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«Fifty Million Frenchmen» (1929)

Porter a très vite créé un nouveau musical, le premier pour lequel il a écrit l'entièreté de la partition, un musical plein de tubes, Fifty Million Frenchmen () (1929, 254 représentations). Ce spectacle a été le premier des sept musicals de Porter dont le livret a été écrit ou co-écrit par Herbert Fields. C’est aussi la première comédie musicale mise en scène par Monty Woolley.

Fifty Million Frenchmen () était annoncé comme un «voyage musical à Paris». Le flyer imprimé pour le premier try-out promettait aux spectateurs un «Tour de luxe» - en français dans le texte – signalant que pour le prix d'une «place réservée», un spectateur pourrait profiter «d’une balade dans le Bois de Boulogne en calèche ouverte, de la visite des champs de bataille, de cocktails au champagne au bar du Ritz, de dégustations de pâtisseries françaises chez Rumpelmeyer et de soirées de fête au Moulin Rouge». Cet itinéraire imaginatif et provocateur incluait également «le tombeau de Napoléon, la Madeleine, les cartes postales du Café de la Paix, les vedettes qui dansent avec des gigolos, les Citroën à Montmartre, les cocottes françaises, le Harry’s American Bar, la place Vendôme, le Château Madrid à Neuilly… »

Et ainsi, pour le prix d’un billet de théâtre (la meilleure place à Broadway coûtait 5,50$), les spectateurs se voyaient offrir cette ballade insensée mais aussi la partition de Porter, qui allait de sublimes sérénades (You Do Something to Me) à des questionnements impertinents (Where Would You Get Your Coat?).

Le titre du musical fait référence à la chanson à succès de 1927 Fifty Million Frenchmen Can't Be Wrong de Willie Raskin, Billy Rose et Fred Fisher, qui comparait les attitudes libres dans le Paris des années ‘20 à la censure et à la prohibition régnant aux États- Unis. L'intrigue du musical est cohérente avec les intrigues standard garçon-rencontre-fille des musicals de la première moitié du XXe siècle.

Comme nous l'avons vu, Cole Porter avait déjà été joué à Broadway. Mais c’est ce spectacle qui l’a confirmé comme un personnage majeur de la scène broadwaysienne. Le spectacle s’est joué pendant 254 représentations (énorme puisque le spectacle a ouvert un mois après le krach boursier de 1929), offrant un trésor de chansons mémorables et a finalement été filmé deux fois.

Le flyer avait promis une tournée de Paris, et Porter a composé trois chansons sur la capitale française:

  • Do You Want to See Paris?, une variation chantée du flyer du spectacle avec son invitation à améliorer son français avec des cocottes françaises et à fréquenter l’hôtel Claridge’s, l’hôtel où vont les femmes quand elles sont fatiguées de leurs maris…
  • Paree, What Did You Do To Me? raconte comment une bigote de catéchisme se transforme en quelqu’un qui veut une bouteille de champagne
  • You Don’t Know Paree soulignait avec ironie que connaître «Paris» ne garantissait pas de connaître «Paree»

Mais la chanson qui a le plus marqué est assurément le très cynique You Do Something to Me. Il est juste de dire que le spectacle comprend plein de chansons délicieuses qui alternent des partitions romantiques et rauques. Jack Thompson et Betty Compton (maîtresse du maire corrompu de New York James Walker) ont chanté You've Got That Thing, plein de second degré. Ce contenu sexuel sophistiqué a ravi le public. Mais il faut aussi mentionner la demande de Find Me a Primitive Man (pas un homme qui appartient à un club, mais un homme à qui un club appartient), le lamentation I’m Unlucky at Gambling (une soirée au cinéma révèle que le rendez-vous galant d’une femme préfère vraiment … les hommes) et The Tale of the Oyster, une sorte de progrès du pèlerin dans lequel une huître en pleine ascension sociale obtient sa récompense.

L’histoire suit Peter Forbes (William Gaxton), un jeune millionnaire américain à Paris, qui parie avec son ami Billy Baxter qu’il peut survivre un mois sans sa ligne de crédit tout en tentant de gagner la main de Looloo Carroll, une jeune fille qu’il aime. Il devient guide touristique, gigolo et magicien — endurant d’innombrables humiliations — avant de gagner le pari et les faveurs de la jeune fille. Les autres personnages incluent l’ami de Peter, Michael, et l’amie de Looloo, Joyce, qui font équipe pour quelques numéros. Une grande partie des moments comiques est fournie par Violet Hildegarde, une touriste de New York qui cherche à être choquée, et May DeVere, une artiste de cabaret à la recherche d’un homme assez primitif pour satisfaire ses besoins.

Stephen Citron, dans son livre «Noel & Cole», a écrit que le musical a reçu des critiques mitigées, citant les critiques Brooks Atkinson et Richard Watts qui l’ont tous deux jugé «agréable», affirmant qu’il ne contenait aucune «chanson promise à un grand succès». Brooks Atkinson a rajouté que ce show était en accord avec la «mode salace de notre époque». Gilbert Gabriel, quant à lui, a déclaré que c’était «le meilleur musical depuis sept ans!». Le défenseur de Porter, Irving Berlin, a sorti une publicité dans laquelle on pouvait notamment lire: «Le meilleur musical que j’ai vu depuis des années...»

Charles Schwartz, dans sa biographie de Cole Porter, affirme que le livret du musical par Herbert Fields «avait beaucoup à voir avec la capture de quintessence mousseuse des gaulois mousseuse implicite dans le titre... et il a également noté la distribution presque parfaite et la mise en scène adroite de Monty Woolley».

Ce musical va déboucher sur deux adaptations cinématographiques «bizarres»:

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    Claudia Dell, Chic Johnson et Ole Olsen dans «50 million frenchman» (1931)
  • Fifty Million Frenchmen, réalisé par Lloyd Bacon et entièrement filmé en Technicolor, est sorti en 1931 par Warner Bros.. La distribution comprenait Ole Olsen, Chic Johnson, William Gaxton, Helen Broderick, John Halliday, Claudia Dell, Lester Crawford et Evalyn Knapp.
    Très étonnement, les chansons ont été omises du film de 1931, parce que les recettes au box-office des films musicaux de l’époque étaient en baisse !!! Il a été achevé en 1930, mais n’est sorti qu’en 1931, après que la plupart des chansons aient été retirées.
    Bien que sorti en Technicolor, le film ne survit qu’en noir et blanc.
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    Doroty Stone dans «Paree, Paree» (1934)
  • En 1934, un court métrage (35 minutes), intitulé Paree, Paree a été réalisé à partir du musical, et cette version comprenait plusieurs chansons (You Do Something to Me / Paree, What Did You Do To Me / Find Me a Primitive Man / You’ve Got That Thing. Le film mettait en vedette Bob Hope dans le rôle de William Gaxton et Dorothy Stone de Lulu.

Avec deux vrais succès, Cole Porter était définitivement arrivé dans la cour des grands. Il allait devenir l'un des compositeurs les plus prolifiques des années '30.