B) 18 fév. '30: «Simple Simon» - Déception
Très vite après la première à Broadway du projet Heads Up! (), Rodgers et Hart vont avoir deux propositions. La première provenait de C.B. Cochran le producteur londonien avec qui ils avaient fait One Dam Thing After Another (). Cochran était à New York pour l’ouverture de Bitter Sweet () de Noël Coward qui avait triomphé à Londres. Cochran n’avait rien vu à Broadway qu’il pouvait produire à Londres et il souhaitait que Rodgers et Hart fassent à Londres une création originale. Il leur a demandé de penser à une ébauche de scénario qui serait ensuite confiée à un librettiste. Après quelques semaines, ils avaient un premier fil rouge… Pour se faire de la publicité, une jeune fille dans la vingtaine se fait passer pour une femme dans la soixantaine dont la jeunesse a été préservée grâce à la science des cosmétiques modernes. Des complications surviennent lorsque le jeune homme qu’elle aime rechigne à l’idée d’épouser une femme plus de deux fois son âge. Et comme cette jeune fille est une actrice en herbe, l’histoire pensée par Rodgers et Hart permettrait à Cochran de se livrer à son penchant pour des spectacles élaborés qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’histoire, mais qui impressionnent les spectateurs. Ils ont donné un titre à leur projet: Ever Green (). Cochran a trouvé l’idée formidable. Il devait d’abord produire à Londres le nouveau spectacle de Noël Coward, Private Lives, et donc Ever Green () serait créé au printemps 1931.
C’était fort tard – presque un an de délai – et ils furent obligés de répondre positivement à la seconde proposition qu’on leur a faite… Elle provenait de Lorenz Ziegfeld, mais après leur terrible expérience sur Betsy () deux ans auparavant, ils auraient préféré ne jamais retravailler avec lui. Mais en cette période de crise économique, il ne faisait pas bon refuser une proposition. Surtout que Rodgers s’était fiancé le 7 décembre avec Dorothy et qu’il se disait que sous peu, il serait marié et aurait charge d’enfant.
Après le Krach d’octobre ’29, Ziegfeld était ruiné. Cela fit sourire son concurrent, Charles Dillingham, qui déclara: «Enfin, cette crise nous rend égaux.» Ziegfeld était à terre, mais pas mort. Il y a une histoire qui raconte que quand il a entendu que son grand ami et bailleur de fonds Jim Donohue s’était jeté d’une fenêtre après avoir tout perdu dans le Krach, il a télégraphié à la veuve de Donohue: «Votre mari défunt m’a promis 20.000$ juste avant qu’il ne saute par la fenêtre.» Deux jours plus tard, l’argent est arrivé. C’est peut-être ainsi qu’il a réussi à faire répéter Simple Simon () immédiatement après les vacances de Noël.
Une seule chose a enthousiasmé Rodgers et Hart: la star Ed Wynn allait y jouer, et ils étaient tous les deux fous de lui. Ed était un original; il n’y a jamais eu de comique comme lui auparavant: il portait des costumes de clowns, inventait des jeux de mots idiots, rêvait d’inventions loufoques et regardait le monde avec une innocence enfantine aux yeux écarquillés qui rendait tout ce qu’il faisait drôle. En plus, Ed Wynn serait co-librettiste du spectacle avec Guy Bolton.
Ce duo créatif, Wynn/Bolton, fonctionna assez mal et même si Bolton était alors le librettiste le plus prolifique de Broadway, Simple Simon () ne lui a pas valu de nouveaux lauriers. C’était un conte sur mesure pour la star, dans lequel Ed Wynn jouait un propriétaire de kiosque à journaux de Coney Island qui s’endort et rêve de personnages comme Cendrillon, King Cole, Jack et Jill, et Blanche-Neige! L’idée était totalement ridicule sauf que le scénographe de Ziegfeld, Joseph Urban, a transformé la production en un spectacle spectaculaire: Simple Simon () part pour sauver Cendrillon à vélo, avec un piano construit dessus, se prélassant dans une forêt – conçue par Joseph Urban – brandissant une épée aussi grande que lui, tout en déclamant sa célèbre phrase accrocheuse I love the woodth.
Et le public deviendrait fou!
Il ne restait plus à Rodgers et Hart qu’à écrire cette chanson. Ed Wynn avait eu l’idée après la première en Try-Out au Colonial Theatre de Boston le 27 janvier 1930. La chanson fut écrite par Rodgers et Hart l’après-midi à l’hôtel et devint Ten Cents a Dance. Le soir, la chanteuse qui l’a chantée, Mlle Morse, s’est embrouillée dans les paroles et a été virée sur le champ par Ziegfeld!
La chanson ne serait rechantée que le soir d’ouverture à Broadway par sa remplaçante, Ruth Etting. La chanson fut accueillie par d’énormes applaudissements. Elle a enregistré un tel succès retentissant que Ten Cents a Dance est devenu sa marque de fabrique musicale.
Ziegfeld aimait beaucoup Ten Cents a Dance, mais a été hostile à l’une de leurs chansons, insistant pour qu’elle soit abandonnée. Quelques mois plus tard, Rodgers et Hart l’ajouteront à la partition d’Ever Green (), et Dancing on the Ceiling est devenue le numéro le plus populaire du spectacle.
Ziegfeld a programmé Simple Simon () pour suivre Bitter Sweet dans son somptueux Ziegfeld Theatre où il a ouvert le 18 février 1930. Les critiques aimaient tous Ed Wynn, mais étaient cinglants dans leur évaluation du livret: «ennuyeux», «compliqué», «banal», «sans humour» et «sinistre» sont quelques-uns des termes utilisés. Simple Simon () a tenu l’affiche 135 représentations. Une déception de plus. Mais surtout, une fois encore, Rodgers et Hart sont très loin de leurs rêves de l’époque Chee-Chee () de développer des «musicals différents» ().
Quelque temps après l’ouverture de Simple Simon (), Rodgers a rendu visite à Ziegfeld pour lui «rappeler» de lui payer ses droits d’auteurs musicaux du spectacle. Après avoir demandé à la secrétaire de rencontrer Ziegfeld, on a demandé à Rodgers d’attendre. Ce qu’il a fait. Les gens entraient et sortaient de son bureau, mais pas Rodgers. Il s’est dit que Ziegfeld avait compris la raison de sa visite. Rodgers ne voulait pas céder. Après trois heures, il s’est rappelé que Ziegfeld avait la réputation d’être terrifié par une organisation d’écrivains de théâtre appelée la Dramatists Guild. Rodgers et Hart étaient membres de la Guild. Si un auteur de la Guild n’était pas payé par un producteur, tous les auteurs s’engageaient à ne plus travailler pour lui jusqu’à régularisation. C’était très fort, car il n’y avait aucune action en justice. Rodgers, excédé, a dit à la secrétaire qu’il en avait assez et qu’il allait dénoncer Ziegfeld à la Dramatists Guild. Dès que le message a été transmis, les portes du bureau de Ziegfeld se sont ouvertes et le producteur est sorti les bras tendus et un large sourire collé sur son visage. Sans même rien demander, Ziegfeld a fait venir son comptable et lui a dit de faire des chèques à Rodgers et Hart pour le montant dû….
Quelques mois auparavant, avait de même avec les Ziegfeld sur Show Girl ().