6.
1927 - Show Boat

 7.2.
Les Revues de
l'après Ziegfeld

 7.3.C.
Cole Porter
(1/6)

 7.3.C.
Cole Porter
(3/6)

 7.4.
Le Royaume-Uni
Années '20 et '30

 8.
1943 Oklahoma!

C) Cole Porter (2/6) (suite)

C.3) Anything Goes (1934)

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«Anything goes» - Broadway 1934

  Broadway (1934)  Le musical Anything Goes () de Cole Porter a été le plus gros succès de la saison 34-35 de Broadway. Ce musical connaîtra trois reprises majeures à Broadway, cinq versions londoniennes, deux versions cinématographiques et une adaptation télévisée. Et la partition de Porter comportait cinq standards: I Get a Kick Out of You, All through the Night, You’re the Top, Blow, Gabriel, Blow et la chanson-titre, Anything goes. Il s’agit du musical des années ’30 le plus joué à notre époque.

Avec la Grande Dépression en cours, il n’a fallu que trois flops (dont Pardon My English () des frères Gershwin) pour conduire le producteur Vinton Freedley à la faillite. Il a passé plusieurs mois caché dans le Pacifique Sud, sur un yacht qui lui avait été prêté, essayant d’imaginer un projet de spectacle qui pourrait le sauver financièrement. Il a eu l’idée de l’histoire d’un paquebot qui coulait et qui laissait ses passagers et son équipage sur une île déserte. Il a imaginé qu’avec un casting de stars et des chansons des Gershwins, ce serait facile de trouver des soutiens financiers.

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Ethel Merman - «Anything goes» - Broadway 1934

Freedley revint discrètement à New York. Se déplaçant en fauteuil roulant avec une infirmière – pour échapper à ses créanciers – il a contacté et convaincu les vedettes de Of thee I sing (), William Gaxton et Victor Moore, ainsi qu’Ethel Merman, assurant à chacun d’eux qu’il serait la vedette du nouveau spectacle. Ces vétérans du showbiz ont vite réalisé ce que Freedley faisait, mais les temps étant ce qu’ils étaient, ils étaient contents d’avoir un emploi.

Comme les Gershwins étaient occupés à écrire Porgy and Bess (), Freedley (sans fauteuil roulant cette fois) imagina de confier la création du spectacle à Cole Porter. Freedley embarqua pour l’Europe et retrouva Cole Porter en train de ramer, dans une barque le long du Rhin, pendant que son yacht le suivait. Le compositeur fut immédiatement enthousiaste. Freedley engagea alors les librettistes Guy Bolton et P.G. Wodehouse pour compléter l’équipe créative. Mais rien n’était simple: Bolton était en Angleterre, Wodehouse en France, et les questions fiscales empêchaient l’un ou l’autre de voyager. Ils ont collaboré par la poste et par téléphone interurbain! Il y a plus simple… Quoi qu’il en soit, avec cette étourdissante palette de talents, Freedley a bientôt trouvé des bailleurs de fonds pour financer le spectacle et «Bon Voyage» allait entrer en répétitions.

Le livret traitait d’un groupe de passagers échoués sur une île déserte après le naufrage de leur navire. Mais quand il a été finalisé, et que Freedley a eu le temps de s’y intéresser vraiment, il a constaté que le livret était nul. Avec Bolton et Wodehouse coincés en Europe, il était impossible de faire une adaptation aussi rapide. Il fallait donc faire intervenir d’autres auteurs mais comment Freedley pourrait-il changer complètement le livret sans détruire la réputation des deux librettistes? Un drame va lui offrir une sortie de secours. Le 8 septembre 1934, le paquebot Morro Castle prend feu au large des côtes du New Jersey, tuant 137 personnes. Très clairement, proposer un musical léger parlant d’un naufrage était devenu une très mauvaise idée. Une réécriture s’imposait. La réputation de Bolton et Wodehouse ne serait pas entachée par cette réécriture qui s’imposait maintenant pour des raisons extérieures.

Freedley se tourna d’abord vers son metteur en scène, Howard Lindsay, qui lui expliqua immédiatement qu’il ne pouvait à la fois mettre en scène et réécrire le livret, vu les délais avant la première. Il lui fallait au moins un collaborateur pour l’aider dans la tâche de réécriture. L’amie de Cole Porter, l’artiste Neysa McMein, rêva que l’homme qu’ils cherchaient était l’écrivain Russell Crouse. Mais, nous étions en septembre, et n’importe quel New-Yorkais qui le pouvait fuyait à cette époque de l’année la fournaise de la ville pour aller se réfugier dans des endroits plus frais. Ils n’arrivèrent pas à contacter Russell Crouse.

La légende dit que, un jour, pour s’aérer, Freedley et Lindsay se penchèrent par les fenêtres du bureau au-dessus de l'Alvin Theatre. De l’autre côté de la West 52nd Street, ils ont vu quelqu’un se pencher par la fenêtre qui s’est avéré être Crouse.

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Howard Lindsay & Russell Crouse
© Bernard Hoffman - LIFE - 1946

Les répétitions reprirent pour le musical rebaptisé Anything Goes () (1934, 420 représentations) avec le duo Lindsay et Crouse écrivant les dialogues au jour le jour sur place. Ethel Merman notait en sténographie les nouvelles répliques et les tapait à la machine chaque soir. Selon la légende, lors de la dernière répétition générale à Boston, Lindsay et Crouse ont émergé des toilettes des hommes avec un dialogue écrit sur des feuilles de papier toilette.

C’est pour cette raison qu’il y a quatre librettistes mentionnés pour ce musical: Bolton, Wodehouse, Lindsay et Crouse. Anything Goes () a été la première des collaborations de Lindsay et Crouse. Ils écriront les livrets de 6 musicals, dont trois autres pour Ethel Merman, Red, Hot and Blue () (1936), Call Me Madam () (1950) et Happy Hunting () (1956). Leurs autres musicals seraient Hooray for What! () (1937), The Sound of Music () (1959) et Mr. President () (1962). Ils ont aussi écrit de très nombreuses pièces de théâtre, dont Life with Father () (1939) qui tint l’affiche 3.224 représentations et est encore aujourd’hui la plus longue série pour une pièce de théâtre à Broadway. Citons aussi State of the Union (1945), qui a remporté le Prix Pulitzer.

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«Anything goes» - Broadway 1934

L’histoire révisée de Anything Goes () se déroulait maintenant à bord d’un luxueux paquebot océanique avec un équipage hétéroclite et multiracial:

  • Reno Sweeney (Ethel Merman) est une ancienne évangéliste devenue chanteuse de boîte de nuit avec sa troupe de filles, les Reno’s Angels; amie de longue date de Billy
  • Billy Crocker (William Gaxton), un courtier de Wall Street, passager clandestin du paquebot pour suivre son amour : Hope
  • Hope Harcourt (Bettina Hall) une jeune première de la Haute Société;
  • Moonface Martin (Victor Moore) un gangster en cavale se camouflant sous l’identité d’un pasteur nommé Révérend Docteur Moon. Moonface est l’ennemi public numéro 13 sur la liste des plus recherchés du FBI, et son rêve est de devenir le Top Twelve.

Lorsque les passagers découvrent qu’il y a un célèbre gangster à bord, ils sont éblouis et chantent un hymne à sa gloire (Public Enemy Number One). Tout finit bien pour Reno et Billy: elle se lie avec le riche Sir Evelyn Oakleigh (Leslie Barrie) et proclame qu’elle «sera finalement une dame», et lui séduit Hope. Par contre, Moonface est plutôt désespéré: non seulement il n’a pas réussi à se hisser au Top Twelve, mais il découvre avec désespoir que le FBI le considère comme «entièrement inoffensif» et qu’ils l’ont donc retiré de toute procédure de recherche.

L’accueil de la presse fut très bon. Dans le New York Times, Brooks Atkinson a écrit que Anything Goes () était «un divertissement hilarant et dynamique» avec un «humour complètement débridé» doté d’une «partition saisissante avec des paroles impitoyables». Pour lui, Anything Goes () était «un formidable spectacle de chansons et de danses», et il a mis en avant I Get a Kick Out of You, You’re the Top, All through the Nightet Sailors’ Chanty (alias There Always Be a Lady Fair).

Robert Benchley, dans le New Yorker, a affirmé que cela «avait valu la peine d’attendre» Anything Goes () parce que le «miel» d’un spectacle rendait «les choses en ville sembler plus brillantes». Selon lui, avec You’re the Top, Porter «s’est surpassé lui-même en tant qu’auteur de paroles originales» et Benchley a prédit que «la ville deviendra bientôt folle en essayant de mémoriser la séquence des éléments ‘top’». Une revue non signée dans Time déclara que Porter n’avait plus composé de mélodies aussi «sensationnelles» depuis Night and Day de Gay Divorce ().

Le musical a été un gros succès, devenant avec ses 420 représentations le quatrième musical des années ’30.

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«Anything goes» - London 1935

  Londres (1935)  Charles B. Cochran, un metteur en scène britannique, avait eu le nez fin et acheté les droits de représentation à Londres pendant les try-out à Boston. Il a produit le spectacle au Palace Theatre de Londres avec une première le 14 juin 1935, pour une honorable série de 261 représentations.

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«Anything goes» - London 1935

Wodehouse a retravaillé le spectacle pour le rendre plus accessible au public londonien, se concentrant à la modifications de certaines paroles. Ces changements font partie aujourd'hui de la version officielle.

Reno, le rôle princicpal féminin, a été joué par Jeanne Aubert, une actrice française. La nationalité de son rôle, Reno, fut modifiée d'américaine à française pour correspondre à l'actice, et le nom de famille du rôle passa de Sweeney à Lagrange...

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«Anything goes» - Film 1936

  Cinéma (1936)  Cette première adaptation cinématographique, filmée en noir et blanc, était dirigée par Lewis Milestone avec pour vedette Ethel Merman, qui reprenait le rôle de Reno Sweeney qu'elle tenait sur les planches, et Bing Crosby dans le nouveau rôle de Billy Crockett. Charles Ruggles (remplaçant Victor Moore), Ida Lupino et Arthur Treacher étaient en tête d'affiche.

Le film nécessita l'adaptation de certaines «paroles osées» des chansons de Porter pour passer l'épreuve des censeurs de la Commission Hays. Seules quatre de ses chansons restent dans le film (avec des modifications importantes notables des paroles!): Anything goes, I Get a Kick Out of You, There’ll Always Be a Lady Fair, et You’re the Top.

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Ethel Merman & Bing Crosby - «Anything goes» - Film 1936

Grâce aux relations de Bing Crosby, trois compositeurs travaillèrent à quatre chansons supplémentaires pour le film, mais si l'on excepte Moonburn (écrite par Hoagy Carmichael et Edward Heyman), qui fut pendant un temps l'un des grands succès de Crosby, ces changements de dernière minute n'ont guère marqué les mémoires. Certains critiques, tel John Springer, ont d'ailleurs reproché à la Paramount d'avoir trahi la version originale avec ces airs médiocres (mais dans le Hollywood des années '30, il était pratique courante pour les grands studios, qui possédaient des maisons d'édition musicales, de «placer» ainsi leurs propres productions avec l'espoir de doubler les gains en cas de succès).

Lorsque, à la fin des années '50, la Paramount vendit les droits du film de 1936 aux télévisions, elle rebaptisa le film Tops is the Limit pour ne pas faire de concurrence à sa nouvelle version cinématographique, qui se jouait au théâtre.

  Cinéma (1956)  Bien que portant le titre de la comédie musicale de Cole Porter, Guy Bolton et P.G. Wodehouse, déjà portée au cinéma en 1936, ce film n'a presque rien en commun avec l'œuvre originale, sauf l'intégration de quelques chansons. L'argument du film est entièrement nouveau: deux vedettes américaines préparent un nouveau spectacle, et, pendant un voyage en Europe, recrutent chacun séparément - l'un à Londres, l'autre à Paris - une vedette féminine. Pendant le voyage de retour vers les États-Unis, les deux hommes ne savent comment résoudre le dilemme...

  Off-Broadway (1962)  Une nouvelle production voit le jour Off Broadway en 1962, le 15 mai 1962, et se joue pour 239 représentations à l'Orpheum Theatre. Cette version a été mise en scène par Lawrence Kasha. Pour cette reprise, le livret a été révisé pour incorporer plusieurs des changements qui étaient survenus dans les deux versions cinématographiques. La plupart des changements donnaient de la profondeur à Bonnie, un personnage auparavant mineur. Cette révision est aussi la première version scénique de Anything Goes () à incorporer plusieurs chansons d’autres spectacles de Porter: Take Me Back to Manhattan de New Yorkers (The) () (1930), It’s De-Long de Red, Hot and Blue () (1934), Friendship de DuBarry Was a Lady () (1939), et Let’s Misbehave de Paris () (1928).

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«Anything goes» - Broadway 1987

  Broadway et Londres (1987)  Pour la reprise à Broadway en 1987, John Weidman et Timothy Crouse ont à nouveau retravaillé le livret et réorganisé les numéros musicaux, en utilisant des chansons de Cole Porter d’autres spectacles, une pratique que le compositeur avait souvent pratiquée lui-même.

Ce revival a été retravaillé pour un orchestre de 16 musiciens jouant sur scène. Cette production a été jouée au Vivian Beaumont Theatre du Lincoln Center, depuis le 19 octobre 1987 et le musical est restée à l’affiche pour 784 représentations.

Il a été mis en scène par Jerry Zaks et chorégraphié par Michael Smuin, avec en vedette Patti LuPone comme Reno Sweeney, Howard McGillin comme Billy, Bill McCutcheon comme Moonface, et Anthony Heald comme Lord Evelyn.

Ce fut un énorme succès public et le musical a en plus été nominé pour dix Tony Awards (dont des nominations pour McGillin, LuPone, McCutcheon et Heald), gagnant le Best Revival of a Musical, Best featured actor (McCutcheon) et Best Choreography.

Parmi de nombreuses nominations, la production a également remporté les Drama Desk Awards for Outstanding Revival of a Musical et Patti LuPone a remporté le Outstanding Actress Award.

Cette production a été créée quelques mois plus tard au Prince Edward Theatre de Londres avec Elaine Paige, Bernard Cribbins et Howard McGilling.

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«Anything goes» - London 1987

  Broadway (2002)  En avril 2002, une représentation – oui, un seul soir – du spectacle a été présentée au Vivian Beaumont Theatre. Patti LuPone a joué Reno Sweeney avec Howard McGillin comme Billy et Boyd Gaines comme Lord Evelyn Oakleigh. LuPone et Gaines joueront plus tard ensemble lors de la reprise de Gypsy à Broadway en 2008. Le spectacle a été dirigé et chorégraphié par Robert Longbottom avec la supervision musicale de David Chase et des dessins de Tony Walton.

  Londres (2002)  Le National Theatre a proposé un revival du musical, qui a ouvert le 18 décembre 2002 dans l’Olivier Theatre du National Theatre et a fermé le 22 mars 2003. Vu l’énorme succès, la production a été transférée dans le West End, au Royal Drury Lane, du 26 septembre 2003 au 28 août 2004. Mis en scène par Trevor Nunn, il mettait en vedette Sally Ann Triplett, John Barrowman et Yao Chin (qui est maintenant journaliste à la télévision). Un CD de cette production a été édité et fait référence.

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«Anything goes» - London 2002
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«Anything goes» - Broadway 2011

  Broadway (2011)  Une reprise de la version de Broadway en 1987 a ouvert le 7 avril 2011 au Stephen Sondheim Theatre, produit par la Roundabout Theatre Company (previews dès le 10 mars). Cette production a été mise en scène et chorégraphiée par Kathleen Marshall. Ce revival conserve une grande partie des orchestrations de 1987 de Michael Gibson avec quelques ajouts de l’arrangeur Bill Elliott.

Cette version a été généralement très bien reçue par la critique et a reçu un total de neuf nominations aux Tony Awards et dix nominations aux Drama Desk Awards, dont Meilleure actrice dans un musical (Sutton Foster (Reno Sweeney)), Meilleure mise en scène d’un musical et Meilleur revival d’un musical.

La production devait initialement fermer le 31 juillet 2011 et a été prolongée jusqu’au 29 avril 2012, puis une deuxième fois jusqu’au 8 juillet 2012, accumulant 521 représentations et 32 previews. Il s'agit encore une fois d'un «énorme succès» pour le revival d'un musical des années '30.

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«Anything goes» - London 2021

  Londres (2021)  Dix ans après cette version très réussie à Broadway, Kathleen Marshall va à nouveau mettre en scène et chorégraphier Anything Goes () mais à Londres cette fois, au Barbican Theatre du Barbican Centre. La célèbre actrice américaine, Megan Mullally, fera ses débust dans le West End en incarnant Reno. Elle sera accompagnée par la star de la scène et de l'écran Robert Lindsay dans le rôle de Moonface Martin, de Felicity Kendal dans le rôle d'Evangeline Harcourt et la légende du West End, Gary Wilmot, dans le rôle d'Elisha Whitney.