4.
1866 - «The Black Crook», première création américaine

 5.7.
Irving Berlin (1)

 5.8.B.
ANNA HELD

 5.8.F.
LES FOLLIES - une série

 5.9.
Jerome Kern

 6.
1927 - «Show Boat»

E) Naissance des Follies

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Anna Held - 10 mars 1900
La femme à la taille de guêpe

C'est Anna Held qui a suggéré pour la première fois à Ziegfeld de produire une revue sur le modèle de celles des Folies Bergère parisiennes, c’est-à-dire une revue se moquant de la société tout en mettant en scène un chœur de femmes séduisantes et légèrement habillées. La revue de Ziegfeld se ferait l'écho de cela, avec une touche américaine: une sorte de variation chic du Vaudeville.

La principale différence entre le Vaudeville et les Follies était que les spectacles de Ziegfeld étaient fréquentés par les échelons supérieurs de la société plutôt que par la classe ouvrière américaine ou les immigrants vivant à Brooklyn et la Bowery. Les Follies n'ont pourtant pas oublié les membres des classes inférieures; Ziegfeld les a embauchés sur scène et leur a donné des salaires de stars. Ziegfeld a en fait présenté du Vaudeville dans des lieux prestigieux de Broadway en y rajoutant des paillettes. Les Follies étaient nées. Mais, pratiquement, comment les choses se sont-elles déroulées?

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Hammerstein's Olympia Theatre
On observe bien la verrière sur le toit, le «The Roof Garden»

L'Olympia Theatre était un complexe théâtral construit en 1895 dans un lieu malfamé, qui ne s’appelle pas encore Broadway et dans lequel il n’y a qu’un seul théâtre.

Le maître d'oeuvre du nouveau bâtiment est l'impresario Oscar Hammerstein I (le grand-père d’Oscar Hammerstein II, celui de The Sound of Music (), entre autres). On le dit fou et on prédit sa faillite prochaine, ce qui n’était pas faux – elle surviendra très vite: trois ans après l’ouverture.

Ce complexe comprenait une grande salle The Olympia Music Hall (3.815 places), une moyenne salle The Olympia Lyric (1.850 places), un Concert Hall (fermé en 1898 après la faillite du complexe) et d’un jardin-verrière sur le toit The Roof Garden (925 places).

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«The Roof Garden» sur les toits de l'Hammerstein's Olympia Theatre
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Oscar Hammerstein I (1846-1919) en 1906

Ce théâtre sur le toit bénéficie de l’air conditionné par un ingénieux système qui fait couler de l’eau fraîche sur les panneaux recouvrant l’immense verrière. Mais le projet est très ambitieux. On trouvait aussi dans ce complexe théâtral un restaurant, des pistes de bowling, des tables de billard, un bain turc, un café oriental, …

L’achat d’un ticket de spectacle permettait d’accéder à toutes ces «attractions annexes».

Hammerstein a voulu mélanger les genres, mais la sauce n'a pas pris. Il n’est évidemment pas facile de faire venir 6.000 spectateurs chaque soir (même s’ils ne paient que 50 cents), et en 1898 l’Olympia est vendu aux enchères. Hammerstein est ruiné.

Marc Klaw et Abe Erlanger, deux producteurs membres du Theatrical Syndicate, achètent les lieux et les transforment en 1899 en créant le New York Theatre qui remplace le The Olympia Music Hall, passant à 2.800 places; le The Olympia Lyric devint le Criterion Theatre; le théâtre sur le toit continuant à exister.

Quel rapport avec Florenz Ziegfeld?

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Partitions de «Follies of 1907»

En 1907, le propriétaire du théâtre, Abe Erlanger – dont nous avons déjà beaucoup parlé comme directeur du ‘Theatrical Syncicate’ – n’avait pas de spectacle pour l’été dans son The Roof Garden.

Il proposa l'espace à Ziegfeld avec un budget de production de 13.000$ et un salaire hebdomadaire de «directeur de production». Vu la faible somme mise à sa disposition, Ziegfeld a choisi d’engager le fiable Harry B. Smith pour écrire le livret, Gus Edwards pour paroles des chansons et Julian Mitchell pour mettre en scène. Ziegfeld persuada également Erlanger de rebaptiser l'espace sur le toit du New York Theatre en Jardin de Paris. C’est le seul hommage à Paris et à ses Folies Bergère. Car il veut faire un vrai spectacle profondément américain.

Il fallait aussi choisir un titre au spectacle. «Je veux un titre en treize lettres…» affirma Ziegfeld à Smith. «Pourquoi treize? N’est-ce pas un chiffre qui porte malheur?» répondit Smith. «Non. Pas pour moi» a déclaré Ziegfeld en frottant l'éléphant de jade miniature dans sa poche (une superstition de plus). «Que pensez vous de Follies of the Year?» lui demanda Smith. Ziegfeld a cessé d’arpenter la pièce et a décroisé les bras. Dans son esprit, il comptait les lettres. «J'avais l'habitude d'écrire dans un journal une chronique intitulée: ‘Folies of the Day’» argumenta Smith. Il insista vite: «Qu’en pensez-vous?» Un court silence… «C'est seize lettres», lui dit Ziegfeld avant d’enchaîner par «Et Follies of 1907 ()?» a-t-il suggéré. Smith hocha la tête, et le titre était choisi. À ce stade, Ziegfeld n'avait pas encore envisagé de placer son nom dans le titre. Si le spectacle était un flop, il était mieux ne pas revendiquer la catastrophe avec son nom. Si c'était un succès, alors son nom pourrait être mis en évidence – indépendamment des Shuberts, du Syndicat et d'Anna Held.

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Follies of 1907
Les «The Anna Held Girls»
De «The Ziegfeld Follies» de Marjorie Farnsworth

Les Follies of 1907 () n'étaient pas la première revue de Broadway. The Passing Show () (1894, 145 représentations) peut revendiquer cette distinction. Mais ce qui rendait la revue de Ziegfeld extraordinaire, c'est son utilisation inventive du chœur féminin. Comme nous l’avons vu, le budget de la première édition était faible et Ziegfeld avait fait le choix d’engager des artistes importants pour guider la création. Il lui était impossible financièrement d’engager des stars sur scène et Ziegfeld a voulu faire de ses Chorus Girls la star du show. Il décida de les baptiser les «The Anna Held Girls» – même si Anna elle-même n'était pas dans le spectacle. Leurs bouches roses, leurs visages en forme de cœur et leurs figures agréablement dodues contrastant avec leurs tours de taille minuscules … faisaient clairement penser à Anna. Le nom choisi pour les Chorus Girls était un hommage réfléchi à la femme dont le talent et les conseils judicieux avaient mené Ziegfeld au succès. Mais avec ce choix, il faisait aussi une sorte d’«amende honorable» envers Anna car elle ne figurerait pas dans le spectacle – pour beaucoup elle commençait à devenir démodée – mais aussi parce que Ziegfeld avait une importante vie extra-conjugale (qui débouchera sur un divorce), … En scène, les «The Anna Held Girls» des Follies étaient habillées comme des dames et se comportaient comme des dames. Cela donnait une image très «chic» et très unifiée. Au milieu des sketches qui parlaient de célébrités comme Caruso, Carnegie, Rockefeller, et Teddy Roosevelt (le président des Etats-Unis de l’époque), Ziegfeld a même envoyé ses filles dans les allées du théâtre jouer du tambour donnant ainsi la possibilité aux spectateurs de les voir de près. À ce stade, il faut quand-même signaler que jamais personne n’a parlé de la partition du show, qui était totalement … oubliable.

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Nora Bayes

Une fois le succès devenu certain, le bouche-à-oreille remplissant les salles, Ziegfeld pu se permettre d'ajouter l’actrice connue de Vaudeville Nora Bayes à la distribution. Nora est devenue une star du jour au lendemain malgré sa silhouette très lourde et ses grands yeux saillants. Son expression soul et sa personnalité sans prétention lui ont donné un attrait unique. Mais la personnalité de Nora seule n'a pas fait d'elle une star. Comme il l'avait fait pour susciter l'intérêt du public pour Anna Held, Ziegfeld a inventé des contes fantastiques dans les journaux sur Nora, le plus célèbre étant qu'elle suçait toutes les heures une sucette. Cela ne s’invente pas! «Miss Bayes ne mange pas de sucettes simplement pour augmenter son énergie», a déclaré Ziegfeld à la presse. Les journalistes se tournèrent vers Nora, qui se tenait à côté de son producteur, sucette à la main. «Je les mange avant chaque repas pour réduire mon appétit. Sinon, comment pourrais-je maintenir ma ligne?» a déclaré Nora. Tout comme les ventes de lait avaient monté en flèche après la rumeur sur les bains de lait d'Anna, les ventes de sucettes ont explosé. Les femmes de la bonne société ont commencé à exposer chez elles des bonbons dans des plats coûteux en verre.

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Partition de The Gibson Bathing Girl

Citons encore une autre histoire impliquant les Follies of 1907 () qui elle, n'a pas été un coup de pub pré-planifié. Lors de la dernière représentation new-yorkaise de Follies of 1907 () le 14 septembre 1907, Ziegfeld arriva vêtu avec flamboyance: un costume à larges rayures, une chemise rose et des boutons de manchette en diamant. Depuis les coulisses, il a observé le numéro des Gibson Bathing Girls (la personnification de l'idéal féminin américain à la taille affinée par le corset, inventée par la plume satirique de l'illustrateur Charles Dana Gibson) dans leur scène du de bain, s’essuyant le front et s'éventant avec un journal pour dissiper la chaleur. Il a à peine remarqué le comédien Billy Reeves (un célèbre imitateur) debout à ses côtés jusqu'à ce que Reeves lui dise: «Allez dans l’eau, ça va vous rafraîchir.» montrant de la tête la piscine en scène utilisée par les Girls pour leur numéro. «J'ai pris un bain, hier. La piscine n'est pas pour moi», a déclaré Ziegfeld. Trois baigneuses à proximité l'ont cajolé, mais il n'a pas bougé d’un pouce. Reeves a suivi son propre conseil et plongé dans la piscine. Cela n’étant pas suffisant, il décida d'ajouter encore quelqu’un à la distribution du numéro: il traîna Ziegfeld sur scène et jeta le directeur élégamment vêtu dans la piscine. Le public a adoré. Le New York Telegraph a déclaré que Ziegfeld sortant de la piscine ressemblait au «spectacle le plus triste qu’il ait jamais été donné de voir sur le toit de ce théâtre». Julian Mitchell, qui était à ce moment en scène, a provoqué l’hilarité de tout le public quand il a dit: «Quand il est tout mouillé comme ça, il ne ressemble pas à un être humain du tout, mais plutôt à un grand haricot bouilliZiegfeld est le seul membre de la jet-set new-yorkaise qui n'a pas du tout trouvé drôle cet «incident». Bien qu’il ait recueilli le plus de rires et d’applaudissements de toute la soirée, Ziegfeld n'a pas gardé cette cascade comme attraction régulière.

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Follies of 1907
Les «The Anna Held Girls»

Follies of 1907 () (1907, 79 représentations) a été créée le 8 juin 1907 avec comme sous-titre «Just One of Those Things in Thirteen Acts». Elle s’est jouée au Jardin de Paris jusqu’au 14 septembre – le seul «spectacle sur toit» ayant alors tenu trois mois – avant d’être transférée au Liberty Theatre et enfin au Grand Opera House du 4 novembre au 10 novembre 1907. Le spectacle partit alors pour une courte tournée (Washington, Baltimore et Boston). Ni Ziegfeld ni Erlanger n'auraient jamais pu imaginer que leur petite expérience estivale allait être «plus connue que tout autre divertissement américain, en-dehors des Minstrel Shows.» À cette époque, les critiques et le public new-yorkais ont sans doute considéré Follies of 1907 () comme un one-shot estival, mais il faut se rappeler que 1907 a été une année phare pour Ziegfeld. Follies of 1907 () a été la seule revue de Broadway à tenir tout un été, et A Parisian Model () fut la comédie musicale la plus rentable à mettre en vedette une femme (Anna Held).

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Anna Held dans «The Parisian Model»

Ziegfeld et Anna, tous deux inondés de travail, se sont rarement vu en 1907. Anna était exténuée par cette série apparemment sans fin de A Parisian Model (). Elle a mis son veto à une offre pour une tournée de Vaudeville entre l’interminable première série et la reprise prévue. Elle a attrapé la grippe et manqué plusieurs représentations au cours de sa tournée à Philadelphie.

Ziegfeld a passé des semaines entre le théâtre et la suite de l'Ansonia (immeuble chic où Ziegfeld avait une suite, comme Caruso, Toscanini, Stravinsky, …), attendant avec impatience les signes que la santé d'Anna s'améliorait. Ayant dépensé des dizaines de milliers de dollars en publicité et en production, chaque absence d’Anna sur scène signifiait des profits considérablement diminués. Cependant, il n'a jamais reproché à Anna cette perte d'argent dont elle n’était pas responsable. Elle était d’abord sa femme et puis une star. Il remplit sa chambre de violettes et de roses, qu'elle retira après son départ parce que leur parfum piquant la faisait éternuer et tousser.