4.
1866 - «The Black Crook», première création américaine

 5.14.
Cole Porter (I)

 5.15.A.
Rodgers & Hart
Jeunesse & début difficiles

 5.15.J.
Saison 1926-27
Quatrième succès
Et Londres

 5.16.
Noël Coward

 6.
1927 - «Show Boat»

H) 1925 Un projet amateur fait d'eux des pros: «The Garrick Gaieties»

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Laurence Langner et Theresa Helburn
Administrateurs de la Theatre Guild
© Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
https://digitalcollections.nypl.org/items/853ac822-9f18-e701-e040-e00a18061095

Après ce coup de téléphone dont nous avons parlé ci-avant () Benjamin Kaye a organisé une rencontre entre Rodgers et les deux administrateurs de la Theatre Guild, Theresa Helburn et Laurence Langner, dans leur bureau. Rodgers a joué certaines de ses chansons devant eux, impressionnés par l’importance de ces deux spectateurs. Et ce fut aussi simple que cela: Rodgers a joué, Helburn et xLangner ont aimé ce qu’il a joué, et Rodgers obtint le job. Du jour au lendemain, Rodgers est passé du désespoir au bonheur absolu d’être le premier compositeur de musical jamais accepté par la Theatre Guild.

Mais Rodgers, comme il le montrera toute sa vie, n’était pas centré sur lui-même. Il avait conscience qu’il faisait partie d’un duo créatif: Rodgers & Hart. Malheureusement, une actrice brillante et talentueuse nommée Edith Meiser, qui allait jouer dans la revue, allait aussi écrire les paroles des chansons. Même s’il ne pouvait exiger quoi que ce soit, Rodgers fut catégorique sur un point: il ne composerait les chansons qu’ayant pour parolier Larry Hart. Après quelques discussions, il a été convenu d’accepter Hart avec Rodgers.

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The Guild Theatre (1925)
L'actuel August Wilson Theatre

Mais comme rien n’est jamais simple, Hart eut, comme souvent, une réaction imprévisible: il ne voulait pas participer à l'écriture de cette revue! Il en avait marre de ces spectacles amateurs où ils étaient bénévoles. Le prestige de la Theatre Guild ne signifiait pas grand-chose pour lui. Ce qui le dérangeait le plus, c’était que le spectacle, était une revue et donc un simple recueil de chansons. Il était persuadé que pour être remarqués par a profession, il fallait créer une partition unifiée pour un livret musical, avec des chansons écrites pour des personnages et des situations spécifiques. Rodgers, le roi du compromis, a proposé d’incorporer un court livret dans la revue comme final du premier acte.

Rappelons que la Theatre Guild était en train de finaliser la construction de son théâtre, le Guild Theatre (l’actuel August Wilson Theatre) et avait besoin d’un complément de fonds. La revue dont nous parlons devait avoir deux représentations le dimanche 17 mai 1925 au Garrick Theatre afin de collecter l'argent nécessaire pour payer les tapisseries décoratives du futur Guild Theatre. Signalons qu’au Garrick Theatre se jouait à ce moment-là The Guardsman, une pièce de Ferenc Molnár, avec en tête d’affiche deux stars: Alfred Lunt et Lynn Fontanne. La revue qu’ils allaient créer se jouerait donc dans le décor de The Guardsman, un jour de relâche. Les répétitions furent courtes mais l’ambiance était formidable.

Puis arriva ce fameux dimanche 17 mai 1925. Les lumières se sont éteintes dans la salle et Rodgers a pris place dans la fosse d’orchestre face aux 11 musiciens et le spectacle a fait le reste. Tout s’est plutôt bien passé jusqu’au milieu du deuxième acte. Le public était satisfait.

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Betty Starbuck, Jack Edwards, William M. Griffith, Sterling Holloway, Phillip Loeb, Edith Meiser,
Romney Brent et Blanche Fleming - «Six Little Plays», l'ouverture des «The Garrick Gaieties»
© Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library - https://digitalcollections.nypl.org/items/7a037cca-bcc4-6e8f-e040-e00a18066cc6

 

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Sterling Holloway (23 ans) et June Cochrane (22 ans)
«The garrick Gaieties»
© Museum of the City of NY

A ce moment, sont apparus devant le rideau rouge June Cochrane, une ingénue, et Sterling Holloway, un chanteur et danseur débraillé aux cheveux roux. Ils sont partis dans un fox-trot contagieux que Rodgers et Hart avaient écrit le spectacle Winkle Town, dont nous avons parlé () et qui n’a jamais vu le jour. La chanson s’appelait Manhattan. Cette chanson est ce que les américain appellent un «showstopper», c’est-à-dire une chanson qui obtient des applaudissements si longs qu’ils interrompent le cours normal d’une représentation. Les chanteurs ont rechanté la chanson une deuxième puis une troisième fois!

Belle revanche avec la vie… Max Dreyfus avait entendu Manhattan lorsque Rodgers lui avait présenté Winkle Town. «Il n’y a rien de valable dans tout ça» avait-il jugé. (). Si l’on peut dire qu’une chanson a «fait» Rodgers et Hart, c’est sûrement Manhattan.

A la fin du spectacle et après dix rappels, quand le rideau final est tombé, Hart a crié: «Ce spectacle va se jouer un an!» Mais il n’y avait plus qu’une seule autre représentation prévue, le soir-même. Le succès fut identique et la presse aima beaucoup le spectacle.

Cette bande de gamins qui avaient travaillé comme des fous et qui jouissaient maintenant de l’extase presque insupportable d’avoir réussi leur spectacle. Rodgers résume bien la chose:

«Physiologiquement, nous étions peut-être sobres mais émotionnellement nous étions tous ivres, et il n’y a pas de plus grand sentiment que cela.»

Richard Rodgers

 

Il nous semblait impossible de laisser les The Garrick Gaieties () mourir ainsi après deux représentation? Rodgers en a parlé à Theresa Helburn et elle a répondu qu’elle serait très heureuse de prêter le Garrick Theatre pour les matinées de la semaine suivante, sauf, bien sûr, pour les deux après-midi où The Guardsman se jouait. Malgré le fait que cette semaine fut l’une des plus chaudes de tous ls temps – et il n’y avait pas encore d’air-co – toutes les matinées furent des triomphes.

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The Garrick Gaieties (Opus 1925)

Rodgers n’était plus le jeune gamin qui s’apprêtait à devenir représentant en sous-vêtements pour bébés. Il était en un dimanche devenu un compositeur à succès à Broadway. Sa fierté, ou son insolence, ou sa prétention, l'ont poussé à discuter une fois encore avec Theresa Helburn de la Theatre Guild. Il lui a proposé que le spectacle soit autorisé à jouer au Garrick Theatre pour une série normale de représentations. Helburn a souri doucement et lui a demandé: «Et que suggérez-vous que nous fassions avec The Guardsman?» La réponse fut simple et directe: «Fermez-le.» Helburn a ri face à cette réponse de ce jeune compositeur de 23 ans… . Elle a accepté d’en parler avec le conseil d’administration de la Theatre Guild. Deux jours plus tard, Helburn a annoncé à Rodgers que The Guardsman fermerait le 6 juin, et que deux jours plus tard, The Garrick Gaieties () ouvrirait sa série au Garrick Theatre.

Les The Garrick Gaieties () se sont jouées pendant 211 représentations (8 juin > 28 nov. 1925).

Au-delà de la satisfaction d’avoir enfin un succès professionnel à Broadway, ce fut une belle opération financière, pour un spectacle initialement auquel il participait bénévolement. Rodgers et Hart gagnaient chacun 50$ par semaine en droit d’auteurs. A cela, Rodgers a rajouté 83$ par semaine (le minimum syndical) pendant la brève période d’environ un mois où il a dirigé l’orchestre. Et enfin, le compositeur Richard Rodgers a fait publier sa musique:

«finalement j’avais un éditeur de musique. Curieusement, malgré le succès de la série, un seul, Edward Marks, a montré un quelconque intérêt, et il a publié sept des chansons. Cela a fait une troisième source de revenu totalement non négligeable avec le succès de Manhattan

Richard Rodgers


Moins d’un an plus tard, Rodgers et Hart auront trois spectacles à Broadway en même temps. Et des années plus tard, lorsque Rodgers et Hart assisteront en spectateurs à une Première au Guild Theatre, Hart dira fièrement en pointant du doigt les tapisseries: «Elles sont là grâce à nousRodgers répondit: «Non, Larry. Nous sommes là grâce à elles


Au cours des cinq années suivantes, Rodgers et Hart ont créé 13 spectacles à Broadway, et 4 à Londres. Neuf de ces musicals furent écrits sur des livrets d’Herbert Fields (1897-1958), le fils de Lew qui avait accepté leur première chanson en 1919. Les livrets d’Herbert étaient très différents de ce que l’on pouvait voir dans les autres théâtres et offraient de nouvelles alternatives.

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Ligne du temps des créations de Rodgers et Hart à Broadway et Londres avant leur départ pour Hollywood
Les succès sont en vert, les mitigés en orange et les flops en rouge

I) Saison 1925-1926 Deux créations et une reprise

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I.1) «Dearest Enemy» - Broadway - Succès

Aprrès le flop de Poor Little Ritz Girl () - musical dont il n'avaient écrit que la moitié des chansons présentées - et le succès de The Garrick Gaieties () - mais il s'agissait d'une revue - le premier musical complet de Rodgers et Hart à Broadway a été Dearest Enemy () (1925, 286 représentations), une histoire se déroulant pendant la Révolution américaine avec un livret d'Herbert Fields.

Si The Garrick Gaieties () peut être considéré comme le déclencheur de la carrière de Rodgers et Hart, Dearest Enemy () représente le début de leur carrière d'auteurs de musicals.

En tant que drame costumé, il a évité les conventions de Broadway de l'époque: une partition sans aucune influence du Jazz et aucun chœur de Girls peu vêtues. Même si cela peut paraître bizarre aujourd'hui, il s'agit d'une vraie rupture. Le journaliste Percy Hammond du New York Herald Tribune qualifiera Dearest Enemy () de «baby-grand-opera». Il est vrai que la musique de Rodgers était bien plus élaborée, bien plus construite, que celle des musicals de l'époque.

Le livret de ce spectacle a fait l’objet de plusieurs ébauches avant d’être créé à Broadway. Initialement appelé Sweet Rebel, il était connu sous le nom de Dear Enemy lors des Try-Out, Betsy pendant les répétitions pré-Broadway, et enfin Dearest Enemy au moment de sa création au Knickerbocker Theatre.

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Plaque commémorative

L’histoire se déroule pendant la guerre d’indépendance américaine et parle de l’invasion de New York par les Britanniques. Menés par le Général Sir William Howe, les envahisseurs débarquent à Kip’s Bay, séparant les forces américaines qui campaient au fort de Battery Park de l’armée principale sur Harlem Heights. Lorsque les Britanniques s’arrêtèrent pour se reposer chez un riche marchand, sa femme, Mary Lindner Murray, les a «retardé», permettant aux forces américaines de se regrouper. Le Général George Washington lui avait demandé de les divertir «par tous les moyens»… Rempli d’insinuations sexuelles relativement douces, le projet sera rejeté par les producteurs jusqu’au succès de The Garrick Gaieties (). L’événement a pourtant été un tournant dans la révolution américaine, et une plaque commémorative sur l’avenue Lexington et la 37ème rue a été érigée.

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«Mrs. Murray's strategy» - E. Percy Moran.
© Library of Congress
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Charles Purcell dans le rôle du Capitaine Sir John Copeland
dans «Dearest Enemy»

À ce récit historique, Herb Fields a ajouté trois liaisons romantiques: une entre la nièce de Mme Murray et le Capitaine Sir John Copeland de l’armée britannique, une entre sa fille Jane et le camarade de John Copeland, le Capitaine Harry Tryon, et une troisième entre Mme Murray elle-même et le Général John Tryon. Bien que les premiers flirts avec les soldats britanniques fassent partie de leur plan audacieux, les dames succombent bientôt au charme britannique. Au point culminant de la pièce, la nièce de Mme Murray envoie un signal aux forces rebelles. Les Britanniques découvrent son subterfuge et partent à l’attaque, mais pas avant que les rebelles américains aient reculé et rencontré le Général George Washington sur Harlem Heights.

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Helen Ford en couverture de Theatre Magazine
(décembre 1925) pour «Dearest Enemy»

Rodgers et Hart travaillaient depuis très longtemps sur ce projet, mais pour le monter, il leur fallait une «star». Ils ont pensé à la «star montante» de Broadway, Helen Ford. Elle avait fait les gros titres depuis ses débuts dans le premier spectacle à Broadway d’Oscar Hammerstein, Always You () (1920), jouant l’ingénue française Toinette Fontaine. Elle avait ensuite rejoint Fred et Adele Astaire dans un petit rôle dans For Goodness Sake () (1922), puis a joué des rôles principaux dans deux succès, The Gingham Girl () (1922) et Helen of Troy, New York () (1923). Le terme de «star montante» n’est donc pas usurpé: le nom d’Helen Ford sur une affiche attirait les spectateurs. Mais ce choix s’avérera plus important que Rodgers et Hart ne le pensaient.

Courtiser l’étoile montante de Broadway n’était pas seulement un choix de production; Rodgers était amoureux d’elle. Là où Hart cherchait plutôt des rencontres clandestines après la tombée de la nuit – il n’assumera jamais son homosexualité à une époque où l’homophobie était la norme – Rodgers était un romantique et un coureur de jupons. En Helen Ford, il a trouvé une belle jeune femme qui était tout aussi passionnée par la musique que lui. Dans ses mémoires, «Musical Stages», plus de cinquante ans plus tard, reste discret au sujet de leur relation – elle était mariée à l’époque.

Helen Ford a adoré le projet et est devenue la plus grande promotrice de Sweet Rebel. Elle a montré le livret aux producteurs de son plus récent succès, No Other Girl () (1924). Ils ne furent pas personnellement intéressés, mais organisèrent une rencontre avec John Murray Anderson, un des metteurs en scène avec lequel il travaillait. Puis, Helen Ford a trouvé un bailleur de fonds: l’avocat Robert Jackson, qui était allé à l’école avec son mari. Avec Jackson acquis au projet, elle a ensuite impliqué son mari, George Ford, le bombardant producteur du spectacle.

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Annonce pour la série au Colonoial Theatre d'Akron
Le spectacle a encore pur titre «Dear Enemy»
Remarquons qu'elle est annoncée comme «pièce musicale» et pas «musical»

Ils avaient un spectacle, un metteur en scène, un financier et un producteur. Il fallait donc y aller… Et tout a été fait dans l’urgence, nous ne sommes que quelques mois après le triomphe de The Garrick Gaieties (). Cette urgence est évidemment compréhensible: ils sortaient d’une si longue traversée du désert. George Ford a organisé une série de Try-Out de Dear Enemy – le titre de l’époque – au Colonial Theatre d’Akron (dans l'Ohio) à partir du 20 juillet 1925. Helen Ford jouait un rôle principal et le reste du casting a été recruté auprès de talents locaux. La première du spectacle fut difficile… Le spectacle en 3 actes était trop long. Certains critiques ont d’ailleurs quitté la salle avant le troisième acte, mais Helen Ford et les acteurs locaux ont été félicités par la presse pour leur travail.

Herb Fields, entouré de Rodgers et Hart, a profondément modifié le livret, le raccourcissant, mais simplifiant surtout l’enchevêtrement d’intrigues.

Le spectacle remanié, et rebaptisé Besty puis Dearest Enemy (), a alors été présenté au Ford’s Theatre de Baltimore, pour un second Try-Out du 7 au 12 septembre 1925. Cette semaine fut apocalyptique, mais totalement salvatrice. Près de cinquante ans plus tard, ce dont Helen Ford se souvenait le plus de cette semaine était la chaleur: quand elle a essayé les costumes, elle les a tellement trempés de transpiration que les remettre était une véritable agonie. Il y a eu d’autres catastrophes. Vingt minutes avant qu’il ne dirige l’orchestre le soir de la première, Rodgers a été assommé par une caisse de pêches tombée sur lui depuis une étagère. Toujours lors de la première représentation, Helen Ford a accroché son pied dans son déshabillé et est tombée sur scène, son chignon sous sa perruque l’empêchant de se fendre le crâne.

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Helen Ford - «Dearest Enemy»

Tout au long de cette semaine frénétique, il y a eu des changements, des réécritures et des suppressions de textes et de chansons. Et ceci, pendant une semaine. Soir après soir, ils n’arrêtaient pas de couper et de réécrire, jusqu’à ce que le spectacle ait finalement un début, un milieu et une fin enthousiasmante – imaginée par Rodgers et Hart et approuvée par Fields – dans lequel le Général George Washington réunit les amants maudits.

Ils étaient enfin prêts pour l’ouverture à Broadway de leur premier musical complet. C’était un véritable pari à «quitte ou double», ça passe ou ça casse. Dearest Enemy () a ouvert au Knickerbocker Theatre de New York le vendredi 18 septembre 1925. Comme elle le savait, l’entrée d’Helen Ford dans la scène d’ouverture de la pièce — apparemment vêtue seulement d’un tonneau — a fait sensation. Mais toute la pièce a été un vrai succès tant auprès du grand public que des critiques.

Pourtant, le spectacle a débuté pendant l’une des semaines les plus étonnantes de l’histoire du théâtre musical américain:

  • Deux soirs plus tôt, le jeudi 16 septembre, le triomphe No, No, Nanette () de Vincent Youmans a ouvert au Globe Theatre – il avait triomphé durant des Try-Out, entre autres, à Chicago où la série s’est prolongée pendant 49 semaines, continuant à se jouer pendant la série de Broadway.
  • Le lundi 21 septembre 1925, The Vagabond King () de Rudolf Friml a fait de Dennis King une star du jour au lendemain.
  • Le lendemain soir, le mardi 22 septembre, le rideau s’est levé sur Sunny () au New Amsterdam Theatre, la première collaboration d’Oscar Hammerstein et Jerome Kern – deux ans plus tard, ils créeront le révolutionnaire Show Boat (.

Donc, entre le 16 et le 22 septembre 1925, les aficionados des premières ont pu assister aux créations de 4 spectacles avec de la musique respectivement de Youmans, Friml, Kern et Rodgers!

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Partitions de la chanson
«Here in My Arms» de «Dearest Enemy»
publiée chez Harms

Dearest Enemy () a terminé la saison, fermant le 22 mai 1926, et si ses 286 représentations n’étaient pas tout à fait à la hauteur des 321 représentations de No, No, Nanette (), des 511 représentations du The Vagabond King (), ou des 521 représentations de Sunny (), son succès a révélé le talent de Rodgers et Hart et montré qu’ils étaient des artistes qui comptaient à Broadway. Le 5 novembre, par exemple, ils sont apparus dans l’émission de radio «Up and Down Broadway» depuis le 18ème étage du Roosevelt Hotel. Avec Rodgers au piano, Harry a interprété un medley des chansons qu’ils avaient écrites.

Plus étonnant: Max Dreyfus les a convoqués dans son bureau pour leur demander pourquoi ils ne lui avaient pas apporté leurs chansons précédentes, et leur a proposé de les contractualiser pour rejoindre l’équipe des créateurs musicaux au sein de T.B. Harms. Faisant preuve d’une vraie maîtrise de soi, Rodgers s’est abstenu de rappeler à Dreyfus qu’il l’avait jeté comme une merde quelques années auparavant (). Et T.B. Harms est devenu leur éditeur…

Rodgers s’est offert une voiture, mais sa vie de tous les jours n’a pas changé. Quant à Hart, Rodgers est très clair: «Il était toujours le même gamin doux, autodestructeur que j’avais toujours connu». Il ne faut pas négliger cette différence caractérielle au sein du duo Rodgers & Hart car elle va enrichir toute leur démarche créative. Mais l’autodestruction de Hart va aussi mettre fin à leur collaboration près de 20 ans plus tard, au début des années ’40, Hammerstein succédant à Hart lors pour la création d’Oklahoma! ().

Un très bel enregistrement studio complet a été publié par New World Records avec des orchestrations restaurées:

I.2) «Dearest Enemy» - Broadway - Succès

Six Day of New York (1937)

Rodgers et Hart ne vont pas s'endormir sur ce succès. Ils venaient d’écrire un musical en costumes se déroulant pendant la révolution américaine, Dearest Enemy (), il leur a semblé logique de montrer ce qu’ils pouvaient faire avec un thème contemporain. Dans ces années-là, les courses de vélo Six Days of New York étaient devenues une grande attraction populaire au Madison Square Garden. De quoi s’agit-il? Il s'agissait d'une épreuve d'endurance cycliste, mettant en compétition des équipes de deux coureurs qui couraient 24 heures sur 24 pendant 6 jours.

Et bien, Herb Fields a pensé que cela ferait un très bon sujet contemporain approprié pour un musical. Le livret reste très faible, mais à l’époque le théâtre musical n’a encore que pour seul but majeur que de présenter aux spectateurs un ensemble de chansons. Show Boat () et Oklahoma! () vont modifier profondément cette option.

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The Girl Friend (1926)

Dans The Girl Friend (), nous suivons le jeune Leonard Silver, un garçon de ferme, qui est déterminé à participer à une grande course cycliste de six jours et à gagner le cœur de la fille qu’il aime, Mollie Farrell. Il est persuadé que sa participation à cette prestigieuse course va impressionner la jeune fille, car le père de Mollie est cycliste professionnel. Mollie devient son entraîneur, son manager et sa promotrice. Arthur Spencer, un manager professionnel, et sa sœur rusée, Wynn, essaient de convaincre le laitier de courir pour eux ou de perdre la course. Même si la course a été truquée par des joueurs corrompus, Leonard parvient à gagner la course et, bein sûr, le cœur de Mollie.

Pour choisir le titre du spectacle, The Girl Friend () Herb, Rodgers et Hart n'ont pas chercher bien longtemps, ils ont choisi une chanson du spectacle qui leur semblait pouvoir devenir un tube.

Mais il fallait encore que ce spectacle débouche sur une production à Broadway… Rodgers et Hart vont revenir vers cet homme qui leur avait donné leur chance dans le théâtre professionnel: Lew Fields. Fields avait perdu de l’argent sur leur pièce musicale The Melody Man () et n’avait pas été particulièrement impressionné par leur succès, Dearest Enemy (). Mais il aimait ces jeunes courageux – dont son fils – et il a accepté de produire leur nouveau projet. Pour les artistes principaux, ils ont choisi deux artistes chaleureux et pleins de talents, mariés, Sammy White (Leonard Silver) et Eva Puck (Mollie Farrell), qui arrivaient à être drôles même lorsque la pièce ne l’était pas totalement. Ils avaient rencontré Sammy et Eva quand ces deux artistes avaient participé à The Melody Man (). Rodgers et Hart leur avaient promis qu’un jour ils écriraient un spectacle rien que pour eux. Contrairement à la plupart de leurs promesses, celle-ci a été tenue.

Les Try-Out se sont déroulés à l’Apollo Theatre d’Atlantic City le 8 mars 1926, 5 représentations. Et le spectacle a ouvert la semaine suivante, le 17 mars au Vanderbilt Theatre, un théâtre de Broadway de taille moyenne: 780 places. Le public a beaucoup ri le premier soir, applaudi avec enthousiasme, et la plupart des critiques étaient très favorables. Mais la vente de billets était très faible. On ne peut pas toujours prévoir les réactions dans le monde du spectacle. Peut-être que les spectateurs n’étaient pas attirés par une histoire sur un cycliste. Quelle qu’en soit la raison, le spectacle semblait devoir fermer rapidement... Des mesures drastiques d’économies ont été prises. Les trois artistes créateurs – Herb Fields, Richard Rodgers et Larry Hart – ont proposé quelque chose sans précédent à l’époque dans le monde du théâtre: suspendre la perception de leurs droits d’auteurs si Lew Fields voulait garder le spectacle ouvert. Ce qu’i a accepté et en quelques semaines, le bouche-à-oreille s’est amorcé. La popularité des chansons The Girl Friend et Blue Room a aidé à remplir les salles. Et rapidement, les salles furent pleines. The Girl Friend () s’est joué jusqu’en décembre, se terminant avec une série encore plus longue que Dearest Enemy (). The Girl Friend () fut leur troisième succès consécutif à Broadway.

Comme nous le verrons plus loin, le spectacle sera créé à Londres en 1927, mais avec un livret totalement modifié.

I.3) Une reprise de «The Garrick Gaieties»

À peu près au moment de la première de The Girl Friend (), Richard Rodgers a reçu un appel de Theresa Helburn de la Theatre Guild. Comme les The Garrick Gaieties () s’étaient avérées très rentables, elle et Lawrence Langner voulaient mettre sur pied une deuxième édition, avec la même équipe, mais un tout nouveau spectacle. Rodgers et Hart ont accepté – principalement parce que c’était une demande de la Theatre Guild – mais avaient des réserves à propos du projet. La naissance des premières The Garrick Gaieties () avait été très spécifique: d’abord un spectacle de bienfaisance, puis une semaine de représentations en matinées, et enfin, en raison d’une véritable demande populaire, une série classique de plusieurs mois dans un théâtre. Cela explique que ce spectacle manquait de finition : il n’avait pas été créé pour une longue série. L’enthousiasme d’une jeune équipe passionnée avait comblé les manques, et le public et les critiques ont apprécié le spectacle pour ce qu’il était. Mais si Rodgers et Hart créaient un second The Garrick Gaieties (), ce spectacle devrait lui être totalement finalisé. La surprise et de la spontanéité seraient difficiles à retrouver. Mais d’un autre côté, Rodgers et Hart n’avaient pas d’autre nouveau projet en vue et nous avaient envie de travailler à nouveau avec toutes ces personnes talentueuses. Enfin, il était tout à fait dans la tradition de l’époque que les revues populaires – de l’opulente Ziegfeld Follies () à l’intime Grand Street Follies – donnent naissance à des éditions annuelles successives.

Dans le deuxième The Garrick Gaieties (), Rodgers et Hart ont une fois encore une fois parodié le monde du théâtre en général et la Theatre Guild en particulier. Et bien sûr, de nombreuses autres cibles. Sachant que leur nouvelle revue allait être comparée avec la précédente, ils ont abordé la chose franchement dans le numéro d’ouverture:

We can’t be as good as last year,
For the last year was great.
How can we compare with the past year?
It is sad but such is fate.
We’ve lost all that artless spirit
With our Broadway veneer.
Then it was play
But we’re old hams today,
So we can’t be as good as last year.

 

Nous ne pouvons être aussi bons que l’an dernier,
Car l’an dernier a été génial.
Comment peut-on se comparer à l’an dernier?
C’est triste, mais c’est le destin.
Nous avons perdu tout cet esprit naïf
Avec notre vernis de Broadway.
Alors ce n’était qu’un jeu
Mais nous sommes vieux aujourd’hui,
Nous ne pouvons donc être aussi bons que l’an dernier.

«The Garrick Gaieties» - Deuxième édition - Ouverture


Génial, non?

Mais en fait, le spectacle était moins bien que celui de l’an précédent. Les critiques l’ont clairement dit, mais étrangement, cela n’a pas fait aucun mal à la fréquentation des spectateurs: ceux qui avaient vu le spectacle l’année précédente ou qui en avaient entendu parler ne se souciaient pas des critiques mitigées ou négatives. Par contre, le bouche-à-oreille fut un peu plus faible et la série de cette deuxième édition a duré un mois de moins que la première. Le spectacle qui avait ouvert dans le tout neuf Guild Theatre le 10 mai 1926 a fermé le 9 octobre après 174 représentations.