C) Fin de Lorenz Hart
Selon Alan Jay Lerner, le soir suivant, un cousin de Hart l’a appelé lui et Fritz Loewe pour leur demander de l’aider à trouver Hart. Lerner se souvient:
«Fritz l’a trouvé, littéralement assis sur un trottoir sous la pluie battante, ivre, dans un état de paralysie. Fritz l’a mis dans un taxi et l’a emmené à l’hôtel où il séjournait. Il a fait promettre à Hart qu’il irait se coucher. Le lendemain, il a été transporté à l’hôpital, souffrant d’une pneumonie.»
Alan Jay Lerner
Dans un premier temps, les médecins ont dit que l’état de Hart était grave, mais pas critique.
Deux jours plus tard, Willy Kron, l’ami et conseiller financier de Hart, est venu voir Rodgers dans les coulisses du théâtre et lui a annoncé: «Larry a une pneumonie. Probablement plutôt une double pneumonie. il est très malade.» Rodgers lui a répondu qu'il savait. Mais il a rajouté que Hart n'était pas gravement malade, il était maintenant en train de mourir.
Pendant les deux jours suivants, ils ont tous veillé à la poursuite du traitement. Dick et Dorothy Rodgers étaient là la plupart du temps. Beaucoup d’amis de Hart sont venus voir comment il était: Irene Gallagher, secrétaire de Max Dreyfus, Milton Pascal, Irving Eisman, Philip Charig, Willie Kron, Helen Ford et son mari, et, bien sûr, Doc Bender.
Irene Gallagher a appelé le producteur John Golden, qui connaissait Eleanor Roosevelt. Par son intercession, la pénicilline, qui n’était pas encore à la disposition du grand public, fut transportée par avion, mais cela ne servait à rien.
La nuit du 22 novembre 1943, Rodgers et sa femme Dorothy, le médecin de Hart, ont dîné au restaurant de l’hôpital. Ce fut un faux repas, car la faim n'y était pas. Tous deux savaient que la fin n’était pas loin. Quand ils sont revenus vers sa chambre, une douzaine de ses amis étaient dans le couloir, aucun ne disait un mot. Hart était dans le coma. Plus tard, ils ont appris que le cœur de Hart s’était arrêté à deux reprises et qu’il avait été remis en marche après un traitement d’urgence.
Les souvenirs de Rodgers sont très clairs.
«En pleine deuxième guerre mondiale, il y eut cette nuit-là des alertes aériennes et des coupures d’électricité. Tout à coup, les cris des sirènes ont brisé l’immobilité de l’hôpital, et tout le bâtiment est devenu sombre, à l'exception de quelques lumières de secours ombragées. Une de ces lumières était dans la chambre de Larry parce qu’il recevait de l’oxygène. Ses proches étaient tous là dans l’obscurité à l’extérieur de sa chambre, leurs yeux sur la porte. Le docteur sortit de la chambre, et comme il nous a dit que Hart était mort, nous avons entendu la sirène de fin d'alerte et les lumières dans tout l’hôpital se sont rallumées.»
Richard Rodgers
Rodgers a toujours affirmé que pour lui, ces lumières qui se sont allumées à l'instant de sa mort étaient un signe de libération de cet homme qui avait toujours voulu vivre dans l'obscurité, ne fût-ce que pour cacher son homosexualité qu'il ne pouvait assumer.
Deux jours plus tard, le mercredi 24 novembre 1943, le rabbin Nathan Perilman a célébré un service funèbre auquel ont assisté plus de 300 personnes en deuil. Parmi les personnes présentes se trouvaient son frère Teddy Hart et sa femme, Dick et Dorothy Rodgers, le père de Dick et son frère Mortimer, Max Dreyfus, Moss Hart, Cole Porter, Dorothy Parker, Arthur Schwartz, John O’Hara, Dorothy Fields, Danny Kaye, Emmerich Kalman, Willie Kron et Doc Bender. Les rites ont commencé à 12h30; un service simultané, auquel a participé une grande congrégation comprenant Oscar Hammerstein, Jerome Kern et Herb Fields, a été organisé à Hollywood.
Il n’y avait pas de musique; Teddy Hart a dit après que Hart avait toujours soutenu que les funérailles devaient être simples sans manifestation d’émotion. Le service dura un peu plus de vingt minutes; le cortège partit immédiatement pour le mont Sion, où Hart fut inhumé dans une tombe face à celle de ses parents. C’est un endroit triste et vide pour passer l’éternité, une usine d’incinération de déchets d’un côté, la Long Island Expressway rugissante de l’autre.