B) L'année 1941: pas de spectacle
B.1) Rodgers face à un cas de conscience
1941 a été la première année en 6 ans où Rodgers et Hart n’ont pas créé de nouveau spectacle à Broadway. La situation internationale – la guerre en Europe – a certainement joué, mais la raison principale a majoritairement été le comportement de Lorenz Hart.
Sa consommation d’alcool a augmenté de manière alarmante; il faisait la fête toutes les nuits et disparaissait pendant de longues périodes. Il était presque impossible de compter sur lui pour tenir un rendez-vous, et s’il était présent, il était rarement en état de faire le moindre travail. Il ne semblait plus se soucier de rien. Il portait encore des chaussures à hautes semelles pour paraître plus grand, mais il avait abandonné ses traitements de restauration des cheveux et semblait dormir dans ses vêtements.
Même si Rodgers n’était pas «responsable» de Lorenz Hart, il avait une affection profonde pour lui. Et il aurait été inhumain de ne pas faire ce qu’il pouvait pour l’aider. Même si Hart ne demandait en rien cette aide. Depuis toujours, il avait clairement dit qu’il menait la vie qu’il voulait et qu’il n’allait la changer pour personne. Mais Rodgers connaissait Hart depuis plus de vingt ans. Ils avaient travaillé ensemble, lutté ensemble et réussi ensemble, et Rodgers ne pouvait tout simplement pas regarder ailleurs pendant que Hart se détruisait.
Rodgers a essayé d’aider Hart via l’argent. Hart n’avait aucun manque d’argent, mais il le dilapidait à tout vent. Rodgers ne pouvait empêcher cela, mais il pouvait rendre cela plus «difficile». Le père de Rodgers a suggéré que Hart accepte de confier une partie de son argent à Rodgers, que ce dernier mettrait dans un coffre et qu’il lui donne une certaine somme limitée chaque semaine. Ce qui a fait fonctionner le système, c’est que Hart ne savait pas où se trouvait le coffre-fort.
Plus tard, un homme merveilleux, Willy Kron, a géré toutes les finances de Hart. Il était bien plus qu’un simple magicien financier qui conseillait à son client où investir son argent. Il aimait Hart et passait beaucoup de temps avec lui. Hart était assez reconnaissant pour le mettre dans son testament.
Rodgers a un temps pensé que la psychiatrie pourrait aider Hart. Une fois, après trois jours de beuverie, Hart a accepté d’aller à l’hôpital pour se «dessécher», pour un dégrisement. Pendant ce séjour, Rodgers est allé voir le Dr. Richard Hoffman, un psychiatre bien connu, et lui a parlé des problèmes de Hart, sachant que Hart ne se soumettrait jamais volontairement à la psychanalyse. Le médecin a dit à Rodgers de ne pas s’inquiéter: il se ferait passer pour un membre du personnel de l’hôpital et passerait voir Hart, incognito, de temps en temps. Il était sûr que la tromperie fonctionnerait et a promis de tenir Rodgers informé. Le soir même, Hart a téléphoné à Rodgers pour lui dire: «Ton sorcier est venu me surveiller». Et c’était fini.
Hart avait l’énorme défaut de disparaître… Josh Logan a écrit:
«Rodgers a souvent été forcé de couvrir Hart, mais il a continué à disparaître. Une fois quand j’ai demandé à Rodgers où était Hart, Rodgers a haussé les épaules: «Dieu seul le sait. J’ai demandé à ses amis les plus indignes, et même eux sont inquiets.» »
Joshua Logan
Ce qui nous amène à la question sans réponse: où Lorenz Hart disparaissait-il? Ses fréquentations les plus proches semblent avoir préféré ne pas savoir… Mais il devait bien aller quelque part. Des bains turcs, bien sûr, parfois, mais pas une semaine entière. Un an plus tôt, il avait loué une chambre avec salle de bain privée, douche, radio à l’Hôtel Piccadilly sur 45th Street. Mais trouver des chambres vacantes dans New York en temps de guerre était devenu très difficile. Ce qui ne laisse que quelques autres possibilités. L’une est que Hart avait un refuge secret quelque part dans la ville, un endroit dont il n’a parlé à personne et où il partait vivre ce que Joshua Logan appelait sa «vie nocturne secrète», mais cela semble une supposition assez farfelue. Ce qui semble le plus probable, c’est qu’il sombrait dans l’ivresse dans un bar ou une boîte de nuit et que lorsqu’il émergeait, il retournait simplement dans son propre appartement. Une troisième possibilité est qu’il se réfugiait à un endroit où personne ne savait qui il était, ce qui lui permettait de vivre quelques instants la vie qu’il voulait.
Cette dernière idée n’est pas aussi farfelue qu’elle peut le paraître. Par exemple, la Polly Adler’s House – élégamment meublée de meubles à la française, de lits à baldaquin et de miroirs anciens, avec ses chambres aux chandelles et parfumées – s’adressait au genre de clientèle qui pouvait payer plus de cent dollars par nuit pour ses plaisirs et son intimité. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que Hart a élu domicile chez Polly; mais il y avait des endroits comme celui-ci partout à New York – haut et bas de gamme, offrant une compagnie masculine ou féminine – où quelqu’un pouvait «disparaître» aussi longtemps qu’il le voulait, faire ce qu’il voulait et savoir que personne ne pouvait le trouver.
Rodgers a compris que Hart n’était plus jamais disponible le matin, et en fait, lorsqu’il se présentait en plein après-midi, ce qui lui importait c’est que Hart soit frais, le visage couvert de poudre et les yeux bien serrés. De temps en temps, Hart marmonnait quelque chose sur le fait d’avoir dormi trop longtemps, ou d’avoir eu une nuit difficile, mais la plupart du temps, il ne donnait aucune excuse.
L’un des aspects bizarres de leur partenariat est qu’il n’y a jamais eu de vraie dispute. Il y a eu des désaccords, bien sûr, mais seulement sur le travail et jamais sur quelque chose de sérieux. Hart était tellement gentil qu’il était impossible d’être en colère contre lui. Rodgers pouvait être en colère contre ce que Hart se faisait à lui-même et à leur relation, mais cela n’a jamais atteint le point de lancer des ultimatums ou d’exprimer un mécontentement direct.
Peut-être qu’à un stade précoce, une confrontation aurait fait du bien. Peut-être pas. Rodgers était toujours si impatient de poursuivre le travail et tellement impressionné par la qualité de celui produit par Hart qu’il avait vraiment peur de tout bouleverser.
Au fil des années, la durée de concentration de Hart est devenue de plus en plus courte. Il ne pouvait jamais travailler seul, donc s’il n’était pas présent, cela signifiait qu’aucun travail n’était effectué. Mais quand il était là, il était de bonne humeur et généralement prêt à faire des compromis. Rodgers devait lui fournir les thèmes musicaux pour le lancer … et aussi lui fournir des boissons à intervalles répétés. Hart travaillait extrêmement rapidement, mais pas longtemps. Après quelques heures, il prenait son chapeau, mettait son manteau et partait.
A l’été 1941, Rodgers a réalisé que la situation devenait critique. Il avait 39 ans seulement, était en bonne santé, extrêmement reconnaissant de pouvoir faire le genre de travail qu’il aimait. Mais il était lié professionnellement à un homme de 46 ans, obsédé par l’autodestruction et qui ne se souciait plus de son travail. Rodgers devait penser à l’impensable: penser à une vie sans Lorenz Hart…
Ce sentiment a profondément culpabilisé v. Tout le monde considérait Rodgers et Hart comme une équipe indivisible. Les gens n’ont jamais pensé à l’un sans l’autre. En fait, leur duo était presque un mot: «Rodgersandhart». Jamais auparavant il n’y avait eu une équipe d’écriture avec un partenariat aussi long dans l’histoire de Broadway.
Rodgers a commencé par envisager une «pause» de Hart. Mais Hart considérait Rodgers comme un grand frère, même s’il avait 7 ans de plus que Rodgers. Totalement indépendant dans la création des chansons, Hart était totalement dépendant de Rodgers dans presque tous les autres domaines professionnels: auditionner des chanteurs, discuter des contrats, rechercher des producteurs … Tout cela, Rodgers le faisait seul.
Pour la première fois depuis leurs débuts difficiles dans le monde théâtral, plus de 20 ans auparavant, Rodgers était en proie à l’insomnie: il savait qu’il devait commencer à planifier le jour où Hart ne pourrait plus travailler.
Cette décision lui semblant inévitable, il a été confronté au problème de trouver quelqu’un pour remplacer Hart. Qui pourrait égaler son talent et être un partenaire de long terme avec qui il serait possible de travailler étroitement et avec succès? De nombreux auteurs talentueux lui sont venus à l’esprit, mais il revenait toujours au même homme: Oscar Hammerstein.
Il n’aurait jamais dû penser à Hammerstein, car ce dernier proposait un genre de théâtre romantique et fleuri, plus opérette que comédie musicale, ce qui était très différent de celui de Rodgers & Hart. Il avait écrit ses meilleures paroles avec des compositeurs d’origine européenne traditionnelle et classique, comme Rudolf Friml, Sigmund Romberg et Jerome Kern. En plus, il n’avait plus connu un vrai succès à Broadway depuis près de dix ans.
Mais Rodgers avait une foi absolue dans le talent d’Hammerstein. Spectacle après spectacle, il avait admiré ses paroles dans des productions ternes, plates et évidemment non rentables. Il était convaincu que tout homme qui pouvait écrire Show Boat (), Sweet Adeline () et les paroles de All the Things You Are de Jerome Kern ne pouvait être fini, mais que son talent était utilisé à mauvais escient.
En fait, le style de théâtre d’Hammerstein était vite dépassé et celui de Rodgers était trop souvent enfermé dans un train-train. S’ils se montraient tous deux assez flexibles et dévoués, peut-être que quelque chose de nouveau et de valable pourrait émerger de leurs efforts combinés.
Mais il ne faut pas négliger quelque chose de fondamental: Oscar était un vieil ami. Il le connaissait depuis son enfance et avait même écrit quelques chansons avec lui (). Même s’ils ne se voyaient pas régulièrement, Rodgers avait toujours senti qu’il pourrait se tourner vers lui s’il avait un problème et qu’Hammerstein ressentait la même chose pour Rodgers. Ce dernier savait aussi que, mis à part le théâtre, ils partageaient de nombreux points de vue. Hammerstein était considéré comme une anomalie à Broadway: un pantouflard qui détestait la vie nocturne, avait une famille soudée et était dévoué à une femme chaleureuse, charmante et séduisante dont le prénom était, comme la femme de Rodgers, Dorothy.
En 1941, alors que Rodgers était totalement découragé par l’état de Hart, George Abbott lui a demandé de lire le scénario d’un musical qu’il voulait produire. Il s’agissait d’une nouvelle histoire se déroulant dans une université, avec quelques lignes drôles et des situations intelligentes. Mais Abbott ne voulait pas une «partition Rodgers & Hart». Pour ces fonctions, il était impatient de donner sa chance à une nouvelle équipe. Il voulait que Rodgers soit coproducteur et superviseur général du département musical. Rodgers fut d’accord, mais à une condition: que son nom ne soit jamais mentionné. Pourquoi? Il craignait que le fait que les gens sachent que Rodgers travaillait sans Hart puisse creuser un fossé entre eux. Après un certain nombre d’auditions, Abbott et Rodgers ont confié l’écriture de la partition de Best Foot Forward () à deux nouveaux talents: Hugh Martin et Ralph Blane.
Lors des seconds Try-Out du spectacle à Philadelphie (après New Haven) en septembre 1941, Rodgers a confié à Abbott ses craintes concernant Hart. Et bien, Abbott était encore plus pessimiste que Rodegrs. Presque instinctivement, Rodgers a pris un téléphone et a appelé Oscar Hammerstein dans sa ferme à Doylestown, en Pennsylvanie. L’endroit n’était qu’à environ une heure de route de Philadelphie, et il s’est invité à déjeuner le lendemain chez les Hammerstein.
Revoir Oscar dans sa ferme rustique et solide a profondément rassuré Rodgers. Il a vu un homme fiable, réaliste et sensible. C’était le bon homme, peut-être le seul homme, qui non seulement comprendrait son problème, mais ferait des suggestions constructives.
Pendant le déjeuner, Rodgers a décrit ce qui se passait entre lui et Hart et lui a fait part de ses préoccupations pour l’avenir de leur partenariat. Oscar a écouté sans dire un mot. Il a ensuite réfléchi pendant une minute ou deux puis a dit:
«Je pense que tu devrais continuer à travailler avec Hart tant qu’il est capable de continuer à travailler avec toi. Cela le tuerait si vous vous éloigniez pendant qu’il est encore capable de créer. Mais si jamais le moment vient où il ne peut plus créer, appelle-moi. Je serai là.»
C’était exactement ce que Rodgers espérait entendre. Puis Hammerstein a dit quelque chose qui révélait encore plus le genre de personne désintéressée qu’il était:
«J’irai même plus loin. Si toi et Lorenz êtes au milieu d’un travail et qu’il ne peut pas le finir, je le finirai pour lui, et personne d’autre que nous deux n’aura jamais besoin de le savoir.»
Ce soir-là, Rodgers a quitté Hammerstein le cœur plus léger.
B.2) L'attitude de Hart reste ambiguë et la guerre approche
Pendant cette période d’inactivité, Hart était à la dérive. Il passait beaucoup de temps à boire jusqu’aux petites heures au Lambs Club, le rendez-vous du show-business sur la 44ème Rue.
Récemment sorti de l’université et au tout début d’une carrière d’écriture allant l’amener à créer certaines des meilleures paroles jamais créées pour Broadway, Alan Jay Lerner a rencontré Hart à cette époque au Lambs Club. Selon Lerner, c’est Hart qui l’a d’abord encouragé à croire qu’il pourrait avoir un avenir en tant qu’auteur lyrique. Alan Jay Lerner se souvient:
«Il était gentil, attachant, triste, exaspérant et drôle. Mais, à l’époque où je l’ai connu, il était dans un état dévastateur de désarroi émotionnel. Nous sommes devenus de bons amis, non pas parce qu’il me trouvait particulièrement fascinant, mais parce qu’il était terriblement seul. Je l’adorais tellement que je me suis rendu disponible pour le rejoindre à toute heure du jour ou de la nuit, généralement pour un gin-rami auquel je jouais mal parce que cela ne m’intéressait pas, et il jouait mal parce qu’il était habituellement totalement ivre.»
Un jour, Hart s’est tourné vers lui et lui a dit le fond de son âme:
«J’ai beaucoup de talent, gamin. J’aurais probablement pu être un génie. Mais je m’en fiche.»
Lorenz Hart
Quand Hart aimait quelqu’un, il l’aimait vraiment. Et quand il ne l’aimait pas, il ne l’aimait pas. Leur dernier musical, Pal Joey (), avait été transféré en plein succès au Shubert Theatre le 1er septembre 1941. Sa distribution avait bien changé depuis la première 9 mois auparavant dont Gene Kelly qui avait quitté le spectacle, car appelé par la marine américaine. Il avait été remplacé par Georgie Tapps, qui avait joué un petit rôle dans I’d Rather Be Right (). Larry Hart ne l’aimait pas et il a violemment apostrophé le producteur George Abbott en criant: «Comment as-tu pu faire ça au spectacle en engageant ce terrible gars, ce Georgie Tapps? Comment as-tu pu me faire ça?» Abbott haussa simplement les épaules et répondit: «C’est ce qu’on pouvait se le permettre». Cette réponse évasive a déterminé Hart à mener sa propre guérilla. Un jour, le célèbre compositeur et harmoniciste Larry Adler s’est rendu au Shubert Theatre pour acheter un ticket pour Pal Joey () et a par hasard croisé Hart. Ce dernier lui a dit, parlant donc de son spectacle: «Tu ne vas pas y aller, hein?». Adler lui a répondu: «Si, je suis venu pour voir le spectacle». «Je t’en prie, n’y va pas» a rétorqué Hart. Adler lui a demandé: «Quel est le problème? C’est ma seule chance de voir le spectacle, Lorenz, et je veux le voir!» Hart est resté intraitable: «S’il te plaît, ne le fais pas. Je ne veux pas que tu voies le spectacle avec ce type dedans». Et Hart avait l’air d’être sur le point de pleurer. Il n’était pas rasé, et il était passablement ivre. Et donc, par respect pour Hart... Adler n’a vu le spectacle que plusieurs années plus tard, lors d’un revival.
Hart semblait ne plus avoir de limite, ni dans un sens, ni dans l’autre.
La guerre en Europe avait éclaté un an plus tôt en mai 1940. Les États-Unis étaient toujours en paix, mais la situation du monde empirait. En août 1941, le président Roosevelt avait rencontré le Premier ministre britannique Winston Churchill à Terre-Neuve, pour formuler la Charte de l’Atlantique, qui plaçait fermement les États-Unis aux côtés de la Grande-Bretagne et contre les forces de l’Axe – l’Allemagne, l’Italie et le Japon. Avec les forces allemandes à aux portes de Moscou et de Leningrad, Hitler et Mussolini se sont rencontrés en conférence en Prusse orientale, les troupes SS venaient de massacrer 34.000 Juifs à Babi Yar. Le 9 octobre, le président a demandé au Congrès d’autoriser l’armement des navires marchands. Personne ne doutait maintenant que la guerre était proche.
Quelques semaines après la première de Best Foot Forward () qui allait se jouer dix mois au Barrymore Theatre (le spectacle pour lequel Rodgers avait travaillé «en secret»), il a été annoncé que Rodgers et Hart écriraient une chanson spécialement pour une émission de radio consacrée à rappeler «les valeurs défendues en Amérique et la nécessité de la défendre». D’autres personnalités ont apporté leur contribution à cette émission patriotique. Rodgers et Hart semblaient réunis, comme si de rien n’était. Et pourtant…
En novembre 1941, à peine trois semaines avant l’attaque de Pearl Harbor, Lorenz Hart, Richard et Dorothy Rodgers, Jane Froman et Andre Kostelanetz ont accepté de faire une courte tournée de "concerts" de soutien dans les camps des armées alliées dans la région de Toronto au Canada, pays qui à la différence des États-Unis avait déclaré la guerre contre l'Allemagne nazie le 10 septembre 1939. Jane Froman chantait, Kostelanetz jouait, Rodgers et Hart parlaient et interprétaient certaines de leurs chansons. Et le dernier jour, ils devaient participer à une émission de radio à Toronto. Lors de leur voyage de nuit de retour vers Toronto, Hart s’est précipité dans la voiture-bar du train et a passé tout le voyage à se saouler.
Le lendemain matin, une réception se tenait dans leur hôtel de Toronto. Avant même d’atteindre la salle, Hart a violemment et publiquement vomi. Quand ils sont montés à l’étage, Dorothy Rodgers lui a dit: «Donne-moi toutes tes bouteilles». Et Hart a été très choqué par cet ordre; c’était la première et seule fois depuis plus de 20 ans qu’ils se connaissaient que Dorothy lui révélait qu’elle savait qu’il buvait. Il les a gentiment remis. Alors qu’elle sortait de la pièce, il a demandé: «Quand pourrai-je boire un verre?» Dorothy eut une réponse simple et très concrète: «Ce soir après l’émission de radio».
Hart s’est assez bien comporté pendant la journée et a fait le tour des camps et de la réception de la mairie sans aucun incident, mais le soir, lorsqu’il sont arrivés à la station de radio, il était en mauvais état. Rodgers et Hart devaient lire un appel à des dons pour la guerre. Hart a bien lu ses lignes, mais sa main droite, qui tenait les pages de son texte, tremblait de façon incontrôlable. Une fois leur intervention terminée, Rodgers et Hart sont allés dans les coulisses où se trouvait Dorothy, fidèle à sa parole, l’attendant avec un gobelet de whisky. Il l’a bu en une gorgée.
Le 7 décembre 1941, le Japon attaqua la marine américaine à Pearl Harbor. Les États-Unis étaient en guerre. Le lundi 22 décembre, la «Selective Service Act» a été votée, exigeant que tous les hommes âgés de 18 à 64 ans s’inscrivent sur des listes et que tous les hommes âgés de 20 à 44 ans se tiennent prêts à la conscription.
Rodgers a immédiatement voulu s’engager dans l’aviation. Il a réussi les tests physiques, mais n’a jamais été convoqué. Ce fut une amère déception pour Rodgers, d’autant plus que tant de personnes proches de lui furent soit enrôlées, soit engagées dans un travail directement lié à la guerre. Même son père, alors âgé de 72 ans, était sorti de sa retraite pour offrir bénévolement ses services d’examen des candidats. Il a fini par accepter que la meilleure chose que à faire pour aider l’effort de guerre était de continuer à faire exactement ce qu’il avait toujours fait, c’est-à-dire écrire des chansons et des spectacles qui pourraient contribuer un peu au moral de nos forces armées et des gens qui les soutiennent.
C’est alors que va débuter leur dernière aventure commune: By Jupiter ().