6.
1927 - Show Boat

 7.2.
Les Revues de
l'après Ziegfeld

 7.3.E.
Rodgers & Hart (3/7)
Retour à Brodway

 7.3.E.
Rodgers & Hart (5/7)
Derniers succès

 7.4.
Le Royaume-Uni
Années '20 et '30

 8.
1943 Oklahoma!

A) 2 nov. 1937: «I'd rather be right» - Le succès de la saison

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«I'd rather be right» - Broadway (1937)

Rodgers et Hart venaient d’enchaîner trois succès: Jumbo (), On Your Toes () et Babes in Arms (). Ils étaient d’une certaine manière devenus les «Rois de Broadway». Mais n’oublions pas qu’ils avaient des ambitions concernant l’écriture des musicals. Nous en avions parlé () dans l’analyse de l’un de leurs pires flops, Chee-Chee (). N’oublions pas non plus que Rodgers sera, dans 6 ans, le compositeur de ce qui est considéré comme le premier musical: le révolutionnaire Oklahoma! (). Une chose va ébranler Rodgers et Hart durant cet été 1937: la mort à 38 ans de George Gershwin. Cela a développé chez Rodgers comme un électrochoc… Il a voulu rapidement créer un nouveau spectacle et ne pas attendre un an comme ce fut le cas entre On Your Toes () et Babes in Arms ().

Le cynisme généralisé qui s’est développé pendant la Grande Dépression a influencé le monde des musicals des années ’30 en créant la «revue d’actualité» ou la «musical d’actualité». Les meilleurs d’entre eux ne se sont jamais livrés à de la prédication ou de la propagande, mais ils ont réussi à faire leurs commentaires sur l’état du monde actuel sans oublier en même temps que la fonction de base du divertissement était de divertir. Les frères Ira et George Gershwin avaient fourni les partitions du musical antiguerre Strike Up the Band (), le pamphlet présidentiel Of Thee I Sing (), qui avait remporté le Pulitzer Prize for Drama 1932, et sa suite moins réussie, Let 'Em Eat Cake (). Irving Berlin avait lui écrit les chansons d’un musical sur la corruption policière de New York appelée Face the Music (), ainsi que pour la revue As Thousands Cheer (), créée entièrement sous la forme d’un journal.

George S. Kaufman, le co-auteur des trois spectacles des frères Gershwin, et Moss Hart, l’auteur des deux spectacles avec des partitions de Berlin, ont estimé que le temps était venu de collaborer ensemble sur la satire politique la plus audacieuse de toutes, et ils voulaient que Rodgers et Hart en écrivent les chansons. Leur idée n’était rien de moins qu’écrire un musical sur le Président Roosevelt lui-même. Alors, bien sûr, les présidents avaient déjà été représentés dans des musicals:

  • Calvin Coolidge dans le premier The Garrick Gaieties () (1925) de Rodgers et Hart
  • Herbert Hoover dans la revue As Thousands Cheer () (1933) de Moss Hart et Irving Berlin

Agences alphabétiques

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Agences alphabétiques

Le programme économique de Roosevelt pour lutter contre les conséquences de la Crise de ’29 s’appelle le «New Deal». Les mots «New Deal» signifient une «nouvelle relation entre le peuple américain et son gouvernement». Cette nouvelle relation comprenait la création de plusieurs agences fédérales, appelées «alphabet agencies». L’AAA (Agricultural Adjustment Administration) a été conçue pour augmenter les prix agricoles; le CCC (Civilian Conservation Corps) pour donner du travail aux jeunes chômeurs et améliorer l’environnement; la TVA (Tennessee Valley Authority) pour apporter l’électricité à ceux qui n’en ont jamais eu auparavant; la FERA (Federal Emergency Relief Administration), devenue plus tard la WPA (Works Progress Administration), a donné du travail à des milliers de chômeurs dans tous les domaines, de la construction aux arts; la NRA (National Recovery Administration) a élaboré des règlements et des codes pour aider à revitaliser l’industrie et a légalisé le droit des travailleurs à se syndiquer; la FSA (Farm Security Administration) a prévu la réinstallation des pauvres ruraux et de meilleures conditions pour les travailleurs migrants…
Au total, au moins 69 «alphabet agencies» ont été créées pendant les mandats de Roosevelt dans le cadre du New Deal.

Élargissement de la Cour Suprême

Le 5 février 1937, le président Franklin Roosevelt annonce un plan visant à étendre la Cour suprême jusqu’à 15 juges, prétendument pour la rendre plus efficace.
Avec les nominations à vie, il n’est pas inhabituel que les juges de la Cour suprême servent bien au-delà de l’âge moyen de la retraite aux États-Unis, qui était de 63 ans. Le président Roosevelt a voulu imposer des restrictions à la cour en ce qui concerne l’âge. Rappelons que c’est le président qui nomme un nouveau membre à la Cour Suprême. Cette mesure a été largement considérée comme un stratagème politique visant à changer la Cour pour obtenir des décisions favorables sur la législation du New Deal. En pratique, Rossevelt proposait que si un juge de la Cour Suprême refusait de prendre sa retraite, un «assistant» avec le droit de vote devait être nommé, assurant ainsi à Roosevelt une majorité libérale.
Les critiques ont immédiatement accusé Roosevelt d’essayer de «remplir» la Cour et de neutraliser ainsi les juges de la Cour suprême hostiles à son New Deal.

Mais ce serait la première fois que le leader des États-Unis serait considéré comme le personnage principal d’un musical. Kaufman, les deux Hart et Rodgers étaient d’ardents défenseurs de Franklin Delano Roosevelt, mais cela ne les empêchait pas de titiller son image en abordant des thématiques comme le New Deal et ses agences alphabétiques (voir ci-contre), l’élargissement de la Cour suprême, et l’idée farfelue que Roosevelt oserait briser la tradition et briguer un troisième mandat – en fait, il ira jusqu’à 4 mandats.

Même si leur musical devait déranger quelques bienpensants, le quatuor a estimé que ce spectacle pouvait être fait avec goût et intelligence. Ils ressentent d’ailleurs que la possibilité de créer un musical qui moque le Président des États-Unis était une magnifique manière de montrer à quel point leur pays est une terre de libertés. N’oublions pas que nous sommes à l’été 1937. Hitler, qui était arrivé au pouvoir en Allemagne la même année où Roosevelt a pris ses fonctions, avait déjà institué des mesures répressives contre les non-Aryens et les «ennemis de l’État». L’abolition de toutes les formes de dissidence faisait également partie du régime fasciste de Mussolini en Italie et des dirigeants militaires agressifs au Japon. L’Espagne était en pleine guerre civile menée par Franco, avec la bénédiction et le soutien d’Hitler et de Mussolini. C’était une époque où, dans un pays après l’autre, on assistait à l’extinction de la liberté. Aux États-Unis, tous ceux qui se plaignaient de ce qui était arrivé pendant la Dépression ont commencé à réaliser que leur nation était l’une des rares nations sur terre où les gens n’avaient pas peur de leurs dirigeants. Il était possible de les critiquer, de les destituer — et de les mettre sur une scène à Broadway pour les ridiculiser dans un spectacle de chansons et de danses.

Dans ce nouveau musical, Rodgers et Hart limitent leur intervention à la création des paroles et des musiques. Le livret sera lui signé par George S. Kaufman and Moss Hart. Deux «Hart» différents sont donc à l'affiche. Ce livret est assez intéressant et terriblement satirique...

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Peggy Jones (Joy Hodges), Président Roosevelt (George M. Cohan)
et Phil Smith (Austin)
dans «I'd rather be right» - Broadway (1937)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Lors du concert du 4 juillet à Central Park, les jeunes Phil Smith (Austin Marshall) et Peggy Jones (Joy Hodges) n’arrivent pas à oublier la mauvaise nouvelle de la journée: ils ne pourront se marier, car Phil n’a pas obtenu l’augmentation à laquelle il s’attendait — et il n’obtiendra pas cette augmentation tant que le Président Roosevelt ne parviendra pas à équilibrer le budget américain! Dans une séquence de rêve, ils rencontrent le Président Roosevelt à Central Park, et il travaille d’arrache-pied pour équilibrer le budget. Malheureusement, il est entravé par la Cour Suprême, le Congrès et son propre cabinet. Le Président n’arrive jamais à boucler le budget, mais il conseille au jeune couple d’avoir confiance en son pays et de se marier tout de même. Quand Phil se réveille, il décide de faire exactement cela.

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Président Roosevelt (George M. Cohan)
dans «I'd rather be right» - Broadway (1937)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Il y avait une importante attente du public de Broadway pour ce musical, principalement grâce aux quatre auteurs prestigieux. Elle a encore été fortement amplifiée par la présence en tête d'affiche, dans le rôle dudu Président Roosevelt, de la star George M. Cohan, qui sortit pour l'occasion de sa retraite comme chanteur et danseur.

Les opinions politiques personnelles de Cohan étaient très critiques à l’égard de Franklin Delano Roosevelt. En en plus, la «star» était professionnellement très critique à l’égard des chansons de Rodgers et Hart, comme nous l’avons vu () sur l’analyse du tournage de The Phantom President () en 1932. Cohan les avait rebaptisés les «Gilbert et Sullivan».

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George S. Kaufman et Moss Hart
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Quand, lors des premières réunions, Rodgers a entendu que Cohan serait le premier rôle, il a failli tomber mort! Il était persuadé que Moss Hart et Kaufman n’avaient pas réalisé à quel point Cohan était un homme aigri, sans aucun respect pour le travail de quelqu’un d’autre que le sien. Ils n’avaient aucune idée dans quoi ils s’embarquaient! Moss Hart lui a répondu que Cohan avait la plus grande estime pour eux deux, qu’ils s’était mal comporté à l’époque parce qu’il n’avait pas l’habitude de travailler à Hollywood, et que le studio l’avait vraiment mal traité. Cela allait être différent. Un autre argument était que Cohan revenait à Broadway dans un musical après une absence de près de dix ans et qu’il était anxieux et reconnaissant de pouvoir retourner au travail. En outre, le spectacle devait être produit par le meilleur ami de Cohan et ancien partenaire, Sam H. Harris. Tout le monde savait que Harris était l’un des hommes les plus doux de Broadway et qu’il était à peu près la seule personne au monde qui pouvait garder Cohan en ligne. Enfin, Cohan avait joué récemment dans la pièce Ah, Wilderness! pour la Theatre Guild et, d’après tous les rapports, il avait été un modèle de coopération.

Rodgers était conscient que pour jouer le rôle de Roosevelt, il leur fallait une star. Cohan était une star. Rodgers s’est souvenu d’une phrase du producteur Lee Shubert, à propos d’un autre acteur: «Never have anything to do with that son of a bitch unless you need him» («Tu ne dois jamais avoir quelque chose à voir avec ce fils de pute, à moins que tu n’aies besoin de lui»). Rodgers et Hart ont accepté que Cohan soit la star du musical. Et bien sûr, tout s’est avéré encore pire que ce qu’ils avaient craint.

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Président Roosevelt (George M. Cohan) et Peggy Jones (Joy Hodges)
dans «I'd rather be right» - Broadway (1937)
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La première rencontre préparatoire avec Cohan a eu lieu début septembre 1937. Il s’agissait de jouer la musique devant la «star». Ils ont mis les petits plats dans les grands: ils n’ont pas voulu organiser cela dans la salle de répétition habituelle et ont demandé à Jules Glaenzer de pouvoir utiliser son élégant appartement dans l’East Side, qui avait un salon si spacieux qu’il contenait deux pianos. Moss Hart, Kaufman, Hart et Rodgers étaient présent et lorsque Cohan est arrivé, ils l’ont assis à mi-chemin entre les deux pianos. Rodgers jouait sur un piano et Margot Hopkins, la pianiste de répétition, sur l’autre. Moss Hart chantait. Bien sûr, il n’avait pas une voix exceptionnelle, mais totalement correcte. Tout au long de la séance, Cohan est resté assis, les bras croisés, les yeux à moitié fermés. Il n’a jamais bougé la tête ou souri ou froncé les sourcils ou dit un mot. Rien – chansons d’amour, chansons de charme, ensembles, récitatifs – ne semblait faire impression. À la conclusion, Cohan resta assis silencieusement pendant quelques instants sans changer ni sa posture ni son expression. Puis il s’est levé, a marché vers Rodgers, lui a tapoté l’épaule avec condescendance et a marmonné: «Fais attention à toi, gamin», puis est sorti. Rodgers avait 35 ans et Cohan près de 60…

Ils sont tous restés stupéfaits. C’était peut-être comme Maurice Chevalier qui était réservé après avoir entendu les chansons pour Love Me Tonight () et était revenu le lendemain plein de louanges. Mais ça n’est jamais arrivé avec Cohan. Et tout au long du travail, il a traité Rodgers et Hart avec un mépris à peine voilé, et quand nous ils n’étaient pas là, il les qualifiait toujours du sobriquet sarcastique de «Gilbert et Sullivan» comme: «Dis à Gilbert et Sullivan de retourner à leur hôtel et d’écrire une meilleure chanson».

Mais le plus gros problème avec Cohan fut ailleurs: il détestait le Président Roosevelt, le personnage qu’il devait incarner. Les quatre auteurs avaient un avis contraire et, même s’ils se moquaient de Roosevelt, leur but était loin de le critiquer. Jusqu’à ce que Cohan s’en mêle...

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Devant: Chief Justice (John Cherry) et Président Roosevelt (George M. Cohan) / Derrière: Jack Barnes, Donald C. Carter, Martin Fair, Jay Hunter, Beau Tilden, Edward Harrington, Robert Howard et Fred Nay
dans la scène de la «COUR SUPRÈME» de «I'd rather be right» - Broadway (1937)
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La première série de Try-Out eut lieu à Boston, au Colonial Theatre. Le musical y fut créé le 11 octobre 1937. Mais on était très loin d’un premier Try-Out classique. En fait, bien avant l’ouverture de Boston, la rumeur s’était répandue que le musical serait quelque chose de très spécial. Le fait même que le personnage principal soit le président actuel des États-Unis, qu’on se moque du gouvernement, de la division entre le président et de la Cour suprême, a été perçu comme quelque chose de spécial dans un monde où la dictature devenait de plus en plus évidente. Les préventes à New York étaient plus importantes que celles de tout autre spectacle depuis Show Boat (). On parlait déjà de Walter Huston dans une version cinématographique. Et ce 11 octobre 1937 à Boston a pris les dimensions d’une première mondiale.

Cole Porter a affrété un avion pour voyager avec un contingent d’invités (il y a un peu plus de 350 km entre New York et Boston). Noël Coward, John Mason Brown, Clifton Webb et Dennis O’Brien étaient également présents. Le foyer du théâtre ressemblait à un magasin de fourrures, notamment Dorothy Rodgers avec une cape de vison pleine longueur.

Pendant cette première représentation, peut-être parce qu’il jouait devant un si illustre public, les griefs de Cohan sont sortis au grand jour dans la chanson Off The Record. Au lieu de l’interpréter telle qu’elle avait été écrite, il a préféré des paroles de son cru, ce qui a placé Roosevelt sous un jour particulièrement défavorable. Le prétexte pour cet ajout, selon Cohan, était qu’il s’opposait à des paroles que Hart avait écrites sur Al Smith et qu’il pensait trop cruelles. Nous reviendrons sur ces paroles. Ayant commis ce péché impardonnable, il l’a aggravé en disant jovialement à l’auditoire qu’il serait probablement viré pour l’avoir fait: «I’ll probably get my two weeks’ notice for doing that» («Je vais probablement recevoir mon préavis de deux semaines pour cela »).

À la fin de la représentation, ce fut la guerre en coulisses. Lorenz Hart a exigé que Cohan soit sanctionné pour ce comportement non professionnel et insultant, ou même qu’il quitte le spectacle, emportant ses paroles avec lui. Rodgers l’a soutenu avec véhémence. Le producteur Sam Harris et le librettiste George Kaufman ont exigé une promesse de Cohan qu’il ne ferait plus jamais une telle chose. accepta, se confiant plus tard à un ami qu’il n’aurait jamais fait une telle promesse à personne d’autre que Kaufman. Mais le lendemain matin, le New York Herald Tribune a fait la une avec fracas:

COHAN REFUSES
TO SING LYRIC ABOUT
AL SMITH

IN BOSTON TRYOUT HE CUT LINES,
PUT IN HIS OWN
AND WRITERS OBJECT TO IT
BUT ALL’s HAPPY NOW

“GILBERT AND SULLIVAN OF U.S.”
REWRITING THE PART

COHAN REFUSE
DE CHANTER DES PAROLES
SUR AL SMITH

AU TRYOUT À BOSTON, IL A COUPÉ DES LIGNES,
A MIS LES SIENNES À LA PLACE
ET LES AUTEURS S’OPPOSENT À LUI,
MAIS TOUT VA BIEN MAINTENANT

« LES GILBERT ET SULLIVAN DES ÉTATS-UNIS »
RÉÉCRIVENT LE RÔLE


L’enfer s’est de nouveau déchaîné. Cohan était furieux parce qu’il était persuadé que Rodgers avait manigancé pour que paraisse cet article. Rodgers démentit bien évidemment et s’insurgea contre l’expression «Gilbert et Sullivan» que Cohan continuait à utiliser…

«Off The record» de «I'd rather be right» - Broadway (1937)

Cohan déclara aux journalistes: «C’était juste quelque chose à propos du gouverneur Al Smith et de la Ligue de la liberté. Al a été un très bon ami à moi. Tout est réglé maintenant, en ce qui me concerne. J’en suis arrivé au point où je refuse de me battre

Rodgers fulminait, car cette déclaration de Cohan était un pur mensonge. Oui, il y avait eu des paroles à, propos de Al Smith dans la chanson, mais elles avaient été supprimées deux semaines avant Boston. Lorenz Hart a déclaré aux journalistes qu’un auteur était seul maître à bord de ses textes et des paroles de ses chansons.

Kaufman a adouci les choses en organisant une grande fête au Ritz pour célébrer trois de ses pièces à Boston en même temps. Pour ne pas être en reste, Cohan organisa une autre fête la nuit suivante, et avant que la compagnie ne quitte Boston pour seconde série de Try-Out au Ford’s Theatre de Baltimore à partir du 24 octobre, Sam Harris en donna une autre pour cimenter l’équipe.

À Baltimore, au fur et à mesure que le travail se poursuivait, l’impénitent Cohan devenait de plus en plus intransigeant; il voulait plus de chansons qui lui permettent d’«édifier son personnage». The World Is My Oyster a disparu; Tune Up, Bluebird est devenu We're Going To Balance The Budget.

Les paroles d’Off The Record ont été atténuées, rendant les allusions directes de Roosevelt à Hearst et Du Pont légèrement moins diffamatoires:

If I'm not re-elected and the worst comes to the worst,
I'll never die of hunger and I'll never die of thirst.
I’ve got one boy with Du Pont and another one with Hearst
But that’s off the record.

Extrait de «Off The Record» - «I'd Rather Be Right»

 

William Hearst

Le 21 septembre 1936, le journaliste William Randolph Hearst attaqua Roosevelt dans son journal, The New York American. Il a accusé le président d’être socialiste, communiste et bolchevique et a écrit que FDR menait un programme marxiste.
L’un des fils de Roosevelt, Elliott Roosevelt (1910-1990), a travaillé comme rédacteur des affaires d’aviation pour les journaux de William Randolph Hearst.

Ethel du Pont

Ethel du Pont est la riche épouse de Franklin Delano Roosevelt Jr. (1914-1988), le troisième fils du président Roosevelt. Leur mariage a été très médiatisé…

Le jugement de Cohan a également conduit à l’abandon de la ballade originale et son remplacement par une musique enjouée avec le même titre.

Lorsque la charmant Ev’rybody Loves You a également été abandonnée pendant les répétitions, Rodgers et Hart étaient moins que ravis. Cela ne leur laissait qu’un seul gagne-pain – c’était à partir des chansons d’amour qu’ils gagnaient leurs droits d’auteurs ultérieurs (disques, partitions …). En plus, ils avaient signé un accord particulier pour cette production. L’accord habituel était que le librettiste et les compositeurs avaient le même pourcentage des recettes. Mais sur I’d Rather Be Right (), Kaufman et Moss Hart avaient 8% à Rodgers et Hart seulement 5%.

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La troupe de «I'd rather be right» - Broadway (1937)
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Le 2 novembre 1937, I’d Rather Be Right () a ouvert ses portes à Broadway. Il semblait que la moitié de Manhattan attendait devant l’Alvin Theatre pour apercevoir Cohan. Cohan a trébuché sur un câble en coulisse et a joué toute la représentation avec sa jambe dans un plâtre de caoutchouc. Rodgers a été le chef d’orchestre de la soirée d’ouverture. Après le spectacle, les spectateurs se sont réunis au Stork Club, El Morocco et la distribution à la fête Kaufman-Rodgers au Carlyle.

Lucius Beebe de Stage a écrit: «New York semble complètement bouleversée par le retour de M. Cohan». Si le spectacle avait été quelque peu décevant, les critiques semblaient le considérer comme une vraie réussite. Dans le Times, Brooks Atkinson parle d’«une comédie musicale intelligente et sympathique. Mais ce n’est pas la satire politique vive et brillante à laquelle la plupart d’entre nous nous attendions». Onze jours plus tard, Atkinson a pensé ajouter que «presque toutes les chroniques et pages éditoriales de Washington sont de temps en temps plus caustiques que ce spectacle musical». Burns Mantle dans le Daily News est proche de l’ambivalence ressentie par la plupart des critiques: «Ce n’est pas le plus grand musical jamais écrit ni la plus grande satire politique mise en scène

La «célébrité» des quatre auteurs et la performance électrique de George M. Cohan, ont fait du spectacle le succès de la saison (290 représentations), même avec – ou peut-être à cause de – son discours de clôture sentimental dans lequel Roosevelt ralliait l’Amérique avec une conversation au coin du feu.

Petit clin d’œil: en raison de la situation politique, en mai 1938, Spring in Vienna a été rebaptisée Spring in Milwaukee.

B) 11 mai 1938: «I Married an Angel» - Le succès de la saison

B.1) «I Married an Angel» – Projet avorté à Hollywood 1932-33

Faisons un petit retour en arrière. À la fin de 1932, Rodgers et Hart étaient à Hollywood et avaient participé à trois films: Love Me Tonight () (succès), The Phantom President () (flop) et Hallelujah, I’m a Bum () (qui ne sortira qu’en 1933 et sera un flop).

Irving Thalberg

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Irving Thalberg

Fils d’immigrés juifs allemands, Irving Grant Thalberg nait à Brooklyn. Né avec une malformation cardiaque, son enfance est marquée par les maladies. À l’issue de ses études, il se forme seul au secrétariat et est engagé au siège de la prestigieuse Universal Pictures. Il y travaille d'abord comme secrétaire avant que Carl Laemmle, légendaire fondateur des studios Universal, ne le remarque et en fasse son secrétaire personnel. Brillant, opiniâtre, il est nommé cadre chargé des productions à seulement 21 ans.
Rapidement, Thalberg apprend à compenser son apparence très jeune par une autorité certaine. Ainsi en 1922, il s’oppose à Erich von Stroheim concernant la longueur de Foolish Wives et contrôle tous les aspects de production de The Hunchback of Notre Dame (1923). Toutefois, en 1924, sa carrière prend un nouveau tournant quand il quitte Universal pour les productions Louis B. Mayer qui, peu après, s’uniront à v pour fonder la bien connue Metro-Goldwyn-Mayer. Il connaît son premier succès pour la MGM dès 1925 avec The Big Parade dirigé par King Vidor. Par la suite, jusqu’en 1932, il supervise toutes les productions importantes et combine soigneusement la préparation des pré-productions avec des sneak previews (« avant-premières ») qui mesurent la réponse du public.
Mais, alors que son ardeur dans le travail lui permet de toujours obtenir les meilleurs résultats, il est victime fin 1932 d’un infarctus. Profitant de ce moment d’invalidité, Louis B. Mayer, qui jalouse depuis quelque temps le pouvoir et le succès de Thalberg, décide de le remplacer par David Selznick et Walter Wanger. Lorsque Thalberg reprend le travail, en 1933, il n’est plus qu’un des producteurs du studio. Néanmoins, il participe au développement de quelques-unes des plus prestigieuses entreprises de la MGM comme Grand Hotel (1932), Mutiny on the Bounty (1935), China Seas (La Malle de Singapour) (1935), A Night at the Opera (1935) avec les Marx Brothers, San Francisco (1936), et Romeo and Juliet (1936).
Thalberg n’est âgé que de 37 ans lorsqu’il meurt d’une pneumonie, à Santa Monica, en Californie pendant la pré-production de A Day at the Races (1937), et Marie-Antoinette (1938).

Rodgers et Hart vont recevoir un appel d’Irving Thalberg, le jeune (33 ans) et brillant chef de production de la MGM. Il était surnommé The Wonder Boy pour sa jeunesse et son habileté inégalée pour choisir les bons scénarios et en tirer des films à succès. Il a proposé à Rodgers et Hart un contrat. Il avait été très impressionné par Love Me Tonight () et était sûr que l’une des deux histoires que son studio possédait pourrait être adaptée par le duo.

La première était une adaptation musicale du roman de Thorne Smith Thopper; la seconde, la pièce du Hongrois Johann von Vásáry, Angyalt Vettem Felesegul, sur un banquier dont le souhait se réalise quand il épouse un ange. Rodgers et Hart n’hésitèrent pas un instant, la fantaisie hongroise semblait plus propice au genre de scénario qu’ils voulaient faire.

En outre, l’accord proposé par Thalberg à Rodgers et Hart était un contrat d’un an en tant que rédacteurs du studio MGM, prévoyant qu’ils pouvaient être assignés à toute production choisie par le studio. Quoi qu’il en soit, ils ont accepté. Le 12 décembre, Louella Parsons a annoncé dans sa chronique Los Angeles Examiner que Richard et Dorothy Rodgers étaient de retour à Hollywood. Une quinzaine de jours plus tard, Irving Thalberg a eu une grave crise cardiaque massive. Des rumeurs se sont immédiatement répandues dans le studio qu’il ne détiendrait plus jamais le pouvoir qu’il avait autrefois car Louis B. Mayer (co-directeur de la MGM) jalousait le pouvoir et le succès de Thalberg, avait décidé de le remplacer par David Selznick et Walter Wanger.

C’est sous ce nuage d’incertitude que Rodgers et Hart ont travaillé sur l’adaptation à l’écran de la pièce de Vaszary avec un autre néophyte hollywoodien, Moss Hart, co-auteur avec George Kaufman de la pièce de théâtre à succès de 1930 à Broadway et du film Once In A Lifetime, Moss Hart, vingt-neuf ans. C’est le même Moss Hart dont nous venons de parler et qui a travaillé avec eux, cinq ans plus tard, en 1937, à Broadway sur I’d Rather Be Right ().

Le trio a travaillé en étroite collaboration, et en moins d’un mois, ils avaient terminé l’histoire et la partition. Louis B. Mayer avait prévu ce film comme un véhicule pour sa nouvelle star de contrat, Jeanette MacDonald.

Le 10 mars 1933, le trio présente son travail aux responsable de la MGM quand survient l’un des plus graves tremblements de terre en Californie, 6,4 sur l’échelle de Richter. Ils survécurent en sortant rapidement par une fenêtre d’un bâtiment en passe de s’écrouler.

Le fait qu’il avait approuvé l’achat de l’histoire par le studio, signé Jeanette MacDonald sur la base de ce qu’elle a fait et n’avait que des éloges pour notre traitement n’a pas fait la moindre différence. Personne ne pouvait le bouger, et c’était la fin.

Quelques jours plus tard, Louis B. Mayer a trouvé que les «fantaisies» n’étaient pas suffisamment commerciales et qu’il mettait fin à ce projet! Le fait qu’il avait précédemment approuvé l’achat des droits d’adaptation de l’histoire par le studio, signé un contrat avec Jeanette MacDonald et n’avait que des éloges sur le travail de Rodgers et des deux Hart, n’a pas fait la moindre différence. Personne ne pouvait le faire changer d’avis et c’était la fin de I Married an Angel () .

B.2) «I Married an Angel» – Broadway 1937

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«I Married an Angel» - Affiche à Broadway

Après cette expérience difficile que fut I’d Rather Be Right (), Rodgers et Hart se sont souvenus de leurs bons moments avec On Your Toes () et Babes in Arms (), tous deux produits par Dwight Deere Wiman. Ils décidèrent d’essayer de retravailler avec lui. Et le fait d’avoir retravaillé avec Moss Hart, leur rappela leur première rencontre à Hollywood en 1932 et 1933 quand ils avaient écrit ensemble le film I Married an Angel (), projet que Louis B. Mayer arrêta. Pourquoi ne pas faire de cette histoire un musical? Le problème est que la MGM, même si elle n’avait pas réalisé le film, possédait toujours les droits sur l’adaptation et les droits sur toutes les chansons qu’avaient été écrites à l’époque Rodgers et Hart, époque où ils étaient sous contrat à la MGM.

Ils organisèrent un dîner avec Dwight Wiman. Ils lui expliquèrent de quoi parlait le travail réalisé à la MGM, le refus de Louis B. Mayer, et leur envie d’en faire aujourd’hui un musical. Sans entendre une note ou lire un mot, Wiman leur a assuré que s’il pouvait racheter les droits à la MGM, il produirait le spectacle à Broadway.

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Dennis King (Count Palaffi) et Vera Zorina (Angel)
dans «I Married an Angel» - Broadway 1937
© Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Après de longues discussions, Wiman et la MGM ont fini par trouver un accord assez ouvert: Rodgers et Hart avaient le droit de créer un musical à Broadway à partir de tout le matériel écrit à l’époque pour le film non produit, à condition que la MGM ait une priorité sur le rachat des droits pour faire l’adaptation de cette version scénique au cinéma. Moins d’une semaine après la création du spectacle, la MGM a pris l’option et a finalement pris la photo. La MGM en fera un film en 1942, avec Jeanette MacDonald (comme le projet initial, mais dix ans plus tard). Ce film a fait perdre 725.000$ à la – le pire résultat du studio en 1942.

Quoi qu’il en soit, le projet suivant de Rodgers et Hart allait être I Married an Angel (), le troisième des cinq musicals de Rodgers et Hart produits par Wiman (après On Your Toes () et Babes in Arms () et avant Higher and Higher () et By Jupiter ()).

Pour la version sur scène de I Married an Angel (), Rodgers et Hart ont décidé de revenir à la pièce hongroise originale plutôt qu’au scénario développé avec Moss Hart en 1933. Comme ils avaient écrit leur propre livret pour Babes in Arms (), ils étaient maintenant confiants en leurs capacités.

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Joshua Logan

Tout comme Jumbo () avait amené George Abbott dans le domaine des musicals, I Married an Angel () a joué un rôle similaire avec Joshua Logan. Même si ce dernier venait de mettre en scène avec succès la pièce On Borrowed Time, produite par Dwight Wiman, il n’avait jamais travaillé sur un musical. Une seule réunion a permi de convaincre Rodgers et Hart qu’il pourrait gérer la mise en scène de I Married an Angel () avec facilité.

Joshua Logan allie une personnalité flamboyante avec une énorme puissance de travail. Après à peine une semaine de répétitions de I Married an Angel (), Logan a dit qu’il était furieux de ce qui n’allait pas et du fait qu’ils n’avaient pas de second acte finalisé. Ce soir-là, ils se sont retrouvé chez Hart pour en parler. Et, en vérité, presque toutes les remarques et les idées proposées par Logan avaient un sens. Rodgers et Hart ont décidé de commencer immédiatement une réécriture approfondie. Avec le soutien de Logan, ils ont jeté environ un tiers de ce qui était écrit, ajoutant de nouveaux dialogues et de nouvelles situations, même des scènes entières. En pleine nuit, ils ont dicté en alternance les modifications à une secrétaire et, à six heures du matin, ils avaient un livret qui fonctionnait.

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Vera Zorina (Angel) - «I Married an Angel» - Bway 1937
© Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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L'histoire s'intéresse à un riche banquier de Budapest, le Comte Willie Palaffi (Dennis King), est las de l’amour. Il met fin à ses fiançailles avec Anna Murphy (Audrey Christie), jurant que la seule fille qu’il pourrait épouser serait un ange. Un vrai ange (Vera Zorina) apparait bientôt dans sa vie, et il l’épouse. Mais il s’avère très vite que l'ange est incapable de mentir, ce qui est indispensable à toute vie sociale. Son honnêteté attire l'hostilité des connaissances du comte Willie Palaffi dans la haute société, mais aussi auprès de ses plus grands clients. En conséquence, ceux-ci opèrent à un retrait massif de l'argent déposé à la banque de Willie Palaffi. Sa sœur, la comtesse Peggy Palaffi (Vivienne Segal), sauve la situation en enseignant à l’ange les obligations du monde réel. Elle soudoie aussi les chauffeurs de taxi pour retarder les créanciers de Willie, afin qu’il ait le temps de sauver sa banque. Et - bien sûr - depuis lors, Willie et son ange terrien vivent heureux à jamais.

Le thème de la pièce était qu’il est possible que quelqu’un soit trop bon. Notre ange a failli ruiner la vie de son mari par ses remarques véridiques, mais non diplomatiques. Ce n’est que lorsque, sous la tutelle experte de Peggy Palaffi (Vivienne Segal), elle devient diabolique au lieu d’angélique, que le mariage est sauvé. Tout est bien qui finit bien...

Mais si cette nuit leur avait permis de corriger et de finaliser le livret, ils n’avaient pas encore de chansons pour le second acte. Ils vont, entre autres, écrire une chanson pour la fin du second acte, At the Roxy Music Hall, qui n’a à peu près rien à voir avec l’histoire. Quand Rodgers et Hart l’ont proposé à Logan ce dernier s’est écrié: «Mais, putain, comment allez-vous intégrer ça dans le show?» Le lien avec le livret n’était pas encore si important à l’époque et comme la séquence était impressionnante, chorégraphiée par Balanchine, les gens ont aimé. C’était le seul objectif et il a été rempli.

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Vera Zorina (Angel) et l'ensemble dans «I Married an Angel» - Broadway 1937
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Assis: Vera Zorina (Angel), Richard Rodgers,
Dennis King (Count Willy Palaffi) et, debout, des memebres de l'ensemble
lors des répétitions de «I Married an Angel» - Broadway
© Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Il y avait des gens merveilleux dans la distribution: Dennis King, Vivienne Segal, Walter Slezak, … Mais celle qui allait voler tous les applaudissements était Vera Zorina. Dwight Wiman avait été extrêmement impressionné par elle quand il l’avait vue dans la production londonienne de On Your Toes (). Sans induire aucune obligation à Rodgers et Hart, il avait mentionné prudemment qu’il pensait qu’elle pourrait être bonne dans un petit rôle de I Married an Angel (). Par hasard, quelques jours plus tard, Rodgers était à Hollywood pour le film Fools for Scandal, et a croisé dans une fête une charmante jeune fille avec un charmant accent européen qui a rapidement fait que tout le monde s’entasse autour d’elle. Cette jeune fille était Vera Zorina. Le lendemain, Rodgers a envoyé un télégramme à Dwight: AUCUN PETIT RÔLE – AI JUSTE RENCONTRÉ VERA ZORINA – C’EST NOTRE ANGE.

Le musical a été un énorme succès puisqu'il a ouvert le 11 mai 1938 et a tenu l'affiche jusqu'au milieu de la saison suivante, le 25 février 1939 au Shubert Theatre, soit 338 représentations. Brooks Atkinson, dans le New York Times, a écrit que I Married an Angel () était «l’un des meilleurs musicals de ces dernières saisons» et que la partition de Rodgers et Hart «devait être rangée sur la planche du haut» de leur «étagère musicale». Selon lui, cette «mélodieuse fantasmagorie» était une «une production extraordinairement belle». C’était une «œuvre originale, fraîche et belle» dans laquelle George Balanchine avait créé «ses plus beaux ballets», dont un ballet et une pantomime qui capturaient «parfaitement l’enchantement de l’histoire».


I Married an Angel () s’est installé pour une belle série de neuf mois. I’d Rather Be Right () attirait toujours les foules, Babes in Arms () et On Your Toes () allaient être adaptés au cinéma, et un nouveau spectacle basé sur la comédie The Comedy of errors de Shakespeare déjà en préparation, Rodgers et Hart étaient au sommet de leur carrière. Pour célébrer son anniversaire, Larry Hart a reçu les honneurs américains: un profil en deux parties dans The New Yorker et une apparition sur la couverture du magazine Time.

Nos deux auteurs prolifiques, après cet enchaînement de succès, allaient rentrer dans une période de régression. Le succès de Rodgers et Hart va d'abord devenir «plus mitigé» avant que le duo ne doive à nouveau affronter l'échec.

C) 23 nov. 1938: «The Boys from Syracuse»

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«The Boys from Syracuse»
Affiche à Broadway

Depuis leur retour d'Hollywood, Richard Rodgers et Lorenz Hart avait enchaîné un succès d'estime, Jumbo () (1935), et trois vrais succès: On Your Toes () (1936), Babes in Arms () (1937) et I’d Rather Be Right () (1937). Le duo était devenu une «valeur sûre» de Broadway.

Après avoir osé participer au premier musical qui se voulant une caricature politique du président américain en place (I’d Rather Be Right ()), ils vont se lancer dans une autre première: un musical inspiré par une œuvre de William Shakespeare. Ils ont eu cette idée lors d’un voyage en train pendant les répétitions de I Married an Angel (). Le simple fait que jamais une pièce de Shakespeare n’ait été jusqu’alors adaptée en musical, était sans doute une raison suffisante pour que Rodgers et Hart y songent comme leur projet suivant. Après avoir écarté les tragédies et les pièces historiques de Shakespeare, Hart dans le train va dire: «Pourquoi ne pas faire The Comedy of Errors?» Cette pièce reprend le thème des deux paires de jumeaux et l’applique avec bonheur à un spectacle délirant dans lequel deux jumeaux, les Frères Antipholus, et leurs deux serviteurs, également jumeaux et tous les deux s’appelant Dromio, séparés depuis leur enfance, les uns vivant à Éphèse et les autres à Syracuse, retrouvent soudainement ceux d’Éphèse à Syracuse et ceux de Syracuse à Éphèse, dans une série d’imbroglios qui ne sont résolus qu’à la dernière scène.

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Couverture du magazine «Broadway Pic»
avec le casting de «The Boys from Syracuse»: Les jumeaux
De g. à dr.: Eddie Albert (Antipholus de Syracuse), Jimmy Savo
(Dromio de Syracuse), Teddy Hart (Dromio d'Ephèse)
et Ronald Graham (Antipholus d'Ephèse)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Pourquoi le thème des jumeaux s’est-il révélé comme un «plus»? En fait, le frère cadet de Hart, Teddy Hart, était un comédien intelligent mieux connu pour les farces de George Abbott comme Three Men on a Horse et Room Service. Il était petit et sombre, et bien qu’il ressemblait beaucoup à Lorenz Hart, il était toujours confondu avec un autre comique doué, Jimmy Savo. Teddy Hart jouera Dromio of Ephesus et Jimmy Savo sera Dromio of Syracuse.

Quand ils ont commencé à parler d’un metteur en scène pour ce genre de farce musicale, un nom leur est immédiatement venu à l’esprit: George Abbott. Ils avaient déjà travaillé avec lui et cela s’était très bien passé. Abbott a été tellement enthousiaste à propos du projet, qu’il a décidé de le produire lui-même. Et de le mettre en scène. Et d’en écrire le livret… Au début, Rodgers et Hart étaient censés collaborer sur le livret avec lui, mais quand ils ont voulu se rencontrer pour en parler, Abbott avait tout terminé. Le livret était si fort, si plein d’esprit, si rapide et, d’une manière étrange, tellement conforme à la tradition shakespearienne paillarde que ni Rodgers ni Hart n’ont voulu en changer une ligne.

On peut avoir une idée de l’approche d’Abbott qui a prévu une annonce faite avant le début du spectacle lui-même: «This is a drama of ancient Greece. It is a story of mistaken identity. If it's good for Shakespeare, it's good for us!» («Ceci est un drame de la Grèce antique. C’est une histoire d’identité erronée. Si c’est bon pour Shakespeare, c’est bon pour nous!»). L’adaptation était pleine d’esprit, de clins d’yeux, George Abbott s’appropriant une seule fois une phrase de Shakespeare: «The venom clamours of a jealous woman poisons more deadly than a mad dog’s tooth.» («Les clameurs venimeuses d'une femme jalouse sont un poison plus mortel que la morsure d'un chien enragé.») Abbott a demandé à Jimmy Savo de suivre cette phrase en sortant la tête des ailes et en annonçant fièrement au public: «Shakespeare!»

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Marcy Westcott (Luciana), Wynn Murray (Luce) et Muriel Angelus (Adriana)
dans «The Boys from Syracuse» - Broadway 1938
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Le casting de The Boys from Syracuse () était rempli de jeunes artistes talentueux. Outre Teddy Hard et Jimmy Savo, Eddie Albert et Ronald Graham jouaient respectivement l’Antipholus de Syracuse et l’Antipholus d’Éphèse. La couverture du magazine ci-dessus montre que les jumeaux étaient crédibles. Sans oublier les leading ladies: Marcy Westcott, Muriel Angelus et une bouffée de crème énergique nommée Wynn Murray.

George Balanchine a créé la chorégraphie de la production originale, qui a ouvert à Broadway à l'Alvin Theatre le 23 novembre 1938, après des previews au Shubert Theatre de New Haven (3 au 5 novembre) et au Shubert Theatre de Boston (7 au 19 novembre). Le spectacle a fermé le 10 juin 1939 après 235 représentations. Soit un quatrième succès d'affilée.

Le spectacle a reçu d’excellentes critiques et les chansons sont parmi les meilleures de Rodgers et Hart. Le spectacle a été un succès financier et s'est joué jusqu'à la fin de la saison, mais c'est étonnant qu'il n'ait pas continué plus longtemps.

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«The Boys from Syracuse» - Broadway 1938
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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«The Boys from Syracuse» - Film (1940)

En plus, il n’y a pas eu d'US Tour, et la version cinématographique de 1940 est devenue l’une des adaptations les plus obscures de tous les films de Broadway (elle n’a jamais été diffusée en vidéo et n’apparaît pas sur les chaînes de télévision câblées).

Il faudra attendre 1963 pour que le spectacle renaisse dans l'Off-Broadway au Theatre Four, pour 500 représentations! Le metteur en scène, Christopher Hewitt, a adapté le script original et Fred Ebb a rajouté des dialogues originaux.

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«The Boys from Syracuse» - Off-Broadway (1963)
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Et ce n'est qu'à ce moment que le spectacle a traversé l'Atlantique pour être créé à Londres, au prestigieux Theatre Royal Drury Lane où il tiendra l'affiche 100 représentations.

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«The Boys from Syracuse» - Londres 1963

En 1991, dans une mise en scène de Judi Dench, The Boys from Syracuse () a connu un revival à Londres pour un engagement limité au Regent’s Park Open Air Theatre de Londres, où il s’est joué du 24 juillet au 5 septembre 1991. Judi Dench a été nominée pour un Olivier Award de la meilleure mise en scène, et la production en plein air a reçu l'Olivier Award du meilleur revival de musical cette année-là. Jenny Galloway a également remporté un Olivier Award pour son interprétation de Luce.

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«The Boys from Syracuse» - Regent’s Park Open Air Theatre (1991)

Le musical a été présentée en concert par Encores! le 1er mai 1997, pour cinq représentations avec Davis Gaines (Syracuse), Malcolm Gets (Ephesus), Mario Cantone (Dromio S.), Michael McGrath (Dromio E.), Rebecca Luker (Adriana), Sarah Uriarte Berry (Luciana), Debbie (Shapiro), Gravitt (Luce), Marian Seldes, Tom Aldge et Danny Burstein. Le concert a été enregistré par DRG (CD n° 94767) et comprend la finale du premier acte Let Antipholus In, Big Brother et le ballet du deuxième acte de la production originale (connu sous le nom de The Ballet, Big Brother Ballet et Twins’ Ballet).

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«The Boys from Syracuse» - Broadway 2002

Le musical a été relancé à Broadway dans une version révisée par Nicky Silver dans une production de la Roundabout Theatre Company le 18 août 2002, pour 73 représentations à l’American Airlines Theatre, avec Jonathan Dokuchitz (Syracuse), Tom Hewitt (Ephesus), Lee Wilkof (Dromio S.), Chip Zien (Dromio E.), Lauren Mitchell (Adriana) et Erin Dilly (Luciana).

Le revival a omis Let Antipholus In et Ladies of the Evening et a intercalé deux chansons d’autres spectacles de Rodgers et Hart, You Took Advantage of Me (de Present Arms (, 1928) et A Lady Must Live (America’s Sweetheart, () 1931), toutes deux pour les courtisanes.

Le nouveau livret, saupoudré de gags sur l’identité sexuelle, a élargi les rôles des courtisanes et a créé une invitée mystère qui, à chaque représentation, jouait le rôle de la mère des jumeaux.

Dans cette nouvelle version, Antipholus E. rend visite à des prostituées seulement pour parler de ses insécurités et de ses exploits guerriers (!!!), et Dromio S. fait une «rencontre surprenante» avec un apprenti tailleur «efféminé» qui «jette également le doute sur les orientations sexuelles» de Dromio E..

Charles Isherwood dans Variety a noté que tous les garçons (de Syracuse et d’Éphèse) «ont une peur pathologique des femmes».


À cette époque, le rapport avec Hart devient de plus en plus difficile. George Abbott se souvient qu'Hart buvait beaucoup et avait disparu pendant deux ou trois jours d’affilée pendant la préparation du spectacle:

«Cela ne me dérangeait pas parce qu’il était aussi rapide que l’éclair quand il était là. Si nous avions besoin d’une nouvelle ligne de paroles dans une chanson, il prenait un crayon et du papier, s’agitait dans la pièce voisine pendant quelques minutes, puis revenait avec ce dont nous avions besoin. Je me souviens que c’est ainsi qu’il a écrit le couplet pour Falling In Love With Love; il l’a griffonné sur un vieux morceau de papier pendant que Rodgers et moi parlions d’autre chose.
Néanmoins, Rodgers était très préoccupé par la dépendance croissante de Larry. D’une part, il a vu son collaborateur se détériorer progressivement; d’autre part, il savait par expérience que lorsqu’un spectacle était en Try-Out, il avait besoin d’un parolier prêt pour les urgences. Les craintes de Rodgers se sont réalisées; quand nous sommes allés à Boston [le 7 novembre 1938], il n’y avait pas de Hart. Mais heureusement, tout dans le spectacle est tombé en place tout seul, et on n’a pas eu besoin de lui.»

Geroge Abbott


Le 17 novembre 1938 – le spectacle était toujours en Try-Out à Boston – Hart a été admis à l’hôpital à New York pour observation. Il était en convalescence à la maison depuis plusieurs semaines et était trop soucieux de sa santé que pour assister aux Try-Out. Il a ensuite été envoyé à l’hôpital lorsque les tests ont révélé une tache persistante sur un poumon. En fait, Hart a séjourné à l’hôpital pendant un mois, pas une semaine. Il souffrait d’une pneumonie, contractée pendant les Try-Out à New Haven. Pour la première fois, Larry Hart a raté une première de l’un de ses spectacles à Broadway: quand le rideau s’est levé sur The Boys from Syracuse () le 23 novembre, il était toujours confiné au lit.

Le 29 novembre, un communiqué annonça que Hart pourrait quitter l’hôpital une dizaine de jours plus tard. Mais quinze jours plus tard, il a pu sortir pour «s’aérer». Dans une lettre datée du 14 décembre à l’un de ses amis d’enfance, Mel Shauer, il confirme qu’il a eu une pneumonie ces derniers mois avec une petite tache sur le poumon…

En fait, à la fin des années ‘30, la consommation d’alcool de Hart avait commencé à compromettre sa santé. Des évanouissements fréquents et cette pneumonie grave ont été parmi les premières manifestations, puis sont venues les fièvres et l’anémie. Il y avait des périodes d’ivresse plus longues et des séjours plus longs à l’hôpital pour se «dessécher». Mais Rodgers a eu de plus en plus de mal à obtenir du travail de son partenaire et choisira de travailler avec Hammerstein… Mais n’allons pas trop vite.

Le spectacle The Boys from Syracuse () – que Hart verrait pour la première fois le samedi 17 décembre en matinée – a été un grand succès. C’est d’autant plus remarquable que Broadway était dans un climat théâtral où pratiquement rien ne fonctionnait: entre avril ‘36 et novembre ‘38, une trentaine de musicals avaient ouvert. Seuls quatre d’entre eux avaient tenu l’affiche plus de 200 représentations dont 3 de Rodgers et Hart:

  • 315 représ. pour On Your Toes () (1936) d’Abbott, Rodgers et Hart
  • 289 représ. pour Babes in Arms () (1937) de Rodgers et Hart
  • 290 représ. pour I’d Rather Be Right () (1937) de Kaufman, Moss Hart, Rodgers et Hart

Les grands noms du monde des musicals éprouvaient des difficultés en cette année 1938:

  • Le You Never Know () (sept. 1938) de Cole Porter n’a tenu l’affiche que 78 représentations, un très lourd flop
  • Le Sing Out the News () (sept. 1938) de Kaufman et Moss Hart a fait un peu mieux: 105 représentations, mais c’est aussi un échec
  • Le Knickerbocker Holiday () (oct. 1938) de Kurt Weill et Maxwell Anderson a atteint les 168 représentations, dans une mise en scène de Joshua Logan, mais a terminé en pertes

C’est dire si les 235 représentations de The Boys from Syracuse () confirment Rodgers et Hart comme les Rois de Broadway. Seul Leave it to Me! () (nov. 1938), un deuxième musical de Cole Porter qui a ouvert deux semaines avant The Boys from Syracuse (), sera un beau succès: 307 représentations.

Un petit clin d’œil, pour finir: le jour de Noël 1938, Paul Whiteman et son orchestre présentent au Carnegie Hall le Nursery Ballet de Richard Rodgers. Il s’agit de la seule composition de Rodgers sans texte ou qui n’a pas été composée comme «musique de fond» pour une pièce de théâtre ou un film. Elle a été écrite spécialement pour sa jeune fille de 7 ans, Mary, en trois mouvements : The March Of The Clowns suivi de A Doll Gets Broken et enfin Little Girls Don't Fight. C’est charmant, même si très léger… Rodgers devait être d’accord avec ce jugement puisqu’il n’en parle pas dans son autobiographie.

D) 18 oct. 1939: «Too Many Girls»

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«Too many Girls» - Affiche à Broadway

Un des derniers moments de bonheur, ou presque, du duo Rodgers et Hart est sans doute Too Many Girls (). Pas au niveau de la qualité artistique des spectacles, non, plutôt à propos du rapport de travail entre les deux hommes.

Quelques semaines après l’ouverture réussie de The Boys from Syracuse () à Broadway en novembre 1938, George Abbott a proposé à Rodgers et Hart de faire un musical énergique à propos d’une équipe de football universitaire dont le titre serait Too Many Girls (). Le scénario existait et avait été écrit pour un film potentiel par un auteur nommé George Marion, Jr., qui avait fait une partie de l’écriture pour Love Me Tonight (). Même si l’histoire avait été conçue à l’origine pour le cinéma, elle pouvait facilement être ajustée aux exigences de la scène. Rodgers et Hart ont aimé l’idée, surtout qu’elle leur donnerait une fois encore la chance de travailler avec de jeunes artistes talentueux qui n’étaient pas encore des «stars».

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«Too many Girls» - Playbill Broadway '39

L'intrigue peut faire penser à Girl Crazy () (1930). Dans Too Many Girls (), Consuelo Casey, une jeune femme exubérante informe son riche père qu’elle va déménager et s’inscrire au Potawatomi College, situé dans un trou perdu au Nouveau-Mexique. Pourquoi? Incompréhensible: l’école est tellement ringarde avec ses matchs de football joués le vendredi (l’une des équipes rivales de celle du collège est «Les Gentils du Texas»). Mais Consuelo est décidée et refuse d’envisager un collège plus célèbre.

Il s’avère que la vraie raison de Consuelo pour choisir Potawatomi est parce qu’il est idéalement situé près de la maison de l'auteur anglais Beverly Waverly, avec qui elle a une liaison secrète. Sachant que sa fille a l'habitude de s'inventer des problèmes, le père de Consuelo va réagir en engageant secrètement quatre collégiens pour être ses «discrets» gardes du corps. Bien évidemment, elle tombe amoureuse de l’un d’eux, Clint Kelly (Richard Kollmar), et même si elle ne s’intéresse plus à Beverly Waverly, elle va rejeter Clint quand elle va découvrir qu’il est son garde du corps ... rémunéré par son père. Mais le rejet n’est que temporaire, et lors du rideau final, tout est bien qui finit bien. Petit point de détail concernant une tradition inhabituelle à Pottawatomie: les étudiants portent des bonnets jaunes spéciaux, signe qu’ils sont vierges. Quand l’un d’eux ne porte plus de bonnet, on l’appelle «a-beanie».

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Marcy Westcott (Consuelo Casey), Desi Arnaz (Manuelito), Diosa Costello (Pepe)
et Mary Jane Walsh (Eileen Eilers) dans «Too many Girls»
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Pour les premiers rôles féminins, ils ont choisi Marcy Westcott, qui avait joué dans The Boys from Syracuse (), et Mary Jane Walsh, qui avait joué dans I’d Rather Be Right (). Les quatre collégiens «gardes du corps» étaient Richard Kollmar, Desi Arnaz, Eddie Bracken et Hal LeRoy, et les pom-pom girls étaient dirigées par Diosa Costello et Leila Ernst. Rodgers et Hart étaient de retour dans le pays de Babes in Arms () à nouveau, et cela les amusait.

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Marcy Westcott (Consuelo Casey), et Mary Jane Walsh (Eileen Eilers)
au premier rang dans «Too many Girls»
Billy Rose Theatre Division, The New York Public Library
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Mais le comportement de Hart, lui, n’était pas amusant du tout. Souvent il disparaissait et il était presque impossible de le trouver quand le reste de l’équipe avait besoin de lui. Cela avait déjà été le cas sur The Boys from Syracuse () mais ce spectacle-ci avait beaucoup de points difficiles et lors du travail, ils étaient constamment obligés de couper et de réarranger les chansons. Le deuxième acte ouvrait avec onze filles chantant sur les malheurs d’être abandonnées par leurs amoureux pendant la saison de football. Rodgers a pensé que ce serait une bonne idée d’avoir une ouverture du premier acte avec onze hommes chantant sur le fait que la saison de football était le seul moment où ils étaient importants; pendant le reste de l’année, ils étaient sauveteurs, télégraphistes ou moniteurs de camp. Ce serait la chanson Heroes in the Fall. Mais comme Hart était introuvable, Rodgers a dû écrire lui-même les paroles de cette chanson. Cela s’est également produit à quelques autres occasions. Mais toutes les chansons majeures, cependant, avaient des paroles écrites par Hart.

La partition finale est très réussie:

  • Une ballade: I Didn’t Know What Time It Was
  • De nombreuses compositions rythmées:
    • Cause We Got Cake
    • She Could Shake the Maracas
    • Spic and Spanish
    • et la chanson-titre Too Many Girls

Et pour être sûr que nous n'oublions pas que le spectacle tourne autour de la vie universitaire et du football, il y avait:

  • l’hymne du collège Potawatomi
  • la ballade Love Never Went to College
  • la célébration des pom-pom girls Look Out
  • la frustration des joueurs de football qu’ils sont des Heroes in the Fall (mais des «clochards» le reste de l’année)
  • la complainte de The Sweethearts of the Team est que les garçons semblent toujours être en formation.

Et il faut aussi souligner :

  • I Like to Recognize the Tune, une lamentation selon laquelle les groupes contemporains assassinent la mélodie d’une chanson au profit de bruits étranges et d'effets de swing (un certain Krupa «joue de la batterie comme le tonnerre»). Par cette chanson, Rodgers et Hart expriment leurs réserves aux distorsions musicales qui faisaient alors tellement partie de la musique pop en raison de l’influence du swing. Ils n’avaient vraiment rien contre les groupes de swing en tant que tels, mais en tant qu’auteurs-compositeurs, ils estimaient qu’il était assez difficile pour ces nouvelles chansons de s’imposer sans être soumises à toutes sortes de manipulations lors de l’interprétation qui masquaient leurs mélodies et leurs paroles originales. Pour Rodgers, c’était l’équivalent musical d’une mauvaise grammaire. D’un autre côté, une fois qu’une chanson est établie, Rodgers accepte que l’on prenne certaines libertés. Un chanteur ou un orchestre peut ajouter une touche personnelle distinctive qui contribue réellement à la longévité d’une chanson.
  • Give It Back to the Indians, la chanson qui termine le musical, parlait de l'île de Manhattan - rappelant qu'elle a été achetée en 1626 par Pierre Minuit à ses occupants - qui a perdu tout son charme et est devenu une métropole moche, surpeuplée et trop chère («we’ve tried to run the city but the city ran away»).

    Broadway’s turning into Coney,
    Champagne Charlie’s drinking gin,
    Old New York is new and phoney—
    Give it back to the Indians.
    Two cents more to smoke a Lucky,
    Dodging buses keeps you thin,
    New New York is simply ducky—
    Give it back to the Indians.
    Take all the reds on the boxes made for soap,
    Whites on Fifth Avenue,
    Blues down in Wall Street losing hope—
    Big bargain today,
    Chief, take it away!
    Come, you busted city slickers,
    Better take it on the chin,
    Father Knick has lost his knickers,
    Give it back to the Indians!

    «Give It Back to the Indians» - «Too many Girls» - Rodgers et Hart


    Hart écrira même ces lignes: «we’ve tried to run the city but the city ran away», manière de dire que New York était ingouvernable.
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«Too many Girls» - Affiche du film

Et pourtant une seule de ces chansons deviendra un standard: I Didn’t Know What Time It Was.

Le musical a reçu des critiques enthousiastes et s'est joué à Broadway pendant sept mois (249 représentations), à l'Imperial Theatre puis au Broadway Theatre. Il a été joué à Chicago pendant deux mois.

Et seulement six mois après la fermeture du muiscla à Broadway, une adaptation cinématographique était visible dans les salles de cinéma.

À ce stade, il n’y a jamais eu de revival à Broadway ni d'ailleurs de création à Londres.

E) 4 avr. 1940: «Higher and Higher»

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«Higher and Higher» - Broadway

Comme nous venons de le voir, au début de la saison 1939-40, Rodgers et Hart ont connu un succès avec leur musical de football universitaire Too Many Girls (), qui a recueilli des critiques enthousiastes et s'est jouée 249 représentations. Le duo semblait indéboulonnable depuis quelques années.

Par contre, Higher and Higher (), leur deuxième musical de la saison, n'allait pas recevoir les critiques dithyrambiques auxquelles ils étaient habitués et le spectacle ne réussira à tenir que pour 108 représentations, et encore au cours de deux séries légèrement séparées.

Après l’énorme succès de Vera Zorina dans I Married an Angel (), il semblait naturel à Rodgers et Hart de créer un musical autour de son grand talent, si particulier. Josh Logan leur a proposé une histoire amusante sur une femme de chambre qui se fait passer pour une jeune première de bonne famille… Tous trois ont pensé que ça marcherait très bien.

Zorina était alors à Hollywood pour jouer dans, entre autres, le film On Your Toes (), et n’a pas pu revenir à New York à cause de ses engagements à l’écran. Peut-être auraient-ils dû l’attendre, mais à l’époque, il semblait préférable que la pièce soit réécrite pour convenir à quelqu’un d’autre. Une décision qui a conduit au désastre. L’actrice hongroise Marta Eggert a été choisie pour jouer le rôle principal, mais elle était tout à fait différente de Zorina — d’une part, elle était chanteuse, pas danseuse — et le spectacle en a fortement souffert. Ce n’était pas que Marta Eggert n’était pas bonne, mais le rôle n’était pas bon pour elle. Cette expérience a enseigné à Rodgers qu’un spectacle peut être modifié, que des chansons peuvent être ajoutées ou abandonnées, et que des acteurs peuvent être remplacés, mais une fois que la structure de base de la production est définie, il est suicidaire d’essayer de le changer.

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«Too many Girls» - Playbill Broadway '39
Jack Haley (Zachary Ash) & Martha Eggerth (Minnie Sorenson)
© The New York Public Library

Higher and Higher () était mis en scène par Joshua Logan et chorégraphié par Robert Alton. Le cast comprenait Jack Haley (Zachary Ash), Marta Eggert (Minnie Sorenson), Shirley Ross, Leif Erickson, Lee Dixon et Eve Condon. June Allyson et Vera Ellen faisaient partie de l’ensemble. L’histoire se déroule dans le manoir d’une famille de l’élite new-yorkaise, les Drake, qui viennent de faire faillite — au grand dam de leur personnel, qui craint le chômage. Quand la famille quitte la ville, Zachary Ash, le majordome, a alors l’idée de faire passer Minnie, la femme de chambre, pour la fille de Drake et de lui trouver ainsi un riche prétendant, le playboy du Stork Club. Les DrakeDrake de retour, les enchevêtrements romantiques vont s'enchaîner surtout qu'un phoque savant, nommé Sharkey, ne manque pas de «compliquer» le «complot».

Higher and Higher () a ouvert avec des critiques modestes — bien que la performance de Jack Haley ait été saluée — malgré l’appréhension des créateurs qui ont eu des moments très difficiles lors des pre-Broadway try-out (où les «copier-coller» étaient d'usage régulier) mais aussi lors des previews. Et comme nous l’avons dit, la grande difficulté est que le spectacle n’avait pas été imaginé pour Marta Eggert, chanteuse d’opéra hongroise, mais pour Vera Zorina, magnifique danseuse. Marta Eggert a décidé de quitter le show en juin et le spectacle a fermé — pour une «pause». Ils réouvrirent le 5 août 1940 avec Marie Nash cette fois dans le rôle de l’ingénue. Même si les critiques étaient meilleures que celles d’Eggert, le spectacle a fermé définitivement trois semaines plus tard, le 24 août 1940. Il n’y a pas eu de productions majeures depuis, bien qu’une adaptation de film de 1943 avec Haley et une chanson de Rodgers et Hart, mais aussi Frank Sinatra dans son premier rôle au cinéma. Le rôle de Minnie est incarné par Michèle Morgan.

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«Too many Girls»
© The New York Public Library

En dehors du problème de casting, à quoi imputer cet échec, le premier de Rodgers et Hart depuis longtemps? Le livret? Il est assurément faible. Les chansons? Il n'y en a qu'une qui deviendra un standard: It Never Entered My Mind. Mais les plus grands honneurs de la soirée allaient à Sharkey, le phoque savant. Au cours d’une scène du second acte se déroulant dans les parties hantées d’un manoir de Manhattan, Sharkey et Zachary se livraient à un délire comique qui s'appuyait sur le plaisir spontané du premier à se faufiler au milieu des artistes et à les mordre au niveau des fesses. Bien sûr, Sharkey acceptait des «pots-de-vin» des membres de cast à condition qu'ils prennent la forme de morceaux de poisson succulent. Ainsi, malgré le cast, le décor, les chansons et les danses, le musical avait un problème évident: quand un phoque entraîné vole le spectacle, ce spectacle est en difficulté.

Avec 108 représentations en deux séries, il n'y a pas d'autre manière de parler de ce spectacle qu'en le qualifiant d’«échec». C'est alors qu'allait arriver Pal Joey (), le plus controversé et le plus important de tous leurs spectacles.