A) Prise de conscience
Cette escapade londonienne pour assister à une représentation de leur Lido Lady () puis créer One Dam Thing After Another () produit par C.B. Cochran, avait permis à Rodgers et Hart de prendre leurs distances avec Broadway, indispensable après ce terrible mois de décembre 1926 où ils avaient créé deux spectacles à deux jours d’intervalle: Peggy-Ann () et Betsy ().
Mais à leur retour à New York, ils savaient qu’ils devraient faire un choix à propos de leur nouveau spectacle à Broadway. Très intelligemment, ils savaient qu’ils devaient faire un spectacle très différent de tout ce qu’ils avaient fait jusqu’alors. Ils étaient totalement conscients que bon nombre d’auteurs, ou de producteurs, ayant eu un succès, essayaient souvent de reproduire cette formule gagnante, et que ces œuvres de seconde zone étaient rarement des succès. Ils avaient totalement raison et il suffit pour s’en persuader de regarder l’ensemble des spectacles de Rodgers & Hammerstein, de Stephen Sondheim ou d’Andrew Lloyd Webber pour voir qu’ils n’ont jamais fait deux œuvres qui se ressemblaient.
En outre, une monotonie épouvantable des sujets s’était installée dans les spectacles musicaux des années ’20, même les meilleurs: un garçon tente de séduire une jeune fille, ‘quelque chose’ rend cet amour impossible dans le final du premier acte (les spectateurs doivent avoir envie de revenir après l’entracte pour voir comment cela va finir), et tout finit par s’arranger en une fin heureuse lors du deuxième acte. Il y avait beaucoup de variations sur le thème Montague-Capulet (s’inspirant du Romeo et Juliette de Shakespeare) ou sur le thème de Cendrillon — ou sa variante, Pygmalion —, où la pauvre fille du début finit belle, riche et aimée à la fin. L’important était que tout le monde finisse heureux pour que les gens qui achetaient des billets quittent le théâtre heureux.
Beaucoup de compositeurs de l’époque pensaient qu’au plus l’histoire était simple et prévisible, au plus le public serait prêt à apprécier la musique. A contrario, si l’intrigue est audacieuse, le compositeur risque de gêner le public par l’intrusion de ses chansons. C’est évidemment à l’opposé de ce que seront les ‘vrais musicals’: une intégration parfaite du théâtre et de la musique – puis de la danse – pour raconter ENSEMBLE une même histoire.
Nous sommes en 1927, et en décembre 1927 sera créé Show Boat () – de Kern et Hammerstein – qui intégrera parfaitement théâtre et musique. Rodgers était persuadé que l’histoire et la musique devaient être étroitement liées, et que chaque composante devait aider l’autre et contribuer à l’effet global. Dans trop de musicals, de magnifiques chansons sauvaient une histoire juvénile et éculée ou, à l’opposé, on pardonnait une musique faible parce que l’intrigue était passionnante…
En fait, à cette époque, tous les grands compositeurs des années ‘20 – comme Kern, Gershwin et Youmans – cherchaient constamment à sortir du moule conventionnel.
Après leur séjour à Londres, Rodgers et Hart furent heureux de retrouver leur librettiste favori, Herb Fields. Ils pensaient tous les trois aux thèmes les plus difficiles et les plus intrigants que l’on puisse trouver. Et cela les a conduits directement à Connecticut Yankee (A) ().