4.
1866 - «The Black Crook», première création américaine

 5.7.
Irving Berlin (1)

 5.8.E.
NAISSANCE DES FOLLIES

 5.8.G.
Des Ziegfeld Girls et
des rands artistes

 5.9.
Jerome Kern

 6.
1927 - «Show Boat»

F) Un «one-shot» qui devient une série

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Programme de «Follies of 1908»

L’année suivante, Ziegfeld a tout fait pour que Follies of 1908 () ressemble au triomphe de l’été précédent et le public l’a suivi. Le spectacle s’est joué plus longtemps, toujours sur les toits de Jardin de Paris: 120 représentations. Cet été-là, Nora Bayes a été présente dès la première représentations, chantant Shine on Harvest Moon. Même si la chanson n’a pas été écrite pour l’occasion, cela a été le tube le plus important des premières éditions des Follies. Mais la vraie star, c’étaient les Ziegfeld Girls dont le numéro The Mosquito Song où elles apparaissaient en moustiques du New Jersey!

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Lillian Lorraine

Le succès étant à nouveau au rendez-vous en 1908, il était clair que ce spectacle allait devenir un rendez-vous annuel. Il y eut donc Follies of 1909 () et Follies of 1910 () toujours au Jardin de Paris. Les Follies of 1909 () virent l’arrivée de Lillian Lorraine, qui allait causer sa séparation d’avec Anna, nous y reviendrons plus tard. Les Follies of 1910 () étaient à la fois un hommage à Anna et une célébration de talents nouveaux et passionnants. Ziegfeld appelait toujours les Chorus Girls les «The Anna Held Girls». Un deuxième hommage tout aussi évident à Anna était un sketch intitulé The Comet and the Earth qui surfait sur l'apparition en 1910 de la Comète de Haley. Les paroles de la chanson rendaient clairement hommage à Anna: «Still she wears a smile of a tempting style, for her bright eyes won’t behave.» Pendant qu’Eleanor St. Claire chantait la chanson, une image cinématographique du visage d'Anna était projetée sur la comète. Et pour une fois, plutôt que de faire de la publicité sur la technologie sophistiquée utilisée dans le numéro, Ziegfeld a laissé le public découvrir en live cet effet très impressionnant pour l’époque.

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Trailer du film «The Great Ziegfeld» (1936)
dans lequel Brice apparaissait dans son propre rôle

Mais la grande découverte de cette édition fut sans aucun doute Fanny Brice et a marqué l’histoire. Une preuve? Une comédie musicale retraçant sa vie, Funny Girl (), a été créée à Broadway en 1964 avec rien de moins que Barbra Streisand pour incarner Fanny Brice, avant d'être adaptée au cinéma en 1968, toujours avec Barbra Streisand et cette fois aussi Omar Sharif.

En 1910, l’agilité de Fanny, ses gesticulations excentriques et son talent pour les imitations et le chant comique ont suscité plus d'applaudissements que n'importe quel défilé ou ballets des jolies filles des Follies.

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«In the ublisher Office» dans Follies of 1910
(de gàd) Billy Reeves, Grace Tyso, Fanny Brice

Dans l'un des numéros de Follies of 1910 (), Lovie Joe, Fanny Brice portait une robe audacieuse à rayures avec un col à volants et une ceinture surdimensionnée. Elle a chanté une «Coon Song» (littéralement chansons de nègre, au sens péjoratif du terme) comme une chanteuse noire, prononçant "sure" comme "sho" et "more" comme "mo" tout en conservant ses manières yiddish naturelles. Le public n'avait jamais rien vu de tel. Un critique du Dramatic Mirror l'a remerciée d'avoir sauvé le spectacle de l’ennui total. La musique des numéros de Fanny avait été composée par Irving Berlin – considéré aujourd’hui comme l'un des plus grands compositeurs américains de l'histoire de la musique. Il a été le facteur clé permettant à Fanny de triompher. Berlin était la personnification du rêve américain que Ziegfeld glorifiait sur scène: né en 1888 dans l'Empire russe, sa famille émigre quand il a 5 ans aux États-Unis, où il décèdera le 22 septembre 1989 à New York (États-Unis) à l'âge de 101 ans. Plus que tout autre auteur-compositeur avec qui Ziegfeld travaillait, il symbolisait l'époque moderne que les Follies cherchaient à représenter.

Considérant ces nouveaux talents introduits dans les Follies of 1910 (), il est ironique que le spectacle ait reçu presque unanimement de mauvaises critiques. Après son ouverture le 20 juin 1910, sur le toit du Jardin de Paris, un critique a utilisé le mot «stupide» à plusieurs reprises dans son article. Il a ajouté que même si les deux premières éditions des Follies (1908 et 1909) avaient été «aussi amusantes que Coney Island, c'est bien fini.» (A l'époque Coney Island, à New York, était un complexe de loisirs majeur et abritait plusieurs parcs d'attractions).

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Anna Held dans «Miss Innocence»

Ziegfeld, convaincu que son spectacle avait été un succès public malgré les réticences de la presse, a commencé avec enthousiasme les préparatifs pour l'édition 1911 ainsi que pour une nouvelle comédie musicale The Pink Lady ().

Si Anna Held, sa femme, n'avait pas été engagée dans la tournée interminable de Miss Innocence (), elle aurait pu tenir le rôle-titre dans The Pink Lady (). Finalement ce sera Hazel Dawn qui triomphera dans le rôle-titre (312 représentations). Il s'agissait encore une comédie musicale de plus se déroulant à Paris. Malgré l'intérêt croissant du public pour les comédies musicales avec des sujets américains, la plupart des amateurs de théâtre continuaient à trouver les spectacles sur le thème européen attrayants. Mais après la tournée de A Parisian Model () dont nous avons parlé, Miss Innocence () allait continuer à tenir Anna Held en tournée sur les routes, et ce, pendant plusieurs années… En conséquence, le couple qu'elle formait avec Ziegfeld était en train de s’effondrer!

Dans plusieurs biographies, il est mentionné que Ziegfeld aurait obligé sa femme à avorter en 1909. L'autobiographie de Anna Held – que beaucoup d'historiens estiment avoir été modifiée à titre posthume, ou peut-être même entièrement inventée, par son amère fille Liane – affirme que Ziegfeld ne voulait pas qu’Anna soit remplacée dans Miss Innocence () et l’aurait forcée à se soumettre à un dangereux et illégal avortement. La haine obsessionnelle de Liane à l'égard de son beau-père rend cette histoire discutable. En outre, Ziegfeld n'a jamais été connu pour être physiquement cruel envers une femme, donc un tel acte serait un changement radical de tout ce que nous savons sur lui. En plus, comme plus tard, il a saisi l'occasion de devenir père, il y a beaucoup de raisons de rejeter cette histoire comme une pur invention malveillante. On parlerait aujourd’hui de «fake news».

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The Ansonia - a building de l'Upper West Side de New York
Immeuble où résidaient Florenz Ziegfeld et Anna Held mais aussi Lillian Lorraine !

Par contre, ce qui est sûr, c’est qu'en 1909 Ziegfeld a commencé une liaison prolongée avec la magnifique mais volatile showgirl Lillian Lorraine, alors âgée de 17 ans (Anna en a 37).

Anna Held a adopté ce que l'on pourrait qualifier d'approche continentale: «regarder de l’autre côté» lorsque son mari se livre à des infidélités discrètes avec des diverses choristes.

Mais Ziegfeld a défié la convention et a fait de cette affaire une affaire ouvertement publique. Il a emmené Lillian dans les meilleurs restaurants, et l'a même installée dans l'Ansonia, à quelques étages d'Anna. Dès 1909, il a également distribué Lillian dans certains numéros de Follies mettant en avant sa beauté naturelle, tentant ainsi de distraire le public de ses faiblesses en chant ou en jeu théâtral. N'a-t-il pas joué avec le feu?

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Billie Burke - (1884-1970)

Bientôt, toute la société new-yorkaise a parlé de la liaison Ziegfeld-Lorraine. Après plusieurs tentatives de réconciliation, Held a demandé le divorce en 1912, accusant Lorraine d'être l'une des principales responsables. Mais comme Held et Ziegfeld n'avaient jamais été légalement mariés, cette annonce n'était qu'une tentative légitime de la part de Held de retrouver son sentiment de dignité publique.

Depuis ce jour, Held a rejeté les suggestions d'un «remariage» avec Ziegfeld: «On ne rallume pas une cigarette morte.» Beaucoup croient cependant qu'elle espérait au fond d’elle-même une réconciliation. Par exemple quand elle a accepté d’assister – habillée en Impératrice Joséphine, rappelant à tous son rôle dans Mam'selle Napoleon () – à un gala de la Saint-Sylvestre 1913 à l'Hôtel Astor où Lillian Lorraine, totalement saoule, s’est disputée avec Ziegfeld et s'est enfuie. Mais avant que Held ne puisse faire un geste, Ziegfeld a été ébloui par l'actrice Billie Burke (1885-1970 – l’actrice qui a jouera 25 ans plus tard Glinda la «Gentille Sorcière du Nord» dans Le Magicien d'Oz (1939)) descendant le grand escalier de la salle de bal. Cette magnifique rousse de 18 ans avait triomphé dans des comédies produites par Charles Frohman. Burke ne s’est pas rendu compte de l'identité du grand homme aux cheveux argentés qui lui demandait une danse, et n'a pas compris pourquoi une femme habillée en Impératrice Joséphine n'arrêtait pas de les regarder avec un regard noir alors qu'ils tourbillonnaient sur la piste de danse. Dans les mois qui suivirent, Charles Frohman tenta de s’opposer à la romance naissante, convaincu que Ziegfeld cherchait simplement à lui voler Burke, l’une de ses stars. Mais le charme et la persévérance de Ziegfeld l'emportèrent. Il épousa Burke en avril 1914. Leur fille Patricia est née en 1916.

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The Pink Lady - Affiche (1911)

Revenons en 1911 et à The Pink Lady (). Mettant en vedette Hazel Dawn, le spectacle a été mis en scène par Julian Mitchell, qui était maintenant un collaborateur régulier de Ziegfeld. La pièce comprenait des scènes rappelant les Follies, avec de belles femmes posant sur des marches telles des statues vivantes. Les numéros d’humour et les chansons de The Pink Lady () étaient liés à l’intrigue générale – grande différence avec les Follies car dans ce cas cela ne préoccupait pas du tout Ziegfeld.

La comédie musicale s'est jouée du 13 mars au 11 décembre 1911 au New Amsterdam Theatre, puis reprise la saison suivante du 16 août au 14 septembre 1912, soit un total de 336 représentations – un record absolu à l’époque.

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Ziegfeld Follies of 1911
Affiche (1911)

Le succès fracassant de The Pink Lady () convainquit Klaw et Erlanger (les propriétaires du Jardin de Paris) d'inclure le nom de Ziegfeld, maintenant synonyme de prestige, dans le titre des prochaines Follies. Ziegfeld a rebaptisé la nouvelle édition de sa revue les Ziegfeld Follies of 1911 (), abandonnant sa superstition sur le nombre chanceux treize.

Au moment où ces revues annuelles ont été rebaptisées The Ziegfeld Follies, elles avaient atteint une forme bien définies: une combinaisons de jolies filles, une production spectaculaire (décors et costumes) et un humour décent. Lors des premières représentations d’une nouvelle édition, Ziegfeld prévoyait plus de numéros, de chansons et de tableaux qu’il ne le fallait. Et suivant la réaction du public aux premières représentations, il faisait un tri. Et il n’était pas rare qu’au cours d’une série, certains numéros – ou certains artistes – soient encore modifiés.