4.
1866 - «The Black Crook», première création américaine

 5.14.
Cole Porter (I)

 5.15.G.
Rodgers & Hart
The Garrick Gaieties
& Saison 1925-26

 5.15.D.
Quelques oeuvres
de Rodgers & Hart

 5.16.
Noël Coward

 6.
1927 - «Show Boat»

J) Saison 1926-1927 Une création et un flop. Et Londres...

J.1) Les musicals américains à Londres

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«No, No, Nanette» au Palace Theatre de Londres
Cette photo montre les spectateurs
faisant la file pour assister au spectacle.
Nous sommes à l'arrière du théâtre,
au niveau de l'entrée des artistes

La vigueur et l’originalité de la scène musicale américaine au milieu des années '20 ont été très admirées, et même enviées, par les producteurs britanniques, qui ont commencé à importer des musicals de Broadway à Londres en nombre croissant. Pour ne citer que quelques exemples remarquables:

  • No, No, Nanette () de Vincent Youmans a eu une production à Londres avant même sa production à New York: 665 représentations au Palace Theatre du 11 mars 1925 au
  • Lady, Be Good! () des Gershwins est venu à Londres avec ses stars, Fred et Adele Astaire: 325 représentations à l’Empire Theatre du 14 avril 1926 au 22 janv. 1927
  • Tip-Toes () des Gershwins: 181 représentations au Winter Garden Theatre du 31 août 1926 au 12 fév. 1927
  • Sunny ( de Kern, Harbach et Hammerstein: 364 représentations au London Hippodrome Theatre du 7 oct 1926 au 16 juil. 1927

En plus, Kern et Gershwin avaient déjà produit des partitions originales spécialement créées pour les musicals britanniques.

Rodgers et Hart, dont la carrière venait de débuter de manière exceptionnelle – en mai 1926 ils avaient trois spectacles à l’affiche de Broadway (Dearest Enemy (), The Girl Friend () et The Garrick Gaieties (Deuxième édition) ()) – n’avaient pas envie d’être «à la traîne».

J.2) «Lido Ladyy» - Londres - Succès

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Cicely Courtneidge dans
«Lido Lady» au Gaiety Theatre de Londres

Au cours de l’hiver 1925-26, Cicely Courtneidge et Jack Hulbert, un couple populaire jouant dans des musicals anglais, ont joué ensemble au Gaiety Theatre de Broadway leur revue londonienne à succès, By the Way () (28 déc 1925 > mai 1926). C’était la première fois que Hulbert était producteur et interprète d'un même spectacle, et pendant son séjour à New York, lui et son partenaire, Paul Murray, ont passé autant de temps que possible à rechercher des musicals de Broadway pour éventuellement les produire à Londres. Ils ont apprécié les efforts de Rodgers et Hart pour entrer en contact avec eux. Mais les musicals que ces deux jeunes artistes pouvaient leur proposer ne convenaient pas: un musical sur la Révolution américaine (Dearest Enemy ()) et un musical sur les courses de vélo de six jours à New York (The Girl Friend ()). Ces thèmes ne pourraient donner des musicals à succès dans le West End.

Hulbert et Murray proposèrent alors à Rodgers et Hart d’écrire les chansons pour un livret existant d’un musical dans lequel Hulbert et sa femme prévoyaient de jouer. C’était à la fois tentant, car ils avaient vu et apprécié By the Way () et avaient été séduits par l’humour très féminin de Cicely Courtneidge. Mais d’un autre côté, Rodgers et Hart avaient écrit leurs musicals avec Herb Fields, et ils n’étaient pas sûrs de se sentir à l’aise d’écrire les chansons d’un livret déjà écrit par Ronald Jeans.

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«Lido Lady» au Gaiety Theatre de Londres

L’histoire de Lido Lady () - qui a également eu pour titre The Love Champion un certain temps - n’était une fois de plus pas très fouillée… Il s’agissait des tribulations d’un empoté sportif, joué par Hulbert, qui voulait épouser la Lady du titre, une championne de tennis. Le problème, c’est que son père était voulait qu’elle épouse un athlète aussi sportif qu’elle. L’amour, bien sûr, vaincra tout.

Rodgers et Hart décidèrent d’accepter et de partir pour Londres dès qu’ils auraient lancé la seconde édition de The Garrick Gaieties ()), dont la première était prévue début mai. Ils espéraient ainsi, comme les Gershwin, Youmans et autres, partir à la conquête de Londres. Le spectacle Lido Lady () devait commencer ses répétitions à l’automne. Le timing était donc possible.

Début mai, ils venaient de lancer la seconde édition de The Garrick Gaieties () et étaient libres de tout engagement. Ils décidèrent de prendre un bateau pour Naples afin de passer par Venise pour s’imprégner de l’atmosphère, puisque le musical Lido Lady () se déroulait à Venise. Le Lido de Venise est une fine île qui s’étire sur une douzaine de kilomètres entre la lagune de Venise et la mer Adriatique dans la région de Vénétie en Italie du nord. Ce furent surtout des vacances. Le hasard fit qu’ils passèrent une soirée avec le célèbre Noël Coward et Cole Porter, alors totalement inconnu. Rodgers et Hart découvrirent ce soir-là, ébahis, le talent de Cole Porter. Ils remontèrent vers Londres en passant par Paris.

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Jack Hulbert dans
«Lido Lady» au Gaiety Theatre de Londres

À Londres, Rodgers et Hart étaient très fiers d’être logés dans le prestigieux Savoy Hotel. Prestigieux parce que les chambres en bord de Tamise, mais aussi – et surtout – parce que ce fut l’hôtel qui abritait le Savoy Theatre, celui des célèbres Gilbert et Sullivan. Mais ils furent logés dans une toute petite chambre sans aucune vue. Rappelons qu’un peu plus d’un an auparavant, ils étaient totalement inconnus. Et d’ailleurs, à Londres, ils étaient encore des inconnus.

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Phyllis Dare dans
«Lido Lady» au Gaiety Theatre de Londres

Incorporer des chansons dans un livret déjà écrit (surtout parlant d’un championne de tennis sur le Lido poursuivie par un prétendant peu doué) était certainement moins stimulant que les longues séances de discussions qu’ils avaient habituellement avec Herb Fields. Pour rendre les choses encore moins attrayantes, le rôle de la jeune héroïne serait joué par une actrice populaire et talentueuse, mais dans la quarantaine avancée. Rodgers et Hart, sans grand effort, ont créé le nombre requis de chansons qui, «inspirées» par leur séjour sur l’Adriatique, comprenaient un air appelé Lido Lady et un autre appelé You’re on the Lido Now. En outre, ils ont rajouté Here in My Arms (de Dearest Enemy ()) inconnue en Angleterre.

Ils ont bien sûr assisté à de nombreux spectacles du West End, mais le projet Lido Lady () les ennuyait tellement qu’une fois les chansons terminées, ils ont dit à Hulbert, une fois les chansons terminées, que s’il n’avait plus besoin de leurs services, ils seraient heureux de repartir à New York. Hulbert ne s’y est opposé. Et ils sont donc repartis aux États-Unis avant la création de Lido Lady ().

Il faut dire que juste avant le départ de Rodgers et Hart pour l’Europe, Herb Fields leur avait parlé d’un concept très original. Après cet intermède londonien, ils avaient hâte de se remettre au travail sur un musical Herb/Rodgers/Hart. Ce serait « Peggy-Ann ().

À Londres, Lido Lady () fut créé le 1er décembre 1926 et fut un succès de 261 représentations. Les premiers surpris furent Rodgers et Hart, et comme nous le verrons ci-après, ils viendront voir le spectacle à Londres en février 1927. Le spectacle ne sera jamais créé à Broadway…

J.3) 27 déc '26: '«Peggy-Ann» - Londres - Succès 28 déc. '26: «Betsy» - Londres - Flop

Comme nous l’avons vu, avant le départ de Rodgers et Hart pour Londres pour travailler sur Lido Lady, Herb Fields leur avait parlé d’un concept très original. En fait, plusieurs années auparavant, son père, Lew Fields avait produit en 1910 le musical Tillie’s Nightmare. Herb pensait que le spectacle pourrait être réécrit et modernisé avec une nouvelle partition et une actrice plus jeune et plus attirante. Rodgers et Hart étaient enthousiastes et ont commencé à y travailler dès leur retour de Londres, au début de l’automne. Ce fut évidemment facile de vendre ce «remake» à Lew Fields qui a accepté de le produire avec Lyle Andrews, le propriétaire du Vanderbilt Theatre.

En 1926, les théories de Freud, bien que largement discutées, n’avaient pas encore trouvé d’expression théâtrale, et le temps semblait mûr pour qu’un musical parle des peurs et des fantasmes subconscients. C’est exactement ce que sera Peggy-Ann!

Tout le spectacle, à l’exception du prologue et de l’épilogue, était un rêve. Le musical va briser beaucoup de barrières. Dans une scène, Peggy-Ann se retrouve à bord d’un yacht pour épouser le personnage principal. Sa mère, agissant comme pasteur, exécute la cérémonie en utilisant un annuaire téléphonique comme bible. Peggy-Ann se présente pour l’occasion dans ses sous-vêtements. Tout cela était absurde, mais avant-gardiste. La presse appréciera et parlera d’un musical «loin du moule familier», «vif et imaginatif», «futuriste», «un morceau de non-sens vraiment brillant» et «très différent du modèle habituel ».

Après l’expérience dont ils sont sortis aigris, Rodgers et Hart étaient très heureux de retravaille «en famille», c’est-à-dire avec le librettiste Herb Fields, dans une production de Lew Fields et avec comme comédienne principale, même si ce sera sur le tard … Helen Ford. Ils ont aussi engagé Lulu McConnell, qu’ils avaient connu sur Poor Little Ritz Girl, et Edith Meiser et Betty Starbuck, qui avaient toutes deux été dans The Garrick Gaieties. Même le directeur musical, Roy Webb, était l’homme qui avait enseigné à Rodgers les rudiments de la notation musicale et de la direction d’orchestre à l’époque des spectacles amateurs.

Au beau milieu de ce travail, Richard Rodgers a reçu un appel de Florenz Ziegfeld. Même pour deux jeunes artistes reconnus à Broadway, recevoir un appel de Ziegfeld était un choc. Pour beaucoup, c’était plus que le Roi de Broadway. C’était tout simplement Dieu. Rodgers s’est retrouvé dans son bureau et Ziegfeld n’a pas perdu de temps pour esquisser son idée. Il revenait d’un voyage en Europe, avec son financier Replogle, sur le même navire que Belle Baker, une petite femme à la voix énorme pour le moment confinée dans des maisons de vaudeville. Lui et Replogle, avaient été «renversés» lors d’un concert sur le bateau. Ils étaient persuadés qu’elle était une future star de musicals à Broadway. Si Rodgers et Hart étaient d’accord pour écrire les chansons, le spectacle, qui devait s’appeler Betsy, pourrait entrer en répétition dans quelques semaines!

On ne rend pas compte, mais nous avons un Rodgers de 24 ans à qui Dieu propose un projet. Impossible de refuser… Rodgers en a parlé immédiatement à Hart qui a accepté aussi. Rodgers, dans ses mémoires, se souvient de la fierté de ses parents – il habite toujours chez ses parents. Mais aussi de leur inquiétude quant au défi. Ils n’avaient pas tort, car Betsy sera une des pires expériences de Rodgers.

En plus de leur travail sur Peggy-Ann, Rodgers et Hart composaient des chansons pour Ziegfeld. Mais la méthode de travail sur Betsy était à l’opposé de l’ambiance familiale de Peggy-Ann. Pendant la très courte période qu’ils avaient pour écrire les chansons, Rodgers et Hart avons rarement vu les librettistes David Freedman et Irving Caesar. Ils n’ont eu qu’une réunion avec Belle Baker. Aucun travail collectif n’était mis en place. Ziegfeld n’a virtuellement rien coordonné. Alors, Rodgers et Hart ont écrit au mieux des chansons en espérant qu’elles conviendraient à une histoire qu’ils ne connaissaient qu’approximativement.

Rodgers a compris la difficulté de mener de front ces deux créations : ils devaient créer au total près de 30 chansons en quelques semaines, et cela deviendrait encore plus lourd quand les deux spectacles répéteraient en même temps. Comme il le confie dans une lettre à sa future femme, pendant ces répétitions : «Je m’attends à arrêter complètement de manger et de dormir complètement».

Les choses vont se corser à la mi-novembre, alors que les deux musicals devaient ouvrir à Broadway respectivement les 27 et 28 décembre 1926 à Broadway – sans oublier la première de Lido Lady le 1er décembre à Londres! Ils n’avaient toujours pas de comédienne principale pour Peggy-Ann. Ils désiraient Helen Ford, mais elle jouait dans l’US-Tour de leur Dearest Enemy. Après avoir proposé le rôle à différentes actrices, ils ont dû se résoudre à organiser des auditions. Et cela ne donna rien. Ils contactèrent Helen Ford. Miracle, son US-Tour de Dearest-Enemy s’arrêtait la semaine suivante. Immédiatement Herb partit pour Cincinnati, où elle jouait, pour lui proposer un contrat et le manuscrit de Peggy-Ann.

Pendant ces dures semaines, Ziegfeld s’est plaint que Rodgers et Hart n’étaient pas assez présents aux répétitions de Betsy. Il faut dire que Betsy était un spectacle énorme avec des dizaines de scènes élaborées, un grand casting et des centaines de choristes. Il aurait dû être joué en Try-Out pendant des mois, dans différents lieux avant de déboucher à Broadway, afin de prendre le temps pour épurer la création. Au lieu de cela, le seul Try-Out se limita à une semaine au National Theatre à Washington. Pendant cette semaine, la panique a pris le dessus: les librettistes Freedman et Caesar se sont disputés, Larry et moi nous sommes disputés avec Freedman et Caesar, et Ziegfeld a débarqué en hurlant sur tout le monde. Après l’ouverture de Washington, Rodgers écrira à Dorothy:

«Je n’aime pas du tout le spectacle. Le livret, si on peut l’appeler ainsi, est terrible, et la musique a été une telle source de désagrément extrême que je suis impatient d’en avoir fini.»

Lettre de Richard Rodgers à Dorothy, sa future femme

 

L’ambiance était terrible et la soirée d’ouverture à Broadway a été le point culminant de ce long dérapage. À la dernière minute, sans consulter aucun des créateurs, Ziegfeld a acheté une chanson à Irving Berlin et l’a fait chanter par Belle Baker. Cette chanson a été la mieux accueillie de ce soir de première. Mais Ziegfeld avait réglé un projecteur sur Irving Berlin, assis au premier rang, qui s’est levé et a pris une ovation. Ce fut bien sûr une terrible claque pour le jeune Richard Rodgers. Bien sûr, la chanson « Blue Skies » de Berlin était magnifique et bien supérieure à tout ce que Rodgers et Hart avaient écrit pour Betsy, mais à ce moment-là, le duo est ulcéré que l’on ait ajouté une chanson sans leur en parler. Mais à 24 ans, Rodgers ne peut remettre en cause publiquement Dieu Ziegfeld.

Ce 28 décembre 1926 restera une tache noire dans la vie de Richard Rodgers. Heureusement que la veille, le 27, la première de Peggy-Ann s’était très bien passée, avec un public et des critiques enthousiastes.

  • Peggy-Ann se jouera 333 soirs et sera un des grands succès de Rodgers et Hart.
  • Betsy se jouera 39 soirs! Il figurera parmi les plus gros flops des carrières respectives de Richard Rodgers, Lorenz Hart mais aussi de Florenz Ziegfeld.

Betsy a donc fermé le 29 janvier 1927. Rodgers et Hart n’étaient pas présents. Ils avaient appareillé trois jours auparavant pour l’Angleterre pour aller voir à Londres leur troisième grande création du mois de décembre ’26, Lido Lady. Ils ne croyaient pas en ce spectacle, mais c’était un gros succès à Londres. N’ayant pas assisté à cette première, ils devaient se rendre à Londres pour enfin voir leur spectacle.

C) La notoriété du duo Rodgers & Hart

C.3) «Peggy-Ann» et «Betsy» (1926) - Le chaud et le froid

Après le succès de The Girl Friend (), les deux oeuvres suivantes du duo Rodgers et Hart ouvrent deux nuits consécutives à la fin de décembre 1926: Peggy-Ann () (27/12/1926, 333 représentations) et Betsy () (28/12/1926, 39 représentations). La premier était un musical frais et ambitieux et est devenu l’un des plus gros succès de l'équipe mais le second fut un flop rapide qui a tenu l'affiche un peu plus d’un mois seulement.

C.4) «A Connecticut Yankee» (1927) - Consécration

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A Connecticut Yankee (1927)

A Connecticut Yankee () (1927, 418 représentations) est basé sur le roman comique classique de Mark Twain «A Connecticut Yankee in King Arthur's Court». Alice (Constance Carpenter) surprend son fiancé Martin (William Gaxton) en train de flirter avec une autre femme à la veille de leur mariage. Elle le frappe sur la tête avec une bouteille de champagne, et il se retrouve de manière inexplicable à la cour médiévale du roi Arthur. Bien que cela semble un peu bizarre, Martin y introduit des inventions du XXe siècle comme les panneaux d'affichage en bordure de route, le téléphone et la radio. Les personnages prononcent des lignes polyglottes telles que: «Methinks yon damsel is a lovely' broad.» Rodgers écrivit plus tard que lorsque Gaxton chanta Thou Swell, la réaction du public fut incroyable. La partition comprenait également un autre gros succès: My Heart Stood Still. Cette chanson a une histoire cocasse, car elle n'est pas née dans A Connecticut Yankee ()...

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A Connecticut Yankee (1927)
William Gaxton (à droite)

En fait, cette chanson est tirée d'une expérience personnelle. Rodgers et Hart se trouvent début 1927, en compagnie de deux jeunes filles, dans un taxi parisien. Une voiture débouche d'une rue adjacente et manque d'emboutir le taxi. Ce dernier s'en sort in extremis grâce à un freinage violent. Les passagers sont projetés les uns sur les autres, hors de leurs sièges. Une des jeunes filles s'exclame: «Oh, mon coeur a failli défaillir.» Quel beau titre pour une chanson. Dès leur retour à Londres, où ils travaillent sur une revue intitulée One Dam Thing after Another (), Rodgers et Hart écrivent pour cette revue la chanson My Heart Stood Still créée par l’actrice Jessie Matthews. Cette chanson fut un gros succès à Londres et ils décidèrent, de retour aux États-Unis, de l'intégrer dans A Connecticut Yankee () qui avec ses 418 représentations, a été à l'époque le plus grand succès de Rodgers et Hart (il ne feront mieux qu'une seule fois, avec 9 reprsentations de plus pour By Jupiter () (1942 - 427 représentations)).

Même si les deux partenaires briguent avant tout de créer des productions haut de gamme, ils n’hésitent pas à participer à des présentations de moindre envergure, composant dans la foulée des chansons qui resteront populaires bien au-delà des spectacles pour lesquels elles ont été composées à l’origine. En fait durant la saison 1928-1929, le duo Rodgers et Hart vont présenter rien de moins que la création de trois musicals: A Connecticut Yankee () (418 représentations, première le 3 novembre 1927), She's my Baby () (71 représentations, première le 3 janvier 1928) et Present Arms () (155 représentations, première le 26 avril 1928). Un triomphe, un flop et un succès mitigé.

C.5) «She's my Baby» (1928) - Un vrai flop

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She's my baby (1928)
Terrible flop malgré Béatrice Lillie

She's my Baby () (1928-71 représentations) semblait avoir toutes les chances de son côté: une partition de Rodgers et Hart, un livret de Guy Bolton, Bert Kalmar, et Harry Ruby. Sur scène: les danseurs Nick Long Jr. et Pearl Eaton, le danseur et comique Clifton Webb, un autre comique, William Frawley, un héros et une héroïne joués par Jack Whiting et Irene Dunne, et, surtout, l’incomparable clown Beatrice Lillie.

Le spectacle a vraiment été écrite pour cette dernière. Elle venait de jouer dans un terrible flop, Oh, Please! de Vincent Youmans. Ses brillantes techniques clownesques, largement nourries par l'improvisation, étaient terriblement à l'étroit dans un musical basé sur un livret. principalement en raison des contraintes imposées par le livret du spectacle. Oh, Please! avait fermé après 75 représentations. Tout le monde semblait d’accord sur le fait que le format de la revue lui convenait nettement mieux car les revues lui fournissaient d’incomparable opportunités comiques sans qu’un livret vienne limiter son expression. Elle s’est pourtant lancé dans l’aventure du musical She’s My Baby () avec enthousiasme mais malgré un rôle comique (la bonne Tilly) taillé sur mesure pour elle, She’s My Baby () n’a pas fonctionné pour la comédienne et il ne s’est joué que 71 représentations, encore moins que Oh, Please! et ses 75 représentations. En conséquence, Lillie est retournée presque définitivement vers les revues et ne réapparaitra dans un musical de Broadway qu’avec High Spirits () en 1964, un peu de quarante ans plus tard!

Et donc, She’s My Baby (), qui a ouvert ses portes début janvier 1928, n’a reçu que des avis tièdes. Malgré nos commentaires ci-dessus basés sur les avis de Rodgers et Hart, la plupart des blâmes des critiques de presse allaient au livret et la plupart des éloges allaient à Beatrice Lillie. Probablement parce que Rodgers et Hart avaient mis toute leur énergie pour les numéros de spécialité de Bea Lillie, comme l’avoue Rodgers dans son autobiographie. Sa conclusion est très claire:

«Il n’y a pas eu de bagarres et ni d’amertume de la part de qui que ce soit. Personne n’était à blâmer, sauf moi, d’avoir participé à un spectacle que j’aurais dû éviter.»

© Richard Rodgers - Musical Stages: An Autobiography - Random House Inc - 1975


Dans le New York Times, Brooks Atkinson trouve le spectacle «misérable» et, à cause de son livret «peu inspiré», les «vertus» du musical sont «terriblement difficiles à apprécier». Mais le «génie comique extraordinaire» de Lillie plaisait au public, et «seul Charlie Chaplin pouvait se moquer du monde en général avec un matériel aussi banal».

C.6) «Present Arms!» (1928) - Un succès mitigé

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Present Arms (1928)

Leur troisième création de la saison, Present Arms () (1928, 155 représentations) est l'histoire de Chick Evans, un marine américain en poste à Pearl Harbor se faisant passer pour un capitaine pour impressionner Lady Delphine Witherspoon, la fille d'un noble anglais. Delphine est impressionnée par Chick, et tout va bien jusqu’à ce qu’elle découvre la vérité. Elle est plus tard impliquée dans un naufrage et un radeau l’emmène sur une île déserte où elle est secourue par Chick, permettant que tout se finisse bien!

Busby Berkeley (1895-1976) était le chorégraphe du spectacle, montrant déjà tout le talent et toute la précision qui marqueront plus tard ses films. Le numéro You Took Advantage of Me avec l'ingénue Joyce Barbour était à ce titre un exemple.

Il y avait aussi une séquence assez spectaculaire durant laquelle le yacht fait naufrage «devant les yeux terrorisés du public» (commentaire de Brooks Atkinson dans sa critique du New York Times), suivie d’une scène représentant les survivants seuls sur un radeau au milieu d’une mer agitée qui les précipite vers une île déserte.

C.7) «Chee-Chee» (1928) - Le plus gros flop de Rodgers...

Des 23 musicals de Rodgers et Hart de Broadway, Chee-Chee () (1928, 31 représentations) a connu la plus courte série de représentations, et ce n’est que 50 ans plus tard, en 1976, quand Rex () (1976, 49 représentations) a fermé après 49 représentations seulement, qu’un autre musical de Rodgers connaitra une si courte vie.

Il est toujours très intéressant de s'intéresser aux flops, car ils permettent de comprendre ce que «l'on ne peut pas faire». Le moins réussi des spectacles de Broadway de Rodgers et Hart, Chee-Chee () a toujours été considéré comme un échec en raison de son livret et des thèms abordés. Il est basé sur le thème inhabituel ... de la castration. Plus tard, Rodgers s'est distancié de ce musical qu'il considérait comme une erreur peu recommandable. Il est vrai que le traitement de l'image des femmes est totalement déplacée, même à l'époque - c'est dire!

Pourtant Chee-Chee est particulièrement intéressant pour son développement expérimental dans la comédie musicale intégrée proposant une écriture novatrice d'un spectacle musical et constitue à ce titre comme une étape importante dans le développement de la forme. Ils ont par exemple osé sortir du standard de la chanson de 3 minutes pour oser de nombreux passages musicaux chantés de moins d'une minutes (de 4 à 16 mesures). Cela a profondément perturbé le public le sortant de ses habitudes sans qu'il comprenne pourquoi. En outre Rodgers est conscient que pour un musical se déroulant en Chine il ne peut écrire de la «musique américaine» mais que commercialement il ne peut pas la remplacer par de la «musique chinois». Il a donc essayé de composer quelque chose à la fois d'américain mais avec des influences asiatiques.

Mais l'échec du spectacle peut également être attribuée à d'autres influences au-delà de son thème. Les autorités réprimaient les sujets immoraux à Broadway dont l'homosexualité. Rappelons que Lorenz Hart était dans la vie privée homosexuel.

C.8) Fin de décennie mitigée

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Spring is Here (1929)

Les autres comédies musicales de Rodgers et Hart de la fin des années ‘20 n'ont pas recueilli le même succès. On a alterné entre flops et succès d'estime, mais plus de triomphes. Et si l'on accepte d'être un peu caricatural, comme nous l'avons déjà dit, on peut dire qu'elles ne sont connues que pour leurs chansons.

Par exemple, Spring is Here () (1929, 104 représentations - créé à l'Alvin Theatre) était une histoire d'amour banale, mais le magnifique With a Song in My Heart est devenue un tube à l'époque, puis un standard.

Il en est de même pour Simple Simon () (1930, 135 représentations - créé au Ziegfeld Theatre) avec Ten Cents a Dance, Ever Green () (1930, 254 représentations - créé à l'Adelphi Theatre de Londres) avec Dancing on the Ceiling et America's Sweetheart () (1931, 135 représentations - créé au Broadhurst Theatre) avec I've Got Five Dollars.

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Publicité dans The Palygoer (15/9/1929)
à propos de «Me for You«,
qui allait devenir à Broadway «Heads Up!»

Attardons-nous un peu sur Heads Up! () (1929, 144 représentations) qui n'a - à Broadway du moins - été ni un flop ni un succès. Il faut dire que sa première a eu lieu quelques jours après le Krash de 1929 à Wall Street, l'intérêt des New Yorkais était vraisemblablement ailleurs. Mais tout avait déjà très mal débuté, sous un autre nom... Me for You () de Richard Rodgers et Lorenz Hart, avec un livret de Owen Davis, avait subi un Try-out chaotique à Detroit durant les deux dernières semaines de septembre 1929, de sorte qu’il n’a pas ouvert immédiatement dans la foulée à Broadway. Quand il a été joué un mois plus tard, dans un second Try-Out, à Philadelphie, il avait un nouveau titre Heads Up! (), son livret avait été entièrement réécrit par John McGowan et Paul Gerard Smith et de nombreuses chansons avaient été supprimées (mais la chanson-titre Me for You a été conservée pour la nouvelle version), il y a eu des remplacements majeurs dans la distribution, et le metteur en scène original, Alexander Leftwich, avait quitté le projet.

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Souvenir-Brochure de «Heads Up!»
à l'Alvin Theatre
le 12 janvier 1930

Heads Up! () a ouvert finalement à Broadway le 11 novembre 1929, mais ne s’est joué que cinq mois et a terminé en perte financière. Autre signe d'insuccès, il n’y a pas eu d’US Tour.

La production londonienne a ouvert le 1er mai 1930 au Palace Theatre, avec un livret une nouvelle fois adapté mais a été une grande déception qui n’a tenu l’affiche que deux semaines, un flop complet. Les critiques et le public sont restés insensibles faces aux sages personnages cinglés et cyniques. En outre, le public londonien ne s’intéressait pas à l’histoire de la prohibition. La sentiment général était: «Trop américain».

Le musical a été adapté au cinéma par John McGowan et Jack Kirkland. Le film a été réalisé par Victor Schertzinger.

Heads Up! () est aujourd’hui presque totalement oublié. Même si ce musical a virtuellement disparu, les chansons qui ont émergé de la partition sont délicieuses, et l’intrigue elle-même est très amusante, avec de nombreuses possibilités comiques pour Victor Moore, des interludes découpés pour Alice Boulden et Betty Starbuck, des moments de danse pour Ray Bolger, et des murmures romantiques pour Jack Whiting et Barbara Newberry.

L'introduction du son dans les films en 1927 a porté un intérêt du monde cinématographique sur les comédies musicales. Plusieurs spectacles de Rodgers et Hart ont été adaptés en films, même s’ils ont été souvent profondément modifiés à cette occasion. Spring is Here (), Leathernecking (basé sur Present Arms ()), et Heads Up! () sont tous devenus des films en 1930. Comme on pouvait s'y attendre, les studios de cinéma ont alors voulu embaucher des auteurs-compositeurs pour écrire des comédies musicales directement pour l'écran. Et comme, dans le même temps, la crise de 1929 a rendu plus difficile de monter des spectacles à Broadway. Bien que la plupart des auteurs-compositeurs aient souvent changé de partenaire, Rodgers et Hart ont été la première équipe à travailler ensemble exclusivement pendant 25 ans. Nous y reviendrons.

Notre duo n'allait revenir à Broadway que 5 ans plus tard en 1935, avec Jumbo () (1935, 233 représentations).

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