B) Hammerstein, un homme différent
Oscar Hammerstein II a toujours été décrit comme un homme de liberté, connu pour ses musicals aux thèmes socialement audacieux, par exemple, Show Boat (), qui était sur le métissage. Il était un véritable humaniste à une époque où le communisme et le fascisme étaient en plein gloire, et il fut un combattant absolu du nazisme.
Hammerstein a toujours été préoccupé et engagé, mais pas toujours bienveillant, ce qu’il a lui-même reconnu. En écrivant à Joshua Logan [metteur en scène de la création de South Pacific ()], Oscar Hammerstein a dit ceci:
«Les articles du magazine m’appellent ainsi: «Oscar Hammerstein est gentil et modeste.» Quand découvriront-ils la grimace sous ce masque bienveillant? »
Oscar Hammerstein II
Homme doux et sincère qui ressemblait plus à un agent immobilier qu'à une personnalité de Broadway, Oscar Hammerstein II a transformé le théâtre musical américain par son idéalisme et son génie créatif. Fils et petit-fils d'éminents producteurs, est né dans le théâtre. Mais il est resté très différent des autres membres de ce milieu... Le dramaturge Arthur Laurents a dit qu’il était «dur comme un clou», et d’autres ont perçu le côté impitoyable derrière le charme. Mary Rodgers Guettel [la fille de Richard Rodgers] a dit: «C’était un beau parleur mais il ne voulait pas d’intimité.» Ses enfants étaient parfois victimes d’une de ses idées de blague comme par exemple, continue-t-elle, de les faire trébucher avec une branche alors qu’ils apprenaient à patiner. Son fils Jamie était souvent soumis à ce que Sondheim appelait «une ironie qui flirtait avec le sarcasme». Sondheim a admis que «Ockie» n’avait pas beaucoup de compétences parentales.
«Mon père et lui partageaient quelque chose, je crois, à savoir qu’ils ne furent pas de bons parents avant d’avoir atteint un âge mûr, et le problème avec cela, c’est que lorsque vous avez atteint un âge mûr, un certain nombre de blessures ont été infligées et des cicatrices se sont formées.»
Stephen Sondheim
Au moment où Hammerstein et Rodgers ont commencé à collaborer, Hammerstein et sa deuxième épouse, Dorothy, vivaient dans le comté de Bucks, dans une maison entourée d’hectares de campagne vallonnée de la Pennsylvanie qu’ils appelaient toujours «la ferme». Ce lieu est devenu la maison de Sondheim et d’autres dont les vies avaient été brisées, soit par le divorce ou la guerre. Ils ont rejoint la déjà grande famille constitué des deux enfants d’Oscar issus de son premier mariage, des deux enfants issus du premier mariage de Dorothy et de leur propre fils, Jamie. Leur accueil naturel et sincère d’orphelins, surtout des adolescents, doit avoir quelque chose à voir avec une curieuse histoire familiale parmi les Hammersteins, des enfants endeuillés durant leur jeunesse. William Hammerstein, le père d’Oscar Hammerstein II, avait perdu sa mère quand il avait quatre ans. Oscar perdrait sa mère à quinze ans et son père à dix-neuf ans. Bien qu’il ait prétendu ne pas avoir été marqué par l’expérience, certains sentiments d’injustice refoulés on certainement fait de lui le défenseur des enfants touchés de la même manière.
Dorothy, sa femme australienne au cœur chaleureux, impulsive et douée sur le plan artistique, avait été danseuse dans le cercle Coward-Bea Lillie et s’était tournée vers la décoration intérieure pour compléter le revenu familial. Jamie Hammerstein a dit de Dorothy Rodgers [la femme de Richard Rodgers, aussi une «Dorothy»], dont les talents décoratifs étaient bien connus:
«Elle avait du goût et aucun flair. Je veux dire, c’était tout simplement parfait. Vous ne vouliez rien toucher. Mais ma mère, elle entrait quelque part et … Wow! Jaune! Rouge! Il y avait des taches de soleil partout. C’était magnifique. Et le goût était le même, probablement pour la moitié de l’argent.»
Jamie Hammerstein, le fils d'Oscar et Dorothy Hammerstein, à propos de Dorothy Rodgers et de sa mère Dorothy Hammerstein
Sondheim a écrit:
«Je me souviens d’avoir été submergé par l’extraordinaire sérénité de leur maison en Pennsylvanie. Le grand salon était sombre, frais et élégant, l’atmosphère [...] sereine [...]»
Stephen Sondheim
C’était un univers de vie intime et soudé. Un monde qui gardait au loin les incertitudes frénétiques de Broadway et créait un cocon confortable.
«Vous avez entendu parler de l’entourloupe de mon père? Il désirait n’intervenir que lorsque les derniers invités arriveraient. Alors il sortait par l’arrière de la maison et rentrait par l’avant, comme s’il arrivait seulement.»
Jamie Hammerstein (fils d'Oscar Hamerstein II)
Dans sa jeunesse, Hammerstein avait une beauté robuste plutôt qu’attirante et en désaccord léger avec son âge; il n’a jamais eu ce look lisse et soigné des années années ’20 que Rodgers lui incarnait totalement. Selon Mary Rodgers Guettel, en vieillissant, Hammerstein a toujours ressemblé à «un sac en papier froissé».
Hammerstein possédait une immense expérience en tant qu’homme de théâtre: metteur en scène, régisseur, producteur, librettiste et parolier. Son fils, Jamie Hammerstein, a dit:
«Je pense que mon père était beaucoup plus facile à comprendre que Rodgers. C’était un artiste et il avait aussi un ego. Mon Dieu! Mais il pouvait contrôler son ego facilement, beaucoup mieux que Dick. Et il avait une peau plus épaisse de cette façon.»
Jamie Hammerstein (fils d'Oscar Hamerstein II)
Il a ajouté:
«Mon père détestait les règles, mais il a dit que s’il y avait une règle qu’il devait suivre, c’était que le premier acte devait être deux fois plus longue que le deuxième, et le deuxième devait contenir le double du premier.»
Jamie Hammerstein (fils d'Oscar Hamerstein II)
Malgré toute son expérience et ses connaissances, il restait quelque chose de fragile chez lui. Stevens a dit:
«Je l’ai rencontré une fois à Sardis. C’était un homme très bien, presque comme un arbre humain [...] La première chose qu’il m’a dite, c’était: «Vous rendez-vous compte à quel point il était difficile pour moi de suivre Larry Hart? J’étais un tel admirateur de Larry que je ne pensais pas pouvoir le faire.» »
Jamie Hammerstein (fils d'Oscar Hamerstein II)
On ne peut finir ce paragraphe sans parler de Sondheim et de l’importance de la transmission pour Oscar Hammerstein. Sondheim fréquentait à l’époque la George School, où il a écrit sa première comédie musicale à l’âge de 15 ans, By George, parodiant les membres de cette école. Il a fièrement montré le scénario à son mentor, Oscar Hammerstein, et lui a demandé de lui donner ses commentaires comme s’il s’agissait d’un musical écrit par un inconnu. Hammerstein l’a examiné et a déclaré à Sondheim qu’il s’agissait de la pire chose qu’il n’ait jamais lue. Il a dit que By George n’était pas sans talent mais juste mauvais. Il a passé toute l’après-midi à passer par le script ligne par ligne avec Sondheim. Sondheim a dit qu’il a appris plus sur l’écriture de musicals en un après-midi que ce que la plupart des gens peuvent apprendre en une vie. Le spectacle a été présenté à la George School le 25 mai 1946. Et Sondheim deviendra le géant du monde des musicals que nous connaissons aujourd’hui. Il le doit grandement à Hammerstein.