourrures a influé sur la mobilité et le peuplement en Nouvelle-France, car elle exigeait une main-d’œuvre itinérante et des postes de traite intérieurs.
La traite des fourrures a également rapproché les Français des peuples autochtones de façon permanente, et cela fut primordial. Ne disposant pas d’une main-d’œuvre et de ressources suffisantes pour faire la traite seuls, les Français ont fait appel aux Autochtones, qui prélevaient les peaux, les préparaient et les transportaient, en plus de servir de guides et d’intermédiaires. Pour s’assurer ces services, les Français ont dû conclure des alliances avec plusieurs Premières Nations, y compris les Montagnais, les Algonquins et les Hurons dans la première moitié du XVIIème siècle, et les Saulteaux, les Potawatomis et les Choctaws dans la seconde. Par ces alliances, les Français se sont profondément empêtrés dans les économies, les sociétés et la politique autochtones, tout en attirant les peuples autochtones dans la sphère d’influence européenne. La traite des fourrures fut donc bien plus qu’un simple échange de marchandises: elle a favorisé des échanges de connaissances, de technologies et de cultures matérielles, en plus d’être à la base de coalitions militaires puissantes et de donner naissance à de nouvelles formes culturelles et à de nouvelles identités. Pour maintenir ces interactions complexes et souvent lucratives, les Français ont adopté des attitudes et des politiques à l’égard des peuples autochtones qui se distinguaient nettement de celles des anglophones qui s’étaient installés sur la côte atlantique.
C.2) 1654 : premières découvertes de Médard Chouart des Groseilliers
Cette situation va pousser les Français à explorer les territoires. Le premier sera Médard Chouart des Groseilliers, un commerçant de fourrures français. Comme nous l’avons vu, le début des années 1650 est troublé par les incursions meurtrières des Iroquois chez les Français de la vallée du Saint-Laurent et leurs alliés, les Hurons des Grands Lacs. Le marché des fourrures est étranglé. De part et d’autre de l’Atlantique, on évoque la possibilité d’abandonner la colonie si rien n’est fait pour protéger le marché des pelleteries. Au printemps 1663, des Hurons se présentent devant Trois-Rivières et révèlent l’existence d’une cache de fourrures abritée non loin d’une région que les Français appellent «baie du Nord» (baie d’Hudson).
Médard Chouart des Groseilliers entre en scène après cette heureuse nouvelle. Au cours des mois suivants, il recherche une aide financière pour se rendre, par l’Atlantique, jusqu’à la «baie du Nord». Le projet échoue. Au début de l’été 1654, la colonie exulte: les fourrures promises par les Hurons, un an plus tôt, sont transportées à Montréal par une centaine de canoteurs amérindiens. Mais Des Groseilliers veut partir à la découvertes de ces vastes régions inexploitées pour le commerce des fourrures au nord et à l'ouest du lac, près de la Baie d'Hudson, dont lui ont parlé les Hurons l'année précédente..
Quand ces canoteurs repartent, Des Groseilliers et un autre coureur des bois en profitent pour faire partie du vouyage. L’itinéraire (parcours rouge sur la carte) s’amorce sur la rivière Outaouais et se poursuit jusqu’aux lacs Huron, Érié et Michigan.
À leur retour dans la colonie, à la fin du mois d’août 1656, Des Groseilliers et son compagnon sont au cœur d’une flottille de 50 canots de fourrures de grande valeur.
C.3) 1659: vers le Lac Supérieur
Suivent des années sans histoires au cours desquelles Des Groseilliers mène, aux Trois-Rivières, une existence partagée entre de brèves expéditions de traite et ses obligations de chef de famille. Malgré l’opposition du gouverneur Pierre Voyer d’Argenson, il repart en 1659. Cette fois, son beau-frère fait partie de l’expédition qui les conduit jusqu’à l’ouest du lac Supérieur.
De retour à la mi-août 1660, ils dirigent un convoi de canots portant 300 hommes et des fourrures. Ils auraient été les premiers Français à voir le Mississippi, dont ils n’ont pas mesuré l’importance, et ils n’ont toujours pas atteint la «baie du Nord».
À leur arrivée à Québec, ils furent «salués par le canon et les batteries du fort Saint-Louis et de trois vaisseaux en rade». Après avoir publiquement reconnu la contribution de Des Groseilliers à la prospérité de la colonie, le gouverneur le fait emprisonner pour être parti sans permission. Le butin des deux hommes est confisqué et ils sont condamnés à une amende importante.
Cette action va profondément les ébranler dans leurs convictions (voir 3.1.b.2)