A) 25 déc. 1940: «Pal Joey»
Pal Joey () est une rupture profonde avec ce qu'ils ont fait jusque-là. La manière dont ils abordent la personnalité des personnages peut faire penser à ce que Sondheim fera 30 ans plus tard, par exemple dans Company ().
En octobre 1939, alors que Rodgers était à Boston pour les Try-Out de Too Many Girls (), il a reçu un courrier de John O’Hara, un auteur américain qui a écrit de nombreux feuilletons et nouvelles pour le magazine américain The New Yorker. Ses scénarios et ses romans ont été très bien accueillis par la critique au point qu'on le surnomma le «Balzac américain».
«Cher Dick,
Je ne sais pas si vous avez lu une série d’articles que j’ai fait pour The New Yorker au cours de la dernière année. Ils parlent d’un gars qui est maître de cérémonie dans des boîtes de nuit bon marché, et les articles ont la forme de lettres de lui à un chef de groupe musical à succès. Quoi qu’il en soit, j’ai eu l’idée que certains articles, ou du moins le personnage et la vie en général, pourraient être transformés en un livret, et je me demande si vous et Lorenz seriez intéressés à travailler dessus avec moi. J’ai lu que vous aviez un engagement avec Dwight Wiman pour un spectacle ce printemps, mais si et quand vous en aurez fini avec ça, j’espère que vous aimerez mon idée.
Tout le meilleur pour vous. Faites mes amitiés à la belle Dorothy et dites bonjour à Lorenz pour moi. Dites plus que bonjour aussi.
Fidèlement, John O’Hara »
L’engagement dont il parle avec le producteur Dwight Wiman est Higher and Higher (). Quand il ont reçu cette lettre, Rodgers et Hart, depuis Jumbo (), avaient eu une chance phénoménale avec la plupart de leurs spectacles. Cette chance entraînait un problème récurrent: que faire ensuite pour rester original et ne pas se répéter. Ils savaient que Too Many Girls () n’était pas dans la même ligne que leurs musicals précédents et, même si le spectacle n’avait pas encore été créé, ils avaient des réserves à propos de Higher and Higher (). Mais un musical basé sur les histoires de Pal Joey () dans The New Yorker pourrait être quelque chose de vraiment spécial. Le «héros» serait un vantard prêt à faire n’importe quoi et dormir n’importe où pour progresser. Rodgers a immédiatement été tenté par l’idée de faire un musical sans une héroïne à l’allure soignée impliquée dans une histoire d’amour. Il avait envie de proposer une vision plus réaliste de la vie que celles auxquelles les spectateurs étaient habitués.
Hart a été tout aussi enthousiaste à propos du projet. Il avait passé des milliers d’heures dans exactement le genre d’atmosphère décrite dans les histoires et connaissait parfaitement les Pal Joeys de ce monde. Non seulement le spectacle serait totalement différent de tout ce que le duo avait fait auparavant, amis il serait aussi différent de tout ce que quiconque n’avait jamais essayé. C’était une raison suffisante pour que le duo veuille mener ce projet à bien.
Très vite, ils marquèrent leur enthousiasme auprès d’O’Hara qui était alors en Californie pour écrire des scénarios de films. À ce moment a débuté un long échange de lettres ayant pour but de discuter à distance de divers aspects du projet.
Dans les premières lettres, Rodgers a écrit à John O’Hara qu’il avait «décidé» de l’acteur souhaité pour le rôle principal. Une semaine après l’ouverture de Too Many Girls (), Rodgers et Dorothy avaient assisté à la première de la pièce de William Saroyan The Time of Your Life. Dans un petit rôle d’artiste en herbe, ils ont remarqué un jeune homme nommé Gene Kelly. La scène rayonnait chaque fois qu’il apparaissait, et son niveau de danse était prodigieux. Le lendemain, Rodgers a écrit à O’Hara qu’ils avaient leur Joey.
Ce qu’O’Hara avait en tête n’était pas un musical basé sur une seule histoire, mais quelque chose qui emprunterait des scènes et des personnages à un certain nombre d’histoires. Au fur et à mesure du travail, l’intrigue s’est resserrée sur la liaison de Joey avec une femme riche, de ce qu’elle faisait pour l’aider à aller de l’avant et de sa déception ultime avec lui. À côté de Joey, le rôle le plus important du spectacle serait celui de la bienfaitrice, et puisque Vivienne Segal avait brillé dans I Married an Angel (), elle semblait naturelle pour le rôle dans Pal Joey (). Et ce fut le cas.
Le livret, inspiré d'une série d'histoires que John O'Hara avait écrites pour The New Yorker, suit un chanteur/animateur de boîte de nuit miteuse (Gene Kelly) et les femmes qu'il séduit et abuse. Ce n'était pas une jolie histoire, et certains critiques, y compris le plus important, Brooks Atkinson du New York Times, ont constaté que les vertus évidentes du spectacle étaient minées par son histoire sordide: «Bien que Pal Joey () a été conçu de manière experte, pouvez-vous puiser de l'eau douce dans un puits insalubre?»
Attardons-nous un peu plus longuement sur le livret. Au début de l'acte I, nous nous trouvons à Chicago, à la fin des années '30. Le chanteur-danseur Joey Evans (Gene Kelly), projette de créer sa propre boîte de nuit. Il auditionne pour un emploi d'Emcee dans une discothèque de second ordre (You Mustn't Kick It Around).
Joey obtient le poste et commence les répétitions avec les chorus girls et la chanteuse du club Gladys Bumps (June Havoc). Joey rencontre la jeune et naïve Linda English (Leila Ernst) devant une animalerie, et il l'impressionne avec des mensonges grandioses sur sa carrière. Linda croit innocemment à tout ce que lui raconte Joey (I Could Write a Book). Alors que les filles du chœur font un numéro chanté et dansé (Chicago), Linda arrive au club ce soir-là. Mais Vera Simpson (Vivienne Segal) une riche mondaine, qui plus est mariée, arrive au club et montre un intérêt certain pour Joey. Mais cela ne plait pas à Joey qui insulte Vera, ce qui a pour conséquence qu'elle quitte le club. Mike Spears (Robert J. Mulligan), le propriétaire du club, renvoie Joey.
Ce dernier, persuadé que Vera reviendra très rapidement au club, conclut un compromis: si Vera ne revient pas dans les prochains jours, Joey partira sans être payé. Les choristes continuent avec le spectacle (That Terrific Rainbow). Linda, ayant été témoin du comportement impulsif de Joey, quitte le club. Vera ne revient pas et Joey sera définitivement renvoyé. Comme Linda refuse de répondre à ses appels, Joey appelle Vera (What is a Man). Après la dernière nuit de Joey en tant que maître de cérémonie, Vera vient le chercher au club et ils commencent une liaison (Happy Hunting Horn). Vera est follement amoureuse. Elle installe Joey dans un appartement et le rhabille à grands frais (Bewitched, Bothered and Bewildered). Alors qu'ils achètent des vêtements pour , Vera et Joey rencontrent Linda. Cette rencontre impromptue laisse Vera jalouse et Linda affolée. Vera a les moyens d'influencer Joey: elle lui offre sa propre boîte de nuit, Chez Joey. Et Joey a hâte de monter au sommet et de pouvoir fêter sa réussite (Ballet Pal Joey / Joey Looks to the Future).
Au début de l'acte II, les choristes et les chanteuses de l'ancien club ont déménagé à Chez Joey, où elles répètent pour la soirée d'ouverture (The Flower Garden of My Heart). Melba Casto (Jean Casto), une ambitieuse journaliste, interviewe Joey, se remémorant ses interviews avec diverses célébrités, dont Gypsy Rose Lee (Zip). Ludlow Lowell (Jack Durant), un ancien amoureux de Gladys, se présente au club comme un agent avec des papiers à signer, ce que Joey fait sans réfléchir au beau milieu des répétitions (Plant You Now, Dig You Later).
Dans l'appartement de Joey, le lendemain matin, Joey et Vera réfléchissent aux bonheurs de leur relation (In Our Little Den). Au même moment, Linda surprend Gladys et Ludlow en plein complot visant à utiliser les papiers signés imprudemment par Joey pour faire chanter Vera. Dépassant ses rancœurs, Linda prévient Vera qui, dans un premier réflexe, se méfie de Linda: Vera confronte Joey, lui demandant quelle est sa relation avec Linda. Joey est sur la défensive (Do It the Hard Way). Linda vient à l'appartement pour convaincre Vera, et Vera, voyant la sincérité de Linda, la croit maintenant. Vera et Linda arrivent à la même conclusion: Joey n'en vaut pas la peine (Take Him). Vera appelle son ami le commissaire de police, qui arrête Gladys et Ludlowl. Vera jette Joey dehors et ferme Chez Joey (reprise de Bewitched, Bothered and Bewildered). Joey, maintenant sans le sou, rencontre à nouveau Linda devant l'animalerie et elle l'invite à dîner avec sa famille. Il se rend à ce repas, mais ils se séparent amis, Joey lui inventant avoir été choisi pour un show à Broadway.
Comme nous l'avons vu, le célèbre critique Brooks Atkinson du New York Times, avait réagi de manière très mitigée à Pal Joey () par sa légendaire question dont nous avons parlé: «Bien que Pal Joey () a été conçu de manière experte, pouvez-vous puiser de l'eau douce dans un puits insalubre?». Il mettait le focus sur la chanson Bewitched, Bothered and Bewildered pour ses paroles «scabreuses» et sa musique «obsédante».
Des cinq autres critiques de New York, deux ont écrit des critiques élogieuses. Dans le New York Herald Tribune, Richard Watts a qualifié la soirée de «délice bouillant (...) remarquable triomphe», et Sidney B. Whipple, dans le New York World-Telegram, a déclaré que l’œuvre était «brillante, originale et gaie». Burns Mantle, dans le New York Daily News, a donné trois étoiles au musical (sur quatre; mais il semble qu'il n'ait jamais attribué plus à un musical) et a noté que Pal Joey () contenait «des signes de renouveau» pour le musical américain. Et tandis que John Mason Brown, dans le New York Post, estimait que le spectacle était «sans direction» et son histoire «sans importance». Il a néanmoins admis que le musical était une tentative d’écarter les «vieilles conventions» des musicals dans sa représentation d’un personnage principal qui est un «clochard». Dans l’ensemble, les critiques ont mis en évidence huit chansons les qualifiant de remarquables.
Six mois plus tôt, lorsqu’il a passé en revue Walk with Music (), Richard Lockridge, dans le New York Sun, a souligné qu’il fallait faire «quelque chose» au sujet de la piètre qualité des livrets écrits pour les musicals. Donc, Lockridge était particulièrement heureux avec Pal Joey () et a noté qu’après un premier acte un peu lent, les choses ont commencé à «prendre méchamment» avec l’«analyse amusante, mais impitoyable» du caractère du personnage principal, l’un des personnages les plus «substantiels» et les plus «drôles» à jamais «se tenir dans l’ombre des musicals.» Il s’agissait d’un musical qui était toujours «vivant» et «drôle» avec une «saveur vive et distinctive».
L’une des rumeurs persistantes du théâtre musical est que la production originale de Pal Joey () à Broadway en 1940 aurait été un échec, que personne n’aurait apprécié ce spectacle jusqu’au revival à Broadway, en 1952. Rien n’est plus faux. Lorsque le musical ferma en 1941, il était la deuxième plus longue série de tous les musicals de Rodgers et Hart, avec une série de 374 représentations. Seul le A Connecticut Yankee () de 1927 avait tenu l'affiche plus longtemps, avec 418 représentations. En 1942, By Jupiter ( deviendra la plus longue série du duo, avec un total de 427 représentations.
Mais ce succès n’a pas été si simple à finaliser…
Le travail sur Pal Joey () a commencé sérieusement peu après l’ouverture de Higher and Higher () et il y a eu des problèmes dès le début. Il y eut bien sûr le problème récurrent avec Hart qui ne faisait qu’empirer. Mais Rodgers n’était pas préparé aux problèmes avec O’Hara et avec George Abbott, qui avait accepté d’être à la fois producteur et metteur en scène.
Étrangement, bien que ce soit O’Hara qui avait amené l’idée de Pal Joey (), il s’est avéré plutôt indifférent aux aspects créatifs du spectacle. Comme Hart, il ne s’est jamais vraiment mis au travail. Plusieurs fois, Rodgers n’a plus eu de nouvelles d’O’Hara pendant plusieurs semaines, n’arrivant même pas à l’avoir au téléphone. Finalement, en désespoir de cause, il lui a envoyé un télégramme: «PARLES-MOI JOHN, PARLES-MOI». Mais cela n’a eu aucun effet, et une grande partie de la réécriture a été réalisée par Abbott lui-même — bien qu’à l’occasion, O’Hara passait pour faire des réécritures de la réécriture.
Le problème avec Abbott était d’une tout autre nature. C’était le troisième musical de Rodgers et Hart produit par Abbott (après The Boys from Syracuse () et Too Many Girls (, même s’il a été aussi librettiste ou metteur en scène sur d’autres de leurs œuvres), et ce fut la première où il y eut des «discussions d’argent».
Trois exemples…
- Un jour, il a dit à Rodgers qu’il trouvait que Hart et lui étaient trop bien payés et qu’ils devraient accepter une diminution! Il n’a pas précisé l’ampleur de cette diminution. La discussion s’est arrêtée sans qu’aucun des deux ne cède. Un jour ou deux plus tard, Abbott a dit qu’il avait parlé à son directeur général, qui l’avait convaincu de les payer leur redevance régulière. Affaire classée.
- Lors d’une réunion avec Jo Mielziner, le scénographe du spectacle, Rodgers a fait certaines suggestions au sujet des décors, mais Mielziner lui a dit: «Vous savez, George Abbott m’a dit de dépenser le moins d’argent possible.» Rodgers lui a demandé s’il savait pourquoi. La réponse fut limpide: «Eh bien, George n’a pas confiance en ce spectacle.»
- Cet inquiétant manque de confiance a été confirmé peu après par Bob Alton, le chorégraphe, qui a dit à Rodgers qu’il avait besoin de deux danseuses supplémentaires. Rodgers lui a suggéré d’appeler Abbott. Alton l’a fait. Ici encore la réponse fut limpide: Abbott lui a dit que s’il voulait deux nouvelles filles dans le chœur, il devait demander à Rodgers et Hart de payer leurs salaires…
Le lendemain matin, Rodgers a parlé à Abbott de ses discussions avec Mielziner et Alton, et lui a dit calmement: «George, je pense que tu devrais laisser tomber ce spectacle. Je ne pense pas que tu sois la bonne personne pour le produire. Il est évident que tu n’y crois pas, et la meilleure chose à faire serait de trouver quelqu’un d’autre qui le produise.»
Apparemment, cela a suffi pour aplanir les choses. Abbott n’a peut-être pas aimé produire Pal Joey (), mais il n’a pas voulu que quelqu’un d’autre mette la main dessus. Mielziner a eu l’argent pour les décors, Alton a eu ses deux filles supplémentaires, et Rodgers et Hart n’ont plus jamais entendu parler d’une réduction de leurs salaires.
Pourquoi Abbott a eu cette attitude? Peut-être à cause de la nature audacieuse du spectacle… Peut-être pensait-il qu’il allait un peu trop loin. Apparemment, les gens ont dû lui dire que ce n’était pas commercial de faire un spectacle avec un héros si peu recommandable et il craignait de perdre de l’argent dans une entreprise aussi risquée.
Mais, quelle que soit son attitude personnelle, la production que George a mise en scène était de toute beauté. Rien n’a été adouci pour rendre les personnages plus attrayants. Joey était un «mauvais» au début du spectacle et il ne se repentissait jamais. À la fin, les jeunes amants ne s’embrassaient pas alors que l’orchestre jouait un duo romantique; en fait, ils s’en allaient tous deux dans des directions opposées. Il n’y avait pas un seul personnage convenable dans toute la pièce, sauf la fille qui craquait brièvement pour Joey – son problème étant simplement qu’elle était stupide!
Dans la partition de Pal Joey (), Rodgers et Hart ont fait en sorte que chaque chanson respecte la nature intransigeante de l’histoire. La chanson I Could Write a Book en elle-même est parfaitement directe et sincère; mais dans le contexte de l’intrigue, Joey, qui n’a probablement jamais lu un livre de sa vie, la chante pour impressionner une fille naïve qu’il vient de ramasser dans la rue.
La majeure partie de l’action se déroulant en boîte de nuit, Rodgers et Hart ont pris du plaisir à écrire des numéros «burlesquisant» de vulgaires spectacles de cabaret. Toutes les choristes apparaissaient légèrement vêtues, sauf des coiffures représentant des fleurs (dans The Flower Garden of My Heart) et des couleurs (That Terrific Rainbow). Mais de toutes les chansons, celle qui a eu le plus grand succès est sans aucun doute Bewitched, Bothered and Bewildered («ensorcelée, dérangée et déconcertée ») dont le titre est souvent résumé à Bewitched. Rappelons les faits. Cette chanson est chantée par Vera Simpson, cette matrone riche qui s’ennuie et qui utilise l’argent de son mari pour pimenter sa vie. Elle chante la chanson peu de temps après avoir rencontré Joey Evans, un animateur d’une boîte de nuit peu chic de Chicago, qui s’est «intéressé» à une jeune femme innocente, Linda English. Joey l’ignore peu de temps après avoir rencontré Vera car il réalise à quel point Vera peut lui être utile. Vera le voit comme un jouet possible avec lequel jouer, mais elle est affectée par son charme considérable, et il ne faut pas longtemps pour que leurs intérêts mutuellement égocentriques s’entremêlent dans une liaison. Avant qu’elle ne s’en rende compte, Vera finance une nouvelle boîte de nuit fastueuse pour lui, Chez Joey, et alors qu’elle lui finance une nouvelle garde-robe chez un tailleur sur mesure, elle chante Bewitched. La chanson reflète son ambivalence face à sa nouvelle situation: d’un côté, elle est plus ou moins satisfaite d’elle-même d’être encore capable, à son âge et «après un litre entier d’eau-de-vie», de se réveiller «comme une pâquerette»; mais d’un autre côté, en faisant preuve d’autocritique, elle sait très bien que «c’est un imbécile», bien qu’irrésistible. En d’autres termes, au lieu de simplement passer le bon moment qu’elle recherchait, elle est «ensorcelée, dérangée et déconcertée».
Dans la scène suivante (la dernière scène de l’acte I), Kelly/Joey et la compagnie dansent un ballet sur la musique réarrangée de Bewitched.
Pour Frederick Nolan, le biographe de Hart, la chanson est «le soliloque sensuel d’une femme âgée méditant sur les charmes discutables de son amant». Pour Thomas Hischak, les paroles de Hart «sont peut-être les plus cyniques et les plus désabusées qu’il ait jamais écrites».
Vera reprend la chanson à la fin du spectacle après avoir laissé tomber Joey et elle se rend compte qu’elle n’est plus «ensorcelée, dérangée et déconcertée».
Ce musical était un véritable pari en 1940, et il fut gagné avec ses 374 représentations.
En 1950, Goddard Lieberson, président des disques Columbia, produit un enregistrement studio de Pal Joey () avec, entre autres, Vivienne Segal, reprenant le rôle qu’elle avait tenu sur scène, celui de Vera Simpson, la riche héritière, et Harold Lang dans le rôle de Joey.
«Pal Joey» - 1950 Studio Cast - Columbia
Le succès de cet enregistrement est tel qu'il donnera lieu à un revival au Broadhurst Theatre à partir du 3 janvier 1952, qui connaitra lui aussi un succès retentissant avec 540 représentations. Vivienne Segal reprit son rôle de Vera, et Harold Lang, tout juste sorti de Kiss me Kate (), joua le rôle-titre; Helen Gallagher était Gladys (que June Havoc avait joué dans la production originale), et Pat Northrop était Linda. Le revival a remporté 3 Tony Awards: Robert Alton pour la meilleure chorégraphie (Alton avait également chorégraphié la production originale), Helen Gallagher pour la meilleure actrice dans un musical et Max Meth pour le meilleur chef d’orchestre et directeur musical. Ce revival a également remporté le New York Drama Critics’ Circle Award du meilleur musical de la saison 1951-52.
Douze ans après sa première critique, Brooks Atkinson du New York Times s’est réjoui du spectacle, notant même que la production de 1940 avait été un «pionnier» dans le développement de musicals qui renouvelaient «la confiance dans le professionnalisme du théâtre». Mme Watts a déclaré que la montée et la chute d’un «insecte de boîte de nuit» était le «meilleur et le plus excitant» musical de New York et la «pièce musicale la plus dure depuis The Beggar's Opera ()».
«Pal Joey» - 1952 Broadway revival Cast - Capitol Records
La création à Londres a ouvert le 11 mars 1954 au Prince’s Theatre pour 245 représentations avec Lang et Carol Bruce (Vera). Aux États-Unis, il y a eu deux revivals institutionnels produits par la New York City Center Light Opera Company. Le premier a ouvert le 31 mai 1961 pour 32 représentations; Bob Fosse jouait Joey, et la distribution comprenait Carol Bruce (Vera), Christine Mathews (Linda) et Eileen Heckart (Melba). Fosse revient pour le deuxième revival, qui ouvre le 29 mai 1963, pour 15 représentations; cette fois-ci, la distribution comprend Viveca Lindfors (Vera), Rita Gardner (Linda), et Kay Medford (Melba).
Outre le revival de 1952, il y eut deux autres revivals commerciaux, tous deux infructueux. Le 27 juin 1976, le musical ouvre à Broadway au Circle in the Square (Uptown) pour 73 représentations. Lors des avant-premières, Edward Vilella et Eleanor Parker ont été remplacés par Christopher Chadman et Joan Copeland; Janie Sell et Dixie Carter faisaient également partie de la distribution. Environ trente ans plus tard, le 18 décembre 2008, le musical a de nouveau été repris et joué pour 84 représentations au Studio 54. Encore une fois, il y a eu un remplacement majeur lors des previews quand Christian Holt a été remplacé par Matthew Risch. Stockard Channing incarnait Vera. Cette production comprenait aussi I’m Talking to My Pal ainsi que Are You My Love? (tiré du film musical The Dancing Pirate () (1936) de Rodgers et Hart) et I Still Believe in You (de leur musical Simple Simon ( (1930), avec des paroles différentes, chanson qui avait également été entendue comme Singing a Love Song dans leur musical Chee Chee ( (1928).
Pour être complet, une version de concert de Pal Joey () a été proposée par Encores! le 4 mai 1995, pour 4 représentations; les rôles principaux étaient chantés par Patti LuPone et Peter Gallagher, et Bebe Neuwirth était Melba. Ce concert a été enregistré et est disponible en CD ou sur Spotify.
«Pal Joey» - 1995 Broadway revival Cast (Encores!)
Et enfin, une adaptation cinématographique en 1957 chez Columbia a proposé une version considérablement revue et adoucie. Ici, Joey (Frank Sinatra) était un chanteur au lieu d’un danseur. Sinatra était un très bon choix pour incarner le personnage-titre impétueux. Il en était de même avec le choix de Rita Hayworth pour jouer la mondaine Vera et de Kim Novak pour la timide et modeste Linda. Le film conserve une poignée de chansons de la production scénique et rajoute des chansons d'autres musicals de Rodgers et Hart. Si on oublie de comparer le film avec le musical, surtout dans le contexte de censure cinématographique américaine des années '50, le film est divertissant et Sinatra est en très grande forme vocale. La scène en boîte de nuit enfumée dans laquelle il chante The Lady Is a Tramp (chanson issue du musical Babes in Arms () (1937) à Rita Hayworth est remarquablement photographiée, montée, mise en scène et interprétée. C’est l’une des plus belles séquences de tous les musicals hollywoodiens, et si le film entier avait correspondu à cette scène, le résultat final aurait été un grand au lieu de simplement un bon film.
Ils ne le savaient pas encore, mais Pal Joey () serait leur avant-dernier spectacle commun. Ce musical était une rupture avec leur travail précédent et était empli de maturité. Lors du revival de 1952 – Hart est alors décédé – Rodgers déclarera dans le Times:
«Larry Hart savait ce que John O’Hara savait: Joey n’était pas indigne parce qu’il était méchant, mais parce qu’il avait trop d’imagination pour bien se tenir et parce qu’il était un peu faible. Même si Joey lui-même était peut-être assez adolescent dans sa pensée et sa moralité, le spectacle portant son nom portait lui certainement un long pantalon et, à bien des égards, a forcé tout le monde des musicals à porter un long pantalon pour la première fois.»
De l’aveu même de Rodgers, Pal Joey () fut l’œuvre la plus mature et la plus satisfaisante qu’il ait écrite avec Hart durant leurs près de 25 ans de collaboration.